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Troubadours au féminin, femmes et auteures en un temps peu favorables à la reconnaissance de leurs droits, les « trobairitz » n'ont pas échappé depuis au double écueil des préjugés ou tout au contraire du mythe. Pourtant, tour à tour louées ou condamnées, leurs productions n'en demeurent pas moins quasiment méconnues. Qui étaient les « trobairitz » ? Quelle fut leur production ? Leur voix et les thèmes qu'elles abordèrent, sont-ils différents de ceux de leurs homologues masculins ?

 

I. Les Trobairitz, femmes troubadours

L'art du Trobar

 Les XIIème et XIIIème siècles voient apparaître un nouveau mouvement poétique dans la partie sud de ce qui constitue aujourd'hui la France. En langue qu'ils appellent eux-même « romane » (cf. RAYNOUARD, François, Choix des poésies originales des troubadours, Genève, Paris. 1982. T.I. Introduction, p. 5-32) et que l'on désigne aujourd'hui sous le nom d'occitan, ces poètes et musiciens développent l'art du trobar et chantent la fin'amor, joi et joven (amour raffiné, joie d'amour et jeunesse).

Mouvement poétique majoritairement constitué d'hommes, l'art du trobar vit également émerger une production féminine entre 1150 et 1250. Ces femmes troubadours, également connues sous le nom de trobairitz (forme occitane classique du féminin des mots suffixés en « or »), furent, au regard des sources conservées actuellement, une vingtaine. (Meg Bogin, Les femmes troubadours, Paris, Denoël/Gonthier, 1978, p. 15) 

Leurs noms et leurs productions nous sont principalement parvenues grâce à des manuscrits qui sont également nos sources d'informations majeures pour les troubadours. (cf. P. Bec, Chant d'amour des femmes troubadours, Stock, 1995, p. 17).

 

Les sources

 

Les vidas e razós (courts textes biographiques expliquant les raisons pour lesquelles les poèmes ont été écrits), constituent les principales sources permettant de connaître la biographie de certains troubadours et trobairitz. Vingt-huit chansonniers sur les quatre-vingt-quinze parvenus jusqu'à nous, présentent des textes, complets mais aussi parfois partiels, faisant intervenir une voix féminine (P.BEC, op.cit.Pp.17). 

 

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 Deux de ces manuscrits sont particulièrement riches :

  • Le manuscrit H (Rome, Vatican, Lat.3207), copié en Italie au XIVème siècle. Outre de nombreux textes de trobairitz regroupés sous une même rubrique, ce manuscrit a la particularité de proposer huit enluminures de femmes-troubadours.

  • Le manuscrit W (Paris, Bibliohtèque nationale. Fr 844. Olim Mazarin 96) appelé aussi "Manuscrit du roi". Contenant différentes chansons françaises mais aussi occitanes, il présente notamment la chanson de la Comtessa de Dia, "A chantar m'er de so que no volria", unique chanson de trobairitz dont nous possédions la musique (pour plus d'informations sur le sujet, consulter l'ouvrage d'Ismaël Fernandez de la Cuesta, Las cançons dels trobadors. IEO, 1979).

 

Ces différentes sources ont permis d'identifier une vingtaine de femmes troubadours, entre 1150 et 1250, et d'obtenir pour certaines d'entre elles, des éléments d'identification Il faut noter toutefois que les vidas des trobairitz, rédigées près d'un siècle après la mort de ces auteurs, se résument la plupart du temps à quelques lignes. Par ailleurs, la plupart des trobairitz sont principalement connues par une razó ou la vida d'un troubadour proche ou avec lequel elles partagèrent une « tenson ».

 

 

En dépit de sources limitées, les chercheurs ont pu dresser le portrait de ces poètes féminines. Il semble que ces femmes aient principalement été issues de milieux favorisés, ce qui explique qu'elles aient eu la possibilité de composer en un temps pourtant peu favorable au « sexe faible ». Elles fréquentaient d'ailleurs les mêmes cours que leurs homologues masculins. Les plus connues d'entre elles furent Almuc de Castelnòu, Iseut de Capion, Azalais de Porcairague, Na Castelloza, la comtesse de Die, Na Lombarda, Marie de Ventadorn, Na Tibors (soeur de Raimbaut d'Orange). (cf. à ce sujet l'ouvrage de Meg Bogin. op.cit. p. 15).

 

 II. La réception des trobairitz au cours des siècles

 

La redécouverte du XIX° siècle

 

Au XVIIIe siècle, le travail mené conjointement par Dom Vaissette et Dom Vic lors de l'élaboration de leur Histoire du Languedoc, ouvre la voie d'un retour aux sources et au textes du Moyen Âge. Le regain d'intérêt pour la littérature des troubadours ouvre alors également la voie à une (re)découverte de la production de leurs homologues féminines. Différents érudits français tels que Jean-Pierre Papon (Histoire générale de la Provence, 1778) ou Rochegude (Parnasse occitanien, 1819) mentionnent quelques exemples de trobairitz au cœur de leurs ouvrages.

Les courants romantiques français puis allemand s'intéressent à leur tour à la question et en 1888 paraît Die provenzalischen Dichterinnen de O. Schultz-Gora, monographie allemande d'une quarantaine de pages qui sera pour longtemps l'ouvrage de référence sur la question, et surtout, la seule étude globale. (cf. Pierre Bec, op.cit. p. 60).

Toutefois, le jugement moral porté sur la production de ces poètes au féminin, est alors très dévalorisant comme en témoigne la citation suivante d'Alfred Jeanroy, illustre érudit français du XIXème : “ Je croirais volontiers que nos trobairitz, esclaves de la tradition, incapables d'un effort d'analyse, se bornaient à exploiter des thèmes existants, à se servir de clichés qui avaient cours, intervertissant seulement les rôles. Nous serions alors en présence de purs exercices littéraires, qui ne sont d'ailleurs pas dépourvus de mérites”. (cf ; A. Jeanroy, Mélanges. In :Action Poétique. Les trobairitz. Les femmes dans la lyrique occitane. Paris, 1978, p. 5). Ce jugement dévalorisant, repose sur des conditions morales.

Le tournant des années 1970

Il faut attendre les années 1970-80 pour que, à la faveur du mouvement de libération de la femme qui traverse alors les sociétés occidentales, paraissent de nouvelles études sur le sujet. En 1976, l'ouvrage de l'américaine Meg Bogin, Les femmes troubadours, apporte une vision nouvelle et positive de la voix féminine dans l'art du trobar. L'ouvrage, qui eut le mérite en son temps de proposer de nouvelles pistes de réflexion quant au contexte de rédaction des pièces des trobairitz, a toutefois le défaut de ses qualités. Le propos de l'auteure souffre ainsi de son engagement pour la cause féminine, lui demandant un effort pour prendre le recul nécessaire à tout travail de recherche.

L'analyse contemporaine

Alors que la production des trobairitz avait souffert jusque-là d'une ré-utilisation parfois politique bien loin du propos original de ses auteurs, la fin des années 1980 voit paraître de nombreuses études plus objectives à ce sujet. Nous devons ainsi à Pierre Bec un ouvrage sur la lyrique féminine ayant fait le point sur la question et ouvrant la voie à de plus larges réflexions (Chants d'amour des femmes-troubadours. Stock, 2005). Avant lui, Robert Lafont dans sa Nouvelle Histoire de la littérature française (P.U.F. 1970), mais aussi René Nelli (Ecrivains anticonformistes du moyen-âge occitan. La femme et l'Amour. Anthologie bilingue, Paris, 1977) avaient également permis de faire avancer la connaissance sur le sujet, tout comme plus récemment G. Zuchetto (Terre des troubadours : XIIe-XIIIe siècles : anthologie commentée, Paris : 1996).

Toutes ces analyses ont pour point de départ la recherche du côté de la production de ces œuvres: qui fut l'auteur de telle ou telle pièce, s'agissait-il réellement d'une œuvre d'une trobairitz ou d'un troubadour, qui était cette femme et quelle était son origine ? Des recherches préalables, tirant partie d'un mince mais riche corpus d'une trentaine de textes.

III. L'écriture des trobairitz

La femme du Haut Moyen-Âge et la culture

La production des trobairitz, qui renvoie au-delà de la seule analyse littéraire, à la question de la place de la femme durant le Haut Moyen-Âge, divise aujourd'hui encore les chercheurs. Quelques auteurs soulignent le statut particulier de ces femmes qui, dans une société principalement conçue et dirigée par des hommes, eurent la possibilité de s'exprimer par la voie des lettres et des arts  (Meg Bogin. op.cit). D'autres, plus nombreux, tiennent à nuancer ce propos.

S'il est vrai que la femme occitane bénéficia d'un certain nombre de droits, notamment le droit d'hériter à l'instar des hommes, mais aussi l'accès à l'éducation, ces spécialistes nous mettent en garde contre la tentation de faire des trobairitz le symbole d'une condition féminine exemplaire dans le monde occitan du Moyen-Âge. Plus que tout autre facteur, il semble que ce soit au contraire le statut social privilégié de ces femmes, principalement issues de l'aristocratie, qui leur ait ouvert la voie de l'écriture.

Surtout, l'existence d'une voix féminine dans l'art du trobar signifie-t-elle l'existence d'une écriture spécifiquement féminine, proposant ses propres règles et ses propres codes ?

La production des trobairitz

Le faible nombre de pièces parvenues jusqu'à nous, une trentaine environ pour les trobairitz quand dans le même temps les écrits des troubadours s'élèvent à près de 2500, témoigne du faible nombre de femmes ayant composé à cette époque. Une impression à traiter avec circonspection toutefois, le temps ayant pu conduire à la disparition ou à la destruction de nombreuses pièces au cours des neuf siècles qui nous séparent de leurs auteurs.

 

La poésie des trobairitz telle que ces sources nous la donnent à voir, traite de thématiques communes à celles développées par les troubadours : la fin'amor, joi e joven. Quant à la forme, il semble qu'elles aient également adopté la plupart des genres poétiques propres à leurs homologues masculins, que ce soit les tensons (dialogue), voire, mais plus rarement, les sirventès (à caractère plus socio-politique) (cf. au sujet de leur production, l'ouvrage de Pierre Bec, op.cit p.2 ; ainsi que The Voice of the Trobairitz. Perspectives on the Women Troubadours ensemble de textes rassemblés par William D. Paden.

Six trobairitz sont auteures de chansons :

  • Azalaïs de Porcaraiga (vers 1173): 1 chanson conservée.

  • La comtessa de Dia (autour de 1200): 4 chansons conservées.

  • Clara d'Andusa : 1 chanson conservée.

  • Gormonda de Montpelhièr : 1 chanson conservée.

  • Castelhoza (environ 1210) : 4 chansons conservées.

  • Beiris de Roman : 1 chanson conservée.

Huit autres trobairitz ont écrit dans une tenson (Chanson à deux ou trois poètes qui se répondent de couplet en couplet. Voir Zuchetto p.31) :

Tensons entre trobairitz :

  • Almuc de Castelnou/ Iseut de Capion (Lubéron).

  • Alaizina Iselda/ Na Carensa.

     

Tensons entre trobairitz et troubadours :

  • Alamanda/ Guiraut de Bornelh

  • Maria de Ventadorn (1180-1215)/ Gui d'Ussel

  • Isabéla/ Ilias Cairel.

  • Na Lombarda/ Bernat Arnaut d'Armanhac.

  • Guilhelma de Rosers/ Lonfranc Cigala (troubadour italien).

  • Gansizda de Forcalquier/ écrivain anonyme.

     

Chantant à leur tour la fin'amor, renversant les rôles traditionnellement dévolus à l'homme et à la femme, la production des trobairitz présente un style qui peut sembler plus direct, moins formel que chez les troubadours ; sans que leurs écrits y perdent en valeur, comme nous le confirment ces quelques vers issus de la chanson "Estat ai en grèu cossirièr" de la Comtesse de Die :

Ben volria mon cavalièr

Tener un ser en mos bratz nut

Qu'el se'n tengra per ereubut

Sol qu'a lui fezés cosselhièr,

Car plus m'en sui abelida

No fetz Floris de Blanchaflor :

Eu l'autrei mon còr e m'amor,

Mon sen, mos uèlhs e ma vida.

 

Je voudrais bien tenir mon chevalier,

Un soir, nu, entre mes bras ;

Et qu'il s'estime comblé

Pourvu qu'il ait mon corps pour coussin

Car j'en suis plus amoureuse

Que ne fut Flore de Blanche-fleur

Je lui donne mon cœur et mon amour,

Mon esprit, mes yeux et ma vie.

(cf. Nouvelle histoire de la littérature occitane de Robert Lafont. Tome I. p.70.).

Nous ne savons pas si ces œuvres, au caractère parfois très intime, confinant même à la confession, furent interprétées en public. De nombreuses questions demeurent d'ailleurs en ce qui concerne la production des trobairitz, notamment concernant le fait que les tensons constituent le genre le plus fréquemment adopté par ces poètes. Il ne s'agit d'ailleurs là que d'une question parmi de nombreuses autres pouvant être formulées sur une production aujourd'hui connue, et tout à la fois méconnue.

 

Pour en savoir plus :

Ouvrages sur la question et la retranscription de chansons de trobairitz : 

  • ANATOLE, Christian, Las trobairitz in : Lo Gai Saber n.394, avril 1979. (Cote CIRDOC : CBB 420-27)
  • BEC, Pierre, Chants d'amour des femmes-troubadours, Stock, 1995. (Cote CIRDOC : CAC 6198)
  • BOGIN, Meg, Les femmes troubadours, Paris, Denoël/Gonthier, 1978. (Cote CIRDOC : 841.8 BOG)
  • GIRAUDON , Liliane, ROUBAUD, Jacques, Les Trobairitz. Les femmes dans la lyrique occitane. Paris, Action poétique, 1978. (Cote CIRDOC : 841.8)
  • LAFONT, Robert, ANATOLE, Christian, Nouvelle histoire de la littérature occitane, Paris, 1970. (Cote CIRDOC : 849.2 LAF)
  • NELLI, René, Ecrivains anticonformistes du moyen-âge occitan. La femme et l'Amour. Anthologie bilingue, Paris : 1977. (Cote CIRDOC : 841.8)
  • PADEN , William, The Voice of the Trobairitz, Perspectives on the Women Troubadours, Philadelphia, 1998. (Cote CIRDOC : 841 PAD)
  • ZUCHETTO, Gérard, Terre des troubadours : XIIe-XIIIe siècles : anthologie commentée, Paris, 1996. (Cote CIRDOC : 841.8)
Interprétations de quelques chansons des trobairitz :
  • AGUILERA, Delfina, Chants occitan féminins (CD), 2000. (Cote CIRDOC : 3.092 CHAN)
  • AGUILERA, Delfina, Fin amor, 2011 (Cote CIRDOC 3.092 FINA)
  • TROUBADOUR ART ENSEMBLE, Anthologie chantée des troubadours. XIIeme et XIIIeme siècles. Volume 3. (Cote CIRDOC : 3.092 TROB V3)

 

 

 

 

 

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Se Canta (cant)
Lo CIRDÒC - Mediatèca occitana

Chanté sur la plupart des territoires d'Occitanie, le "Se Canta" s'affirme comme un hymne fédérateur occitan. Il comprend au moins une quinzaine de variantes, toutes différentes selon les localités où il est chanté ou a été recueilli. C'est cette appropriation, cette adaptation des paroles et de la mélodie mais aussi les thèmes universels qui le traversent qui font de ce chant un véritable hymne populaire sur l'ensemble du territoire occitan.

Les origines du "Se Canta"

La paternité de Gaston Fébus

L'hypothèse la plus répandue concernant l'origine de ce chant nous renvoie vers le XIV° siècle et le Béarn. Ce serait en effet Gaston Fébus (1331-1391), comte de Foix et vicomte de Béarn qui aurait rédigé cette chanson à l'attention de sa femme Agnès de Navarre. Connu pour son érudition, sa connaissance des divers dialectes occitans parlés à l'époque mais aussi pour son amour de la musique, Gaston Fébus aurait été délaissé par Agnès de Navarre, retournée dans le royaume de son père, de l'autre côté des Pyrénées. Il aurait alors rédigé le "Se Canta" -"Aquelas Montanhas" dans sa version originale - fou de chagrin pour implorer son retour. Cette hypothèse est communément admise même si aucune preuve dans les écrits de l'époque ne nous permet de confirmer la paternité de Gaston Fébus sur cette chanson. De même, on ne connaît pas la version d'origine de la chanson, cette dernière s'étant transmise de manière orale au cours des siècles, sûrement adaptée selon les chanteurs et les époques. Ce n'est qu'au XIX° siècle que la forme du "Se Canta" a été fixée par les collecteurs et folkloristes dans les diverses anthologies de chants qu'ils ont pu publier.  

L'hypothèse des bateliers toulousains

Joseph Canteloube, compositeur, musicologue et folkloriste est le premier en 1951, dans son "Anthologie des chants populaires français", à émettre une autre hypothèse quant à l'origine du "Se Canta".

Il y présente en effet une autre version commençant par ces vers : "Sul pont de Nanto ; I'a un auzelou" et analyse de cette manière l'origine de cette version du "Se Canta" : "Chanson très répandue en Roussillon, comté de Foix, Guyenne, Gascogne, Languedoc, Auvergne etc. Elle fut très probablement faite par des matelots toulousains transportant le pastel de Toulouse à Nantes pour le compte d'armateurs nantais. Le pastel était cultivé en Lauragais. Le bleu était obtenu sous forme de coque d'où l'expression pays de Cocagne appliquée à un pays heureux et riche. Ce bleu pastel fit au XVI° siècle la fortune du Midi de la France. Le pont dont parle la chanson est sans doute celui de Pirmil, situé à Nantes et qui portait, construite sur une arche, une hôtellerie pour les mariniers."

Là non plus, aucun élément ne nous permet d'affirmer la véracité de cette hypothèse et comme l'affirme Martine Boudet, universitaire, dans son ouvrage "Les hymnes et chants identitaires du Grand Sud - Essai sur l'emblématique inter-régionale" : "Ce pourrait être tout aussi bien être un matelot nantais qui ayant entendu le "Se Canta", l'aurait arrangé avec des paroles adaptées à Nantes. [...] Les traductions diverses venant sans doute qu'au cours des siècles, le sens originel de ce chant a été perdu et l'on a de ce fait, écrit d'autres paroles."

Les versions locales

D'autres versions locales existent et font notamment référence à la ville de Nîmes ("A la font de Nimes") ou à un pré ("Al fond de la prado"). On ne sait pas à ce jour à quelle époque ces versions ont été créées ni leur origine exacte. Pour de nombreux chercheurs et érudits, l'air de Gaston Fébus serait devenu tellement populaire qu'il aurait été repris et adapté localement, voire même mélangé à d'autres chants populaires locaux.

Dans tous les cas, on trouve dans toutes les versions du "Se Canta" les mêmes thèmes et figures : les hautes montagnes - qui font penser aux Pyrénées, frontière naturelle au sud du territoire occitan - qui apparaissent comme un obstacle à la réalisation amoureuse, le rossignol servant d'intermédiaire entre les deux amants et enfin, la relation amoureuse impossible.

La symbolique du "Se Canta"

Le thème de la séparation physique et morale des amants, la figure de l'oiseau comme intermédiaire rattachent également cette chanson à une tradition plus ancienne, celle de la fin'Amor célébrée par les troubadours au XIII° siècle. 

Pour d'autres, ce chant symbolise également l'alliance unissant de manière éphémère Occitanie, Aragon et Catalogne.

Enfin, Richard Khaïtzine dans son ouvrage "La langue des oiseaux" développe une approche plus symbolique et ésotérique de ce chant : "Cette chanson dans la manière des troubadours est un texte à clef ou codé. La clef en est livrée dès la seconde ligne puisqu'il y a un oiseau dont on nous dit "qu'il chante ce qu'il chante". Il s'agit d'une chanson rédigée en langue des oiseaux, autrement dit dans une langue à double sens. Remarquons que cet oiseau chante mystérieusement et de nuit. [...] Cette chanson nous entretient de la nuit noire de la répression. Le rossignol, autrement dit le troubadour, chante la passion des Cathares persécutés. Il ne chante pas ouvertement, mais d'une manière symbolique de façon à n'être compris que de ceux à qui s'adresse ce texte. Remarquons également qu'il chante pour la dame qui se trouve au loin, l'Eglise cathare en exil. Mais pourquoi  évoquer l'amandier qui fleurit ? Ses fleurs, nous dit-on, sont d'un blanc immaculé. L'art religieux utilisa fréquemment l'image de l'amande mystique, la vulve entourant la Vierge ou le Christ en gloire. L'amande, qui comporte une double écorce, très résistante, est bien adaptée à la représentation de la connaissance ésotérique qui ne s'acquiert qu'en usant de patience et d'efforts. Ceci est d'ailleurs conforme au sens profond de l'amande, laquelle en hébreu se dit luz terme désignant également la lumière. Nous devons donc comprendre ici que l'amandier aux fleurs blanches (alba) désigne le fidèle d'Amour, le fidèle de l'Eglise albigeoise. Si nous doutions de cette interprétation, l'occitan nous la confirmerait. En langue d'oc, amandier se dit amelhié (celui qui n'est pas noir). or de nombreux exégètes considèrent que, dans le poème médiéval Fleur et Blanchefleur, Fleur désigne l'Eglise catholique et Blanchefleur l'Eglise cathare. La suite de la chanson est bâtie sur le même processus. Les montagnes séparant l'amant de la dame représentent les obstacles rendant impossible la libre pratique de la religion cathare. Les derniers Parfaits et faidits se sont réfugiés de l'autre côté des Pyrénées. Pour sa foi, le croyant est prêt "à passer l'eau", à mourir sans crainte de se noyer. [...] Le terme occitan "negar" signifie, à la fois, noyer et renier. Ici, il s'agit donc d'un jeu de mots faisant référence à l'action d'abjurer sa foi. Enfin, si le parfait est prêt à passer l'eau, c'est que les cathares pratiquaient le baptême de Feu ou d'Esprit et non celui d'Eau."

Le "Se Canta" aujourd'hui

Si les versions, les hypothèses concernant sa création et les manières d'interpréter ce chant sont nombreuses, le "Se Canta" apparaît aujourd'hui comme un chant commun à la plupart des territoires d'occitanie, résonnant comme un véritable hymne identitaire adopté par la population des territoires occitans comme en témoignent les exemples suivants.

La généralité du Val d'Aran a adopté le "Se Canta" dans sa version "Montanhes Araneses" comme hymne officiel. Il a également été utilisé comme lors de la Cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Turin en 2006 pour représenter les vallées italiennes occitanes.

Le "Se Canta" est depuis 2010 l'hymne officiel des supporters du Toulouse Football Club, il est chanté avant chaque rencontre.

Enfin, sur Internet de nombreuses références sont faites à ce chant et concernent une très grande partie des territoires occitans. On peut par exemple trouver une version aragonaise. Le groupe de musique Los Hardidets a également répertorié 200 versions du Se Canta, pour la plupart directement consultables en ligne.

Si le "Se Canta" s'affirme comme un hymne identitaire occitan, il n'est pas le seul. En Provence, c'est la "Cansoun de la Coupo", rédigée par Frédéric Mistral qui s'est affirmé comme véritable hymne occitan. La chanson "Lo Boièr", datant du Moyen-Age est également depuis les années 1970 devenue un véritable hymne identitaire commun à plusieurs régions d'occitanie.

 

Pour aller plus loin : 

 
  • Bibliographie : 
  • Martine Boudet, Les hymnes identitaires du Grand Sud : essai sur l'emblématique inter-régionale, Puylaurens : Institut d'Estudis Occitans, 2009. Cote CIRDOC : 320.5 BOU
  • Richard Khaitzine, La langue des oiseaux : quand ésotérisme et littérature se rencontrent, Paris : Dervy, 1996.
  • Joseph Canteloube, Anthologie des chants populaires français groupés et présentés par pays ou province. Tome I, Provence, Languedoc-Roussillon, Comté de Foix, Béarn, CorseParis : Durand & Cie, 1951. Cote CIRDOC : CAB 3518-1.

 

 

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Una revista pedagogica en occitan : Practicas

La revue Practicas (sous-titre : "revista pedagogica") est une revue de pédagogie en occitan. Practicas est emblématique de l'évolution de la production pédagogique occitane dans les années 1980, marquée par la sortie d'une certaine marginalité, jusque-là essentiellement cantonnée dans les publications des organisations militantes (autour de l'IEO à partir de 1945 : Groupe Antonin Perbosc puis Section pédagogique de l'IEO) - "le temps des pionniers et premiers maîtres" dont parle l'éditorial du premier numéro de la revue Practicas (1983, voir ci-dessous). La revue Practicas témoigne donc de la structuration d'un secteur public et d'une certaine "normalisation" institutionnelle de l'enseignement de l'occitan. 

La publication de Practicas - une à deux livraisons  par an - a débutée en 1983 pour se terminer en 1989 (n° 15/16). La collection comporte 9 numéros au total d'une centaine de pages chacun. 

Editée à Béziers, son comité de rédaction était composé d'enseignants et d'universitaires (Claire Torreilles, Jean-Paul Creissac, Marie-Jeanne Verny, Patric Sauzet, Danièle Julien, André Clément...) 

Chaque numéro comprend des articles, des exercices, des choix de textes visant à aider l'enseignement de la langue et de la littérature occitanes, mais aussi l'enseignement en occitan des sciences et de l'histoire. Enfin la revue fait une large place aux expériences d'enseignement, à travers de nombreux témoignages de professeurs d'occitan. 

Extrait de l'éditorial du n° 1 (1983) : 

« Enfin Practicas existe ? Confluent de pratiques et de recherches pédagogiques isolées ou collectives, Practicas ne prétend en aucune façon imposer des modèles ou proposer des recettes. Cette revue nouvelle veut être un outil de travail et de communication, le reflet de la diversité des situations et des méthodes. Nous avons donc largement ouvert l'éventail des rubriques, non seulement parce qu'il n'y a pas une seule façon d'enseigner l'occitan, mais aussi parce qu'il y a, en occitan, et par l'occitan, plus d'un domaine à défricher. (…) Maintenant que nous croyons arriver à la fin du temps des pionniers et « premiers maîtres », nous devons sortir de la marginalité. L'espoir de voir changer nos conditions de travail et l'urgence des tâches à entreprendre nous imposent de multiplier les perspectives, de confronter largement les expériences. C'est à nous d'y contribuer, à chacun de nous. Que la précarité matérielle et institutionnelle soit encore notre lot, c'est incontestable ; les difficultés de financement que nous avons rencontrées en sont la preuve. Mais il faut avancer coûte que coûte. L'enjeu de nos efforts est peut-être une entreprise originale de réflexion autonome et exigeante sur cette école où nous voulons faire sa place à l'occitan, non par sensibilité passéiste, mais par choix mûri, volontaire, d'une école différente et d'un enseignement moderne et démocratique. » 

Pour consulter la revue :

La collection complète est consultable au CIRDOC-Mediatèca occitana [cote N 4]. Des collections - souvent incomplètes - sont également consultables à la Bibliothèque d'agglomération de Montpellier, aux Archives Départementales de l'Hérault, au Centre Régional de Documentation Occitane de Mouans-Sartoux ainsi qu'à la Bibliothèque nationale de France. 

Les premières revues pédagogiques occitanes : 

- Bulletin pédagogique de l’IEO (Toulouse, 1951-1956) 

- Cahiers Pédagogiques de l’IEO (Toulouse, 1956-1973) 

- Lo Senhal : bulletin pour l'enseignement de la langue d'Oc (Toulouse, IEO, 1971-1972) 

- Viure a l’escòla : revue de réflexion et de pratiques pédagogiques (Villegaillenc, 1976 et 1980) 

D'autres revues pédagogique, qui paraissent actuellement :

- Lenga e país d’òc, revue de réflexion et pratiques pédagogiques éditée par le CRDP de Montpellier, 1982-.

Revue de référence réalisée par des enseignants et universitaires. 

- Lo Senhal, A.D.OC (Association pour le développement de la langue occitane), Mende, paraît depuis 1991.

- Lou Prouvençau a l’escolo. revue publiée par l'association "Lou Prouvençau a l'escolo", Saint-Rémy-de-Provence, paraît depuis 1952-53. 

Uniquement pour l'enseignement du provençal. Voir le site de l'association.

Pour en savoir + sur l'histoire des revues pédagogiques occitanes, voir :

Yan LESPOUX, "Robert Lafont et la pédagogie au sein de l'IEO", publié dans Lenga et país d’òc, Scérén-CRDP Languedoc-Roussillon, n° 50-51, avril 2011 (p. 37-48).

Junior Sans (biographie)
Centre interrégional de développement de l'occitan (Béziers, Hérault)

Junior Sans naît le 3 décembre 1820, au 45 de la rue Sainte-Claire, à Béziers. Il est le fils de Julien Sans, tisserand, connu pour ses Carnavalades et de Jeanne Françoise Eustasie Benezech qui meurt alors qu’il a deux ans.
Junior se marie le 8 septembre 1848, à Béziers, avec Marie-Anne Félix Gailhac fille d’un perruquier dont il aura un fils unique Aimé. Ce dernier épousera en 1871 Joséphine Sauret fille de Raymond Sauret maire de Maureilhan.

Dans la poésie « Moun bouyache à la mar de Serigna », pièce primée au concours de la Société archéologique de Béziers en 1855, il se qualifie d’imprimeur.
C’est en 1875 qu’il publie son premier recueil de poésies intitulé : Bèit telados qui contient huit poèsies dont une consacrée au sculpteur Antonin Injalbert et une autre à l’épidémie de choléra qui frappa Maureilhan en 1835.

En 1881, il participe à la Santo Estello de Marseille du 22 mai, où il est élu Majoral du Félibrige, premier titulaire de la Cigalo de Béziés.
Il publie cette même année son second recueil Autros bèit telados qui contient huit nouveaux poèmes dont un où il rends hommage à Jean Laurès et un autre « A moun paire » où il décoche ses flèches contre Gabriel Azaïs.
Ce n'est qu'en 1893 qu'il publiera son troisième volume Un Moulou de Telados qui sera son dernier livre. A partir de cette date, il restera alité pendant 12 ans, suite à une hémiplégie, avant de décèder au 4 de la rue Clairie, à Béziers, le 29 mars 1905.

A partir de 1875, date de la publication de son premier recueil, il réunit l'ensemble de sa production écrite en langue d’oc dans plusieurs volumes manuscrits. Ces recueils qui représentent trois forts volumes reliés, constitués en grande partie de poèsies inédites, nous permettent de suivre la carrière littéraire de Junior Sans et de découvrir plus de trente années de vie biterroise.
Junior Sans écrit pour perpétuer la mémoire de ses ancêtres mais aussi leur écriture en langue d’oc. Son écriture est celle du témoignage. Il revendique sa filiation en donnant à ses poésies le nom de Telados (toiles) et en écrivant sous le pseudonyme de Felibre de la Naveto en souvenir de son père tisserand, mais aussi en restituant comme eux, dans le parler de Béziers, les évènements survenus entre 1850 et 1880 ou encore en rapportant les vieilles traditions de la cité.
Le jeune félibre Joseph Loubet qui est en relation avec Junior Sans au cours de l'année 1890 le reconnaîtra comme son maître à penser avec Stéphane Mallarmé.

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