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Anne Clément : votz de femna
Centre inter-régional de développement de l'occitan (Béziers, Hérault)
Comédienne, auteure, metteur en scène, Anne Clément a composé et compose aujourd'hui encore un vaste panel d'œuvres qui illustrent et valorisent l'histoire et la culture occitanes. Le parcours de cette artiste coïncide avec les grands heures du théâtre d'oc contemporain. Membre du Teatre de la Carriera, elle a contribué au passage d'un théâtre militant vers un théâtre de civilisation, puisant dans l'histoire et les personnalités du pays d'oc, la matière de sa création.  
 
 

I/ Au cœur du renouveau du théâtre d'oc

Par son père, Anne Clément possède des attaches lorraines, par sa mère, elle est liée à la culture du Midi, et c'est à Paris que son enfance se déroule ( Préface de Danielle Jullien in CLEMENT, Anne. L'estrangier.Paris : Solin ; [Arles] : Teatre de la Carriera, 1981. P.7). Après des cours de théâtre au Conservatoire de Montpellier et des études de lettres effectuées dans la capitale, elle retourne dans le Sud de la France pour assouvir sa passion pour le théâtre.

 

A/ Mort et résurrection de M. Occitania

Elle rejoint alors les rangs de la jeune troupe du Teatre de la Carriera, qui sillonne les routes du Midi pour présenter des pièces en français et en occitan. Ces dernières puisent dans le patrimoine culturel et linguistique de cette région pour proposer des œuvres aux accents de manifeste, telle la pièce fondatrice du mouvement : Mort et résurrection de M.Occitania (1972).

Cette pièce marque le point de départ d'un mouvement théâtral militant qui va irradier la création occitane des années 1970. Un théâtre qui se créé au contact des viticulteurs, des mineurs, des ouvriers, s'enrichit de la mémoire collective et de ce qu'on appelera plus tard le patrimoine culturel immatériel ; un théâtre qui nourrit son jeu du carnavalesque le plus populaire, voire le plus anthropologique.

 

B/ Découverte et apprentissage d'un processus d'écriture

Anne Clément va apprendre et s'approprier au sein de la troupe, un procédé d'enquête et de recherche qui accompagnera désormais sa démarche d'écriture. Ce processus de création, conduit les membres du Teatre de la Carriera a envisagé différemment le message que leurs pièces pourront véhiculer en direction du public. La fin de la décennie 1970 va ainsi être marquée par la mutation d'un théâtre militant en un théâtre de civilisation. Tandis que plusieurs compagnies de la période s'éloignent du mouvement de théâtre d'Oc, celui-ci se régénère à partir du travail mené pendant plus d'une décennie au plus près du "Pòble d'òc". Il s'enrichit de recherches de répertoire comme de formes, puisées dans l'inconscient profond d'un territoire millénaire. Le carnaval, découvert au départ comme trace sensible de l'identité d'oc, a gagné en épaisseur et préside désormais à un art du Jogar, qui imprègne les mises en spectacle du monde par les troupes du théâtre d'Oc (Cf. Jòga, exposition du CIRDÒC sur le théâtre d'Oc contemporain).

 

C/ D'un théâtre militant à un théâtre de civilisation

Le désir de mémoire, au cœur des problématiques sociétales contemporaines, constitue l'une des problématiques mises en scène par le théâtre occitan. Ce dernier va l'interpréter sous diverses formes et points de vue, et proposer au travers de mise en scène où le carnavalesque le dispute au politique, une lecture critique de l'Histoire.

Les codes carnavalesques réactivés dans le cadre de la production du théâtre d'Oc, amènent avec eux la question de l'inversion des rôles hommes-femmes, traditionnels dans cette forme spectaculaire. Ce renversement des fonctions, en fin de compte très codifié et inscrit dans une forme, le carnaval, traditionnellement masculine, ne dépasse jamais une certaine qualification des rôles profondément traditionnels de ces dernières dans des sociétés où les femmes furent longtemps mises à la marge. Au tournant des années 1980, la voix des femmes va progressivement trouver une place nouvelle. S’ouvre alors une ère pour la troupe durant laquelle la parole féminine et féministe se trouve sur le devant de la scène. (L’écrit des femmes p.6).

 

II/ Anne Clément : nouvelle voix du théâtre d'oc

A/ Parole(s) de femmes

Anne Clément va contribuer fortement à l’écriture de cette page de l’histoire de la troupe. Depuis sa création, le Teatre de la Carriera s’est toujours organisé autour d’un équilibre entre hommes et femmes. Celles-ci ont pu dès les débuts contribuer au travail d’enquête et de sélection des thèmes. Toutefois, ceux-ci sont dans les premières années, fortement lié au contexte social et économiques des pays d’oc. Le quotidien et la lutte des mineurs, viticulteurs ou ouvriers de la région, constituent la matière de la création des débuts. Une réalité principalement masculine offrant peu d’opportunité aux comédiennes de la troupe, contraintes dans le meilleur des cas au travestisement ou à l’incarnation de personnages et valeurs symboliques, par essence asexués : République, jeunesse…(cf. TEATRE DE LA CARRIERA. L'Écrit des femmes : paroles de femmes des pays d'oc. Paris : Solin, 1981).
 
Les femmes de la Carriera posent alors les bases d’une écriture théâtrale nouvelle. Au printemps 1978 paraît un article intitulé “La Fille d’Occitania parle-t-elle de la femme occitane ?“ (cf. L'Écrit des femmes. Ibid. P.8), ce papier pose le premier les prémisses d’une réflexion sur la place et les réalités de la femme occitane. Les femmes du Teatre de la Carriera vont bénéficer d'un double contexte favorable à l'émancipation de leur parole et de leurs capacité créatrice. Alors qu'en France s'opère une libération de la femme, le Teatre de la Carriera voit sa situation également évoluer vers une plus grande place donnée aux femmes. Aux lendemains de Bogre de Carnaval, Claude Alranq, jusqu'alors auteur principal des pièces présentées par la troupe, prend de la distance à cette période, laissant la voie libre à de nouveaux auteurs. Anne Clément, Marie-Hélène et Catherine Bonafé proposent alors leurs propres créations. A l’automne, deux des trois spectacles à l’affiche sont féminins, la Galina et Saisons de femme(cf. L'Écrit des femmes. Ibid. P.8). Cette dernière portant sur l’émancipation d’une femme, est le fruit d’une rencontre avec une quinzaine de femmes dans le canton de Saint-Hippolyte-du-fort.
 
Ces deux pièces reprennent en effet les codes et les principes scénaristiques mis en œuvre par la troupe : enquête et confrontation au réel sont à la base de la création. Anne Clément, comédienne, devient également auteure, un pan de son activité qu’elle ne laisse dès lors plus de côté.
 

B/ Gargamela théâtre : une voix internationale

Après 1983 et la fin de son aventure aux côtés du Teatre de la Carriera, elle s'installe dans la maison familiale de Les Claries, dans les Basses Cévennes. (cf. Biographie de l'auteur, ägon). Anne Clément fonde en 1988 une troupe nouvelle aux côtés de Jean Hébrard, Gargamèla Théâtre. Auteure et directrice artistique au sein de la troupe, également comédienne, elle y perpétue une démarche d'investigation et de recherche pour produire des oeuvres nouvelles ancrées dans l'histoire et la culture des pays d'Oc. Gargamela sillonne les routes de France mais se produit également à l'étranger. Etats-Unis, Afrique, Amérique du Sud accueillent tour à tour la jeune troupe (cf. Introduction de Danielle Julien. Ibid. P.7).

Voix de femmes et théâtre de civilisation se conjuguent dans les pièces présentées alors. Aliénor d’Aquitaine pour la pièce A l’entrada del tems clar, Clara d’Anduze, mais également Ramon de Perilhos sont ainsi tour à tour mis à l’honneur dans une réflexion perpétuelle autour de la valorisation du patrimoine occitan. L'emploi de l'occitan se conjugue avec celui du français voire de l'anglais (A l'entrada dels tems clar), dans une recontre des langues concourrant à l'enrichissement de la pièce, de son rythme, mais également de sa réception. Anne Clément, tout en mettant à l'honneur des personnages historiques occitans et des thématiques 'locales' conquiert le public international par l'universalisme du ton et des messages donnés. Elle ouvre ainsi la voie à une découverte de la culture et du patrimoine occitans, auprès de publics nouveaux.
 

  

Biographie :

Préface de Danielle Jullien in CLEMENT, Anne. L'estrangier.Paris : Solin ; [Arles] : Teatre de la Carriera, 1981. (Cote CIRDOC : T Fra CLE e)
 
TEATRE DE LA CARRIERA. Mort et résurrection de M. Occitania. [S.l.] : 4 Vertats, 1972. (Cote CIRDOC : CBA 341).
 
TEATRE DE LA CARRIERA. L'Écrit des femmes : paroles de femmes des pays d'oc. Paris : Solin, 1981 (Cote CIRDOC : T.LAN TEA e)
 
ALRANQ, Claude. Répertoire du théâtre d'oc contemporain : 1939-1996. Pézenas : Domens, 1997. (Cote CIRDOC : 846 ALR).  
 
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Molière e lo teatre d'òc
Centre inter-régional de développement de l'occitan (Béziers, Hérault)

« Jean-Baptiste Poquelin est né à Paris, Molière est né à Pézenas ». Marcel Pagnol.

Molière était déjà Molière (il adopte le pseudonyme dès 1644) quand l'échec de sa première compagnie parisienne l'entraîne sur les routes de France aux côtés de la compagnie de Charles Dufresne. Ses pas le conduisent bientôt à Pézenas en Languedoc, ville des Montmorency, grande famille de France et gouverneurs du Languedoc qui l'ont élue pour capitale. 

Par ailleurs ville d'États (les États généraux s'y regroupent à diverses occasions sous l'Ancien Régime), Pézenas connaît alors un véritable renouveau. Après le coup d'arrêt impulsé par l'exécution d'Henri II de Montmorency, cette ville traditionnellement active et riche (elle est ville de foires drapières depuis le Moyen Âge) retrouve en effet un second souffle avec l'installation en ses murs d'Armand de Bourbon-Condé, héritier du comté de Pézenas.

 

 

I/ De Poquelin à Molière en passant par Pézenas

  • Molière à la cour du Prince de Conti

De son vrai nom Jean-Baptiste Poquelin, Molière grandit dans le milieu bourgeois d'une famille de tapissiers parisiens. Le jeune homme se détourne toutefois de la vocation paternelle et fait le choix des arts, rejoignant dès 1653 la troupe de l'"Illustre Théâtre" où il rencontre les Béjart, notamment Madeleine. L'échec de cette première compagnie pousse le jeune Molière et ses compagnons à prendre le chemin de la province en compagnie de la troupe de Charles Dufresne. C'est le début de treize années passées sur les routes de France, loin de la capitale. Ses pérégrinations le conduisent en Languedoc, auprès du Prince de Conti.

Descendant des Montmorency par sa mère, Charlotte-Marie, sœur d'Henri II de Montmorency, le jeune prince de sang (les Condé sont une branche cadette des Bourbons) a trouvé refuge sur les terres familiales à la suite de la Fronde des princes (1650-1653). Le Prince de Conti, devenu gouverneur du Languedoc en 1661 à la mort de Gaston d'Orléans, a installé sa cour à la Grange des Prés à Pézenas, et recherche pour celle-ci des divertissements. En 1653, Molière et sa troupe obtiennent faveur et pension du prince au détriment de la troupe de Courtier. Le jeune comédien qui en est encore aux balbutiements de sa carrière, a déjà effectué à cette date plusieurs séjours dans la région entre le 24 octobre 1650 et le 14 janvier 1651, et reviendra encore dans cette ville quelques années plus tard entre 1655 et 1656. La date de 1653, et le soutien affiché du gouverneur du Languedoc, constitue toutefois un tournant pour ceux devenus les « Comédiens des États de Languedoc et de S.A.R. (Son Altesse Royale) Le Prince de Conty ». Cet illustre patronage facilite dès lors le travail des comédiens qui obtiennent plus facilement l'autorisation des consuls de la Région pour réaliser dans leur ville des représentations théâtrales, art et profession décriés.

La troupe enchaîne alors les représentations chez le Prince, les nobles piscénois et dans les villes de la région, se mêlant parfois à la population locale. La tradition prête ainsi à Molière des habitudes dans le salon de coiffure du barbier de Pézenas, le dénommé Géli, dont la maison se dresse toujours place de l'ancien hôtel de ville. Là, l'auteur en résidence se serait assis sur un grand fauteuil de bois aujourd'hui présenté dans les collections du musée de la ville, le musée Vulliod-Saint-Germain, tirant son inspiration des petites scènes du quotidien qui s'y jouaient.

Le soutien princier perdure jusqu'en 1655, date à laquelle l'ancien libertin que fut Conti opère une conversion radicale, rejetant les plaisirs et mœurs de sa jeunesse pour une vie plus austère et conforme aux principes de la religion. Dès lors le Prince, empreint de remords, se détourne du théâtre ; pire, il en devient l'ennemi déclaré. Du jour au lendemain, Molière se trouve alors sans appointements ni protecteur, dans une région où le théâtre n'est plus en odeur de sainteté. Après un vraisemblable dernier passage dans la ville en 1657, le comédien s'éloigne de cette province. Elle demeure toutefois étroitement liée à son œuvre.

  

  • La naissance d'un mythe, Molière et Pézenas au XIXe siècle

Les années d'errances du comédien hors de la capitale, demeurent aujourd'hui encore sources de réflexions pour les historiens, faute d'une historiographie et de sources conséquentes en ce domaine. Le passage de Molière à Pézenas, comme ailleurs, fait l'objet d'interrogations et s'accompagne de nombreuses historiettes à l'authenticité plus ou moins avérée.

Après des dizaines d'années de quasi oubli, la fin du XVIIIe siècle et surtout le XIXe siècle se révèlent "moliéristes", tout particulièrement à Pézenas s'appuyant sur les années du comédien à la cour du Prince de Conti. De passage dans la ville en 1750, l'auteur dramatique puis académicien Cailhava, enregistre le premier les récits autour de la présence de Molière à Pézenas, notant l'importance du Languedoc dans l'œuvre du comédien. (publication en 1802 des Études sur Molière, Paris, Éd. Debray). Emmanuel Raymond (Galibert) reprend par la suite la foule d'anecdotes recueillies par Cailhava mais jamais publiées, prenant pour cadre la boutique du perruquier et les échoppes voisines.

Le comédien y apparaît dans toute sa gloire, et sa figure, quasiment érigée au rang de mythe, fait l'objet de commémorations et hommages divers. Le sculpteur biterrois et occitaniste Antonin Injalbert se voit confier la réalisation du buste de l'écrivain. Son œuvre est érigée en 1897 grâce à une souscription publique sur la promenade du Pré. Parallèlement, le mouvement moliériste piscénois animé par Albert-Paul Alliès attire le regard des élites parisiennes sur la ville. Celui-ci encourage la venue dans la cité des comédiens français, opérant pour l'occasion un semblant de pèlerinage autour des lieux et des reliques du comédien.

Indubitablement, Molière marque l'histoire de Pézenas. La cité languedocienne le lui rend d'ailleurs bien. Ville de Molière, elle propose durant toute l'année un ensemble de visites guidées sur les pas de l'auteur, scénovision voire festival (le festival Molière dans tous ses éclats se déroule depuis trois ans au mois de juin). Réciproquement, il semble que Pézenas, le Languedoc et la langue d'oc, ait également influencés le jeune comédien et dramaturge.

 

II/ Molière et le théâtre d'Oc

Jeune comédien quand il prend les chemins de l'errance loin de la capitale, Molière compose une importante production durant ses années languedociennes. La province est le cadre de la première représentation de nombre de ses pièces : l'Étourdile Dépit amoureux (1656, Béziers), la Jalousie du Barbouillé, ébauche de Georges Dandin, ou le Médecin volant, prélude au Médecin malgré lui, présenté une première fois en novembre 1655, au n°32 de la rue de Conti, Hôtel d'Alfonce. Ces quelques pièces ne sont qu'une infime partie des réalisations de Molière à cette époque, comptant au moins six autres farces, à la chronologie imprécise : Le Maître d'école ou Gros René petit enfant (1659), le Docteur Pédant (1660), Gorgibus dans le sac (1659, ébauche des fourberies de Scapin), la Casaque (23 décembre 1660). Les trois Docteurs rivaux (1661) et le Docteur amoureuxJoguenet ou Les Vieillards dupés, le Fagotier, et selon Grimarest, Les Précieuses ridicules.

Cadre d'une importante production, le Languedoc est également sujet et inspiration du contenu même de ces œuvres, qui témoignent pour la plupart de l'influence de la langue et de culture d'oc.

 

  • Molière et les Caritats/ Caritachs

Jeune comédien de passage dans la région, Molière s'est probablement rendu à Béziers au temps des Caritats. Les fêtes de Caritats sont dans le Bas-Languedoc une institution, notamment à Béziers où elles perdurent aujourd'hui. Pézenas à l'époque de Molière célébrait également les Caritats, une pratique qui se perpétua jusqu'à la fin du XIXe siècle.

Les Caritats, c'est le temps des corporations, du rassemblement des différents corps de métiers à l'occasion d'un défilé mêlant dans un même temps de fête, toutes les communautés de la ville. Ces différentes confréries font intervenir des personnages symboliques particuliers au cours de processions durant lesquelles elles prennent possession de la ville. Animaux totémiques, Camel (chameau de Béziers) et Polin (Poulain de Pézenas), danses des treilles et processions rythment la semaine de l'Ascension. Ces commémorations semblent trouver leurs origines au Moyen Âge. Les consuls des villes du Languedoc distribuaient alors aux pauvres les revenus des biens administrés par les établissements de charité (d'où le nom de Caritats) à l'occasion de l'Ascension. (Cf. ALLIÈS, Albert-Paul. Une ville d'états : Pézenas aux XVIe et XVIIe siècles, Molière à Pézenas. Montpellier, Éd. des Arceaux, 1951. P.235).

Au XVIIe siècle, les Caritats biterroises et leurs défilés sont l'occasion de représentations théâtrales en français et en occitan. Berceau d'une tradition théâtrales en oc ce théâtre dit de Béziers, dépasse les frontières de la cité révélant tout à la fois des auteurs locaux et servant de sources d'inspiration et d'émulation pour leurs contemporains.

Le théâtre des Caritats de Béziers est un théâtre majoritairement en occitan, langue maternelle pour bien des habitants à cette époque. Pourtant, et ce dès les années 1615-1620, le français s'insère progressivement dans la trame de ces réalisations. Les langues se partagent alors les rôles en fonction des fonctions de chacun. La mégère, le soldat français et la Paix sont ainsi en français dans les pièces de Béziers de cette période, tandis que Pépézuc et le Soldat Gascon sont occitans. Les auteurs biterrois, dont François Bonnet, circulent hors de l'aire purement locale. Bonnet se rend ainsi à Toulouse, pour y rechercher une plus large consécration. Le public assistant aux représentations est également bien plus cosmopolite que la seule population locale.

Parmi les visiteurs célèbres figure selon toute vraisemblance le jeune Molière. Les spécialistes ayant analysé les pièces recueillies du théâtre de Béziers et un ensemble de pièces de l'auteur parisien, notent ainsi un grand nombre de ressemblances entre des personnages et des situations déjà développées par des auteurs biterrois. Ainsi " la répugnante dégustation d'urine à laquelle se livre Sganarelle dans le Médecin volant [...] ne va ni plus loin ni plus bas, en ce genre de comique dégoûtant, que les licences ordinaires du Théâtre de Béziers" très certainement issue de la pièce La Pastorale du berger Célidor et de Florimonde sa bergère, de 1629. (cf. ALBERGE Claude, Les voyages de Molière en Languedoc. Montpellier : Presses du Languedoc, 1988). Auguste Baluffe voit de même dans "un monologue de 1635", la Boutade de la Mode (recueil de 1644) tel ou tel passage de l'École des Maris.

 

  • Monsieur de Pourceaugnac
Des traits qualifiés de méridionaux par différents spécialistes, ainsi qu'une palette de personnages de Molière, comme Don Juan (double littéraire du Prince de Conti), semblent témoigner d'une influence de l'époque languedocienne sur l’œuvre de Molière, sans que celle-ci ne doive être exagérée.

Peu de sources en effet concernant la vie de Molière à cette période permettent de définir nettement l'empreinte du Midi, de sa culture et de sa langue – l'occitan – sur le jeune auteur. Parmi tous les exemples que nous pourrions donner, citons la pièce Monsieur de Pourceaugnac (créée en 1669), qui esquisse quelques souvenirs potentiels du passé méridional de l'auteur. Le personnage principal est un Limousin portraituré par Molière sous les traits du "parfait" provincial, source de ridicule et de comique. L'auteur y adopte les lieux communs de son époque sur l'opposition Paris/ province, que ses séjours dans le sud de la France ne semblent pas avoir nuancés.

La particularité de cette pièce, réside en fait dans l'intervention de la jeune Lucette, demoiselle originaire de Pézenas (Luceta est d'ailleurs un prénom fréquent dans cette zone). La jeune femme s'exprime dans un bon "languedocien", émaillé ici et là de gallicismes, certainement destinés à rendre les interventions de Lucette plus accessibles à un public parisien francophone. Celles-ci sont transcrites dans le texte en graphie phonétisante qui semble témoigner de la bonne connaissance orale de l'occitan par Molière, qui reproduit sans trop d'erreurs une langue entendue près de dix ans plus tôt au cours de ses séjours en Languedoc (cf. à ce sujet : MARTY, Jacqueline. « Quelques emprunts de Molière au Théâtre de Béziers : le canevas de Monsieur de Pourceaugnac » in Revue des Langues Romanes, LXXXI, I, 1975, Pp.43-66.).

Extrait de texte: Monsieur de Pourceaugnac, Acte I, scène VII. (Paris, 1669).

"MONSIEUR DE POURCEAUGNAC 
Qu'est-ce que veut cette femme-là ? 
LUCETTE 
Que te boli, infame ! Tu fas semblan de nou me pas connouysse, et nou rougisses pas, impudent que tu sios, tu ne rougisses pas de me beyre ? Nou sabi pas, Moussur, saquos bous dont m'an dit que bouillo espousa la fillo ; may yeu bous declari que yeu soun sa fenno, et que y a set ans, Moussur, qu'en passan à Pezenas el auguet l'adresse dambé sas mignardisos, commo sap tapla fayre, de me gaigna lou cor, et m'oubligel praquel mouyen à ly douna la man per l'espousa. "

 

III/ Théâtre d'oc et patrimoine vivant de la cité

Ville où s'illustra Molière, Pézenas est ville de théâtre. La tradition théâtrale est ici à la fois ancienne et récente, quoi qu'il en soit bien réelle en ce début du XXIe siècle, et ouverte à bien des expérimentations qui dépassent la seule commémoration d'un passé moliéresque.

 

  • Une tradition théâtrale d'importance en Piscénois

Au XIXsiècle, Pézenas outre le souvenir laissé par le passage de l'auteur du Tartuffe, prolonge et enrichit la tradition théâtrale qui est la sienne en ouvrant dans les murs de l'ancienne chapelle des Pénitents Noirs (fin XVIe siècle-1789) un théâtre dont la salle peut accueillir 500 personnes. Fermé en 1947, il accueillit en son temps les acteurs de la « Comédie Française » et bénéficie aujourd’hui d'une restauration.

En 1959, André Cros inaugure à Pézenas un Centre Culturel du Languedoc, et souhaite utiliser la ville comme décor de son Fuente Ovejuna. Quelques années plus tard naissent la Compagnie de L'Illustre Théâtre, proposant des visites nocturnes théâtralisées de la vieille ville, ou le Théâtre des Treize-Vents. Boby Lapointe, le comique et ami de Georges Brassens, est également piscénois. Les muses sinon grecques du moins occitanes, semblent inspirer ici les auteurs et comédiens de tous horizons.

 

  • Renouveau du théâtre d'oc à Pézenas

Le théâtre occitan est paradoxalement tout à la fois riche et méconnu, victime d'impressions trop rares ou depuis longtemps disparues. Il est pourtant le fruit d'auteurs variés, y imprimant leur style dans une représentation du quotidien de leurs contemporains riche en couleur, et une démonstration de la langue en action, trésor inestimable pour ceux qui souhaitent découvrir ou interroger ce patrimoine vivant.

Pézenas, ville dans lesquelles traditions et coutumes demeurent particulièrement actives, proposent parallèlement une importante création théâtrale occitane contemporaine. Parmi les figures locales d'importance en ce domaine, notons bien sûr celle de Claude Alranq, acteur, auteur et spécialiste dans le domaine de l'ethno-sociologie, piscénois d'origine. Il investit l'ancienne Gare du Nord de la ville, cadre de ses recherches et créations théâtrales, puisant dans la langue et la culture d'oc, une inspiration depuis jamais démentie.

 

  • Claude Alranq et le Teatre de la Carrièra

Claude Alranq s'inscrit dans le renouveau théâtral occitan des années 1970. Le piscénois parcourt les routes du Languedoc pour présenter aux côtés d'autres jeunes acteurs occitans, leur jeune création, Mòrt e resureccion d'Occitania. De passage à Valros durant l'été 1971, Claude Marti assiste à l'une des représentations publiques de la pièce.

« Il y a là, sur la place, un camion asthmatique, beaucoup de décors en cartons, beaucoup de pancartes, et des gens qui s'agitent, se préparent au milieu de ce matériel pour le moins sommaire. Il fait beau, tout le village est là, les enfants, les femmes, les hommes, dans une atmosphère de petite fête.

Et la pièce commence. Incantatoire. Sous un linceul rouge marqué du drapeau occitan, il y a un mort. C'est M. Occitania, un petit viticulteur. Un tribunal est là qui disserte sur les causes de sa mort. Une sorcière apparaît : "Cessez vos trucs et manigances ! Occitania, je vais te ressusciter. Tu auras trois jours pour trouver les causes de ta mort. Si au bout de trois jours tu n'as pas trouvé, tu disparaîtras à tout jamais." C'était la pièce Mort et Résurrection de M. Occitania.

Et tout le monde est saisi, époustouflé, on n'avait jamais vu ça. On était devant un théâtre réellement populaire, qui touchait profondément les gens tout en étant très pédagogique. On voit des personnages que tout le monde reconnaît : Parloplan, le notable, Digeraplan, le banquier ; les gens se reconnaissent dans M. Occitania, ils rient, ils applaudissent, ils prennent parti ; un passage est en occitan, un autre est en français, comme dans la réalité vécue... ». Extrait de l'ouvrage Homme d'oc. Claude Martí, Michel Le Bris. Stock, Paris, 1975.

L'impact de Mòrt e ressuccion d'Occitania est réel, sur le public et la création théâtrale occitane elle-même, qui se renouvelle au contact d'une production qui bouleverse les codes et pratiques d'alors. La pièce conduit à la création de la compagnie Lo Teatre de la Carrièra, poursuivant et approfondissant les bases nouvelles posées par cette pièce fondatrice.

 

  • Vers un théâtre de civilisation

 

Depuis le tournant des années 1970, le théâtre contemporain occitan n'a eu de cesse de se développer, de se diversifier, mais également d'évoluer, prenant en compte les particularités de chaque époque traversée (place des femmes dans la société, rapport à l'Histoire et à la Mémoire...).

La fin des années 1970 s'accompagne ainsi d'une mutation d'un théâtre militant en un théâtre de civilisation. La production théâtrale s'accompagne dès lors d'un devoir de mémoire qui n'exclut pas la réactivation, la réappropriation et la recréation, et la recherche historique vient accompagner la démarche créative, proposant des pistes nouvelles quant aux sujets abordés, mais également la scénographie, les costumes et les décors.

 

Pézenas, cité dans laquelle la mémoire et l'actualité du patrimoine culturel immatériel est extrêmement vive, a vu fleurir une nouvelle génération d'auteurs et d'acteurs occitans, proposant une création puisant dans l'héritage de la ville, notamment ses traditions carnavalesques. Le Théâtre des Origines, compagnie née dans les rangs de la licence Acteurs Sud fondée par Claude Alranq, propose depuis près d'une dizaine d'année des créations où se mêlent traditions carnavalesques et arts de la rue, réinvestissant au cours de moments clés, telles la Saint Jean ou la Sant Blasi, les rues de la ville invitant la population à participer au renouveau de ses traditions en un rituel festif.