Dans le Journal des Instituteurs, un inspecteur d’académie, H. Gilbault, réinterrogeait - dans une argumentation très précautionneuse et à l’aide de forces références aux Instructions officielles de 1882 - le rôle assigné à l’école Républicaine :
« Nous parlons souvent, nous, les maîtres, une langue étrangère pour nos élèves habitués à du patois ou peu habitués à entendre employer une langue abstraite : il existe là un danger pour toutes les études, mais surtout pour l’enseignement de la morale, auquel nous attribuons une haute portée sociale, puisque ‘celui-ci tend à développer dans l’homme l’homme lui-même, c’est-à-dire un cœur, une intelligence, une conscience’. Il est nécessaire que cette étude soit comprise dans tous ses détails, et qu’il y ait une parfaite entente entre le maître et les élèves. De cette façon ‘cet enseignement atteint au vif de l’âme’, pénètre la jeune intelligence de nos élèves, au point qu’ils appliquent ces conseils à l’école, et en prennent tellement l’habitude qu’ils gardent pour la vie ‘l’art d’incliner leur volonté libre vers le bien.’ (…) Ces exemples me paraissent prouver que nos élèves emploient beaucoup de mots dont ils ne connaissent pas le sens ; ils récitent souvent sans avoir compris ; ils se payent de bruit, et les idées sont absentes : je crois que c’est bien là du verbalisme. Je vois dans cet oubli de clarté et de précision un danger : nous avons à former des hommes intelligents, sachant se conduire, sachant travailler avec activité et initiative, et non des perroquets gorgés de phrases et vides d’idées.».
Ce type d’interrogation sur le bien-fondé du système scolaire républicain est extrêmement rare dans les discours de politique scolaire à la Belle Époque. Dans la même livraison du Journal des Instituteurs, avec un argumentaire moins précautionneux et plus expéditif, représentatif d’une pensée majoritaire au sein de l’administration scolaire, l’inspecteur primaire de Foix écrit : « Bien que de longues heures soient consacrées à l’étude de la langue française, on est stupéfait de voir que les écoliers, ceux de la campagne surtout, s’expriment avec la plus grande difficulté, au point qu’ils paraissent parfois plus ignorants qu’ils ne le sont en réalité. (…) Puisque le patois est un obstacle très réel, proscrivons-le en classe et pendant les récréations. »

Brimades et punitions

Lui-même devenu instituteur, Daniel Terrade publie en 1929 dans l’Armanac dera mountanho, ses souvenirs de l’interdiction de parler occitan à l’école et décrit le système devenu célèbre du “signal” (senhal).
Del téms qu’èro escouliè, per debès l’atge de doutze ans, qu’arribèc u òrde en toutos las escòlos d’empacha les elèbos de parla patuès. M. Sabént, le noste regént, que fuc u des que mès prenguerèn à cor aquel bilèn trabalh. Nou sabi cap s’èro üo de las sèbos embencius, ou se ag aprenguèc de d’autis, tant i-a que embé soun «signal» que mous embestièc fòrtoméns e que mous punic fòro de rasou.
Un carradot de planchéto estelado, que pourtabo per escriut «Signal», que debenguéc enda nous-autis qualcarré de mès lètch e de mès ourrit que le pecat mourtal. Cado dimècres de nhét e cado dissatte, le regént que dabo aquélo maladito planchòto an u elèbo de counfiénço, en tout li recoumandan de la da al prumè que parlarïo patuès ; aquéste que la debïo fè passa an u aute, e de seguit en seguit le sinhal que bisidres, ço prumè que fasïo le regént qu’èro de demanda ce qui abïo le sinhal. Le quel pourtabo que deinounçabo le que liag abïo dat, e del fièl à la ’gulho, toutis les que l’abïon maijat qu’èron atal counescudis. La puniciu nous fasïo cap demoura: cent linhos e l’pa séc. Enda jou, ja èro mès que l’pa séc! Papai, le praubét, debant Diu sïo, qu’abïo defendut à caso de-m pourta le dinna quan èro punit de la sorto !... - Un dio pracó que nous reünirem qualquis-us e que mous diguèrem: «Açó nou pòt cap dura, ja-i cal méte üo fi.» E après esté-mous acourdadis, qu’arrestèrem toutis en cor noste plan de batalho (...).Desempuéich que soun estat regént à moun tour, mès james que n’é cap defendut as elèbos le parla del téms biélh. Mès qu’acó: se james besïo que las mainados nou coumprenion pla ço que les i-esplicabo en francés, que les i-ac rebirado en patuès, e mès d’un cop qu’è agut le plasé de bése qu’abïo reüssit.

Récréation dans l’école de filles. Album L’instruction populaire et les écoles primaires à Limoges, vers 1900. Collection Bibliothèque francophone multimédia de Limoges.

La pédagogie qui a le vent en poupe sous le Troisième République est celle de l’inspecteur général Irénée Carré, dite méthode directe ou méthode naturelle, voire même « méthode maternelle », qui consiste à enseigner le français, comme s’il était langue maternelle, c’est-à-dire en faisant abstraction de l’existence de la langue première.
L’historien Philippe Martel cite ces mots d’un nommé Poitrineau, inspecteur à Vannes, au sujet du petit breton bretonnant entrant à l’école : “S’il a huit ans d’âge physiquement, il en a trois à peine pour le développement intellectuel. Y a-t-il lieu, dans ces conditions, de tenir compte des quelques mots bretons qui lui ont suffi pour traîner jusque-là une vie rudimentaire ? Je ne le crois pas. Mieux vaut admettre qu’il ne sait rien et commencer avec lui par le commencement, comme on fait à l’école maternelle.”

Récréation dans l’école de filles. Album L’instruction populaire et les écoles primaires à Limoges, vers 1900. Collection Bibliothèque francophone multimédia de Limoges.