À ses débuts, la Révolution française rompt avec la domination linguistique du français, langue du Roi et de la Cour, qui avait marqué l’Ancien régime. En 1789 s’ouvre une première période de pluralité linguistique officielle avec une relative tolérance pour les langues parlées sur le territoire. À partir de 1792 les difficultés de la Révolution vont aboutir, en pleine Terreur, à l’élaboration d’une pensée politique du monopole linguistique : le français devient la langue de la Révolution et du citoyen, liant ainsi les choix politiques aux choix de communication. La langue française, désormais définie par les dirigeants comme langue des Lumières et de la Révolution, provoque de fait une forte dépréciation de toutes les autres langues parlées sur le territoire de la République. Dès lors, jusqu’à la guerre de 1914-1918, la question politique des langues en France restreint le plus souvent le débat « à la confrontation entre fidélité à la société traditionelle et progrès économique et social dans l’ordre, (dont) l’issue était jouée d’avance. » (Claire Torreilles, Alphabétisation et occitan dans la première moitié du XIXe siècle, 2001).

Les langues autres que le français continuent pourtant d’être majoritaires comme langues de communication sociale quotidienne sur le territoire et ont même tendance à augmenter au XIXe siècle du fait de l’immigration d’ouvriers étrangers, des conquêtes coloniales et de la croissance de la population.
En 1864, Victor Duruy alors ministre de l’Instruction publique, lance la première enquête statistique sur les usages linguistiques des français : dans le cadre d’un questionnaire relatif à la statistique de l’instruction primaire, une partie porte sur les « idiomes et patois en usage ». Les réponses à l’enquête Duruy permettent d’avoir un état statistique du nombre d’enfants francophones et non francophones dans chaque commune. Il faudra attendre 1999 pour qu’une nouvelle étude statistique globale soit menée en France. Même si les données rassemblées par Duruy sont difficiles à apprécier, Patrick Sauzet a établi les estimations suivantes : environ un quart des enfants de 7 à 13 ans ne parlent pas du tout français, et sont uniquement occitanophones dans les régions concernées. En ce qui concerne la population globale, le nombre de départements où l’occitan est majoritaire comme langue unique de la population demeure important. On considère avec ces estimations l’énorme changement qui s’opère vingt ans plus tard avec la scolarisation obligatoire qui aboutit, en 1914, à une population entièrement francophone, très souvent bilingue.

Née de la défaite de 1870 et de la difficile instauration du régime républicain, la politique scolaire de la IIIe République est conçue pour renforcer l’unité nationale et est censée prémunir la République contre la restauration de la monarchie. Un des éléments fondamentaux de cette politique est la généralisation de l’apprentissage et de la maîtrise du français par l’ensemble de la population. La IIIe République s’instaure également dans un contexte de nationalismes triomphants dans toute l’Europe, qui s’articule en France autour du traumatisme de la défaite et la perte de l’Alsace-Lorraine. Les mouvements « renaissantistes » qui s’étaient développés depuis le milieu du siècle, à l’image du Félibrige né en Provence en 1854, sont dès lors condamnés à limiter leurs revendications linguistiques et fédéralistes : « le monolinguisme français est devenu doctrine d’Etat, quiconque s’y oppose devient (idéologiquement) suspect. » (Georg Kremnitz, Histoire sociale des langues de France, Presses universitaires de Rennes, 2013).

Général Plazanet, Essai d’une carte des patois du Midi, Bordeaux, impr. Bière : 1913.

patois”: histoire d’un mot

« Sorte de langage grossier d’un lieu particulier & qui est différent de celui dont parlent les honnêtes gens. Les provinciaux qui aiment la langue viennent à Paris pour se défaire de leur patois... »
Pierre Richelet, Dictionnaire françois, Genève, 1680.
Le terme de « patois » commence à se développer en France à la fin du XVIIe siècle pour désigner très péjorativement toutes les façons de parler non conformes à la norme légitime - qui s’institue d’ailleurs au même moment - du français. Au cours du XVIIIe siècle, le terme va progressivement désigner toute autre langue que le français normé. Dès cette époque, des savants bons connaisseurs de la langue et de l’héritage littéraire occitan vont d’ailleurs critiquer ce glissement à l’instar l’abbé de Sauvages :
« Le languedocien quoique négligé & en partie dégénéré, n’en est pas moins une langue à part, loin d’être le patois d’une autre : langue aussi bien à soi que puissent l’être aucune de celles de l’Europe, & qui a ses termes propres, sa syntaxe, & sa prononciation entièrement étrangères au françois, & dont le génie, le tour de phrases & des constructions sont si différentes de cette dernière langue, qu’on les appelle gasconimes lorsqu’ils s’y trouvent mêlés. »
Le terme de « patois », pourtant régulièrement critiqué, qui imposait une hiérarchie entre la langue officielle des élites et de l’administration et les langues parlées par de nombreux habitants, ne cessera de se développer au cours du XIXe siècle, porté par le dynamisme des politiques d’uniformisation politiques. Dans les années 1900, il est même utilisé dans le domaine scientifique.

Général Plazanet, Essai d’une carte des patois du Midi, Bordeaux, impr. Bière : 1913.