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ROBERT RUFFI
ŒUVRES POÉTIQUES
ÉDITION DE
JEAN-YVES CASANOVA
�L’édition de ce manuscrit a été effectuée en 1994. Nous remercions Madame
Marie-Christine Rémy et Monsieur Bernard Morel, conservateurs de la bibliothèque du
Musée Paul Arbaud d’Aix-en-Provence en 1994, pour avoir mis à notre disposition les
manuscrits autographes de Robert Ruffi et les dossiers généalogiques de la famille Ruffi
Nous remercions Madame Dominique Baudoin-Bourdot pour les traductions
grecques et latines des poèmes écrits lors de la réduction de Marseille, Madame Danièle
Robert pour les traductions des poèmes latins de Robert Ruffi et Madame Fausta
Garavini pour l’établissement et la traduction des poèmes italiens de la réduction de
Marseille.
Enfin, notre reconnaissance va à nos amis Philippe Gardy et François Pic pour
leur aide tout au long de ce travail.
�AVANT-PROPOS
Les écrivains occitans des XVIe et XVIIe siècles sont souvent des poètes sans
visage ; ce ne sont parfois que des noms sur une liste accompagnant quelques poèmes
recueillis presque miraculeusement, œuvres parcellaires. On peut dire de l'ensemble de
cette littérature qu'elle avance sous le masque des ans, un voile qu'elle n'a pas toujours
choisi. Robert Ruffi participe à ce mouvement : sans visage et sans publication (ou
presque), il a tenu comme écrivain et érudit un rôle considérable à Marseille en cette fin
de XVIe siècle. Son œuvre est pourtant oubliée : ses travaux historiques ont permis à
son petit-fils Antoine de Ruffi à écrire sa monumentale Histoire de Marseille et ses
œuvres poétiques sont quasi ignorées.
Évoquer le nom de Ruffi à Marseille, revient immanquablement à citer Antoine,
le premier historien de la ville qui publie en 1642 un volume imposant et toujours d'une
grande utilité. C'est aussi lui associer Louis-Antoine, son propre fils, qui continue et
amplifie l'œuvre de son père. Les deux historiens de cette illustre famille ne citent
qu'une fois leur aïeul, certainement pour des raisons politiques qu'il convenait de ne pas
évoquer en ce siècle d'absolutisme. Pourtant ils lui doivent beaucoup, car comme tant
d'humanistes Robert Ruffi avait accumulé bon nombre de documents et de relations qui
servirent aux synthèses historiques écrites après lui. 1 Dans la première édition de son
Histoire de Marseille, Antoine de Ruffi évoque le souvenir de son grand-père en
minimisant ses recherches historiques :
Aussi peut-estre l'aurois-je pas entrepris, si je n'eusse trouvé chez moy un recueil d'une
partie des tiltres & instrumens qui sont dans les Archives de l'Hostel de ville que mon ayeul
avoit fait, & des memoires de ce qui s'est passé de plus remarquable depuis l'an 1585 que la
ville tomba en grandes divisions & desordres jusques en l'an 1596 qu'elle fut reduite en
l'obeïssance du Roy. ».2
1 Nous donnons dans notre chapitre consacré à la bibliographie les références de ces ouvrages. Une description plus
détaillée des deux manuscrits autographes de Robert Ruffi est également exposée dans un chapitre particulier.
Octave Teissier cite dans son édition de 1894 un jugement de M. J. B. Lautard qui affirme l'importance des
travaux historiques de Robert Ruffi : « Jusqu'au bisailleul de Ruffi, quoique Marseille eût produit tant d'habiles
écrivains, aucun auteur n'avait tenté d'écrire l'histoire de cette ville célèbre. Quelques amis des lettres avaient à peine
osé parler de ce qui s'était passé de plus remarquable de leur tems; et ces mémoires, même isolés, rares et de peu
d'étendue, ne formant entre eux aucune suite, ne pouvaient fournir que des matériaux trop imparfaits, pour en tirer un
parti véritablement avantageux.
Mais le bisailleul de Ruffi avait soigneusement recueilli tout ce qui s'était passé d'important depuis l'an
1585, époque des divisions de la Provence, jusqu'en 1594, qu'elle se donna au roi. Il avait consulté, d'ailleurs, les
cartulaires et les registres de l'abbaye de Saint-Victor, et ceux des couvents et autres maisons religieuses de la ville et
de la province. Cette immense compilation devenait ainsi une source féconde de faits intéressans, qui n'attendaient
qu'une main habile pour en disposer d'une manière utile à la patrie. C'était dans les couvens, à cette époque, que se
trouvaient les matériaux de l'histoire, et l'on peut dire que Ruffi l'ancien en avait épuisé les trésors. » (cf.
bibliographie, p. 7).
Constatons en dernier lieu que l'œuvre historique de Ruffi subit le même sort que celle de Jean de
Nostredame qui constitue une matière importante pour l'Histoire de Provence de son neveu César (sur Jean de
Nostredame, nous nous permettons de renvoyer à notre thèse de doctorat : Historiographie et Littérature au XVIe
siècle en Provence : l'œuvre de Jean de Nostredame, 5vol., Université Paul Valéry-Montpellier III, 1990).
�Pourtant le nom de Robert Ruffi n'est pas inconnu. Bougerel recopie un de ses
poèmes et Ruffi est cité non seulement comme historien, mais aussi comme poète, ayant
en effet participé aux pièces liminaires de l'édition de Bellaud de la Bellaudière en 1595.
Il a laissé de nombreuses traces de son action et de son œuvre. Le personnage est public,
archivaire de la ville en 1593 sous la dictature de Charles de Casaulx, notaire, historien
et poète en provençal et en français. Ruffi est pleinement un homme de l'écrit. Il lègue
également quantité de documents, amplifiés par ses descendants, sur sa famille et un
Livre de Raison. Quant à ses archives notariales, si elles ne sont pas d'un grand intérêt,
elles nous renseignent sur le personnage et la société marseillaise.
Ruffi réunit ses poésies dans un manuscrit qui ne possède pas vraiment les
qualités d'une préparation à l'imprimerie : pas de pièces liminaires, d'adresse au lecteur,
mais ici nous devons nous interroger sur l'état de ce manuscrit, car il est vraisemblable
qu'il a été quelque peu « dénaturé » lors des diverses reliures. Néanmoins son œuvre ne
connaît pas la publication si l'on excepte les deux sonnets édités en 1595 dans les pièces
liminaires des Obros et Rimos de Bellaud de la Bellaudière et les quatre poèmes figurant
en liminaire d'une relation de la réduction de Marseille en 1596. L'œuvre reste alors
manuscrite, à la fois poétique et historique, dissociée en deux manuscrits.3
Octave Teissier édite en 1894 les Poésies Provençales de Robert Ruffi ; il ne
publie qu'une partie de ce manuscrit, mais met au jour l'existence de cette œuvre et
octroie au poète marseillais une place non négligeable dans l'histoire des lettres d'oc.
L'édition de Teissier n'est pas parfaite et pèche par une série d'omissions (volontaires ?)
qui grèvent la connaissance de l'ensemble de ce texte, mais son mérite est indéniable :
replaçant l'œuvre de Ruffi dans le mouvement des lettres occitanes comme un
précurseur des Félibres, il donne à lire une œuvre poétique quasi inconnue en 1894.
Nous entendons également, plus d’un siècle après Octave Teissier, restituer un
texte, mettre en lumière un écrivain dans la totalité de ses œuvres et le confronter à ses
contemporains occitans et français. Il nous paraît évident (mais ne faut-il pas encore
l'affirmer ?) que la reconnaissance la plus juste que l'on puisse accorder à la littérature
d'oc est celle de la lecture toujours renouvelée, critique et heureuse de découvertes et
d'émotions.
2 Histoire de Marseille, cf. bibliographie (fo non numéroté, extrait de la Préface, 2ème alinéa). Les travaux de Robert
Ruffi sont beaucoup plus étendus et englobent les périodes antiques, médiévales et modernes.
3 Ces deux manuscrits (MQ 111 pour les poésies et MQ 112 pour les travaux historiques) sont conservés à la
bibliothèque du Musée Paul Arbaud à Aix-en-Provence ainsi que les différents documents relatifs à la famille Ruffi.
�UN HOMME DANS SON SIÈCLE
Origine et destin d'une famille marseillaise
La famille Ruffi, comme bon nombre de familles marseillaises, n'est pas originaire de la cité phocéenne. Les documents familiaux établis vraisemblablement par
Robert Ruffi et conservés par ses descendants livrent quelques indications
intéressantes.4 Nous avons donc tout lieu de penser que les Ruffi étaient originaires du
Comté de Nice : en 1159-1165, un Guillaume de Ruffi est consul de Nice et serait
originaire de Tende. S'agit-il d'une localisation bien précise, d'un enracinement
montagnard ou, plus sûrement, d'une appartenance « passagère », d'une émigration en
provenance de Piémont, Lombardie ou Ligurie? Rien dans les archives de la famille ne
nous permet de conclure. En 1371, Jeanne et Louis d'Anjou effectuent une donation
confirmée le 1er décembre par lettres patentes : ils confient le château de Saint-Geniès
des Martigues et du Rove à Antoine de Ruffi de Nice, patron de six galères ancrées dans
le port de Gaëte.5
Nous ne savons presque rien sur les Ruffi au XV e siècle. Nous ne savons pas si
le religieux Guillaume Ruffi dont parle Camille Chabaneau dans l'édition du Parnasse
provençal de Joseph Bougerel était de la même famille.6 Les archives familiales mentionnent la mort en 1496 d'un Anselme Ruffi, appelé communément « seigneur Ruffi le
dévot »; celui-ci avait eu deux fils de Guilleaume Thomasse : Barthélemy et François.
Anselme Ruffi, père de Barthélemy, grand-père de Robert, était originaire de Pornais,
un hameau du comté de Tende. C'est à Grimaud qu'il épouse sa femme. Son fils se fixe
4 Il s'agit de documents originaux conservés à la bibliothèque du Musée Paul Arbaud à Aix-en-Provence : MQ 101
(Généalogie de la famille de Ruffi), MQ 103 (Baptêmes et décés de la famille), MQ 104 (Mariages), MQ 105
(Testaments), MQ 106 (Actes divers), MQ 107 (Inventaires et reconnaissances), MQ 109 (Livre de raison). Nous
avons vérifié les dates les plus importantes de la vie de Robert Ruffi en confrontant ce qui est écrit dans ces dossiers
ou dans ses relations historiques aux archives marseillaises. Nous n'avons pas effectué des recherches généalogiques
poussées sur la famille Ruffi, nous contentant de réunir et confronter les archives familiales. Le nom même Ruffi,
provenant du latin Rufus, est déjà un surnom à Rome ; de nombreux « Ruffi », « Ruffo » ont donc existé et il serait
très difficile de repérer tous les Provençaux portant un tel patronyme (ou un patronyme voisin, occitanisé, comme
« Roux » par exemple). Nous nous fions donc aux archives familiales. Nous mentionnons également le dossier 20 II
258 du fonds Bertas qui collige des archives notariales et qui est d'un intérêt précieux (Archives communales de
Marseille).
5 MQ 101, Généalogie de la famille de Ruffi, bibliothèque du musée Paul Arbaud.
6 Joseph Bougerel, Le Parnasse provençal, (v. bibliographie), p. 287. Chabaneau trouve mention de ce poète dans le
Magasin encyclopédique de Fauris de Saint Vincens et recopie quelques vers. Chabaneau n'établit pas une filiation
vérifiée entre ce Guillaume et Robert Ruffi : « Déjà au XVe siècle, un autre Ruffi (était-il de la même famille?)
composait des vers provençaux. Dans un sermon de Pierre de Marini, confesseur et prédicateur du roi René, mort en
1467, il est parlé, dit Fauris de S. Vincens (Magasin encyclopédique, 1813, t. III, p. 23), d'un religieux nommé
Guillaume Ruffi, âgé de quatre-vingt-dix ans, qui, bien qu'aveugle depuis vingt-cinq ans, était toujours de la plus
grande gaieté. Marini le trouva un jour dans sa cellule, riant à gorge déployée; et, lui ayant demandé le sujet de sa
gaieté, il lui répondit qu'il faisoit une chanson pour être chantée aux fêtes de Noël […] Marini rapporte ensuite quatre
vers provençaux de cette chanson. Ils peignent assez naïvement de vieux moines assis auprès d'un mauvais feu, où ils
se disputent le plaisir de tisonner : « Lou payre ambe son baston — tourounet / Remuda lo tison; / Frayre Johan an
son frogon — tourounet / cemena lo carbon. ».
�à Marseille comme le prouve les lettres de « citadinage » conservées dans les archives
familiales.7
Barthélemy Ruffi, père de Robert, était jurisconsulte, notaire certainement
attaché au greffe du palais ou de l'archevêché. Les archives de la famille précisent qu'il
est mort le 5 octobre 1567, âgé de quatre-vingt-deux ans, ce qui le fait naître en 1485. 8 Il
épouse Batronne de Lans, fille d'Estienne de Lans et d'Aigline Lavite. Deux enfants nés
de cette union sont mentionnés dans les archives familiales : Eleonor, baptisée le 13
mars 1538 (parrain Pierre Colle, avocat et marraine Eleonor Colle) et Robert, né en
1542.9
Deux autres enfants sont cités dans les archives notariales : Esprit Ruffi,
mentionné dans le testament de Barthélemy Ruffi le 27 août 1567, qui fut « ferrier » du
comte de Tende et Antoine Ruffi, religieux de l'ordre des Dominicains.10
Batronne de Lans est décédée vers 1546-1547, peu de temps après la naissance
de son fils. Son père, Estienne de Lans, fut élu au Conseil de ville en 1526.
Nous savons peu de choses sur la carrière de Barthélemy Ruffi. Notaire, il a dû
effectuer son droit à Aix ou en Avignon. Il est élu le 28 octobre 1543 juge de SaintLazare, un des nombreux tribunaux marseillais. Il fut assesseur de Marseille en 1541
puis député aux États de la province et à nouveau élu juge de Saint-Louis en 1555. 11 Le
père de Robert Ruffi occupe donc une place non négligeable dans la cité phocéenne :
juriste, il fait partie de cette classe de lettrés dont la Renaissance favorise
l'épanouissement et paraît avoir quelques fonctions politiques qui l'amènent à
représenter sa ville aux États. Même s'il n'accède pas aux fonctions importantes de
consul et si son rôle n'a pas été formellement reconnu par l'histoire, Barthélemy Ruffi
témoigne d'une insertion sociale de première importance révélée par ses fonctions. Il
illustre à merveille le rôle administratif et judiciaire dévolu à la bourgeoisie marseillaise
qui entend organiser la vie de la cité et tenter de préserver l'équilibre, souvent précaire,
entre propriétaires du terroir et négociants.
Sa fortune, si elle n'est pas exceptionnelle, ne devait pas être négligeable. Il
achète en 1539 une maison rue du Petit Mazeau, maison léguée à son fils Robert ; il est
question de cette demeure dans le testament de ce dernier le 21 février 1630. C'est
certainement de cette maison dont il est question dans le poème XXXVII.
Si quelques renseignements permettent d'éclairer la vie et le rôle social du père
de Robert Ruffi, nous ne savons rien de sa mère, de sa sœur et de ses frères. Les
archives restent muettes sur les deux femmes, dont une meurt certainement jeune,
laissant un fils de cinq ans et une fille de neuf ans ; chose fréquente que ces mères
mourant en couches ou de la suite d'une naissance particulièrement difficile. Quant à
Eleonor, on peut supposer que, figurant dans les archives familiales, elle survécut à la
petite enfance, mais elle n'est mentionnée dans aucun acte.
Les années de jeunesse et la vie familiale
Robert Ruffi a été baptisé le 3 avril 1542 en l'église des Accoules de Marseille.
Son parrain, Robert Huet, est commandeur du Saint-Esprit et sa marraine est une
7 MQ 101, bibliothèque du musée Paul Arbaud : Généalogie de la famille de Ruffi.
8 MQ 103, Baptêmes et décés de la famille de Ruffi, bibliothèque du musée Paul Arbaud.
9 Idem.
10 20 II 258, fonds Bertas, Archives Communales de Marseille.
11 MQ 101, Généalogie de la famille de Ruffi, bibliothèque du musée Paul Arbaud.
�nommée Urbanne Chabasse. Nous ne savons rien de ses années d'enfance. On peut
penser que son éducation fut conforme aux principes de l'humanisme : Ruffi connaît
bien le latin, doit avoir quelques rudiments de grec et d'italien (pratique normale à
Marseille en ces temps) ; il recopie à l'occasion quelques poèmes dans cette langue. 12 Si
l'on ajoute à ces trois langues le français et l'occitan qui lui sont familiers, Ruffi possède
un solide savoir linguistique même s'il ne fait pas figure de prodige. L'exemple paternel
le conduit naturellement vers le droit qu'il effectue certainement, lui aussi, à Aix ou à
Avignon, et il accède en 1567 à la profession de notaire. Une éducation sans doute
normale et un chemin professionnel sans surprise en font l'exemple parfait de cette
deuxième génération d'humanistes provençaux.
Robert Ruffi épouse le 28 avril 1564 Marthe de Morineau. Le Livre de Raison
de Robert Ruffi consigne le contrat de mariage et les biens apportés en dot par Marthe
de Morineau. Les cérémonies eurent lieu à Tarascon et à Marseille : « Et aprez avoir
estes a Tharascon, espousances a Marseille le dimenche douzieme novembre au dict
an. »13 Le père de sa femme ne nous est pas inconnu : François de Morineau, originaire
de Tarascon, exerce en 1577 les fonctions de viguier. Marthe de Morineau fait donc
partie d'une famille influente dont les hommes tiennent des places importantes dans
l'administration de la cité. Six enfants connus naissent de cette union :
- Claire, née le 17 février 1566 (parrain Balthasar Paul dont il est question au poème
XXX, [1], marraine Claire Risse). Elle épousa le 16 octobre 1582 Pierre Croizet. Nous
savons que Claire Ruffi, citée dans L'Histoire de Marseille de son neveu Antoine, fera
le coup de feu en 1596 lors de la réduction de la ville. Claire de Ruffi est décédée en
1629 (elle n'apparaît pas sur le dernier testament de son père en 1630 alors que Pierre
Croizet, son mari et ses deux enfants sont cités).
- Louise et Catherine, deux filles jumelles, nées le 6 juin 1569 (parrain de Louise
Léonar de Corbières et marraine Louise de La Garde, parrain de Catherine Gaspar Paul
et marraine Catherine Cabre). Nous n'avons plus de renseignements sur ces deux filles
qui ne sont pas mentionnées dans les testaments de Robert Ruffi et dont on peut supposer le décès.
- Pierre, né le 25 avril 1575 (parrain Pierre Beysan, premier consul, et marraine
Policenne Estienne, femme de Monsieur de Venelles). Il épouse le 1 er février 1594
Françoise Du Bois dont il eut notamment Antoine (1607-1689) qui utilisa les relations
historiques de son grand-père dans son Histoire de Marseille. Pierre de Ruffi eut un
premier fils, Robert, dont la mort fut brutale : « mort sur le vaisseau Saincte Catherine
qui venoit d'Alep et attaque par les corsaires qui le coulerent a fonds ». Pierre de Ruffi
participa également aux événements de la réduction de Marseille, manifestant avec les
partisans d'Estienne Bernard (cf.. XVI). Il occupa quelque temps les fonctions de consul
de France à Gênes en 1596. Pierre de Ruffi se remaria en 1623 avec Catherine du
Temple. Il fut élu deuxième consul en 1635 et mourut le 8 janvier 1643.
- François, né le 8 novembre 1578 (parrain François de Morineau son grand-père et
marraine Claire de Ruffi, sa sœur). Ce fils décéda quelques jours après, le 13 novembre
de la « goutete ».
- Anne, née le 3 novembre 1579 (parrain Gilles Alix et marraine Anne de Charles). Elle
épousa le 22 février 1624 Boniface Pascal. Sa date de mort nous est inconnue. Elle n'est
toutefois pas citée dans le dernier testament de son père ce qui laisse supposer qu'elle est
décédée avant 1630. Nous ne pensons donc pas que la « demoiselle » Anne de Ruffi qui
12 Cf. Annexe 1.
13 MQ 109, bibliothèque du musée Paul Arbaud.
�est l'auteur du poème XLI soit la fille de Robert Ruffi. Le texte peut être daté de 1658 et
cette Anne est mariée depuis trente-quatre ans et aurait eu soixante-dix neuf ans au
moment de ces faits. Nous pensons plutôt à une petite-fille (ou une arrière-petite-fille)
du poète dont sa tante aurait été la marraine.14
Un autre enfant issu de cette union est mentionné dans les archives notariales : Loys,
mort de la « contagion » à la bastide familiale le 29 octobre 1582.
Marthe de Morineau est décédée le 29 septembre 1620, soit plus de quatorze ans
avant son époux.
Nous connaissons deux testaments de Robert Ruffi :
- un premier, du 10 octobre 1588, où il apparaît notamment qu'il laisse 600 écus à sa
fille Claire (déjà mariée à cette date) et à sa femme les fruits de son bien.
- un second, du 21 février 1630, nous renseigne précisément sur ses intentions. Ruffi
précise notamment qu'il veut être enterré en l'église des Accoules, « porte & inhume
dans le monument qu'il a faict fere & construire dans l'esglise collegialle des Accoules
au pres de la grande porte du coste fenestre quand on entre ». Ce testament, dont son fils
Pierre est l'exécuteur, indique notamment l'état de sa fortune. Il lègue en effet 30 livres
tournois à l'hôpital Saint-Esprit (le futur Hôtel Dieu), 10 livres tournois aux confréries
des Accoules et de Saint-Martin, 1200 livres tournois à ses petits-enfants Jean-Baptiste
Claude Croiset et Marthe Croiset, fils et fille de Claire et de Pierre Croiset (veuf depuis
1629). Il lègue à son fils Pierre une maison à la rue du Grand Puits (maison que Pierre
occupe déjà), sa maison près du Petit Mazeau et sa bastide à Montolivet qu’il avait
achetée le 27 avril 1595. Son testament précise qu'il y a fait planter des vignes et des
arbres fruitiers en grande quantité. C'est cette propriété que le dernier descendant de
Robert, Henri de Ruffi, arrière-petit-fils d'Antoine, lègue à son neveu Dudemaine. Le
domaine sera ensuite vendu et un « château » y sera édifié (le château de Bois-Luzy),
bastide aujourd'hui propriété de la ville de Marseille.15
La fortune de Robert Ruffi n'est pas considérable, mais ne doit pas être négligée.
Le poète marseillais possède maisons en ville et bastide, certainement quelques liquidités qui lui permettent de laisser à ses enfants domaines et biens qui témoignent d'une
certaine aisance.
Robert Ruffi est mort le 25 janvier 1634. Il a été enseveli aux Accoules le 30
janvier 1634.16 Joseph Bougerel et à sa suite Octave Teissier donnent la date erronée du
30 janvier 1636, à partir sans doute d’une lecture fautive de l'année de son enterrement
sur l'acte conservé dans le mortuaire des Accoules. 17 L'acte en question est en accord
avec la date de mort (le 25 janvier 1634) donné dans les archives familiales. Robert
Ruffi est bien mort à l'âge de 92 ans, fait remarquable pour son époque.
14 La descendance de Robert Ruffi figure dans les archives familiales (MQ 103, Baptèmes et décés de la famille de
Ruffi 1496-1699, 1538-1662).
15 Des copies de ces testaments sont conservées dans MQ 105, Testaments de la famille de Ruffi, bibliothèque du
musée Paul Arbaud. Nous nous somems rendu à Montolivet, sur ces lieux, témoins de ces « Plazers » dont Ruffi se
fait longuement l'écho. Aucune bâtisse de cette époque n'est encore visible et le paysage a dû grandement évoluer,
mais, fait du hasard, l'endroit est encore tranquille et agréable.
16 Archives Départementales des Bouches-du-Rhône, « Mortuaire des Accoules », 201 E 688.
17 Joseph Bougerel, Le Parnasse provençal…, op. cit., p. 180 : « Il y mourut [à Marseille] le trente janvier 1636 dans
un age fort avancé. » (Bougerel ne précise pas sa date de naissance). Teissier ne donne pas sa date de mort dans son
édition de 1894. C'est dans une note manuscrite sur l'exemplaire W 431 conservé à la Bibliothèque Municipale de
Marseille qu'il précise à la fin de son introduction à la p. 21 : « Es mouart a Marsiho lou 30 janvié 1636 ».
�Les Fonctions notariales
Robert Ruffi accède à la profession de notaire en 1567. Il fut certainement aidé
dans son installation professionnelle par l'activité de son père : le 10 septembre 1567,
moins d'un mois avant sa mort, Barthélemy Ruffi renonce à sa charge au profit de son
fils.18 Ses qualités devaient être reconnues : il exerce à deux reprises, en 1575 et en
1582, les fonctions de secrétaire du Conseil de ville. Ses principales activités sont
cependant directement liées à sa profession; ses registres nous apprennent qu'en dehors
de ses fonctions notariales, il fut pendant très longtemps (après 1608 en tout cas)
greffier de l'évêché, une position importante dans le corps des notaires. 19 Il est à ce titre
proche des autorités ecclésiastiques, ce qui n'est pas sans importance pour un homme
pénétré par les enseignement de la Contre-Réforme tridentine. Il assiste donc aux
délibérations et exécute les décisions de l'évêque. Il devait avoir un certain pouvoir
comme nous l'indique par exemple le poème XXV où il accorde les bénéfices d'un
prieuré au secrétaire du Conseil de ville, un nommé Rabier. C'est encore lui que
l'évêque charge parfois de missions délicates : en avril 1597, peu de temps après la
réduction de la ville, il parcourut les églises et les couvents pour « expliquer » le
nouveau règlement, beaucoup plus contraignant que l'ancien, des compagnies de
pénitents.20 Ses archives du greffe de l'évêché concernent directement les actes de
l'évêque, mais sortent parfois du cadre notarial ; Ruffi consigne par exemple des
Explications des Commendemens de Dieu que nous devons relier aux nombreux poèmes
d'inspiration religieuse contenus dans son œuvre et qui tous insistent sur le respect de
ces commandements. Il n'est donc pas négligeable de remarquer cette activité chez un
homme qui accorde une grande place à la foi dans son œuvre et qui combat la Réforme
d'une façon énergique sur les terrains politiques et théologiques.
Ses activités notariales civiles ne sont pas différentes de celles de ses collègues.
Il faut préciser à ce sujet que l'organisation de la justice marseillaise est une des
prérogatives de l'autonomie municipale jusqu'en 1535. En effet, et jusqu'à cette date, les
Marseillais conservent le privilège de non extrahendo accordé par les Chapitres de Paix
de Charles d'Anjou en 1257. Cette disposition laissait la liberté à la cité de disposer de
tribunaux particuliers qui entendaient juger leurs affaires sans recourir aux cours
extérieures, notamment celle d'Aix-en-Provence. Ce privilège est supprimé par l'édit de
Joinville qui installe l'autorité judiciaire royale. 21 Ruffi, notaire (donc sensible à l'organisation de la justice) et marseillais affirmant clairement son identité, ne peut que regretter cette disposition. Après 1535, les tribunaux sont au nombre de trois : les juges de
Saint-Louis, de Saint-Lazare et du Palais. Robert Ruffi est attaché au tribunal de SaintLouis. Un juge des appellations tranche les affaires portées en appel. Le Parlement, pour
respecter quelque peu l'ancien privilège, tient chaque année des « Grands Jours ».22
Les différents actes notariés de Ruffi ne dénotent pas une activité particulière ;
ils demeurent conformes à la fonction notariale : transactions commerciales, mariages,
testaments, reconnaissance de dettes… Notons toutefois qu'il est le notaire d'Aymar
Champorcin dont il relate dans un poème une querelle au sujet du greffe du palais en
18 20 II 258, fonds Bertas, Archives Communales de Marseille.
19 Deux registres sont conservés aux Archives Départementales des Bouches-du-Rhône (381 E 357 et 381 E 390).
20 Cf. Wolfgang Kaiser, Marseille au temps des troubles…, (cf. bibliographie), p. 349 et Archives Départementales
des Bouches-du-Rhône, 381 E 390 fo 200 r°-205r° (Teneur des statutz de la dicte compagnie des penitens).
21 Ruffi consacre dans ses Mémoires un long chapitre sur L'Institution de la Justice.
22 Notons également que chaque communauté « étrangère » possédait son juge nommé par le Conseil de ville, selon
leurs propres lois qui pouvaient s'appliquer à Marseille.
�1583 (XVII), ce qui évidemment nous permet de penser qu'il intervint dans cette affaire.
Sa profession de notaire ne place donc pas Robert Ruffi dans une position originale.
C'est bien plus par ses activités politiques et la nomination d'archivaire de la ville en
1593 que sa personnalité est mise en relief.
La Nomination d'Archivaire
Robert Ruffi a dû s'intéresser très tôt à l'histoire de sa cité. Ses activités
notariales et ses fonctions au Conseil de ville ont pu lui faciliter l'accès aux archives de
Marseille, accès que ses connaissances historiques et linguistiques devaient favoriser.
C'est sous le règne ligueur de Charles de Casaulx que son entreprise historiographique
s'accompagna d'une nomination officielle d'archivaire, mais il est vraisemblable que le
dessein d'ensemble, à la fois historique et littéraire, est antérieur à cette officialisation.
Dans une des chansons sur la peste datée de 1580 (XXX, [2]), Ruffi évoque sa
connaissance des archives pour asseoir une démonstration identitaire dont nous
reparlerons. Quelques années plus tard, en guise de justification semble-t-il, il précise
dans ses Mémoires que ce travail aurait été proposé aux autorités municipales dès 1583 :
« Il y a ung fort long temps que comme vray citoyen de ceste ancienne fidelle et illustre
cite de Marseille m'estant pris envyt de fere quelque euvre louable pour la decoration et
honneur de la communaute et habitans dont aucun rien a tenu compte cy devant. Sur ce,
j'aprins que les archifz de la maison commune estoient fournis de tres beaux anciens
tiltres et documens et qu'ilz demeuroient comme ensevelis et dont pour se pouvoir servir
d'iceulx en cas d'ordinere besoing, il y fault user du temps et peyne en la recherche
considerant en moy que comme l'honneur s'aquiert aux despens de la peyne si que le
bon citoyen doibt toujours mesurer ses desirs pour le bien de l'estat auquel il est ne. En
l'annee 1583 que feu noble Jehan Leon estoit premier consul, je luy ouvris mon dessin
qui estoit de traduire du latin en vulguere de leur substance les tiltres des dicts
archifz. »23
La fréquentation des archives le familiarise avec la langue ancienne et c'est
également de ces archives qu'il trouve bon nombre de documents qu'il recopie parfois
dans les Mémoires.24 La graphie du provençal qu'il emploie doit certainement beaucoup
à la lecture des textes médiévaux, comme par exemple le digraphe lh et o pour [u].25
Néanmoins, la nomination d'archivaire ne peut se concevoir que dans un
contexte politique bien précis et doit autant à ses opinions politiques et religieuses qu'à
ses qualités d’érudit. Ruffi est lié, par ses activités, au greffe de l'évêché, à l'institution
23 Mémoires, Bibliothèque du Musée Paul Arbaud, MQ 112. Il s'agit des premières lignes de ce manuscrit,
justification évidente de son action passée.
24 Prenons comme exemple ce texte recopié à la p. 68 : « Et parce que avoit lors este faict une aultre criee sur le fond
du pain aussi selon le langage prouvensal partie catalan a este aussi icy transcripte comme cy apres. / Teneur de la
criee du pain / Mandament es de nostre senhor lo rey de Secili e de son viguier que tug li pestre e totas li pestressas
que fan e faran pan ho teniran pan a vendre en Marselha lo dejan far bon e leal de just pes a la razon que lur daran li
pezadors del pan que establit son a pezar lo pan et que totas vegadas que li pesadors volran pezar e reconoisser non
dejan celar ny escondre lo pan ants dejan mostrar a li pezadors tot lo pan que il auran per vendre e qui encontra fara
per cascuna vegada perdra tot lo pan que non era de just pes e tot lo pan que rescondran e que non mostraran a li
pezadors e otro tout aquo pagaran per ban des lieuras e subre aquo li pezadors seran crebut per lur sagrament e auran
la mitat del pan rescondut e la mitat del ban e l'altra mitat sera donada als paures del Sant Esperit & que neguna
persona non fara pan a vendre mas de quatre denies e de dos denies e de un denie. »
25 Nous n'effectuons pas ici une étude sur la langue et la graphie employées par Robert Ruffi. Nous avons déjà
effectué pour notre thèse de doctorat un travail substantiel dans lequel Ruffi est abondamment cité (Historiographie
et Littérature au XVIe siècle en Provence : L'œuvre de Jean de Nostredame, Brépols, 2012).
�de l'Église qui, à Marseille plus qu'ailleurs, se tourne résolument vers la Ligue pour
préserver ses intérêts et son pouvoir. Il est donc tout naturel que Ruffi se retrouve dans
le camp des Ligueurs qui soutiennent Charles de Casaulx. Il faut d'ailleurs préciser à ce
sujet que ses Mémoires sont évidemment écrits dans un but de justification, mais même
s'il paraît quitter très vite, entre 1595 et 1596, le camp des partisans de Casaulx et se
rapprocher d'Estienne Bernard, Ruffi ne peut pas passer pour un modéré et ne sera qu'un
« bigarrat » très tardif.
Charles de Casaulx qui avait pris le pouvoir en 1591 veut doter sa ville des
attributs modernes d'une république indépendante : il fait battre monnaie, réorganise
l'administration communale, installe une imprimerie… La conservation des archives est
donc une de ses préoccupations. Il faut dire que ces archives ont connu une histoire
mouvementée : pillées par les Aragonais en 1423 qui manquent de s'en emparer totalement, elles sont entreposées à la Maison commune, puis à l'hôpital Saint-Esprit et à
nouveau dans les diverses Maisons communes. Un grand désordre règne dans leur
classement.26 L'action de Ruffi auprès du consul en 1583 semble porter ses fruits
puisque dès 1585, le Conseil délibère que les « escriptures seront mizes par description
et inventoire ».27 Par acte du Conseil du 29 juin 1593, Robert Ruffi est nommé
archivaire, car les archives « ne peuvent estre a leur vray et legitime estat mainctenues
(…) des tables et documentz anciens qui contiennent la memoire de toutes choses
passees (…) estant fort difficille treuver ce que de jour a autres est necessaire pour le
bien de la ville et des habitans, en icelle estans les dictes escriptures comme un tresor
caché aus dicts archifz y ayant plusieurs estatutz et privillieges qui demeurent
ensepvelys a faulte d'avoir esté veuz, visitez, rangez, et accomodez par rubriques
intellegibles et inventoire ainsin qu'il est de besoing pour estre mis en lumiere. »28 Ce
travail ne peut être effectué que par une personne connaissant les archives et leur
contenu :
« Il est requist de trouver personnage non moings cappable et suffisant que muny de
probité et bonne voulonté pour y proceder et d'aultant que mestre Robert Ruffy, natif et
citoyen et originaire de ceste ville, remply du zelle et affection qu'il doibt au bien de sa
patrie puis quelque temps a ja commance soubz l'adveu des Consulz de proceder au
faict susdict. »29
Le Conseil de ville a donc « esleu, constitué, ordonné, commis et depputté le dict Robert
Ruffi pour archivaire de la dicte maison commune tant qu'il vivra a la charge que sera
tenu fere inventoire et description des tables et documentz des archifz et especiallement
en fere dresser ung repertoire arraysonné comme il a ja commance et l'achever. »30 Le
Conseil précise ensuite le travail que Robert Ruffi est chargé d'effectuer : « […] et aussi
dressera et rangera en ung cahier a part […] les statutz anciens qu'il prendra des livres
des archifz transduisant par abregé la substance d'iceulx pour estre imprimes et exposes
en lumiere et servir a l'utillité publique de la ville et des habitans d'icelle. »31 Robert
Ruffi prend donc possession des archives et dresse un inventaire sommaire qu'il adresse
le 5 juillet 1593 au Conseil : « (…) ung livre contenant les dicts estatutz et chappitres de
26 Sur l'histoire de ces archives, cf. Le Temps retrouvé, catalogue de l'exposition des Archives de Marseille,
Marseille, 1985.
27 Acte du 28 octobre 1585, Archives Communales de Marseille, BB 46, fo 246 v°.
28 Archives Communales de Marseille, BB 53 fo 263 v°-264 r°.
29 Ibidem, BB 53, fo 264 r°.
30 Ibidem.
31 Ibidem.
�paix de la dicte ville en parchemin escript, couvert de table de boys et cuyr par dessus
forré aux quatre coings et du millieu contenant trois cens soixante six feuilles (…) pour
reduire les dicts statutz en ung cahier et iceulx ranger pour estre translatez en françois
(…). »32
L'essentiel du travail demandé est d'ordre conservatoire ; il faut dépouiller ces
archives afin d'en faciliter le classement et à l'occasion traduire en français pour les
imprimer les statuts qui paraissent être les plus significatifs. Soulignons qu'il n'est
question que de traduction française pour affirmer, une fois de plus, que le pouvoir
municipal a abandonné tout soutien administratif à l'occitan qu'il favorise par ailleurs
deux ans plus tard (mais à grand renfort de « plumes alertes ») par la publication des
œuvres de Louis Bellaud de la Bellaudière à laquelle Ruffi participe. Il est
vraisemblable que Ruffi n'a pas effectué ce travail dans le temps assez court où il
pouvait disposer librement des archives. Après la réduction de Marseille, il est
dépossédé de sa charge, vraisemblablement en novembre 1596. Le 13 septembre 1597,
il adresse au Conseil une lettre dans laquelle il demande à être payé pour les services
effectués : « […] il [Ruffi] luy est encores deu huitante escus [pour] les gages de quatre
moys juillet, aoust, septembre et octobre 1596 comme il est contenu aux quatre bullettes
[…] signees et cachetees qu'il a riere soy […] ».33 Ruffi n'a pas eu semble-t-il gain de
cause et quand il insiste à nouveau, la réponse des consuls est on ne peut plus claire :
« Les Consulz disent que le dict Ruffi eust mieulx faict de se taire que de fere lettres
telle demande car oultre qu'il n'a jamais este archivaire de la Maison commune au
moingz qu'il soit legitime, [il a composé] des sonnetz, chansons et libeles diffamatoire
qu'il dressoit et publioit ordinerement contre l'honneur. »34
Ruffi n'est pas seulement inquiété pour la nomination d'archivaire, mais également pour
des écrits que ses adversaires gardent en mémoire. De quels écrits peut-il s'agir ? Les
sonnets désignent certainement les deux poèmes qu'il donne dans l'édition de 1595,
édition dédiée ne l'oublions pas aux dictateurs marseillais, les « Chansons » font peutêtre référence au poème XXIV dédié au duc de Savoie quant aux libelles, il peut s'agir
de pièces inconnues ou plus simplement, envisagés sous ce nom générique, d'un
ensemble d'écrits administratifs, actes notariés effectués pour Casaulx et ses proches.
Quoi qu'il en soit, Ruffi ne se considère pas comme un Ligueur, mais les Consuls le
renvoient à son attitude passée, à une action politique dont il essaie, vainement, de se
démarquer.
Au Cœur des Troubles
La nomination d'archivaire revêt un caractère politique que Robert Ruffi ne peut
effacer. Mais plus que cette nomination, qui n'est pas en soi-même un acte de
proclamation ligueuse, ce sont les circonstances de son soutien à Casaulx et à la Ligue
qui sont au cœur du débat. Il est difficile aujourd'hui d'y voir totalement clair, car les
Mémoires que Ruffi écrit après 1596 entreprennent de relater des événements, d'en
excuser les principaux participants et en premier lieu l'auteur lui-même ce qui est,
somme toute, assez compréhensible. Il nous faut reconstituer un trajet politique, bien en
32 Idem, BB fo 264 v°.
33 Archives Communales de Marseille, CC 2198.
34 Idem, CC 2185, "Liquidation des dettes de la gestion Casaulx" (dossier Ruffi).
�amont de 1591-1596, pour comprendre les raisons d'un tel engagement et les
justifications qui en découlent.
Nous ne savons rien de son action politique dans les années 1560-1570. C'est en
1580 que la parole poétique de Ruffi (poétique donc également publique) s'affirme et
ceci principalement dans deux poèmes sur la peste qui dénotent un identitarisme
marseillais bon teint qu'il devait partager avec l'essentiel de ses compatriotes (XXX, [1],
[2]). C'est cet identitarisme qui le fait s'opposer en 1583 aux factieux, puis en 1585 au
coup de force des Ligueurs et de Louis de La Motte-Dariès. Il salue à ce moment
l'action de Henri d'Angoulême et surtout les Chapitres de Paix (reconnaissance de
certains privilèges) signés en 1585 (cf.. poèmes XV). Il faut cependant remarquer que
Dariès est peu suivi dans son entreprise venant beaucoup trop tôt dans une ville ultracatholique mais toujours fidèle à la royauté. Bon nombre de « royalistes d'un jour »
verseront ensuite dans le camp de la Ligue, vers 1590-1591, quand les événements se
précipitent.35
L'entrée du duc de Savoie en Provence est l'occasion pour Ruffi d'adresser au
souverain savoyard un poème qui ne souffre d'aucune ambiguïté : Charles-Emmanuel
est présenté comme le sauveur de la Provence, de Marseille et le protecteur de l'Église
(XXIV). La foi de Robert Ruffi, imprégnée par les dogmes de la Contre-Réforme, y est
certainement pour beaucoup dans cette prise de position qui entend avant tout refuser un
roi issu de la Réforme. Il semble d'ailleurs que c'est l'attitude la plus répandue chez les
Marseillais qui font confiance à la Ligue et à Charles de Casaulx.
Le dictateur marseillais semble jouer une double partition qui ne peut
qu'enchanter Robert Ruffi. Il est tout d'abord résolument ligueur, donc très hostile aux
Réformés et il agite par ailleurs l'idée d'une Marseille indépendante, une cité dont les
modèles seraient Gênes et Venise, renouant avec sa grandeur passée. Ces deux options
politiques réunies trouvent certainement un écho favorable chez Ruffi qui entend
œuvrer pour sa foi et, semper fidelis, pour le devenir de sa ville. C'est donc tout
naturellement que Ruffi accepte les charges qui sont les siennes en 1593, avec l'idée,
excitante il est vrai, d'opérer une restitution mémorique pour l'avenir marseillais.
Il semble toutefois que, comme bon nombre de Marseillais, Ruffi déchante assez
vite et comprenne les véritables intentions de Casaulx. L'accord avec l'Espagne voyait
s'évanouir un rêve d'indépendance et l'abjuration de Henri IV accordait à ce nouveau roi
le crédit que l'on ne lui reconnaissait pas.
Ruffi joua donc un certain rôle lors de la réduction de la ville. Ses prises de position et son soutien à l'action du Président Bernard lui valurent d'être inquiété et d'être
assigné à résidence. Casaulx semblait donc se méfier de ce notaire qui revenait à des
positions plus conciliatrices et entendait livrer Marseille au roi. C'est donc tout naturellement que Ruffi va célébrer la mort de Casaulx, le geste de Pierre de Libertat et l'entrée
du duc de Guise à Marseille. Il donne dans une édition d'une relation de la réduction de
la ville quatre sonnets dédiés aux nouveaux maîtres de Marseille. 36 Il se peut également
qu'il soit l'auteur du Vray Discours publié en 1596 et qui relate la réduction de la ville et
glorifie le geste de Libertat, de nombreuses concordances textuelles semblent nous
l'indiquer. Ruffi est présent à l'assemblée des notables que Pierre de Libertat, le nouveau
viguier de Marseille, réunit le 20 février 1596.37 Le 22 février 1596, le duc de Guise lui
confie une mission délicate : il doit essayer d'entamer des négociations avec les derniers
35 Nous renvoyons aux notices précédant les ensembles XV et XVI pour une explication plus détaillée de ces faits
historiques et pour les renvois bibliographiques.
36 Deux sonnets seulement dans une deuxième édition. Sur ce sujet et sur l'attribution possible du Vray Discours à
Ruffi cf. l'introduction à l'ensemble XVI.
�partisans de la Ligue réfugiés dans le fort de Notre Dame de la Garde. Les archives
familiales conservent son laissez-passer :
« Gardes des portes de ceste ville, laissez libremant passer le sieur Ruffi presant
porteur, s'en allant pour le service du roy et par nostre comande a Nostre Dame de la
garde sans lui fere ou donner aulcung empechemants. Faict de Marseille vingt deux
febrier mil cinq cens nonante six. ».38
Malgré cette palinodie bien tardive, Ruffi est inquiété : on lui reproche d'avoir conservé
sa charge de greffier du tribunal de Saint-Louis pendant la dictature de Casaulx et
surtout d'avoir accepté, sollicité même, cette charge d'archivaire. Ruffi semble alors
adopter un nouveau profil royaliste, mais ses adversaires ne s'y trompent pas et
repoussent toutes ses demandes.
Le notaire marseillais met alors tous les arguments de son côté, rédigeant une
relation détaillée des événements dans ses Mémoires, recopiant dans ce même manuscrit
ses poèmes sur la réduction de la ville et quelques autres sonnets (cf.. XVI et Annexe 1).
Néanmoins son attitude reste sujette à caution ; il est symptomatique de remarquer que
son petit-fils ne parle pas dans son Histoire de Marseille de son grand-père, citant son
propre père, Pierre Ruffi, pour quelques faits mineurs. Même si Robert Ruffi entreprend
de donner une image plus correcte de son action politique entre 1591 et 1596, il a bel et
bien soutenu un dictateur dont l'un des objectifs était de ne pas accepter la royauté de
Henri IV. Son action aux côtés de la Ligue ne peut pas être présentée comme une erreur
politique. Ruffi est au contraire, sociologiquement et religieusement, prédisposé à
accompagner les tentatives ligueuses et à saluer les prises de position les plus
extrémistes. Son ralliement aux Bigarrats serait-il tactique? Ce serait lui dénier tout sens
politique, car jusqu'à l'assassinat de Casaulx rien ne semble perdu pour les Ligueurs
marseillais qui attendent des renforts espagnols. L'attitude de Ruffi est faite de
contradictions : sa foi et son attachement à Marseille le poussent à adhérer à la Ligue,
mais l'intérêt qu'il porte à l'ordre social le conduit à accepter un compromis.
Après 1596, les prises de paroles politiques de Ruffi ne sont guère nombreuses.
Un sonnet évoque, avec grande prudence, le règlement des dettes contractées sous
l'administration de Charles de Casaulx et conclut à un retour à l'ordre royal (XVIII).
Deux poèmes célèbrent ensuite la prise de la Rochelle et Louis XIII, sonnets
d'allégeance classique sans grande envergure (XXXV). L'essentiel de son action politique est passé.
La vie de Robert Ruffi se présente donc comme celle d'un homme traversé par
les passions de son siècle. Il adhère complètement à l'humanisme dont il est le produit
culturel et semble pour une bonne part consacrer son temps à des recherches historiques
et littéraires. Sa profession de notaire fait de cet homme un érudit, un membre de ce
corps de juristes qui prend une place de plus en plus importante dans la société de la
Renaissance. Son action sociale et politique est évidemment guidée par les soubresauts
religieux qui conduisent le siècle de guerres en guerres. Homme lié à son époque par ses
appartenances culturelles et politiques, il est aussi, poétiquement et linguistiquement, à
la charnière de deux mondes, en héritage humaniste et au cœur de la fracture qui déchire
son siècle.
37 Cf.. Recueil de pièces concernant la Ligue recopiés par J. T. Bory, ms 1409, bibliothèque municipale de Marseille.
Le poète Pierre Paul, éditeur de Bellaud en 1595, ne figure pas dans cette liste.
38 MQ 101, Généalogie de la famille de Ruffi, bibliothèque du musée Paul Arbaud.
�Anselme Ruffi (?-1496)
Guilleaume Thomasse (?)
*
*
*
*
Barthélemy Ruffi (1485-1567)..............François Ruffi
Batronne de Lans (?-1546/1547)
*
*
*
*
Eleonor (1538-?).................Robert Ruffi (1542-1634)..............Esprit..........Antoine
Marthe de Morineau (?-1620)
*
*
*
*
Claire..........Louise...............Pierre Ruffi......François......Anne....Loys
(1566-1629) Catherine
(1575-1643)
(1578) (1579-?) (?-1582)
Pierre Croizet (1569-?)
Françoise du Bois
Boniface Pascal
*
*
*
*
Antoine de Ruffi (1607-1689)..............................Robert de Ruffi (?-1622)
Claire de Cipriany
*
*
*
*
Louis -Antoine de Ruffi (1657-1724)
�THÈMES ET FORMES POÉTIQUES
Un Corpus bilingue
L'étendue de ce corpus poétique, sa diversité et les différentes langues utilisées
caractérisent l'œuvre de Robert Ruffi. Nous pouvons affirmer que d'une certaine
manière ce manuscrit est révélateur des mécanismes et des évolutions linguistiques qui
touchent la Provence entre 1550 et 1640. Le français connaît une place de plus en plus
grande, liée au pouvoir royal et au Parlement de Provence et l'occitan est relégué à des
fonctions subalternes, mais occupe cependant certains champs littéraires.39
L'ensemble de ce manuscrit comporte 3365 vers (dont 64 qui ne sont pas de
Robert Ruffi) ce qui n'est pas exceptionnel dans la littérature de la Renaissance, mais ne
doit pas être négligé pour les œuvres d'oc souvent réduites à des bribes recueillies avec
peine. Seules en Provence les poésies de Bellaud de la Bellaudière et de Pierre Paul
paraissent être plus étendues, avec leur part inévitable, mais précieuse, de pièces
liminaires et d'adresses au lecteur. Le manuscrit autographe de Ruffi nous propose une
œuvre où les renvois d'ordre textuel ou linguistique sont nombreux et participent à un
réseau d'écriture s'affirmant au cours des poèmes. Fait important (que l'édition de
Teissier, partielle, ne pouvait indiquer) les poésies de Ruffi illustrent une cohérence
d'écriture et de thèmes qui devait correspondre à une personnalité ; elles sont également
liées à certaines philosophies de la Renaissance développant entre fractures et guerres
un âge d'or originel sur fond d'Arcadie intemporelle. Ruffi semble donc être l'homme
des contradictions résolues, voulues comme telles, assumées en apparence sans grande
difficulté. C'est au niveau linguistique que ces contradictions, parfois productrices d'un
malaise d'écriture chez d'autres écrivains, se révèlent.
Trois langues sont présentes dans ce manuscrit : latin, français et occitan.
Le latin est très minoritaire : 9 vers en totalité, soit 0,5% du corpus manuscrit. Si
l'on considère seulement la propre production de Ruffi, cette proportion atteint 0,2%
avec 7 vers. L'utilisation du latin correspond à des poèmes de circonstance écrits à l'occasion de la mort d'ami(e)s cher(e)s (XII, XXVIII, [3]).
Le français occupe une place plus importante : 317 vers dans l'ensemble du manuscrit, soit 9,5%, et 285 vers pour les seuls textes de Ruffi, soit 8,6%. Il n'y a pas là en
apparence une distribution thématique qui réserverait au français un domaine
particulier. Ce sont des sonnets de circonstance (X, XXVIII par exemple) ou des pièces
religieuses (XXXIIII, XL) dont le message est identique aux poèmes occitans.
Le provençal occupe donc la part la plus importante : 3039 vers, tous de Robert
Ruffi, soit 90 % du manuscrit.
39 Nous ne reviendrons pas sur les analyses portant sur la situation de diglossie contenues dans l'ouvrage de Robert
Lafont (Renaissance du Sud, Gallimard, Paris, 1970) et dans certains de nos travaux (citons notamment "Les
Répartitions d'usages linguistiques au XVIe siècle : la trace écrite", Cahiers Critiques du Patrimoine, n°4, "La langue
indicible (Constitution diglossique, langue et littératures occitanes au XVIe siècle en Provence)", Marseille, 1989).
�Cette répartition, nettement favorable à la langue d'oc, n'est pas exceptionnelle.
Honoré Meynier publie en 1608 Le Bouquet bigarré, recueil bilingue qui comporte également des quatrains moraux. Chez Meynier, les parts occitanes et françaises
s'équilibrent, mettent en scène un véritable bilinguisme littéraire dont le caractère
conflictuel n'est pas absent, mais qui dénote une tentative de dialogue des langues en
présence à travers thèmes et formes. Honoré Meynier abandonne par la suite l'écriture
en occitan pour une carrière parisienne qui n'est pas dénuée d'intérêts. 40 Ce dialogue ne
semble pas être présent chez Ruffi et l'organisation de l'écriture ne distingue pas par
Poésies françaises et Poésies provençales l'aspect bilingue de l'œuvre, ce qui est
généralement ordonné suivant une répartition même très inégale comme chez Louis
Bellaud de la Bellaudière.41
Considérant le problème linguistique de toute la culture occitane de la
Renaissance, fortement marginalisée par le mouvement d'émergence des cultures
nationales, nous pourrions évoquer un certain effacement, une contradiction pleinement
assumée qui entend normaliser le rapport des deux langues dans une coexistence
évidente. Ce serait alors faire abstraction des dernières strophes de l'Odo a Pierre Paul
(XXVI) qui mettent en scène un manifeste linguistique sans précédent et fustigent
l'abandon de l'occitan. Ruffi entend donc dans ces vers rehausser la parole d'oc, placer la
poésie provençale à égalité des autres poésies tout en calquant, miroir diglossique
inévitable, ses arguments sur La Deffence de Joachim du Bellay. Comment comprendre
une contradiction qui pour nous ne serait pas viable? Il nous faut recourir à
l'appartenance politique de Ruffi ; il est, en ces années de normalisation royale,
entièrement dévoué à la royauté comme les poèmes adressés à Louis XIII nous
l'indiquent (XXXV). Il est clair ici que la provençalité et l'identité marseillaise ne sont
pas (plus ?) vécues en opposition à la royauté et à la France.
Néanmoins le problème linguistique demeure posé. Faire dialoguer deux langues
n'est pas facile surtout quand on revendique pour l'occitan une considération plus
importante. L'analyse est ici quelque peu empêchée par les choix et les motivations de
Ruffi qui ne sont exposés nulle part. Tout au plus pouvons-nous penser en lisant ses
jugements sur le provençal qu'il n'établissait pas un lien formel entre sa langue d'écriture
et l'expression majeure des Marseillais (cf.. Annexe II). Il est vraisemblable que Robert
Ruffi est « formé » à l'occitan par toute une culture humaniste qui n'a pas abandonné ses
repères et ses valeurs autochtones, mais il subit également le poids de plus en plus
pressant des fonctionnements diglossiques. Entre années de formation (1550-1565) et
périodes fécondes d'écriture, trente à quarante ans se sont écoulés. Nous concevons
donc un écartèlement idéologique qui place Ruffi dans une situation difficile : sans
accepter totalement les fonctionnements diglossiques et œuvrer « à l'intérieur » pour y
trouver un ton et un souffle comme Bellaud de la Bellaudière ou Pierre Paul, Ruffi
dégage son texte provençal, le met hors-jeu en considérant sa finalité linguistique
comme proche de la Naturalité de la langue et de la terre, mais aussi attaché à certaines
préoccupations religieuses et philosophiques. Le français apparaît donc comme
l'inévitable accompagnement qui entend ressouder les langues et nouer un contact qui
dépasse le malaise révélé. La contradiction que nous évoquons ne serait être en aucun
cas un empêchement d'écriture, mais elle apparaît au contraire comme le catalyseur
40 Sur Honoré Meynier cf. Auguste Brun, Honoré Meynier poète provençal (1570-1638), Aix-en-Provence, 1956 qui
analyse surtout les années provençales du poète (pour les références excates du Bouquet cf. l'introduction de II).
41 Ainsi les deux sonnets adressés au baron de La Roche qui ouvrent le recueil après les pièces liminaires et les
adresses au lecteur sont distingués des Obros et Rimos proprement dites par la phrase : « Fin des rithmes Françoises,
par L. D. la Bellaudière, Gentilhomme Prouvensal ».
�indispensable qui guide le texte. Robert Ruffi entend donc exister dans une situation de
normalité qui n'est pas dénuée de réaction face aux jugements hâtifs qui ignoraient
l'édition de 1595. Ruffi trouve chez Bellaud une puissance linguistique et poétique qui
ne peut le laisser indifférent. Ce n'est peut-être pas le cas pour quelques écrivains
provençaux ou plus simplement pour des poètes français que l'édition de 1595
n'intéresse pas. À leur décharge d'ailleurs, comment auraient-ils pu la comprendre sans
les référents culturels et linguistiques indispensables à sa lecture? Ruffi voit également
se dessiner l'émergence d'une littérature provençale en français et s'atténuer les effets
d'une provençalité littéraire et linguistique. L'Odo a Pierre Paul illustre donc le
nécessaire rappel d'une société qui ne peut totalement effacer ses origines culturelles et
linguistiques. Cette position est donc originale : le manifeste linguistique en faveur du
provençal n'efface pas le français, en présences thématiques multiples dans l'œuvre
poétique, mais entend simplement accorder une place plus importante à la langue d'oc.
Les Grands Ensembles
Nous remarquons dans cette œuvre quelques grands ensembles poétiques qui se
distinguent des autres poèmes. C'est par le long poème des Plazers (564 vers) que
s'ouvre cette œuvre, plaçant ainsi l'ensemble de cette poésie sous le double aspect de la
Nature et de l'Histoire. Les Quatrains (456 vers) indiquent ensuite un message moral,
une ligne de conduite fidèle aux enseignements chrétiens. Ces deux poèmes forment à
eux seuls un peu moins du tiers du manuscrit et occupent vingt folii. Cependant nous ne
tirerons pas de conclusions hâtives concernant une quelconque volonté de Ruffi de
placer ces poèmes en tête de son œuvre : l'ordre de lecture du manuscrit n'est peut-être
pas celui conçu par le poète marseillais, la reliure ayant certainement bouleversé une
organisation originelle. Néanmoins, il est indéniable que son œuvre poétique se trouve
formellement partagée entre poèmes courts (à forme fixe comme sonnets) et poèmes
longs, généralement discursifs ou figurant un ensemble.
Il nous faut d'ailleurs distinguer ce que nous appelons des ensembles formels et
des ensembles cohérents. Lous Plazers, L'Amour de Diou et même dans une certaine
mesure les Quatrains (I, II, VI) constituent des ensembles formels utilisant une
organisation intérieure qui leur est propre et n'est pas stylistiquement entachée de
ruptures. Ruffi a également regroupé des poèmes divers, généralement des sonnets, qui
illustrent tous un thème ou ont pour sujet un même événement politique (les sonnets
concernant la réduction de Marseille par exemple, XVI). Nous avons regroupé ces
poèmes qui forment des ensembles cohérents.
De ces derniers se détachent les Contradictions d'Amour (VII). Nous
reconnaissons ici une « chaîne de sonnets » élaborée selon un modèle pétrarquisant qui
entend construire thématiquement et formellement un dialogue sur la nature de l'Amour.
Ruffi s'inspire certainement, sur ce plan strictement structurel, des constructions parfois
savantes (révélant un ordre et une organisation qui nous est souvent difficile de mettre
au jour) que l'on peut observer dans les recueils des XVI e et XVIIe siècles comme par
exemple chez Jean de La Ceppède selon les analyses développées par Jean Rousset. 42
Les arguments exposés s'organisent en dialogues dont nous tentons, dans l'introduction
spécifique à cet ensemble, d'indiquer les principales composantes. Il nous faut toutefois
42 Cf. Jean Rousset, L'Intérieur et l'Extérieur. Essais sur la poésie et sur le théâtre au XVII e siècle, José Corti, Paris,
1968, réed. 1976, p. 13-42.
�remarquer que ces poèmes sont originaux et éveillent la curiosité du lecteur. Si nous
pouvons assez bien cerner les origines littéraires d'un tel thème, il n'est pas évident
d'inclure dans la littérature occitane ces quatorze sonnets qui occupent une place unique.
Rien de tel chez Bellaud, Paul, Tronc ou même les Gascons Larade et Du Pré. Il semble
que les Contradictions entendent réaliser une opération de distance qui s'affirme au fur
et à mesure de la lecture des poèmes : l'écrivain est ici extérieur au thème, son poème
n'emprunte pas des voies biographiques, même romancées ou sublimées, en un mot
l'Auteur tout puissant de la littérature s'efface derrière le texte pour une volonté
discursive, une mise au point théorique et poétique. C'est ainsi que la chaîne de sonnets
entend discourir sur le matériau poétique de la lyrique amoureuse, ses attributs
littéraires et mythiques qui définissent le genre et l'encadrent. L'Éros poétique se regarde
dans le miroir des mots, se reflète sur la surface des vers. Même si nous pouvons
esquisser une description propre au sujet-écrivain Ruffi (par l'introduction de la
première personne dans certains poèmes), l'impersonnalité des Contradictions s'affirme
pour permettre à la discussion littéraire de naître. Position originale dans une littérature
qui ne se dégage pas souvent du biographique et confond parfois la Lettre et l'Ego. Ces
sonnets, écrits vraisemblablement au début du XVII e, tout au moins après les grands
poèmes de la lyrique amoureuse baroque dont ils portent la marque, se révèlent comme
des mises au point, un bilan poétique sur la Nature d'Amour.
C'est donc par leur écriture en provençal que les Contradictions imposent un
style et une voie originale. Ces quatorze sonnets font référence aux fondements de la
lyrique amoureuse, occitane certes car nous retrouvons chez Bellaud et d'autres poètes
les mêmes topoï, mais aussi française et italienne qui nourrissent le texte occitan. Il
s'agit d'un développement littéraire probant et décisif qui englobe et entend synthétiser,
sans l'avouer, le chemin poétique de l'Amour. En ce sens, l'utilisation de sonnets est
totalement adaptée à ce propos par le caractère clos des envolées lyriques. De mondes
clos en sonnets, le souci du détail et le devenir amoureux se conjuguent pour, fugue de
mots, disserter et « cantar et recantar encaro » (VII, [1], v. 2).
Thèmes religieux et profanes
Les poésies de Robert Ruffi illustrent pleinement l'émergence d'une thématique
religieuse organisée telle qu'elle apparaît à la Renaissance. Les conditions religieuses et
politiques de la naissance de la Réforme induisent des comportements littéraires
nouveaux, beaucoup plus combatifs, selon que l'on se range d'un côté ou de l'autre de la
Chrétienté. Rappelons simplement que les textes majeurs qui illustrent cette thématique,
qu'ils soient catholiques ou réformés, datent tous de la deuxième moitié du XVI e siècle
comme La Sepmaine de Du Bartas ou, dans un genre différent, Les Tragiques de
D'Aubigné écrits bien avant leur publication. 43 Les poèmes religieux de Robert Ruffi
s'inscrivent pleinement dans cette thématique. Nous savons qu'elle trouve en Provence
43 Sur ce sujet, nous sommes toujours redevable pour la découverte de ces textes à la somme de l'abbé Bremond,
Histoire littéraire du sentiment religieux en France, 12 vol., Paris, 1921-1933. La poésie de Du Bartas échappe
quelque peu par son caractère cosmogonique à une simple poésie d'inspiration religieuse. La première édition de La
Sepmaine date de 1578. C'est de 1578 que date également le Dialogue des Nymphes dédié à la reine de Navarre. Sur
Du Bartas cf.. notamment Du Bartas poète encyclopédique du XVIe siècle, Colloque international, faculté des lettres
et sciences humaines de Pau et des pays de l'Adour, 7, 8 et 9 mars 1986, actes rassemblés et publiés par James
Dauphiné, La Manufacture, Lyon, 1988 ainsi que la mise au point de Philippe Gardy : La Leçon de Nérac. Du Bartas
et les poètes occitans (1550-1650), Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 1998.
�des illustrations majeures, des poèmes de Louis de Gallaup de Chasteuil et de César de
Nostredame à ceux de Jean de La Ceppède, sans parler d'un admirable ensemble de
sonnets (en occitan et toujours manuscrits), paraphrase des Psaumes de la Pénitence.44
Utilisant le français et l'occitan, les poèmes de Ruffi laissent transparaître une
catholicité inspirée par la Contre-Réforme. Nous ne dirons jamais assez l'importance du
concile de Trente sur les esprits catholiques prêts à refuser les arguments des Réformés.
Ruffi se montre à cet égard assez violent, dans la lignée des polémistes qui vouent les
Huguenots aux flammes de l'enfer, poursuivant avec la même fougue les Vaudois dont
la présence n'avait pas été tolérée en Provence (XXXIII). Ces poèmes laissent
transparaître une totale soumission aux dogmes de l'Église, une défense accomplie de
l'institution et de la parole telle qu'elle est délivrée dans les Évangiles et telle qu'elle doit
être interprétée. Ses fonctions notariales auprès de l'évêché de Marseille révèlent un
homme proche de l'Église, mais aussi un chrétien sincère qui se démarque de tout doute
théologique. Ce message religieux, qui ne décrit pas la passion du Christ et ne se
complet pas dans les figures d'hypotyposes fréquentes chez Nostredame ou La Ceppède,
s'appuie fortement sur la dimension morale. Le « recentrage » catholique s'effectue sur
le respect des préceptes religieux, les dix commandements divins donnés à Moïse et les
enseignements du Christ (VI) ou plus simplement sur une ligne de conduite chrétienne à
tenir (celle contenue dans les Quatrains (II) et commune en ce siècle). Ce message
catholique ne s'embarrasse pas de réflexions théologiques particulières : éloignant tout
germe de jansénisme, il suffit de se repentir pour recevoir la grâce du seigneur et ainsi
faire partie de ses disciples. Christ est venu sur terre pour cela.
La Contre-Réforme initiée par le concile de Trente qui prend fin en 1563 a
suscité de nombreux ouvrages et un nouvel élan théologique qui touche la littérature.
Ruffi a certainement eut accès à ces ouvrages, savants ou de vulgarisation, qui
entendent prouver la véracité du message catholique. Il cite Pierre Charron, plus connu
aujourd'hui pour De la Sagesse, mais qui écrivit quelques ouvrages « chrestiens »
notamment les Discours et Les Trois Veritez qui eurent quelque influence.45 Ruffi ne cite
pas ses autres sources. A-t-il lu les ouvrages de théologie qui forment l'indispensable
accompagnement des poèmes chrétiens publiés à cette époque et parmi eux La Diete de
Salut d'Antoine Du Four (éditée en 1557) qui fut évêque de Marseille ? Il est difficile de
reconnaître, en absence de références sérieuses et particulières, tel ou tel ouvrage
derrière une argumentation qui n'est pas par ailleurs originale. Contrairement à La
Ceppède, que l'on peut suivre théologiquement « à la trace » comme le fait Yvette
Quenot,46 il nous est difficile de reconstituer le chemin théologique emprunté par Ruffi.
La référence à Charron nous permet toutefois de nous interroger sur le caractère savant
de ces lectures. Les deux ouvrages de théologie en question ne sont pas à proprement
parler des œuvres de» science théologique et correspondent beaucoup plus à une liste de
vérités chrétiennes que l'on doit connaître. Nous sommes loin des questionnements
religieux que l'on trouve dans les lectures de La Ceppède : le commentaire de Suarez sur
la Somme de saint Thomas d'Aquin ou ceux de Jean Maldonnat sur les Évangiles. Il est
44 L'Imitation des psaumes de Louis de Gallaup de Chasteuil date de 1598 (pour une référence détaillée de cet
ouvrage cf. le commentaire de XVI [7]), les Pièces héroïques et Les Perles ou les larmes de la St Magdeleine de 1608
et 1606 (cf.. XXIX) et Les Theoremes de La Ceppède de 1613 et 1621 (éd. moderne : Jean de La Ceppède, Les
Théorèmes sur le sacré mystère de nostre rédemption, édition critique de Yvette Quenot, 2 vol., Nizet, Paris, 19881989). La Paraphrase sur quelques pseaumes de la penitence est conservée à la bibliothèque inguimbertine de
Carpentras (ms 19).
45 Sur Charron et une description de ses ouvrages, cf. l'introduction de VI.
46 Cf. Les Lectures de La Ceppède, Genève, Droz, 1986, qui situe admirablement le poète provençal dans le concert
théologique de la Contre-Réforme.
�vrai que Ruffi ne cède pas à la mode des paraphrases des psaumes, mais au contraire
s'appuie sur le Pater, un texte de prière, certainement le plus diffusé, pour établir
l'essentiel du message catholique. Écartant donc de sa route poétique psaumes et passion
du Christ, les deux grandes inspirations baroques, Ruffi apparaît en décalage, réduisant
la parole poétique religieuse aux descriptions des vérités chrétiennes des textes sacrés et
à l'observation des commandements divins.
Sans mettre évidemment en doute la foi de Ruffi, qui nous paraît profonde et
sincère, nous pouvons nous demander s'il ne s'agit pas là d'une poésie persuasive qui
place le message catholique avant toute réflexion au niveau de la nature divine et la
parole christique. Ruffi n'est pas un mystique : chez lui aucune contrition, aucune
souffrance ni réflexion sur le rapport de l'homme et de Dieu, sur la venue du Christ sur
terre, tout est révélé et contenu dans les écritures saintes que l'on ne peut questionner.
La personnalité de Marie-Madeleine évoquée comme bon nombre de ses contemporains
(XXIX) ne donne pas lieu à une description empreinte de mysticisme de la retraite de la
sainte, de ses privations et de sa foi ardente. L'accent est plutôt mis sur la véracité du
message du Christ et sur la conduite exemplaire de la sainte qui malgré ses erreurs
passées connaît la rédemption et sauve son âme, exemple évident que l'homme doit
suivre. Il ne s'agit pas d'une foi intériorisée qui donne naissance à un questionnement sur
la nature humaine : nous pouvons, en ce sens, parler d'un message catholique
évidemment assorti de conseils et de recommandations morales.
L'ensemble de l'œuvre poétique ne se réduit pas à ce seul aspect religieux qui représente environ un peu plus de 500 vers. Même si les recommandations morales traversent tout ce corpus (nous les devinons en filigrane dans les Plazers par exemple), les
sujets profanes occupent la place la plus importante. Il nous faut distinguer entre tous
ces sujets ceux qui relèvent d'événements politiques précis et ceux qui concernent des
pièces de circonstance.
La biographie de Robert Ruffi nous renseigne sur ses activités politiques
notamment lors de la réduction de Marseille en 1596. Il est naturel que Ruffi, touché de
près par ces faits historiques auxquels il participe, glorifie dans quelques poèmes les
nouveaux maîtres de la ville, que ce soit Henri d'Angoulême en 1585 ou Pierre de
Libertat et Charles de Guise en 1596. Ces textes font partie d'un corpus politique plus
vaste dont nous avons tenté, pour Ruffi et d'autres écrivains, d'analyser les motivations
d'écriture.47 Il nous semble également que ces poèmes, dont la majorité sont en occitan,
s'insèrent dans une thématique plus large qui est celle de l'allégeance, qu'elle soit teintée
de diglossie ou plus classique. Enfin, dernier aspect, nous pensons que ces textes
entreprennent de pallier les manques historiographiques de l'occitan ; les relations
historiques sont en effet toutes en français et seules les œuvres littéraires emploient la
langue d'oc.
Robert Ruffi s'adresse donc directement aux différents maîtres de la Provence.
Retenons trois ensembles qui se détachent. Tout d'abord les sonnets dédiés au GrandPrieur, Henri d'Angoulême, dont on connaît la marque sur la littérature provençale et le
rôle important pour la société littéraire qu'il anime de 1576 à 1586 (XV). Ruffi ne loue
cependant pas les qualités littéraires du gouverneur de Provence (encore qu'il prenne la
47 Nous renvoyons donc à deux de nos publications : « Allégeance diglossique au XVIe siècle. Texte politique et
langue occitane en Provence (1583-1610) », Cahiers Critiques du Patrimoine, n°4, « La Langue indicible
(Constitution diglossique, langue et littérature occitanes, au XVI e siècle en Provence) », Marseille, 1989, p. 71-97 et
« Inscription politique de la littérature occitane en Provence (fin XVIe-début XVIIe) : la Canson provencalle de
1564, les sonnets recueillis par Peiresc et autres pièces inédites », Lengas, n°32, Montpellier, 1992, p. 49-85.
�peine de recopier un sonnet du Grand-Prieur), mais les actions politiques et surtout
l'installation des Chapitres de Paix de 1585 qui respectent certaines libertés
marseillaises. L'adresse est destinée tout autant au maître de la Provence qu'à l'envoyé
du roi et au libérateur qui permet à Marseille de jouir de ses anciennes libertés.
En 1591, les opinions de Ruffi s'affirment plus nettement du côté des Ligueurs
provençaux. Il écrit ainsi un poème dédié au duc de Savoie qui convoite la Provence et
y séjourne avec son armée (XXIV). Ruffi n'est pas le seul à célébrer l'entrée du duc qui
fut considéré comme un véritable libérateur par certains : César de Nostredame et un
nommé Jacques de la Court écrivent également des poèmes qui glorifient les actions
menées par Charles-Emmanuel en Provence.48 Le poème de Ruffi, écrit en français,
entend associer la personne du duc et toute la Maison de Savoie aux destinées de la
Provence, et promouvoir son établissement dans le pays. L'auteur agit ici en patriote
marseillais ; la ville qui accueille Charles-Emmanuel se dégage vite de son emprise,
mais en 1591 le duc y est reçu avec les honneurs dus à un roi. La courte justification
d'écriture contenue dans le titre pourrait donc se lire comme un repentir, tout au moins
un dégagement subtil qui fait de l'auteur de cette pièce un simple scribe. Effacer des
actions passées sous le vernis littéraire est chose fréquente, mais ce poème garde encore
le souvenir d'un sauveur providentiel qui vient secourir la Provence.
Les sonnets et quatrains sur la réduction de Marseille en 1596 sont un reflet de
cette palinodie que l'on observe de façon générale chez les anciens Ligueurs. Nous ne
reviendrons pas sur les composantes historiques de ces événements. Notons cependant
que l'intervention historico-littéraire permet à Ruffi de publier quatre, puis deux sonnets
dans les éditions du Vray Discours ; c'est à notre connaissance avec l'édition de Bellaud
de la Bellaudière en 1595 les seuls poèmes imprimés du vivant de l'auteur. C'est donc
par la célébration littéraire et l'allégeance politique que la parole poétique de Ruffi
connaît une consécration publique, au-delà des considérations que sa personnalité et son
œuvre naissante pouvaient lui procurer. L'adresse est classique : elle glorifie Pierre de
Libertat qui a assassiné Casaulx, le Roi, Charles de Guise, Gouverneur de Provence,
Estienne Bernard à qui il était lié et diverses autres personnalités ; Ruffi s'inscrit donc
dans l'ensemble des auteurs, poètes et historiens, qui relatent la réduction de la ville.
Les deux poèmes qui ont été écrits pour l'arrivée de Marie de Médicis en
novembre 1600 illustrent pleinement le passage du politique au texte de circonstance.
Le premier poème (XXXI) s'insère dans ce corpus dont nous venons de parler :
glorification de la future reine et à travers elle de Florence, allégeance à Henri IV. Cette
« chanson » fut récitée devant la reine le 5 novembre 1600 ce qui lui confère une
officialité de parole publique qui ne doit pas être négligée pour une langue et une
littérature qui ne possèdent aucune reconnaissance. Dans le deuxième poème (XXXII),
la venue de la reine n'est qu'un prétexte pour un sonnet sur la gourmandise : Marie de
Médicis mange des ortolans qu'un courtisan convoite. Ici, il n'est plus question de
l'Histoire, mais seulement d'une anecdote friande que Ruffi, avec semble-t-il un malin
plaisir, choisit de relater.
De nombreux textes sont relatifs à des événements marseillais, faits parfois
strictement privés qui fournissent l'occasion de descriptions cocasses (XXXVIII par
48 Sur ces deux poèmes cf. le commentaire de XXIV. Ces deux textes seraient conservés à Turin dans les archives
piémontaises, mais nous n'avons pas pour le moment retrouvé leur trace. Il semble toutefois que l'engagement des
écrivains provençaux au côté du duc de Savoie ait été plus important que l'on pouvait le penser. Les circonstances
politiques de l'échec du duc tiennent plus à au déroulement des événements qui n'est pas favorable à son action plutôt
qu'à un revirement spectaculaire de certaines élites provençales. Remarquons néanmoins que César de Nostredame
n'a pas encore écrit en 1591 l'essentiel de son œuvre.
�exemple, avec ce cheval tombé dans un puits) ou qui servent à nouer les liens d'un tissu
relationnel (X, XIII, XXI…). La poésie occupe une fonction que l'on ne saurait négliger
en ces siècles, celle d'une communication entre membres d'une même société qui ne
dédaignaient pas de versifier à l'occasion. Ruffi semble sur ce point moins prolixe que
Pierre Paul, mais ce genre ne lui est pas inconnu. 49 Sur ce dernier point, il est difficile de
voir se dessiner une véritable société comme chez Paul ou plus encore Bellaud :
quelques amis marseillais sont nommés, Catin et Salomon notamment, mais on ne peut
pas parler de dialogue poétique comme cela peut être le cas entre Paul et Bellaud bien
sûr, mais aussi entre Paul et Marc-Antoine d'Espagnet ou Estienne d'Auzier. Ruffi n'est
certainement pas un écrivain isolé comme Michel Tronc (sa participation à l'édition de
1595 le prouve), mais il ne semble pas adopter un comportement littéraire lié à une
école provençale particulière. À cet égard, les productions de Pierre Paul qui abondent
en références de toutes sortes constituent l'établissement d'un réseau littéraire et social
qui n'est pas celui de Ruffi, mais qui est tout autant marseillais.
L'Identité d'un homme et d'une ville
Robert Ruffi est-il un poète provençal ? Question apparemment saugrenue, mais
qui prend toute sa signification en examinant les fonctions identitaires de cette poésie.
Nous pourrions la formuler autrement : Ruffi est-il marseillais avant d'être provençal ?
Nous sommes là au cœur d'un débat qui sous-tend l'ensemble des rapports entre
Marseille et la Provence dans l'histoire et encore de nos jours. Le poids original de la
cité phocéenne dans l'économie de sa région, des conditions géographiques et humaines
particulières et un commerce maritime exceptionnel font de Marseille un monde à part
que le reste de la Provence a parfois du mal à comprendre et dont les intérêts ne sont pas
toujours compatibles avec son arrière-pays. Au XVIe siècle, Marseille est une cité
possédant une identité fortement ancrée dans son histoire. Il est clair que la ville qui a la
chance d'avoir une économie basée à la fois sur les commerces lointains et proches et
sur les productions de son terroir peut être indifférente aux ordres de la Provence
intérieure. N'oublions pas que la capitale de la Provence, siège des États puis du
Parlement est Aix, cité qui accueille également les organisations judiciaires, cours d'appel et universités et qui garde une méfiance considérable face aux initiatives de sa
puissante voisine (celle-ci le lui rend bien d'ailleurs). Antagonisme entre deux villes aux
fonctions et aux destins dissemblables et dont les intérêts sont diamétralement opposés.
Ces rapports Marseille-Provence conduisent parfois à une situation étrange qui fait de
Marseille un « hapax identitaire » voué à son propre sort et dont le destin historique à la
vénitienne semble contrarié par les différentes centralisations politiques.
Le texte poétique de Robert Ruffi est traversé par cette identité marseillaise : à
titre d'exemple la Provence est citée une dizaine de fois dans l'ensemble de ces poésies
et Marseille plus de trente fois (cf.. Index). Le sujet géographique de ces poèmes est
centré sur la cité phocéenne, même si en apparence le texte concerné ne se prête pas à
de telles affirmations. C'est ainsi que les deux principaux poèmes écrits en 1580 à
l'occasion de l'épidémie de peste proposent une argumentation qui entend attirer
l'attention du lecteur sur l'histoire de la cité, mais cette histoire ne peut se concevoir que
49 Pierre Paul, dans La Barbouillado et encore plus dans L'Autounado versifie à propos de tout : poèmes-excuses
adressés à des amis pour ne pas pouvoir se rendre à une invitation, vers sur des maladies, des indispositions
passagères, sur des traits de caractère. Ruffi semble plus en retrait par rapport à ces pratiques et il n'y a pas à
proprement parler d'inscription biographique dans son œuvre.
�dans la longue durée événementielle et doit servir de repères aux problèmes
contemporains. Ruffi célèbre alors les anciennes libertés, « l'anciano republico » de
l'Antiquité (XXX, [2], 153) et les compare aux temps présents afin de fustiger les
mœurs politiques. La démonstration est exemplaire : elle oppose, comme le dit Robert
Lafont, la ciuitas à l'urbs par une absence de « sentiment » qui fait de la ville une
« fourmo bastido » (XXX, [2], 206-207).50 Cette contradiction dévoile la conscience
culturelle de l'écrivain marseillais : Marseille ne peut exister sans le sentiment de son
appartenance à une identité clairement établie, un « pacte social et communautaire »
dont les habitants doivent régler les moindres détails. La ville est en quelque sorte audessus des préoccupations personnelles et des aventures politiques, elle doit devenir le
ciment nécessaire au bonheur de la communauté. Le retour à l'Antiquité, à la fois idéal
humaniste et projet politique, ne doit pas faire oublier les commandements de Dieu ni
l'appartenance de la cité au Roi. C'est dans le cadre strictement français, mais un cadre
large qui englobe la nécessité d'une « patrie maternelle », que ce sentiment s'exprime et
s'affirme. C'est un Ruffi dans la force de l'âge qui écrit ces lignes (il a alors 38 ans).
Totalement dévoué à la cause de sa ville, épouvanté par l'épidémie de peste et le
comportement de ses contemporains, soutenu par sa foi, il prend conscience de la force
culturelle et identitaire de sa cité. Le message est donc clair : il s'agit de Marseille et non
de la Provence qui ne peut se reconnaître dans l'illustre passé phocéen. Il existe donc
une « terro foucido » que l'on doit défendre (XV, [4]).51
L'identité marseillaise se noue au cadre physique qui d'une certaine manière la
détermine. Les Plazers situent le terroir de la ville dans deux optiques : la première,
biblique, établit une analogie évidente avec le Jardin d'Éden et la seconde, historique,
soutient la comparaison avec Rome. Dieu et l'Antiquité viennent donc apporter leur
pierre à la construction du temple naturel marseillais et définir le monde dans ce qu'il a
de plus cher : le rapport au terraire, à la terre-mère (I, 89). Ce long poème dépasse les
cadres d'une Arcadie traditionnellement ancrée dans un ailleurs géographique ; elle est
au contraire marseillaise, authentiquement marseillaise, et ne peut s'affirmer que dans
les cadres physiques et humains de la cité.
L'Histoire et la Nature. La Langue demeure, défendue dans l'Odo a Pierre Paul
avec la force que l'on sait, mais nourrissant aussi la contradiction. Cependant Ruffi
n'affirme pas dans ce manifeste linguistique une quelconque identité marseillaise : la
langue est provençale, sans doute en mémoire médiévale et en se souvenant de l'œuvre
de Jean de Nostredame publiée en 1575. Marseille ne possède pas une langue
authentique, elle est même mêlée de termes divers selon le jugement de l'archiviste
marseillais et vouée à une disparition quasi certaine au profit du français (cf.. Annexe
II). L'identité ne se noue pas totalement à la langue, pourtant Ruffi utilise souvent des
formes linguistiques inspirées de la langue moderne, juste balancement (comme encore
chez Nostredame) entre une langue héritée, haute, nourrie d'archives et de lectures et
une expression populaire au lexique parfois savoureux (ce sera pleinement celle de
Bellaud de la Bellaudière et de Pierre Paul). C'est bien plus par la réappropriation
culturelle, historique et physique, que l'identité marseillaise s'assure et entend affirmer
sa parole.
Comment Ruffi aurait-il pu refuser de participer à l'entreprise de Charles de
Casaulx ? Tout l'y pousse : sa foi, ses convictions politiques et son identité. Casaulx
entend respecter tout cela et assurer l'existence d'une Marseille « indépendante », tout au
50 Cf. Renaissance du Sud, op. cit., p. 160.
51 C'est à notre connaissance la première apparition de cet adjectif dans la littérature d'oc pour qualifier
l’environnement marseillais.
�moins « autonome » : une imprimerie, une monnaie, des liens libres avec l'Espagne, des
libertés plus grandes, une mémoire culturelle nettement revendiquée par tout un travail
de restitution des archives, la ligne politique du dictateur ligueur a de quoi séduire.
L'aventure tournant court, sans réels débouchés politiques, Ruffi rejoint les rangs
royalistes tout en espérant que les nouveaux maîtres de Marseille sauront respecter les
libertés traditionnelles.
On ne peut pas dire pour autant que Ruffi en a fini avec l'identité et que l'échec
de 1596 et les ennuis que ses positions lui valent après la réduction de la ville viennent
panser et définitivement guérir une plaie béante. En réalité, on voit poindre, avec
beaucoup moins de force et d'assurance, une Marseille fidèle au roi, mais qui entend
assurer de son existence ses hôtes de marque comme pour le passage de Marie de
Médicis ou du duc de Lesdiguières (XXXI et XIX). C'est une identité feutrée qui
pourrait reprendre ses forces comme pour le règlement des dettes par exemple (XVIII).
Nous ne croyons pas aux identités isolées, aux réductions personnelles. Ruffi
n'est que l'illustration littéraire d'un problème beaucoup plus profond qui s'affirme avec
force et en reconnaissance historique aux XVI e et XVIIe siècles et qui traverse les régimes politiques. C'est cette identité, doublée d'intérêts personnels, qui fera basculer la
ville au bord de la sécession sous Louis XIV et qui guide encore, à bien des égards, les
sentiments divers qui animent Marseille.
Datation des poèmes
L'œuvre poétique de Ruffi s'inscrit entre deux dates opposées dans le temps et
données dans le manuscrit : 1570 pour la première pièce (en français) (XXIII) et 1631
pour le dernier poème (XXXVIII). Cette période d'écriture est considérable, plus de
soixante ans qui déterminent un ensemble textuel riche dont nous ne pouvons dater avec
précision quelques pièces. En effet, Ruffi donne parfois la date d'écriture (surtout pour
des poèmes adressés à diverses personnalités ou des textes politiques) ou quelques
indications qui nous permettent de proposer une année.52
Seize pièces peuvent être datées sans difficultés (X, XI, XII, XIV, XV, XVI,
XVII, XIX, XXIII, XXIV, XXVII, XXX, XXXI, XXXII, XXXV, XXXVIII).
Nous proposons pour deux pièces une date d'écriture approximative. Le sonnet
XVIII relatif au paiement des dettes contractées sous la dictature de Casaulx a semble-til été écrit au plus fort des troubles, certainement au moment de l'intervention royale. Il
faut donc envisager une écriture de ce poème autour des années 1607-1608.
L'Odo a Pierre Paul a été écrite pour figurer dans les pièces liminaires de
L'Autounado. La préparation de ce manuscrit a lieu entre 1605 et 1610. Après cette
dernière date, Pierre Paul corrige ses poèmes et intervient sur le poème de Ruffi. Cette
ode (XXVI) a donc été vraisemblablement écrite au moment de la touche finale de ce
recueil, avant les corrections ultimes, soit vers 1610.
Il nous est impossible de dater quatorze pièces qui ne renferment aucune allusion
ni aucune référence. Ce sont : III, IV, VIII, IX, XXI, XXII, XXV, XXVIII, XXIX,
XXXIII, XXXIV, XXXVI, XXXVII, XL.
Enfin, nous proposons une période d'écriture pour cinq pièces.
52 Nous considérons ici les poèmes tels que nous les éditons, regroupés parfois par ensembles textuels. Nous
examinons également les seuls poèmes de Robert Ruffi (les pièces recopiées peuvent toutes être datées).
�Les Plazers sont nettement influencés par l'œuvre de Pibrac qui paraît en 1576.
C'est donc après cette date que ce poème doit avoir été conçu. Il est d'ailleurs possible
que Ruffi ait remanié son texte. La division très nette en quatre parties distinctes laisse
penser à une écriture morcelée, échelonnée dans le temps. Nous donnons donc la date de
1576 comme début de rédaction de la pièce I.
Nous pouvons effectuer la même analyse pour les Quatrains (II). L'édition de
Pibrac date de 1574 et il est vraisemblable que, la mode de ce genre aidant, Ruffi ait
commencé à rédiger ses Quatrains à la fin du siècle. Nous proposons donc comme début de rédaction la date de 1574.
Les Contradictions d'Amour posent un problème difficile à régler. Littérairement
ces poèmes gardent la trace d'un corpus antérieur, celui de la Pléiade et de l'ensemble de
la lyrique amoureuse de cette fin de siècle. Il est cependant probable que ces sonnets ont
été écrits à la fin du siècle ou au début du XVII e, répondant en cela à l'argumentation
d'écriture que nous avons développée. L'aboutissement discursif et théorique des topoï
de cette lyrique ne peut s'effectuer qu'en conservant une certaine distance avec les
œuvres concernées.
De Vilhesso (XXXIX), de par son sujet, est certainement l’un des derniers
poèmes de Robert Ruffi. Nous le situons donc autour des années 1630. Il faut remarquer
à ce sujet que ce poème et la pièce XXXVIII ont été écrits à près de quatre-vingt dix
ans, longévité poétique étonnante.
L'Amour de Diou renferme une allusion à l'œuvre de Pierre Charron. Les
Discours ont été publiés pour la première fois à Paris en 1604 et Les Trois Veritez à
Bordeaux en 1593. Cette œuvre n'a donc été écrite qu'après cette dernière date.
Considérant tous ces faits, il nous semble que l'essentiel de l'œuvre poétique de
Ruffi s'élabore entre 1580, date des grands poèmes sur la peste, et 1631, date des derniers textes. Cependant, nous pouvons distinguer une période particulièrement féconde :
c'est celle des années 1585-1610 qui voit certainement une rédaction (la première?) des
grands ensembles des Plazers et des Quatrains ainsi que de nombreux poèmes
politiques.
Nous synthétisons toutes ces données dans une chronologie. Nous confrontons
les poèmes de Ruffi aux événements politiques et aux textes majeurs des littératures
françaises et occitanes.
1542
1542 Naissance le 3 avril
1544 Mort de Clément Marot
1545 Massacre des Vaudois
Concile de Trente (siège jusqu'en 1563)
1546 Rabelais, Tiers Livre
1549 Du Bellay, Deffence…
1550 Ronsard, Odes
1552 Ronsard, Amours
1553 Mort de Rabelais
�1559 Traité de Cateau-Cambrésis
1560 Conjuration d'Amboise
1558 Du Bellay, Regrets
1559 Amyot, trad. de Plutarque
1560 4 avril, mariage avec Marthe
de Morineau
1562 Ronsard, Discours…
1563 Paix d'Amboise
1564 Voyages de Charles IX et de
Catherine de Médicis en Provence
1566 Naissance de Claire de Ruffi
1567 Pey de Garros, Poesias …
1569 Combat de Jarnac
1570 Paix de Saint-Germain
1570 Prosopee (XXIII)
1572 Saint Barthélemy
1572 Ronsard, La Franciade
1574 Avènement de Henri III
1574 Pibrac, Quatrains
Début possible de la rédaction des
Quatrains (II)
1575 Naissance de Pierre de Ruffi
Jean de Nostredame, Les Vies...
1576 Pibrac, La Vie rustique
Début possible de la rédaction des
« Plazers” (I)
1577 Mort de Jean de Nostredame
1576 Arrivée de Henri d'Angoulême
en Provence
1579 Sonnet pour la mort de
Balthasar Catin (XI)
Auger Gaillard, Las Obros
1580 Montaigne, Les Essais
Sonnet pour la naissance de Pierre
Salomon (XIII)
Deux Chansons sur la peste (XXX
[1], [2])
1583 Emeutes catholiques à Marseille
primées par Henri d'Angoulême
1583 Poèmes adressés au Grand réPrieur (XV)
1585 Soulèvement de Louis de La MotteDariès à Marseille. Chapitres de Paix
de Henri d'Angoulême
1585 Suite des poèmes adressés à
Henri d'Angoulême (XV)
Mort de Ronsard
�1586 Mort de Henri d'Angoulême
1588 Assassinat du duc de Guise
1589 Mort de Henri III
1590-1592 Charles-Emmanuel de Savoie en
Provence
1591 Prise du pouvoir à Marseille de
Charles de Casaulx
1593 Couronnement de Henri IV
1596 Réduction de Marseille.
Charles de Guise gouverneur de Provence
Guillaume du Vair en Provence
1598 Edit de Nantes
1600 Marie de Médicis à Marseille
Jacques Perrache, Le Triomphe du
Berlan
1586 Poème sur la peste (XXX [3])
1588 Montaigne, Les Essais
Mort de Bellaud de la Bellaudière
1591 Poème adressé au duc de
Savoie (XXIX)
1592 Mort de Montaigne
1593 Nomination d'Archivaire
Début de la rédaction de L'Amour
de Diou (VI)?
Jean Caze, Discours de la vie
et de la mort
Pierre Charron, Les Trois Veritez
1594 Jean de La Ceppède, Imitation
des Pseaumes
1595 Bellaud de la Bellaudière,
Obros et Rimos
Pierre Paul, La Barbouillado
Deux sonnets dans les pièces
liminaires de l'édition de Bellaud
(X, XIV)
1596 Poèmes sur la réduction de
Marseille (XVI)
Quatre sonnets dans l'édition du
Vray Discours (Ruffi est peut-être
l'auteur de cette relation)
Jacques de Meirier, La Guisiade
1597 Louis de Galaup de Chasteuil,
Imitation des Pseaumes
1598 Ode sur l'alegresse des
Oiseaux (XXVI)
1600 Chanson et sonnet sur
l'arrivée de Marie de Médicis à
Marseille (XXXI, XXXII)
Pierre de Deimier, Les
Premières Oeuvres
Jacques de Meirier, Le Triomphe
�des Noces du grand Henry
quatriesme
1601 Charron, De la Sagesse
1604 Charron, Discours
1605-1609 Troubles au sujet du paiement
des dettes marseillaises
1610 Assassinat de Henri IV
1606 César de Nostredame, Les
Larmes de la saincte Magdeleine
1607 Naissance d'Antoine de Ruffi
D'Urfé, L'Astrée
Ader, Lou Catounet gascoun
1608 Sonnet sur les dettes (XXVIII)
Honoré Meynier, Le Bouquet
Bigarré
M. A. Durant, La Magdaliade
1609 B. Deborna, Elegio
prouvensalo sur la pas
1610 Odo a Pierre Paul (XXVI)
P. de Deimier, Académie de
l'Art Poétique
Ader, Lou Gentilhome gascoun
1613 Jean de La Ceppède,
Les Théorèmes
1615 Mort de Pierre Paul
1616 Richelieu Secrétaire d'Etat
1617 A. de Lortigue, Poèmes divers
Godolin, Le Ramelet moundi
1619 Sonnet pour le duc de
Lesdiguières (XIX)
1623 Sorel, Francion
Condamnation de Théophile de
Viau
1624 Richelieu au conseil du roi
1627 Siège de La Rochelle
1628 Louis XIII entre à La Rochelle
1628 Sonnet adressé à Louis XIII
(XXXV [1])
Mort de Malherbe
�Claude Brueys, Lou Jardin dey
Musos prouvensalos
1629 Sonnet adressé à Louis XIII
(XXXV, [2])
1630 Rédaction de De Vilhesso
(XXXIX)?
1631 Poème sur un fait advenu a
nostre bastide (XXXVIII)
1634 Mort le 25 janvier
Les Formes poétiques et la Versification53
Les formes poétiques qui composent ce manuscrit sont nombreuses et variées.
Contrairement à certaines œuvres contemporaines, la forme prédominante n'est pas le
sonnet. Son œuvre en compte 41, ce qui n'est pas négligeable, mais ils ne sont pas
regroupés en séries comme chez Michel Tronc et Bellaud de la Bellaudière (excepté les
Contradictions d'Amour). Nous trouvons de nombreux poèmes qui ne se réfèrent pas à
un genre particulier ou des « Chansons » dont on connaît la souplesse formelle.
Les Poèmes sans forme fixe sont constitués en majorité par les textes que nous avons
appelé « les grands ensembles » : I, VI, XXII, XXIII, XXIV, XXV, XXIX, XXXIX,
XL. Les rimes sont généralement plates, en alternance féminin / masculin. Ils utilisent
l'alexandrin sauf XXII qui utilise le décasyllabe. Ils sont généralement d'une longueur
dépassant la centaine de vers.
Nous pouvons distinguer également deux poèmes qui ne se rattachent pas à une forme
fixe et qui reproduisent la même métrique : strophes de six vers, rimes combinées sur le
modèle aabccb. XXXVII utilise des heptasyllabes dévolus à un sujet mineur et
XXXVIII des alexandrins.
Les sonnets sont au nombre de quarante (quarante et un dans l'ensemble du manuscrit
mais V est l'œuvre du Grand-Prieur) : VII, VIII, IX, X, XI, XIII, XIV, XV, [1], [2], [3],
XVI, [1], [2], [4], [5], [6], [7], [8], XVII, XVIII, XIX, XXI, XXXII, XXXIII, [1],
XXXIV, XXXV, XXXVI. Ils ne forment pas un ensemble cohérent et sont parfois
dispersés dans le manuscrit. Ils sont toujours identifiés par Ruffi comme « sonnet ». Les
rimes de ces sonnets obéissent toutes au modèle français. Nous ne trouvons pas comme
chez Jean de Nostredame des rimes « italiennes ».54 Les rimes des quatrains respectent
toutes la forme abba et celles des tercets obéissent au schéma classique ccd-eed ou plus
rarement ccd-ede (VII, [6], [14], XIII). Ces sonnets utilisent tous l'alexandrin.
Ruffi emploie donc le sonnet à la mode française. S'il connaît certainement Pétrarque,
peut-être même dans une édition italienne, il n'en reste pas moins qu'il suit le schéma
marotique et les indications de la Pléiade qui, dans un deuxième temps, prône l'utilisation de l'alexandrin dans le sonnet.
Ruffi est-il influencé par l'œuvre de Bellaud de la Bellaudière ? Cela est moins évident
qu'on pourrait le penser. Un sonnet (XI) peut être daté de 1579 et un autre de 1580
53 Il ne s'agit pas ici d'une étude exhaustive de la versification chez Ruffi, mais de quelques indications que nous
signalons également dans le commentaire de chaque poème.
54 Pour les sonnets de Jean de Nostredame cf. notre article : « « Les Premiers Sonnets occitans : miroirs et écritures
multiples », Lengas, revue de sociolinguistique, n°40, Montpellier, p. 35-61.
�(XIII). Ils ont donc été écrits pratiquement en même temps que l'œuvre de Bellaud et ne
peuvent donc suivre la trace « bellaudine ».55 Ils viennent après ceux de Jean de
Nostredame et relèvent d'une mimésis, d'un calque métrique élaboré à partir de la littérature française. L'introduction du sonnet en Provence est bien plus complexe : par rapport aux premiers sonnets occitans modernes, peut-être de l'extrême fin du XV e siècle,56
et à la traduction de Pétrarque par Vaisquin Philieul en 1548, les sonnets de Ruffi
paraissent tardifs. Ils viennent après les grands recueils de Ronsard et de Du Bellay, en
continuité de mode parisienne.
Les Quatrains constituent une forme liée à une thématique particulière. Remarquons
évidemment l'ensemble des Quatrains (II), mais aussi deux quatrains isolés (XV, [4],
XVI, [3]). Les rimes embrassées sont classiques.
Deux odes, citées en tant que telles dans le titre des poèmes, retiennent notre attention
(XXVI, XVII). Nous savons que l'ode est une forme d'abord contraignante, mais qui au
cours des siècles désigne beaucoup plus la tonalité du poème que sa métrique. Ces deux
odes utilisent des heptasyllabes regroupés en huitains. Les rimes des vers dénotent la
même structure : ababcddc.
La chanson est une forme fixe qui permet une grande souplesse. Ruffi intitule chanson
cinq de ses poèmes : IV, XXX, [1], [2], [3] et XXXI. Ces textes sont d'une structure fort
variée.
Nous devons remarquer la versification de la pièce XXX, [1]. C'est ce poème que
recopie Bougerel et qui retient l'attention de Camille Chabaneau. Celui-ci remarque
avec raison les tercets, la structure du vers (césure et finale atone) et le dernier vers à la
rime en écho. Les deux premiers vers sont des décasyllabes et l'allongement de la rime
du troisième le transforme en alexandrin. Chabaneau insiste particulièrement sur la
coupure après la césure, mais laisse de côté ce système de rime en écho qui nous paraît
pourtant original chez Ruffi. Chabaneau, avec raison, parle d'influences italiennes et
occitanes :
« La « chanson » sur la peste de l'an 1580, que le p. Bougerel nous a conservée, est
remarquable au point de vue de la versification. Elle est en vers de 10 syllabes coupés
après la sixième, comme dans Girart de Rossillon. Mais la syllabe atone, qui suit la
césure, quand celle-ci est féminine, compte toujours dans l'hémistiche suivant :
La pesto et la fami / no t'an rouinado;
Et n'an leva la tra / cho das villagis;
etc. C'est, comme chacun sait, le système italien (Per far una leggia / dra sua
vendetta, PETRARCA), dont les exemples ne manquent pas d'ailleurs, quoique assez
rares, dans l'ancien provençal et même dans l'ancien français (…) ». 57
C'est dans la structure du vers que la versification de Ruffi nous paraît être
quelque peu empêchée par le cadre mimétique mis en place. En effet, excepté le poème
XXX [1], l'œuvre de Ruffi ne conserve aucune trace de la métrique occitane médiévale.
Il est clair que l'influence de la littérature française est ici capitale. Un des principaux
55 Nous nous référons en cela aux classifications opérées par Philippe Gardy in : « Le Sonnet occitan de l'époque
baroque : entre identité linguistique et production esthétique », Revue des Langues Romanes, n°2, tome xciv,
« Sonnets et Sonnettistes occitans (1550-1630) », Montpellier, 1990.op. cit., p. 201-217.
56 Nous faisons référence aux trois sonnets attribués à tort par Camille Chabaneau et Joseph Anglade à Jean de
Nostredame. Un examen attentif de l'écriture de ces poèmes dément cette attribution (cf. notre article « Les Premiers
Sonnets occitans : miroirs et écritures multiples », op. cit..
57 Joseph Bougerel, Le Parnasse provençal…, op. cit., p. 288 (notes de Camilles Chabaneau).
�sujets de discorde à la Renaissance concerne le problème du e muet qui n'existe pas en
occitan. La versification de Ruffi transpose donc ce traitement particulier sur la voyelle
finale féminine atone généralement graphiée o. Certainement par contamination, nous
voyons les finales en i subir le même sort, preuve évidente de la non articulation du
groupe ia médiéval et de sa réduction à [i]. La versification suit ici le souci phonétique,
ce qui n'est pas toujours le cas dans la graphie de Ruffi. De la même manière, les
pluriels en s ne sont pas souvent comptés et n'affectent en rien la structure du vers.
Ruffi utilise de nombreuses synérèses qui nous paraissent, pour certaines, étonnantes.
Elles permettent au vers de conserver son bon nombre de syllabes, mais, parfois, sont
effectuées au mépris de l'accentuation tonique : un infinitif [kãta] dont la dernière
syllabe se confond avec [e] par exemple. Nous les signalerons dans le commentaire du
texte.
De la même manière, les diérèses permettent d'allonger les syllabes d'un mot en les
marquant dans la graphie : « gloriuous » ou « curiuous » reviennent plusieurs fois. Il est
également possible que le décompte des syllabes d'un mot ne soit pas le même dans
deux vers différents.
Enfin, la souplesse graphique, pour ne pas dire le désordre, permet à Ruffi de jouer sur
le décompte des syllabes d'un mot : c'est ainsi que l'on trouvera « crim » et « crime »,
« cult » et « culte » dont l'orthographe influe sur la structure du vers quand la voyelle
finale n'est pas placée en synérèse.
�INFLUENCES ET CROISEMENTS D'ÉCRITURES
La Littérature occitane
Malgré le nombre important de pièces françaises, Robert Ruffi est pleinement un
auteur occitan, revendiquant parfois, on l'a vu, un statut différent pour son expression
majeure. Les thématiques observées dans cette œuvre sont souvent communes avec
celles de ses contemporains. La présence de deux sonnets de Ruffi dans l'édition de
1595 rend également compte de sa place dans le réseau d'écrivains et de connaissances
lettrées que Pierre Paul et son travail éditorial mettent en perspective.
La thématique d'Arcadie est commune à toute la littérature d'oc. Nous savons
qu'elle traverse en exutoire littéraire et linguistique toute l'œuvre de Bellaud de la
Bellaudière, de nombreux poèmes de Pierre Paul, sans parler des recueils gascons témoignant d'une pastoralité essentiellement organisée en re-création du monde. Nous
avons en un temps formulé l'hypothèse que cette thématique relevait, à quelques
exceptions près, d'une « répartition d'usages » distribuant les rôles littéraires dans une
Provence s'éveillant à la poésie.58 Le rôle de l'Arcadie poétique et romanesque dont on
devine le cheminement dans toute l'Europe littéraire se noue au destin fragile d'une
culture et vient à point pour figer, dans la bulle de temps immobile, la mort de la langue.
Ces idées générales se doivent d'être nuancées pour l'œuvre de Robert Ruffi. Il
nous semble en effet que la mise en perspective arcadique des Plazers répond à d'autres
objets. Il ne s'agit pas ici d'une nostalgie, d'un ailleurs géographique souvent relayé par
les fantasmes de l'exil ou de l'enfermement, mais d'une configuration biblique et
historique. Dans le grand dessein des glorifications marseillaises, le terroir, qui possède
également les qualités requises de l'enfermement géographique, recèle de nombreuses
potentialités agricoles qui le conforment au Jardin d'Éden. L'Ancien Testament est alors
évoqué pour louer le travail du laboureur après le péché originel, la bonté des premiers
hommes et les ressources de la terre-mère. Dans un deuxième temps, Rome est
comparée à Marseille dont les structures héritées de l'otium et du negotium sont toujours
en place au XVIe siècle. La distribution biblique et historique ordonne donc une Arcadie
qui s'éloigne des plaisirs bachiques évoqués par Bellaud et Paul. La contraignante morale chrétienne, partout présente chez Ruffi, confère à ce temps éternel et immobile une
austérité qui ne laisse que peu de place aux réjouissances même si l'idée de bonheur n'en
est pas exclue. Quant à la sexualité et aux évidentes pulsions amoureuses, elle sont
totalement effacées. Cette Arcadie originale vient en complémentarité de l'insouciance
bellaudine. Elle préfigure une double répartition qui annonce une organisation spatiale
et temporelle en équilibre religieux et géographique. Si nous devions à tout prix envisager une conformité textuelle, nous pourrions voir se dessiner un axe Robert Ruffi - Pey
de Garros qui privilégie l'harmonie et la juste répartition des besoins et des bontés
58 Cf. notre article : « Les Répartitions d'usages linguistiques au XVIe siècle : la trace écrite », Cahiers Critiques du
Patrimoine, n°4, "La langue indicible (Constitution diglossique, langue et littérature occitanes, au XVI e siècle en
Provence)", Marseille, 1989, p. 7-23.
�humaines. En Provence, seul un poème de Michel Tronc, Lou Meinagy d'Izabeu, nous
paraît aller quelque peu dans le même sens que Lous Plazers.59
S'il nous faut souligner cette différence, nous devrions également remarquer les
similitudes textuelles et thématiques communes à tous les textes d'oc. En tout premier
lieu, les Contradictions d'Amour établissent une typologie amoureuse qui est employée
par Bellaud et ses successeurs : flèches, arc, bandeau, Cupidon ailé, tous les topoï de la
lyrique érotique se retrouvent évidemment dans les attributs de l'Éros occitan (en
conformité européenne d'ailleurs).
Les thématiques d'allégeance et de soutien politique ne sont pas seulement
exprimées chez Ruffi. L'allégeance est chose commune en ce siècle et l'édition de 1595
n'échappe pas à cette règle. Malheureusement cette allégeance est également politique et
se double d'une glorification des Ligueurs marseillais qui sera gênante en 1596. Paul
aura beaucoup de mal à rentrer en grâce même après son Repenty de la Bourbouillado60
et sera ensuite très discret sur les événements marseillais, se contentant de louer les
actions du duc de Guise et de Guillaume du Vair. Le texte politique de Ruffi paraît plus
organisé ; il correspond sans doute à une conviction plus affirmée et à une action
beaucoup plus réfléchie. Les poèmes relatifs à la réduction de la ville s'accompagnent
d'une publication et d'un travail historique qui entend rétablir la vérité sur son
comportement. Nous pensons que Ruffi a été bien plus inquiété pour sa nomination
d'archivaire en 1593 et ses liens avec Charles de Casaulx que pour les deux sonnets qu'il
donne dans l'édition de 1595. Il ne semble pas avoir pris une grande importance à la
préparation de ce travail qui est totalement l'œuvre de Paul ; ce dernier insiste plusieurs
fois pour sa publication et, ne l'oublions pas, place ses propres poèmes après les œuvres
de son « neveu ».
Le texte relationnel, si développé chez Bellaud et Paul, quelque peu effacé chez
Tronc, est présent dans l'œuvre de Ruffi. Nous découvrons là les fonctions communes
de la poésie qui entend célébrer les événements les plus divers : naissances, décès, mariages, fêtes… Cette thématique révèle un réseau d'amitié que nous ne retrouvons pas
chez Paul, Bellaud ou Tronc. Chose normale, pour ces deux derniers poètes : Bellaud
est mort en 1588 et Tronc, salonnais, est quelque peu en retrait des milieux littéraires
provençaux. Ce fait est néanmoins plus curieux pour Pierre Paul. Les deux poètes se
connaissent, la preuve nous en est donnée par la participation de Ruffi à l'édition de
Bellaud et par l'ode adressée pour L'Autounado, mais les personnes citées dans l'œuvre
de Ruffi semblent ne pas faire partie des amis de Paul. Les Balthasar Catin, Germain
Salomon et autres Barriere ne sont pas mentionnés par l'éditeur de Bellaud. Ce dernier
est lié aux milieux littéraires provençaux, cette société animée par Guillaume du Vair à
Marseille dans sa bastide de la Floride. Il n'est jamais question de Guillaume du Vair et
de la Floride chez Ruffi, ni des amis poètes cités par Pierre Paul : Marc-Antoine d'Espagnet, Estienne d'Auzier notamment. Il est cependant étonnant que la collaboration des
deux poètes marseillais puisse être effective sans qu'ils fréquentent les mêmes lieux.
Nous serions tenté d'évoquer la probable perte de quelques pièces qui pouvaient mettre
en relation, par exemple, Ruffi et les protecteurs de Paul. Il serait difficile d'expliquer
l'exclusion totale de l'archivaire marseillais du cercle de la Floride où se retrouvaient les
meilleurs poètes provençaux. Néanmoins, il est évident que les deux poètes s'opposent
sur bien des points : Pierre Paul n'est absolument pas versé dans les recherches
59 Nous donnons dans l'introduction et le commentaire des Plazers les correspondances textuelles qui nous semblent
être les plus significatives.
60 Ce poème écrit peu après 1596 et inséré dans L'Autounado entendait dégager Pierre Paul de toutes ses
responsabilités politiques dans l'édition de 1595. Cf. L'Autounado, p. 9-10, fo xi r°.
�archivistiques ou historiques et ses poésies ne révèlent aucune préoccupation religieuse
si ce n'est une pièce de circonstance qui paraît être guidée par une mode littéraire. 61 Les
deux recueils de Paul ne se préoccupent pas de la morale exceptée celle guidée par les
plaisirs bachiques et érotiques. Pierre Paul est en outre étranger au milieu des juristes
marseillais, ne s'occupant que de commerce. Devons-nous conclure à deux écoles
marseillaises ? Sans envisager deux sociétés littéraires séparées, on peut penser que les
chemins poétiques de Ruffi et de Paul se croisent parfois, se complètent et que Paul
trouve en Ruffi un allié de poids pour l'édition de 1595 et les pièces liminaires de
L'Autounado. En aucun cas ces deux itinéraires se confondent.
La découverte des œuvres de Michel Tronc avait permis de mettre au jour une
société littéraire nettement différenciée du milieu aixois. Nous avons à notre tour révélé
l'existence d'un poète, Honorat Rey, dont les quelques vers que nous connaissons soulignent une situation géo-littéraire originale.62 Il faut réviser certaines positions trop tranchées : la Renaissance provençale du XVIe siècle ne se concentre pas uniquement autour d'un axe Aix-Marseille et même à Marseille, les situations peuvent être fort différentes. N'oublions pas que Paul n'est marseillais que par son mariage et son œuvre
échappe quelque peu à la cité phocéenne, du moins à cette identité fortement exprimée
par Ruffi et qui est originale dans l'ensemble provençal. L'éditeur de Bellaud semble
être totalement lié aux différents pouvoirs et tente de s'insérer dans la société littéraire
provençale. Nous ne trouvons pas cela chez Ruffi qui fréquente probablement les
mêmes milieux, mais qui reste en retrait, comme retenu par des erreurs passées, cultivant peut-être une différence « foucido ».
La Littérature française
Les modèles littéraires qui s'imposent à la littérature occitane de la Renaissance
ne sont pas autochtones : peu de poètes lisent les Troubadours et s'ils les lisent, c'est
souvent à travers l'édition des Vies de Jean de Nostredame parue en 1575. Nous savons
que les échanges culturels et littéraires sont tels à la Renaissance que les poètes français
et en premier ceux de la Pléiade trouvent leurs modèles chez les Italiens, Pétrarque et à
sa suite tous les pétrarquisants qui fleurissent dans la péninsule. Les diverses Raccolte
qui paraissent successivement dans le XVIe siècle jouent un grand rôle et au début du
siècle suivant, la présence à Paris de Giovan Battista Marino n'est pas sans effet sur les
lettres françaises. Dans ce concert d'échanges et de foisonnements poétiques, les écrivains occitans tentent d'élaborer diverses stratégies.
La première, dans le temps, se construit en « voie haute », et entreprend de
rivaliser avec les autres littératures et de prouver l'antécédence du texte
troubadouresque. C'est celle observée par Jean de Nostredame et dans une moindre
mesure par Robert Ruffi.
La seconde subit les effets des fonctionnements diglossiques et les accepte,
intériorisant ces nouvelles composantes dans une poésie qui joue astucieusement sur les
refus, les dominances et les répartitions. C'est celle de Bellaud de la Bellaudière et de
Pierre Paul. La voie haute initiée par Nostredame est abandonnée ; elle nécessitait des
61 Pierre Paul reçoit d'un nommé Essotier un exemplaire manuscrit de la paraphrase du psaume 137 Super Flamina
Babilonis de Jacques Davy du Perron et écrit lui-même Quelque peu de traduction du pseaume estant assis aux rives
aquatiques, cf. L'Autounado, fo lxiii et fo lxxxi v°-lxxxii r°.
62 Cf. notre article « Un Poète inconnu du XVIe siècle : Honorat Rey », Lengas, n°34, Montpellier, 1993, p. 111125.
�repères linguistiques littéraires que les écrivains d'oc n'avaient généralement pas, une
conscience culturelle et un soutien du pouvoir.
Qu'en est-il de l'imitation dans ce contexte particulier? On sait que la théorie de
l'imitation, depuis la mimèsis aristotélicienne, préoccupe les poètes de la Renaissance
pétris d'Antiquité et qui entendent restaurer l'idéal de beauté inspiré par la lecture des
œuvres grecques et latines. Il nous faut ici instaurer une différence entre ce qui nous
paraît être de l'ordre de la mimèsis et ce qui relèverait d'une mimèsis diglossique.
Les fonctions mimétiques existent dans toutes les littératures. Elles font partie de
ces échanges culturels et littéraires dont nous parlions et qui nourrissent les corpus
textuels. C'est ainsi que nous pourrions relever sous tel ou tel poème de Ronsard ou de
Du Bellay des traces évidentes d'emprunts aux pétrarquisants italiens, mais au-delà de
l'emprunt, ce sont des capacités à modifier et à amplifier l'emprunt dont il est question.
Or il est indéniable que les poètes français de la Renaissance ont peu à peu, dans chaque
œuvre et par un réseau très dense de relations littéraires, modifié et amplifié leurs
emprunts pour donner naissance à un texte autochtone qui va lui-même essaimer vers
d'autres littératures. C'est le cheminement normal de toute mimèsis qui entend
développer, sur un mode d'imitation, les potentialités linguistiques et littéraires d'une
culture.
Dans le cadre de la littérature occitane, il y a bien mimèsis, mais relayée par la
diglossie, elle empêche toute extension hors du modèle choisi. Le modèle s'impose, bien
plus qu'il ne propose et reste figé, conduisant le texte occitan dans la juste reproduction
littéraire qui lui permet de se différencier linguistiquement. Il s'agit d'un calque mis en
place et qui ne pourrait être modifié.
Ruffi échappe pourtant quelque peu à ce schéma. Nous savons que Lous Plazers
sont inspirés de Guy du Faur de Pibrac, mais il ne s'agit pas ici d'un simple calque. Il
semble, dans un premier temps, que ce texte reproduise simplement les délices de la vie
rustique, les plaisirs arcadiques de la campagne, mais il n'en reste pas à la description
idyllique du terroir marseillais et s'inscrit dans une problématique bien différente. Ruffi
utilise ici son modèle, l'adapte à la situation marseillaise à des fins qui ne sont pas que
poétiques. Certes il est beaucoup question du terroir et de ses abondantes productions,
mais ces fruits ne seraient rien, pour Ruffi, s'ils n'étaient pas intrinsèquement marseillais
et c'est cette lecture liée à l'identité de la ville qui place le texte hors de son modèle
originel. Chez Pibrac, il n'est question que d'évoquer des plaisirs ruraux dans
l'acceptation du genre poétique et les limites de la thématique choisie. Ruffi détourne le
modèle, le transpose et le modifie pour écrire un poème qui se veut un hymne aux
bontés et aux joies campagnardes, mais aussi une glorification de Marseille et de son
terroir.
Les Quatrains, toujours inspirés de Pibrac, nous paraissent par contre aller dans
le sens d'une mimèsis diglossique. Ils gauchissent quelque peu la morale originelle, non
pas au niveau de son contenu, mais au niveau du destinataire qui est manifestement,
pour Ruffi comme pour Ader ou Meynier, d'un rang social nettement inférieur à celui de
Pibrac. Le poète français écrit pour une certaine société et Ruffi pour une autre. Ici, il
semble que l'imposition du modèle et le passage à l'occitan s'accompagnent d'une
réduction du message et d'une adaptation aux besoins immédiat d'un lectorat occitan,
dont on ne sait pas grand chose, mais qui devait de toutes façons ne pas être du même
rang que celui de Pibrac. La mimèsis crée un texte, mais le fige dans sa destination
limitée dans le temps et l'espace humain.
�À travers ces deux exemples, il nous faut constater que Ruffi se situe encore sur
une position médiane. Nous serions alors tenté de discerner un poète s'impliquant
davantage dans le texte, l'inscrivant par des présupposées identitaires et culturelles dans
un ensemble qui tente d'imprimer au modèle des formes autonomes et un autre poète qui
accepte pleinement les répartitions et les destinations imposées par l'imitation. Ces deux
poètes peuvent-ils être distingués dans le temps? Peut-on, comme pour les œuvres
historiques de Jean de Nostredame, dater un changement notoire de conscience
culturelle ? Il est difficile de conclure, car la datation de ces deux ensembles est
difficile. Il est également possible que, tel Janus, Ruffi ait deux faces, deux consciences
tour à tour guidées par les événements et se contredisant quelque peu. Il est toutefois
évident que les potentialités littéraires qui régissent une quelconque résistance aux
fonctionnements diglossiques (ou du moins une adaptation qui ne soit pas une pure
acceptation) ne peuvent que s'atténuer au fil du temps. En ce sens, l'apparition d'une
littérature provençale en français ne peut que troubler l'ordre établi, littérature à laquelle
Ruffi participe.
Les modèles qui s'imposent à Ruffi ne sont pas différents de ceux qui transparaissent dans les œuvres de ses contemporains. L'influence de Pibrac est primordiale,
mais ici rien de bien original, car le succès des Quatrains du poète français est
considérable. Ader reconnaît également son dû à son illustre devancier et il est
vraisemblable qu'une édition critique des Quatrains d'Honorat Meynier mènerait aux
mêmes conclusions.
Nous pouvons également apercevoir sous tel ou tel poème une influence assez
nette de Ronsard, notamment dans les Contradictions d'Amour, ce qui apparaît pour le
moins normal au regard de la thématique choisie. 63 En ce sens, le texte majeur qui
s'impose comme modèle est bien celui de la Pléiade. Ruffi cite certes en un endroit
Dante et Pétrarque (XXVI, v. 126), mais nous n'avons aucune preuve de sa lecture dans
une édition italienne contrairement à Jean de Nostredame qui paraît bien être le seul
écrivain occitan à lire les poètes toscans dans leur langue originale.
Les écrivains de l'Antiquité jouent enfin un rôle que l'on aurait tort de négliger.
En ce sens, Ruffi occupe encore une position originale. Il est certainement bon latiniste,
comment pourrait-il en être autrement pour un historien, un archiviste et un notaire ?
Contrairement à Bellaud et à Paul qui semblent être nourris de « latin de cuisine »
commun à tous les Basochiens, Ruffi lit et cite les noms des grands écrivains de
l'Antiquité qu'il a lu soit directement (certainement Virgile, Horace et Cicéron) ou
indirectement comme Plutarque dans la traduction d'Amyot. Mais nous sommes ici dans
une situation de pleine normalité pour un homme formé aux études humanistes et on ne
saurait conclure à une exception dans le concert des écrivains de la Renaissance. Cette
formation linguistique et culturelle tranche vraisemblablement avec celle de ses
contemporains provençaux (Nostredame excepté). Les références latines sont assez
nombreuses chez Bellaud et Pierre Paul, mais elles correspondent à une pratique
culturelle inspirée de la basoche ; rien ne laisse transparaître une grande connaissance
des littératures de l'Antiquité.
La Littérature française en Provence
63 Nous exposons dans le commentaire de chaque pièce ces différentes influences et autres croisements d'écritures.
�L'apparition de la littérature française en Provence en cette fin de siècle est un
phénomène nouveau qui doit être remarqué. Jusqu'à cette date, les manifestations
littéraires en français étaient marginales, le plus souvent le fait d'écrivains originaires de
France et qui accompagnaient leurs protecteurs en Provence. Pour la première fois, des
Provençaux écrivent dans la langue du roi des œuvres conséquentes et qui ne sont pas le
fait du hasard. À cet égard, il nous semble que l'importance de Henri d'Angoulême et de
la société qu'il anime à Aix de 1576 à 1586 a été correctement soulignée par les
différents critiques qui se sont attachés à cette période. 64 Notons toutefois que Henri
d'Angoulême n'est pas seul en Provence, mais accompagné par deux « secrétaires » dont
un connaîtra une destinée poétique exemplaire : François de Malherbe. Le second,
Siméon-Guillaume de La Roque, mériterait certainement une place plus importante dans
le panthéon des lettres françaises.65 Notons également que l'influence du Grand-Prieur ne
saurait être surestimée : il n'arrive en Provence qu'en 1576-1577 et ne crée pas de toutes
pièces une littérature française. Des potentialités littéraires existaient et il fédère autour
de lui tous ces jeunes gens qui deviendront des poètes accomplis (les premières productions de cette génération née vers 1550 sont publiées à la fin du siècle). Il existe certainement un effet d'entraînement réciproque qui place Malherbe et ses contemporains
provençaux dans une situation idéale. Nous savons que Bellaud participe à cette société
dont on retrouve, en filigrane, les principaux personnages dans les Passatens. Ruffi ne
semble pas avoir été un membre actif de cette société littéraire (n'oublions pas qu'il est
marseillais et non aixois). Il n'a que des relations éphémères avec Henri d'Angoulême et
célèbre surtout sa politique.
Ruffi n'est pas un membre conséquent de « l'école aixoise » qu'il ne fréquente
certainement pas. Son enracinement marseillais est pour lui chose importante et l'édition
de 1595 lui donne certainement les moyens de publier dans les pièces liminaires sans
qu'il soit véritablement reconnu comme écrivain. Sa présence est essentiellement due à
sa notoriété qui le place au premier rang de l'élite intellectuelle soutenant Charles de
Casaulx. Son œuvre n'est pas publiée ; elle ne rencontre donc pratiquement aucun écho :
nous ne trouvons nulle part trace de sa présence ni dans les diverses pièces liminaires
qui accompagnent les recueils des poètes provençaux ni dans le corpus même de ces
œuvres. Nous avons vu que seule L'Autounado renferme une Odo conséquente. Pierre
Paul est mieux intégré à la littérature française que son compatriote marseillais : il reçoit
des poèmes de César de Nostredame, de Faucheran de Montgaillart, de Pierre de
Deimier qui lui dédie un sonnet en occitan. Le nom même de Ruffi n'apparaît nulle part.
Aucune insertion littéraire, peu ou pas de relations avec ses contemporains, Ruffi
semble donc un écrivain isolé. Il partage cependant avec les autres poètes provençaux
un intérêt évident pour la thématique religieuse. Nous avons vu que cette thématique se
développe à la fin du siècle, soutenue par les efforts de la Contre-Réforme tridentine. De
1593 à 1621, onze recueils, tous écrits dans la même veine, voient le jour, du plus
célèbre, Les Theoremes de La Ceppède au plus rare, mais pas le moins talentueux, le
Discours sur la vie et la mort de Jean Caze.66 Relevons également les poèmes de César
64 Notons surtout les études d'Auguste Brun : Malherbe avec les Arquins, Gap, 1955, Aix au temps de Malherbe,
Gap, 1955, d'Edouard Aude, La Poésie en Provence au temps de Malherbe, Aix-en-Provence, 1924. Nous trouvons
dans les recherches de René Fromilhague consacrées à Malherbe quelques éléments intéressant notre propos. Citons
notamment La Vie de Malherbe, Armand Colin, Paris, 1954.
65 Sur La Roque cf. Poésies. Amours de Phyllis et diverses amours (1590), édition critique établie par Gisèle
Mathieu-Castellani, Nizet, Paris, 1983.
66 Nous ne savons rien de Jean Caze qui se présente dans ses recueils comme bourgeois de Marseille. Il publie : DE /
LA PROVIDENCE / DE DIEV CONTRE / LES EPICURIENS / ET ATHEISTES. / PAR IEAN CAZE / Bourgeois &
citoyen de / Marseille. / reueu & augmenté de / nouueau. / [vignette] / A MONTPELLIER, / PAR IEAN GILLET. /
�de Nostredame et de Marc-Antoine Durant dont nous reparlerons à propos de la pièce
XXIX. Ruffi s'inscrit donc, à leur côté, dans cette thématique. Il faut cependant noter
que chez Ruffi la figure du Christ ne prend pas la même importance que chez La
Ceppède ou César de Nostredame par exemple, illustration d'un corpus dolens et d'une
rédemption faite de douleurs et de sang. L'archivaire marseillais insiste beaucoup plus
sur le message moral et les préceptes divins que l'on doit suivre à la lettre.
Ruffi participe, par ses poésies françaises, à cette littérature, mais ces textes sont,
à ce jour, pratiquement inconnus. En était-il de même en son temps ? Il est difficile de
répondre, mais son absence de toutes les pièces encomiastiques des recueils français et
la confidentialité de son œuvre ne plaident pas pour une reconnaissance, même limitée.
À quoi obéit donc cette mince part française si elle ne se rattache pas à une société littéraire et si elle n'est pas publiée ? Il faut ici répondre en distinguant les textes. Les
poèmes d'inspiration religieuse participent à une sorte de pastoralité, propagande de la
foi que la Paraphrase sur le Pater illustre pleinement (XL). Les autres poèmes
apparaissent comme des pièces de circonstance, relationnelles ou politiques, qui
s'adressent directement à une personnalité qu'il convient de louer. Il y a donc, dans les
deux cas, une commande implicite qui détermine l'écriture de ces poèmes.
La littérature française apparaît cependant par touches successives comme modèle imposé puis comme écriture diluée à l'intérieur du manuscrit. Il s'agit à la fois de
l'écriture française, parisienne, de France, et de l'écriture provençale qui utilise
désormais deux expressions linguistiques différenciées. L'œuvre de Ruffi est à la croisée
de ces chemins : elle est profondément provençale, inscrite dans l'identité, révélatrice
d'une conscience culturelle hors du commun, mais elle se découvre également française,
pour une part réduite, mais que l'on ne peut évacuer, française et provençale dans son
cheminement et son intertextualité.
MDCVI. (exemplaire consulté bibliothèque Méjanes d'Aix-en-Provence c 2206, 185 p.) Contient également le
Discours de la vie et de la mort précédemment publié à Nîmes en 1593. Citons également : MEDITATIONS / SVR /
L'HISTOIRE / DE IOB, / MISES EN VERS / PAR / IEAN CAZE, / Bourgeois & citoyen de Marseille. // A
MONTPELLIER / Par IEAN GILLET, / MDCVIII (exemplaire consulté bibliothèque du Musée Paul Arbaud, Aixen-Provence, rés. 72).
�DESTINÉE D'UN TEXTE
ET PRINCIPES D'ÉDITION
L'Édition de 1894
L'édition que donne Octave Teissier en 1894 rompt un silence de plus de deux
cent cinquante ans. Robert Ruffi meurt en 1634 ; ses manuscrits poétiques et historiques
demeurent dans la famille, mais son œuvre reste oubliée. Son petit-fils Antoine lui rend
un hommage discret dans son Histoire de Marseille. Sans l'édition de 1894, Ruffi serait
un des nombreux poètes cités par Bougerel et son manuscrit peut-être perdu ou ignoré.
Avant cette édition, la connaissance de l'œuvre de Robert Ruffi est quasi nulle.
Son nom n'est toutefois pas inconnu. Bougerel cite un poème dans son intégralité
(XXX, [1]) qu'il a certainement recopié sur un manuscrit différent de l'autographe. Il
faut bien admettre une circulation annexe de l'œuvre ; elle consiste en copies diverses
que Ruffi devait effectuer (ou faire effectuer) et que les amateurs de littérature d'oc ont
colligé. Bougerel est dans ce cas.67
Claude-François Achard ne le cite pas dans son Dictionnaire des hommes
illustres, mais seulement Antoine, Louis-Antoine et un religieux du nom de Mathieu
Ruffi qui ne semble pas être de la même famille.68
La source de la connaissance de Ruffi et de son œuvre est liée à Bougerel. Ainsi,
Aubin-Louis Millin cite dans son Voyage Ruffi parmi les poètes de Provence et
mentionne l'existence d'une chronique sur la peste.69 Jean-Baptiste Noulet, à la suite de
Bougerel et de Millin, signale dans l'appendice bibliographique de son Essai l'existence
de Ruffi, du poème sur la peste et d'un sonnet dans les pièces liminaires de l'édition de
1595. Le poète marseillais n'est pas mentionné dans le chapitre consacré à Pierre Paul et
à Bellaud.70
L'érudit marseillais Jacques-Thomas Bory connaît davantage l'œuvre et le
personnage. Dans son étude sur les origines de l'imprimerie à Marseille, il montre une
bonne connaissance des archives marseillaises : il mentionne ainsi la nomination
d'archivaire, les sonnets publiés en 1595 ainsi que les quatre sonnets édités avec le Vray
Discours, tout ce qui peut être connu sans se référer au manuscrit autographe. 71 Il est
vrai que Bory est un chercheur scrupuleux qui connaît bien l'histoire de sa ville et peut
ainsi retrouver la trace de Ruffi dans les archives et les ouvrages les plus rares.
Cependant ce travail qui annonce une meilleure connaissance de l'œuvre et de l'homme
67 Pour les références exactes de l'ouvrage de Bougerel cf. notre bibliographie.
68 Dictionnaire de la Provence et du Comté-Venaissin, dédié à Monseigneur le Maréchal Prince de Beauveau. Par
une société de gens de Lettres. Tome Troisième contenant la première Partie de l'histoire des hommes illustres de la
Provence. A Marseille, de l'imprimerie de Jean Mossy, MDCCLXXXVI. (notices au tome quatrième, p. 180-183).
69 Aubin-Louis Millin, Voyage dans les départemens du Midi de la France, tome III, Imprimerie impériale, Paris,
1808, p. 456.
70 Jean-Baptiste Noulet, Essai sur l'histoire littéraire des Patois du Midi de la France aux XVI e et XVIIe siècles,
Téchener, Paris, 1859. (à la p. 253, n°397 pour le poème sur la peste et 398 pour le sonnet. Noulet renvoie à Millin.)
71 Jacques-Thomas Bory, Les Origines de l'imprimerie à Marseille. Recherches historiques et bibliographiques, V.
Boy, Marseille, 1858, p. 11, 13, 28-29.
�ne peut pas être mené jusqu'au bout en absence du manuscrit autographe. Il faut donc en
conclure que ce volume est demeuré dans les archives familiales jusqu'à la fin de ce
siècle (Bory ne mentionne nulle part son existence).
Camille Chabaneau, en éditant Bougerel en 1886-1888, ne paraît pas avoir fait
de recherches particulières sur le poète marseillais. Il ne cite pas le manuscrit autographe qu'il ne doit pas connaître. Il relève toutefois la versification élaborée de la
Chanson sur la grande peste à laquelle il consacre quelques lignes.
Le travail d'Octave Teissier n'aurait pas pu être réalisé sans l'acquisition de Paul
Arbaud. Ce bibliophile passionné a en effet constitué une bibliothèque imposante sur la
matière de Provence et plus largement sur les différentes curiosités remarquées dans les
ventes et librairies. Paul Arbaud lègue ainsi à l'Académie d'Aix-en-Provence une
collection unique en Provence : faïences, peintures, sculptures, archives de tous ordres,
ouvrages et manuscrits littéraires de première importance.72
Paul Arbaud a donc acquis le manuscrit des œuvres poétiques de Robert Ruffi. Il
est vraisemblable qu'il faisait partie d'un lot d'archives familiales, sans doute vendu par
un des derniers descendants du poète marseillais dans les dernières années du XIX e
siècle. Les cotes sous lesquelles sont enregistrés tous ces documents sont parmi les plus
anciennes. En 1894, Octave Teissier révèle que ce recueil « est resté enfoui, pendant
plus de trois siècles, dans les archives de la famille Ruffi, et qui vient d'être acquis par
M. Paul Arbaud, de la ville d'Aix. »73 Cette acquisition a pu s’effectuer entre 1880 et
1894. Auparavant, il semble bien que ces manuscrits n'ont pas quitté les archives de la
famille Ruffi. C'est donc à une incroyable stabilité que l'on doit la conservation de ce
manuscrit qui n'aurait pas changé de main entre sa date d'écriture et son acquisition par
Paul Arbaud.74
L'édition d'Octave Teissier a donc été effectuée sur le manuscrit original de ces
poésies. Ce n'est pas une édition critique au sens où nous l'entendons de nos jours : le
manuscrit n'est pas détaillé, les poèmes publiés ne sont pas traduits ni commentés. La
lecture est parfois fautive. Teissier a lui-même annoté et corrigé un exemplaire de cette
publication, rétablissant des erreurs manifestes.75
Octave Teissier (1825-1904) était surtout un historien. Sa bibliographie révèle
près d'une centaine d'études et d'articles qui concernent l'histoire de Toulon et du Var,
des monographies communales, des biographies diverses… L'édition de 1894 est sa
seule étude littéraire.76 Octave Teissier qui est né à Marseille dans une famille de
juristes, fut attaché au service des domaines en Algérie de 1840 à 1853, chef de Cabinet
72 Paul Arbaud, né en 1832, est mort le 17 mars 1911. Ses collections et sa bibliothèque sont toujours propriété de
l'Académie d'Aix-en-Provence. Il n'existe pas à ce jour un catalogue autre que celui hérité des classifications de Paul
Arbaud. Néanmoins, nous pouvons assurer que cette bibliothèque est une des plus riches de Provence : outre les
poésies de Ruffi, ce fonds renferme également le manuscrit original et unique des Mémoires Historiques de Jean de
Nostredame et de nombreux exemplaires des recueils des poètes provençaux des XVI e et XVIIe siècles. Signalons
une petite plaquette de présentation du musée (articles de Bernadette de Resseguier, Marguerite Desnuelle et MarieChristine Trouillet) publiée en 1990. Ce musée est installé dans un magnifique hôtel particulier ayant appartenu à
Paul Arbaud dans le quartier Mazarin d'Aix-en-Provence.
73 op. cit., p. 6.
74 Nous avions en un temps indiqué que ce manuscrit avait été égaré. René Nelli l'avait en effet vainement recherché
dans la bibliothèque du musée Arbaud et nous avions nous-même constaté sa perte. Ce recueil était en réalité déclassé
et nous devons à l'obligeance et au dévouement de Madame Marie-Christine Rémy, conservateur de la bibliothèque,
la redécouverte de ce manuscrit.
75 Exemplaire W 431, bibliothèque municipale de Marseille.
76 Peu de choses sur Octave Teissier. Signalons simplement : [E. Poupé], Octave Teissier, s.l., s.d., [1904 ou 1905].
Cette brochure est surtout une bibliographie de l'œuvre critique de Teissier.
�du Préfet du Var de 1853 à 1855, attaché au Cabinet du Préfet des Bouches-du-Rhône
en 1874, archiviste de la ville de Marseille de 1874 à 1877, puis conservateur du musée
et de la bibliothèque de Draguignan de 1889 à 1904. Il est curieux de constater que deux
cent quatre-vingt-un ans après Robert Ruffi, Octave Teissier occupe les mêmes
fonctions !
Cette édition est partielle. Teissier annonce sur le titre de cette publication
Poésies Provençales, mais ne mentionne pas dans son introduction l'existence de
poésies françaises. Oubli volontaire ou sélectif ? Teissier, lié au Félibrige, pouvait-il
présenter Ruffi comme un précurseur des félibres tout en notant les œuvres françaises
de ce dernier ? Il y a là sans doute une difficulté d'analyse qui aujourd'hui pose toujours
problème.
Les poèmes sont souvent cités dans leur intégralité. Quelques uns sont abrégés
(Teissier signale alors par des pointillés ces coupures) ce qui ne grève pas le sens, mais
empêche une analyse plus détaillée et plus profonde (nous pensons surtout aux Plazers).
Voici la liste des poèmes publiés dans l'édition de 1894 :
- sonnet du Grand Prieur (p. 16) : V, en totalité,
- A Monseigneur le Grand Prieur (p. 17) : XV, [5], en totalité,
- Odo a Pierre Paul (p. 25-31) : XXVI, v. 113-152,
- Lous Plazers (p. 33-42) : I, v. 1-212, 255-306,
- Quatrains (p. 43-53) : II, quatrains 86, 87, 90, 92, 93, 94, 99, 108, 65, 73, 74, 76, 80,
83, 84, 100, 107, 46, 54, 85, 7, 39, 63, 3, 6, 14, 20, 28, 45, 53, 59, 68, 77, 89, 95, 5, 9,
15, 19, 21, 26, 31, 33, 35, 40, 48, 58, 49, 50, 72, 78, 109,
- De Vilhesso (p. 54-55) : XXXIX, v. 1-8, 25-38, 87-98,
- Chanson sur la grand peste (p. 56-62) : XXX, [1], en totalité sauf le v. 126,
- Las CorduriÉros (p. 63-64) : IV, en totalité,
- Chanson au retour de la contagion (p. 66-69) : XXX, [2], v. 151-222,
- Contradictions d'Amour (p. 70-78) : VII, en totalité.
Teissier publie 1023 vers, soit environ un tiers du manuscrit. Son édition ne suit pas
l'ordre du recueil.
Tirée à 306 exemplaires, l'édition des poésies de Ruffi ne rencontre pas un grand
succès. Nous avons essayé de retrouver des comptes-rendus ou critiques dans la presse
de l'époque et principalement dans les journaux félibréens. Cette édition ne semble pas
passionner les félibres dans leur ensemble (à une exception près, mais de taille!). Rien
dans La Revue félibréenne de Paul Mariéton, rien dans L'Armana marsihés (ce qui est
bien surprenant), rien dans La Revue des Langues Romanes (il est vrai que l'aspect
« vulgarisateur » et l'absence d'édition critique devait légèrement rebuter les
collaborateurs de la revue habitués à de plus amples travaux). Lou Felibrige de Jean
Monné signale seulement dans son bulletin de juin 1894 la parution de l'ouvrage sans
autre commentaire. Seul L'Aiòli, par la plume de Mistral, sous le pseudonyme de Gui de
Mount-Pavoun, consacre un article à cette publication.
En date du 7 mai 1894, Frédéric Mistral publie un compte-rendu qui a pour
titre : Lou Troubaire Ruffi. Il rappelle l'action du poète marseillais sous la Ligue et
l'édition de 1595 qu'il salue comme : « Un proumié brand de reneissènço, uno espèci de
felibrige — que l'ourganisacioun ié manquè pèr reüssi, venié de se manifesta pèr tout
lou païs prouvençau (…) ». Il cite ensuite trois strophes de l'Odo a Pierre Paul (les
v. 121-144 nettement situés dans un esprit renaissantiste), rappelant que la revendication
exprimée par l'archivaire marseillais préfigure en quelque sorte les prises de position du
Félibrige. Il termine ensuite par trois vers des Plazers qui notent la recette de l'aïoli (v.
�21-23) et conclut par une pointe d'humour : « Es pas de vuei coume vesès, que li pouèto
prouvençau preson la vertu de l'aiòli. » De tous les Félibres, Mistral est le seul à
accorder une place non négligeable aux poésies de Ruffi. Par la suite, il semble bien que
ces poésies bénéficient d'un succès d'estime. Nous n'avons que peu de preuves de leur
lecture ; seul Valère Bernard note dans ses pièces d'archives à la date du 11 août 1895 sa
lecture des poésies de Ruffi.77
Mistral ne cite pas Ruffi dans Lou Tresor dóu Felibrige car cet ouvrage a été
édité avant la publication de 1894. Les notes et citations du Tresor ne tiennent pas
compte de cette œuvre, mais le nom de Ruffi ne lui était pas inconnu.78
Auguste Brun n'a pas consacré d'études à cette œuvre. Il est vrai que Brun se
préoccupe plus, à juste titre, des poètes « inédits » comme Pierre Paul ou Michel Tronc
ou encore de Louis Bellaud de la Bellaudière à qui il consacre quelques travaux. Ruffi
ne semble pas l'intéresser, en premier lieu parce qu'il est déjà édité par Teissier et que
ces poésies dont on ne soupçonne pas « les manques », sont accessibles. En second lieu,
Ruffi apparaît peut-être trop marseillais pour Brun qui centre ses études sur le milieu
aixois. Un chercheur et érudit comme Pierre Bertas est nettement plus intéressé par le
personnage Ruffi et recopie dans ses dossiers les poèmes politiques relatifs à la
réduction de la ville.79 Bertas, fédéraliste, ardent patriote marseillais, ne pouvait que se
préoccuper des principaux acteurs politiques de cette fin de siècle, surtout si, comme
Ruffi, ils proclament leur appartenance à Marseille.
L'histoire de la littérature occitane de Charles Camproux fait une place à l'œuvre
de Ruffi : l'Odo a Pierre Paul est citée et brièvement analysée.80 Fausta Garavini, dans
un ouvrage aux analyses subtiles, insiste sur son insertion dans la littérature occitane et
sur son originalité.81 Quant à Robert Lafont et Christian Anatole, ils choisissent
délibérément de mettre en relief les aspects identitaires de cette poésie.82
L'analyse la plus profonde et la plus originale est effectuée par Robert Lafont
dans Renaissance du Sud.83 Le rôle politique de Ruffi n'est pas passé sous silence,
replacé dans une analyse globale qui traite de l'écriture d'oc en général, mais aussi des
problèmes linguistiques et culturels qui agitent la Provence et tous les pays d’oc.84
L'œuvre de Robert Ruffi a donc attendu deux cent soixante ans après la mort de
son auteur pour être partiellement livrée au public. Un siècle après nous proposons une
édition complète de ses poésies. Près de quatre siècles après son écriture, cette poésie
trouve enfin un lectorat, très différent de celui à qui elle était destinée, mais qui, nous
l'espérons, trouvera encore un intérêt à cette œuvre.
Les Manuscrits de Robert Ruffi
77 Jean-Roger Soubiran, Valère Bernard, Laffitte, Marseille, 1988, p. 192.
78 Mistral cite la date de 1580 dans la notice "Rùfi". Il ne connaît, au moment de la publication de son dictionnaire,
que le poème recopié par Bougerel (Lou Tresor dóu Felibrige, cf. notre bibliographie, vol. 2, p. 822).
79 Il nous faut rendre hommage au travail de Pierre Bertas dont les dossiers sont déposés aux Archives Communales
de Marseille. Le dossier Ruffi montre une connaissance de son action politique et du milieu familial (20 II 258).
80 Charles Camproux, Histoire de la littérature occitane, Payot, Paris, 1953, réed. 1971, p. 100-101.
81 Fausta Garavini, La Letteratura occitanica moderna, Sansoni, Firenze, 1970, p. 33-34.
82 Robert Lafont et Christian Anatole, Nouvelle Histoire de la littérature occitane, 2 vol., Presses Universitaires de
France, Institut d'Etudes Occitanes, Paris, 1970, vol. 1, p. 310-312.
83 Renaissance du Sud. Essai sur la littérature occitane au temps de Henri IV, Gallimard, Paris, 1970. Il est question
de Ruffi aux p. 158-162. Cet ouvrage n'est qu'un extrait d'une thèse de doctorat soutenue en 1964.
84 Cf. notamment en ce qui concerne les prises de positions linguistiques : Jean-François Courouau, Premiers
Combats pour la langue occitane. Manifestes linguistiques occitans XVIe-XVIIe siècles, Biarritz, Atlantica, 2001.
�Le manuscrit des œuvres poétiques de Robert Ruffi se présente comme un
volume de 84 folii. La reliure, en cuir rouge, n'a pas été commandée par Paul Arbaud et
semble dater du XVIIIe siècle (dimensions : 18 / 26 cm). Ce manuscrit est en bon état,
certainement conservé à l'abri des diverses intempéries et dégradations par la famille
puis dans la bibliothèque de Paul Arbaud. La dimension des folii est un peu inférieure à
celle de la reliure : 17,5 / 25,5 cm. Ce manuscrit porte la côte MQ 111 dans le fichier de
la bibliothèque du musée Paul Arbaud.
À l'intérieur de la reliure, face au premier folio, se trouve un timbre figurant l'ex-libris
de Paul Arbaud : « Ex-libris Paul Arbaud. Mi Fan-Gau ».
Sur le premier folio, qui n'est pas numéroté, figure au recto la côte MQ 111.
Le verso est vierge.
Suit un autre folio non numéroté sur lequel nous lisons au recto : Oeuvres / poetiques de
/ Robert de / Ruffi escuyer / de Marseille. En dessous se trouve apposé le timbre de
l'Académie d'Aix-en-Provence et du musée Arbaud.
Le verso est vierge.
Suit un autre folio dont le recto et le verso sont vierges.
Vient ensuite le fo 1 ro : « Yeou canti lous plazers… »
Le manuscrit comporte quelques folios vierges. Ce sont : fo 21 r° et v°, fo 30 r° jusqu'au
fo 37 v°, fo 41 v°, fo 53 v°, fo 84 v°.
Un folio est bissé : le fo 15.
Sur la reliure, après le fo 84 v°, une enveloppe est collée. Sur cette enveloppe nous
lisons dans une écriture du XIX e siècle : « Pièce provençale sur la mort de Marseille
d'Altovitis composee par Robert de Ruffy. ms 38 vers. » Cette enveloppe est vide. Il devait s'agir d'un poème de Ruffi qui n'avait pas dû être relié avec les autres et qui a été
égaré après l'acquisition de Paul Arbaud. Ce fait, ainsi que le nombre de folii vierges,
laisse penser que la reliure effectuée au XVIII e siècle a passablement bouleversé un
ordre originel et laissé de côté quelques pièces.
L'écriture de ce manuscrit est autographe de Robert Ruffi. Nous avons pu la
comparer avec celle de ses Mémoires ainsi qu'avec celle de son Livre de Raison. Elle ne
diffère pas des pratiques scriptiques des XVI e et XVIIe siècles, mais n'est pas très
difficile à lire. Nous n'avons pratiquement pas eu recours à un manuel de paléographie
moderne (citons toutefois : Gabriel Audisio, Isabelle Bonnot-Rambaud, Lire le français
d'hier. Manuel de paléographie moderne XVe-XVIIe siècle, Armand Colin, Paris, 1991).
Deux autres écritures sont présentes dans ce manuscrit : au fo 43 v°, un scripteur, sans
doute un descendant du poète, a recopié un sonnet édité dans les pièces liminaires de
l'édition de 1595 (XIV). Nous datons cette écriture du XVIII e siècle. Au fo 84 r°, un
autre scripteur, copie un poème d'Anne de Ruffi (XLI). Cette écriture date du XVIII e
siècle.
Un autre manuscrit, conservé au musée Paul Arbaud sous la côte MQ 112, est
autographe de Robert Ruffi. Il s'agit d'un fort volume (dimension : 20 / 27 cm) aux folii
de dimensions différentes. Ce volume renferme les Memoires de Robert Ruffi. Sur le
premier folio, Louis-Antoine de Ruffi a vraisemblablement écrit ces mots : « Memoires
de Robert de Ruffi / mon bisayeul sur l'histoire et les / antiquites de Marseille escrittes
de / sa main ». Deux lettres (mm) figurent après cette phrase. Un timbre de l'Académie
d'Aix-en-Provence et du musée Paul Arbaud est apposé en bas de folio.
�La numérotation de ce manuscrit est totalement anarchique et il faudrait en adopter une
nouvelle qui tienne compte de l'ensemble de ce corpus (seuls quelques folii ont été
numérotés). Wolfgang Kaiser a semble-t-il adopté une nouvelle numérotation (il donne
une indication des pages citées), mais pour notre part, en attente d'un travail plus précis
sur cette œuvre, nous ne renverrons pas à une numérotation qui n'est pas encore établie
de manière définitive.
Ce manuscrit renferme une histoire de Marseille de l'Antiquité jusqu'au début du
e
XVII siècle. Il commence par une profession de foi qui ressemble fort à une
justification (nous en publions les premières lignes dans le chapitre consacré à la
nomination d'archivaire). L'ouvrage d'Antoine de Ruffi est nettement inspiré par les
travaux de son grand-père. Il conviendrait, dans un travail d'historien qui n'est pas le
nôtre, de rendre justice à ce travail et de le situer à sa juste place.
Les archives familiales de la famille Ruffi sont également conservées dans la
bibliothèque du musée Paul Arbaud. Il s'agit :
MQ 101 : Généalogies de la famille De Ruffi (1159-1658)
MQ 102 : Généalogies de la famille De Ruffi (1658-1714)
MQ 103 : Baptêmes et décés de la famille De Ruffi (1496-1639) - (1538-1662)
Nous trouvons plusieurs fois l'écriture de Robert Ruffi dans ce dernier manuscrit,
notamment sur des petits folii où l'archivaire marseillais recopie les actes de baptême de
ses enfants.
MQ 104 : Mariages (1535-1759)
MQ 105 : Testaments de la famille De Ruffi (1588-1780)
MQ 106 : Actes divers de la Famille De Ruffi (1539-1776)
MQ 107 : Inventaires & Reconnaissances de la famille De Ruffi (1643-1780) - (15511733)
MQ 108 : Inventaires & Reconnaissances de la famille De Ruffi (actes du XVIIIe)
MQ 109 : Livre de Raison de la famille De Ruffi (1542-1689)
C'est ce manuscrit qui renferme le Livre de Raison de Robert Ruffi : Memorial des afferes qui concernent moy Robert Ruffi notaire royal de Marseille. Cette page de titre est
ornée de citations et de devises latines : « Virescit vulnere virtus / in omni opere deum
pre oculis habent / Nec labis virtus nec bene parta querunt » notamment et de
magnifiques signatures stylisées. Ce Livre de Raison consigne les actes de la vie
quotidienne et surtout les reconnaissances de dettes et autres transactions.
MQ 110 : Inventaires (relatifs au XVIIIe).
Viennent ensuite les deux manuscrits MQ 111 et MQ 112, puis MQ 113 qui concerne
l'inventaire des sacs du notaire Antoine de Ruffi (descendant de Robert). MQ 113 et
MQ 114 sont des extraits des travaux historiques d'Antoine et de Louis-Antoine de
Ruffi.
Principes d'édition et conventions
Nous avons eu comme principe de respecter au plus près le manuscrit
autographe de Ruffi : graphie, agencement des pièces, chronologie. Nous nous écartons
une seule fois du manuscrit, à propos du poème XV [5] qui paraît avoir été déplacé lors
de la reliure.
�Nous avons parfois classé ces poèmes dans un seul ensemble. Il nous a paru
judicieux de regrouper des textes relatifs à un événement précis et qui avaient été
ordonnés dans ce but. C'est ainsi par exemple que les quatorze sonnets des
Contradictions d'Amour sont regroupés en VII, puis sous une numérotation de notre
fait : [1], [2]…
La numérotation des folii apparaît entre crochets à gauche.
Une introduction précède les textes les plus importants (pour les autres un court
commentaire suit la traduction).
Nous avons adopté la présentation suivante :
- Texte dans la langue originale (précédé ou non par une introduction)
- Traduction française
- Commentaire.
Le texte original est annoté. Les notes et renvois de bas de page correspondent à
l'établissement du texte. Nous y établissons les PV (premières versions) écrites par Ruffi
et les distinguons des secondes et définitives quand cela a été possible de lire sous les
ratures et les taches d'encre. Dans le cas contraire, nous marquons par […] notre lecture
défaillante ou par (?) une incertitude.
Nous proposons une numérotation des vers généralement quatre par quatre pour
respecter les rimes. Pour les sonnets, nous proposons la numérotation 4, 8, 11, 14 qui est
conforme à la structure en quatrains et tercets.
Certains poèmes portent un titre. Il figure en italique au début du texte, dans une
reproduction fidèle à sa configuration spatiale. Il nous arrive de donner un titre à un
texte pour plus de commodités. Il figure alors en romain et entre crochets [ ].
Nous proposons une traduction française pour les poèmes occitans et latins. Cette
traduction a été parfois difficile à établir et le commentaire du texte détaille les
problèmes linguistiques rencontrés. Ici l'absence de dictionnaires et de répertoires sur la
langue d'oc du XVIe siècle ne facilite pas la tâche. Notre traduction essaie de suivre le
texte « à la lettre » ; elle ne vise aucun but littéraire et se contente de donner un sens de
lecture. Notre édition ne comporte pas une note linguistique proprement dite. Nous
avons dans notre thèse de doctorat intégré ce texte dans une explication plus générale
sur les différentes pratiques linguistiques en cours au XVIe siècle. Nous pensons qu'un
travail d'ordre philologique devrait être mené sur ce texte, mais il nécessiterait un
espace considérable qui ne trouverait pas sa place dans cette édition.
Pour les mises au point d'ordre linguistique nous nous référons parfois à l'occitan
moderne, graphié alors dans sa graphie normalisée (mots soulignés). Les étymons latins
sont donnés soulignés.
Le commentaire établit les différentes difficultés linguistiques, note les correspondances
textuelles, remarque les particularités de la versification et propose parfois une
explication historique ou littéraire.
Nous avons scrupuleusement respecté la graphie de Robert Ruffi. Nous
distinguons seulement i et j, u et v qui ne le sont pas toujours dans le manuscrit et ceci
pour une plus grande commodité de lecture. Pour la même raison, nous avons établi
l'apostrophe, réduit certaines coupures, souligné les abréviations. Nous proposons
parfois une restitution entre crochets [ ]. Nous établissons des majuscules aux noms
propres ainsi qu'à « Amour » quand celui-ci est pris dans un sens allégorique.
Ce manuscrit ne comporte ni ponctuation ni accent. La ponctuation proposée est
donc établie par nos soins. Nous ne restituons aucun accent : au XVIe siècle, ils sont le
�fait des imprimeurs; aucun manuscrit en occitan que nous avons pu lire ne comporte des
accents.
Nous avons respecté la figuration spatiale des poèmes, les alinéas au début des
vers quand ceux-ci sont nettement marqués ainsi que la distribution strophique des
sonnets quand elle se dessine dans le manuscrit. Sur ce point, il ne semble pas que Ruffi
ait fait preuve d'une grande rigueur. Il est vraisemblable qu'une édition de ses poèmes
aurait été plus en accord avec les pratiques observées dans les autres recueils publiés.
Les textes en français n'ont pas été normalisés. Les voyelles toniques n'ont pas
été accentuées. Nous pensons qu'il convient de restituer fidèlement le français de Robert
Ruffi afin de privilégier un travail philologique qui établirait les possibles interférences
entre occitan et français.
�BIBLIOGRAPHIE
L'œuvre de Robert Ruffi n'a pas suscité beaucoup de commentaires. Avant 1894,
seul Joseph Bougerel cite un poème sans doute d'après une copie manuscrite : Parnasse
provençal ou les poètes provençaux qui ont écrit depuis environ le milieu du seizième
siècle jusqu'à présent par le Père Bougerel, prêtre de l'oratoire, édition de Camille
Chabaneau, Maisonneuve, Paris, 1888 (paru auparavant dans deux livraisons de la
Revue des Langues Romanes en 1886 et 1888). Il est question de Ruffi aux pages 180184, 287-289. Sur Bougerel, peu d'études; relevons simplement ce qu'en dit Philippe
Gardy dans sa thèse de doctorat : L'Ecriture occitane aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.
Origine et développement d'un théâtre occitan à Aix-en-Provence (1580-1730).
L'Oeuvre de Jean de Cabanes, 2 vol., Centre International de Documentation Occitane,
Béziers, 1986 (vol. 2, p. 1003-1028).
L'édition d'Octave Teissier est le véritable point de départ de la connaissance de
cette œuvre : Poésies Provençales de Robert Ruffi (XVI e siècle), Librairie provençale de
V. Boy, Marseille, 1894.
Dans la thèse de doctorat de Robert Lafont, il est longuement question de la situation de Robert Ruffi : Renaissance du Sud. Essai sur la littérature occitane au temps
de Henri IV, Gallimard, Paris, 1970 (p. 158-162).
Dans les années 1970, quelques poèmes de Robert Ruffi sont édités dans diverses publications :
René Nelli, La Poésie occitane, Seghers, 1972 (p. 100-103, publication du sonnet VII
[12])
Anthologie des Baroques occitans, texte avec traduction, une introduction et des notes
par Robert Lafont, Aubanel, Avignon, 1974 (p. 161-164, publication du sonnet VII [8]
dans une graphie normalisée)
« Les Contradictions d'Amour. Robert Ruffi. (extraits) traduction et adaptation du texte
provençal à l'occitan normalisé par René Nelli”, Carrefour de Provence, n°14,
« L'Amour courtois », printemps 1975, p. 22-28 (publication des sonnets VII [5], [8],
[11], [13], [12], [14]).
Nous avons récemment donné une édition de quelques sonnets dans une revue
de poésie : « Contradictions d'Amour de Robert Ruffi », Banana Split, n°19, Marseille,
1987, p. 53-56 (publication des sonnets VII [12], [13], [14]).
Les Contradictions d’Amour ont été publiées intégralement dans :
Contradiccions d’Amor - Contradictions d’Amour, présentation et traduction de JeanYves Casanova, Biarritz, Atlantica, 2000.
L’Odo a Pierre Paul a été publiée in : Jean-Yves Casanova, « L’Odo a Pierre
Paul de Robert Ruffi », Lengas revue de sociolinguistique, Montpellier, 1999, N°46,
�p. 113-128 et reprise in Jean-François Courouau, Premiers Combats pour la langue
occitane, op. cit., p. 97-110.
Plusieurs études ont été consacrées à Robert Ruffi :
Jean-Yves Casanova, « Le Rôle de l'identité dans le texte littéraire de Robert Ruffi »,
Revue des Langues Romanes, tome xc, n°2, « l'Identité occitane ? », Montpellier, 1986,
p. 181-188.
Philippe Gardy, « Réalisme ou Arcadie : Pey de Garros et Robert Ruffi », Pey de
Garros (ca. 1525-1583). Actes du colloque de Lectoure (28, 29 et 30 mai 1981) réunis
par Jean Penent, Centre d'Etudes sur la Littérature Occitane, Centre International de
Documentation Occitane, Béziers, 1988, p. 113-126.
Jean-Yves Casanova, « Allégeance diglossique au XVIe siècle. Texte politique et
langue occitane en Provence (1583-1610) », Cahiers Critiques du Patrimoine, n°4, « La
Langue Indicible (Constitution diglossique, langue et littérature occitanes, au XVIe
siècle en Provence)”, Marseille, 1989, p. 71-97 (publication des poèmes XV [5], XVI
[2], [4], [6] et XXXI).
Jean-Yves Casanova, « Croisements d'Ecritures au XVIIe siècle : Guy du Faur de
Pibrac, Guilhem Ader et Robert Ruffi », Guilhem Ader (1567?-1638). Actes du
colloque de Lombez (21-22 septembre 1991) réunis par Philippe Gardy, Centre
d'Etudes de la Littérature Occitane, Centre International de Documentation Occitane,
Béziers, 1992, p. 193-203.
Les œuvres des poètes provençaux contemporains de Ruffi permettent d'éclairer
le réseau intertextuel. Nous citons généralement dans le corps de cette édition les références indispensables. Pour trois œuvres qui reviennent avec insistance, nous exposons
ici une description :
OBROS, ET / RIMOS PROV- / VENSSALOS, DE LOYS / DE LA BELLAVDIERO, /
Gentilhomme Prou- / uenssau. // REVIOVDADOS PER PIERRE / PAVL, ESCVYER DE
MARSEILLO. // DEDICADOS, // AS VERTVOVZES, ET GENEROVZES / Seignours,
LOVYS D'AIX, & CHARLES / DE CASAVLX, Viguier, & premier Conssou, / Capitanis
de duos GalÉros, & Gouuernadours de l'anti- / quo Cioutat de Marseillo. // [vignette
aux armes de la ville] // A MARSEILLE, // PAR PIERRE MASCARON. // Auec permission desdits Seigneurs. // 1595. (180 pages). Dans le même volume se trouvent :
LE DON-DON / INFERNAL, OV / SONT DESCRITES EN / LANGAGE
PROVENCAL, / les miseres, & calamitez / d'vne prison. // PAR LOVYS DE LA
BELLAVDIERE, / Gentilhomme prouençal. // [vignette aux armes de Marseille] // A
MARSEILLE. / 1595. (Pagination à la suite des Obros et Rimos).
LOVS PASSA / TENS DE LOVYS / DE LA BELLAVDIERO, / GENTIL-HOMME /
Prouuenssau, // MES EN SA LVZOVR, PAR / Pierre Paul, Escuyer de Marseille. //
[vignette aux armes de la ville] // A MARSEILLE, / 1595. (130 pages + 8 pages de table
+ 1 page non numérotée à la suite comprenant trois quatrains d'hommage).
Nous avons utilisé une réédition d'après une reproduction photographique : Laffitte,
Marseille, 1974. L'histoire des éditions de ce livre est mouvementée. Pour les différents
exemplaires localisés et les différentes éditions cf.. François Pic, « Essai de
bibliographie de Louis Bellaud de la Bellaudière (Grasse, 1543 - Grasse, 1588) », Louis
Bellaud de la Bellaudière (1543?-1588). Actes du colloque de Grasse (8-9 octobre
1988) réunis par Georges Gibelin, Association Historique du Pays de Grasse, Section
Française de l'Association Internationales d'Etudes Occitanes, Montpellier, 1993,
p. 129-159.
�Pierre Paul a publié dans le même volume, à la suite des œuvres de son « neveu » :
BARBOVILLAD- / DO, ET PHANTA- / ZIES IOVRNALIÉROS, / DE PIERRE PAV,
ESCVYER / DE MARSEILLO. // [vignette aux armes de Pierre Paul (un lion surmonté
d'une étoile, traversé par une colonne avec la devise « Superbia humilitati sucumbit”)] //
A MARSEILLE, // PAR PIERRE MASCARON. / 1595 (68 pages).
Nous devons encore signaler de Pierre Paul :
L'Autounado est partiellement publiée in : Poètes Provençaux du XVIe siècle, Pierre
Paul, Michel Tronc, Annales de la faculté des lettres d'Aix-en-Provence, Ophrys, Gap,
1957 (p. 7-104).
Nous donnons pour chaque texte cité la page où il figure dans l'édition d'Auguste Brun
et la foliotation originelle du manuscrit. Quand il s'agit d'un texte qui n'a pas été publié
par Brun, nous ne donnons que la foliotation du manuscrit.
Une édition critique récente des Obros et Rimos de Bellaud de la Bellaudière a
été publiée : Louis Bellaud de la Bellaudière, Obros et Rimos (Sonnets et autres rimes
de la prison), édition de Sylvain Chabaud, Montpellier, Presses Universitaires de la
Méditerranée, 2010.
Afin de résoudre certains problèmes historiques, nous faisons référence à
quelques ouvrages qui sont cités dans le corps de notre commentaire. Reviennent
cependant souvent :
HISTOIRE / DE LA VILLE / DE MARSEILLE, / CONTENANT / TOUT CE QUI S'EST
PASSE' DE PLUS / mémorable depuis sa fondation, durant le tems qu'elle a / été
République & sous la domination des Romains, / Bourguignons, Visigots, Ostrogots,
Rois de Bourgogne, / Vicomtes de Marseille, Comtes de provence & de nos / Rois TrèsChrêtiens. // RECUEILLIE DE PLUSIEURS AUTEURS / Grecs, Latins, François,
Italiens & Espagnols, & des Titres tirés des / Archives de l'Hôtel de Ville, des
Chapitres, AbaIes & Maisons / Religieuses de Marseille, & de divers lieux de Provence.
// Par feu M. ANTOINE DE RUFFI. / SECONDE EDITION, / Reveuë, corrigée, augmentée & enrichie de quantité d'Inscriptions, Sceaux, Monnaïes, / Tombeaux & autres
Pièces d'antiquité par le dit Sieur DE RUFFI / & par M. LOÜIS-ANTOINE DE RUFFI
son Fils. / TOME PREMIER. // [vignette aux armes de la ville] // A MARSEILLE / Par
HENRI MARTEL, IMPRIMEUR LIBRAIRE. 1696. / Auec privilege du Roi. (première
édition en 1642).
Il est également d'utilité de se rapporter à deux histoires de Marseille plus récentes :
Histoire de Marseille, sous la direction d'Edouard Baratier, Privat, Toulouse, 1973.
Histoire de Marseille en treize événements, sous la direction de Philippe Joutard,
Laffitte, Marseille, 1988 (un chapitre de Béatrice Hénin est consacré à l'assassinat de
Casaulx p. 86-101).
Signalons enfin la récente et indispensable publication de Wolfgang Kaiser : Marseille
au temps des troubles. Morphologie sociale et luttes de factions. 1559-1596, traduit de
l'allemand par Florence Chaix, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris,
1992 (première édition en allemand, Göttingen, 1991).
Nous avons notamment utilisé pour résoudre certains problèmes linguistiques :
Edmond Huguet, Dictionnaire de la langue française du XVI e siècle, 6 tomes, Didier,
Paris, 1925-1965.
Jules Ronjat, Grammaire istorique [sic] des parlers provençaux modernes, 4 tomes,
Société des langues romanes, Montpellier, 1937.
�Frédéric Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige ou dictionnaire provençal-français embrassant les divers dialectes de la langue d'oc moderne, 2 volumes, Culture Provençale et
Méridionale, Raphèle-lès-Arles, 1979 (première édition 1886).
Emil Levy, Petit Dictionnaire provençal-français, Culture Provençale et Méridionale,
Raphèle-lès-Arles, 1991 (première édition Heidelberg 1909).
�[fo non num.]
OEUVRES
POETIQUES DE
ROBERT DE
RUFFI ESCUYER
DE MARSEILLE
Ce titre figure sur un folio non numéroté, en pleine page. La mention « escuyer
de Marseille » ne correspond pas véritablement à un titre nobiliaire ou à une fonction
précise. Elle qualifie également Pierre Paul dans la page de titre des Obros et Rimos et
de la Barbouillado.
�I
[LOUS PLAZERS DE LA VIDO RUSTIQUO]
Le manuscrit autographe des poésies de Robert Ruffi s'ouvre sur ce long poème
concernant la vie rustique, désigné le plus souvent par son premier éditeur et par ses
commentateurs par l'incipit.1 Long poème, car il occupe à lui tout seul onze folii (soit
13% du manuscrit) et comporte 564 vers. Par son ampleur et sa place, Lous Plazers
constituent une démonstration poétique originale. Cette originalité et ce caractère
démonstratif peuvent largement s'expliquer : les buts poursuivis par le poète marseillais
dans ce texte sont multiples et dans le même temps Lous Plazers obéissent à un genre
repéré depuis l'Antiquité et florissant dans la littérature occitane. C'est à l'intérieur
même de ce genre, cette littérature arcadique ou cet arcadisme occitan, que le poème de
Ruffi trouve une place originale : mise en abîme des situations littéraires qui, s'enchaînant les unes après les autres, découvrent les arcanes poétiques d'une littérature.
Le poème s'ordonne suivant deux paramètres principaux : géographiques et
identitaires ; ils conditionnent l'élaboration créatrice, les formes poétiques et le chemin
textuel que nous pouvons dessiner. Écrit en provençal, ce poème ne compose pas une
provençalité géographique, ne s'inscrit pas dans un espace souvent décrit au XVI e
siècle. Volontairement réduit au cadre marseillais, l'objet de ce texte ne peut se
comprendre sans les doubles références marseillaises de la géographie et de l'histoire.
L'organisation spatiale marseillaise a été dessinée par des conditions géographiques
particulières, conditionnant l'histoire et l'économie de la cité. La ville est en effet
entourée de collines et laisse place, dans un espace intermédiaire, à un terroir producteur
des denrées alimentaires essentielles à son existence. Marseille est donc à cette époque
privée d'un véritable arrière-pays productif et son espace économique, son hinterland,
est tout entier constitué par la mer. C'est cette situation d'enfermement qui produit une
histoire particulière, souvent conflictuelle avec la Provence, toujours guidée par les
intérêts supérieurs du commerce marseillais. 2 Il est vrai que la ville, se ressourçant dans
son terroir, s'ouvre vers le large et la littérature qu'elle engendre est identitairement
1 Le poème n'a pas de titre. Octave Teissier ne précise pas ce fait et édite le texte avec le titre générique qu'on lui a
généralement accordé, se référant à l'incipit. Pour notre part, nous lui restituons ce titre, en précisant clairement sa
restitution. Teissier n'a pas publié l'intégralité de ce poème : seulement les vers 1-212 et 255-306, soit un peu moins
de la moitié. Il place après le vers 212 la phrase suivante : « Ici toute l'histoire sainte, le déluge, etc, etc. ». Il ne
précise pas, à la fin de sa publication, que le poème comporte encore 258 vers.
2 C'est ainsi que les Marseillais seront largement favorables à la politique de Louis XI en Provence, guidés en cela
par Palamède de Forbin, et ceci pour des buts purement commerciaux. Ils demeurent toutefois vigilants quant à leurs
privilèges commerciaux ou juridiques et se heurtent au pouvoir central quand celui-ci mène une politique néfaste à
leurs intérêts. Néanmoins, le rêve d'une Marseille indépendante, libre de son commerce et de ses lois, ne quitte pas
certains esprits, que ce soit au XVI e siècle ou plus tard sous le règne de Louis XIV. L'identité marseillaise se noue
donc à l'histoire de la cité. Quant à son rapport avec le reste de la Provence, il s'agit d'un vaste débat entre
provençalité et identité marseillaise dans lequel les contradictions les plus diverses apparaissent et qui, sous-jacent,
influe sur la littérature et les comportements littéraires.
�marseillaise, identité ressentie à des degrés divers, mais toujours particulière dans
l'ensemble provençal.
Lous Plazers illustrent donc la dimension et l'appréhension d'un espace reconnu
comme marseillais. Dès les premiers vers du poème, il n'est question que du terroir
marseillais et de « l'antiquo » de la cité, référence à l'histoire, à l'exemplarité du temps
passé qui confère à Marseille ses premières lettres de noblesse . La ville peut ici se
mesurer à ses illustres rivales, Rome et Athènes. Cette comparaison place la colonie
phocéenne dans une optique résolument méditerranéenne et transhistorique. Le texte de
Ruffi s'ordonne selon une horizontalité spatiale qui entend décrire les beautés et les
qualités du terroir marseillais et une verticalité historique qui situe ce terroir dans le
mouvement de l'histoire. À cet égard, il est symptomatique de considérer l'évolution
interne du texte : elle présente dans ses premiers vers la description à l'horizontale du
paysage (vers 1-206), puis un passage relatif à l'histoire sainte (vers 207-254) et une
dissertation générale sur l'intérêt et les beautés de la vie rustique (dégagée du terroir
marseillais) (vers 255-306), viennent ensuite les allusions à l'Antiquité (vers 307-550) et
enfin une évocation toute virgilienne (vers 551-564). L'horizontalité spatiale,
marseillaise ou globalisante, occupe ainsi 257 vers (soit 45,5% de l'ensemble), et la
verticalité historique 307 vers (soit 54,5%), répartition clairement réfléchie sur laquelle
le poème prend appui. Le mouvement d'oscillation entre horizontalité et verticalité
donne naissance à un « électrocardiogramme » textuel réparti entre deux parties
sensiblement égales et harmonieusement placées dans la composition. Entre
« intérieur » géographique et « extérieur » historique, Lous Plazers témoignent des
constructions et des élaborations textuelles, des respirations internes d'une écriture.3
La description des potentialités agricoles du terroir marseillais s'inscrit
pleinement dans la réalité des XVIe et XVIIe siècles. Depuis l'Antiquité et jusqu'à une
date récente, le terroir marseillais est renommé pour ses productions : vin et olives
servent à la consommation et à l'exportation, les fruits et le gibier y abondent ce qui
permet une bonne couverture alimentaire de la ville. Seul le blé n'y pousse pas bien,
sans doute à cause de la conformité du terrain (Ruffi s'en fait d'ailleurs l'écho au vers
71) ; il est d'ailleurs importé d'Espagne ou du Maghreb et son absence coûte cher aux
Marseillais. Les chroniqueurs et chorographes provençaux, Jules-Raymond de Solier et
Pierre Quiqueran de Beaujeu, décrivent toutes ces richesses en les incluant dans
l'ensemble provençal qui constitue l'objet de leurs ouvrages ; un poète comme Pierre
Paul témoigne dans ses œuvres de l'abondance des chasses marseillaises. 4 Le paysage
décrit par Ruffi est bien réel, il ne change pratiquement pas jusqu'au XIX e siècle. On
peut encore observer de nos jours certaines traces d'occupation de l'espace qui rendent
compte de la fertilité du terroir. Une grande partie de cette description s'appuie sur une
réalité vécue, « choses vues » en quelque sorte, car Ruffi, comme tout bon bourgeois
marseillais, possède une « bastide » et peut tout à loisir contempler la nature et profiter
des produits de son terroir. Il lègue en 1630 sa bastide située à Montolivet à son fils
Pierre. Dans ses Mémoires historiques, il consacre un court passage au terroir de la
ville. Il précise que :
« Le terroir de Marseille n'a jamais este si grand, si beau & fructifiant en abondance de
toutes sortes de fruictz comme on le voit de presentement 1631 […] Car on l'a
3
Nous faisons évidemment référence aux notions exposées dans l'ouvrage de Jean Rousset (Jean Rousset,
L'Intérieur et l'Extérieur. Essais sur la poésie et sur le théâtre au XVIIe siècle, José Corti, Paris, 1976).
4 Nous reviendrons plus particulièrement dans les commentaires du texte sur ces correspondances.
�acoustume de si bien cultiver et mesnager le terroir de la dicte ville qu'on y fait fructifier
les pierres et mesmes devers le quartier de Montolivier ou est ma bastide, j'y ay faict
cultures […] ».
Néanmoins, nous sommes loin d'une littérature réaliste : Ruffi gomme tous
conflits, toutes difficultés et la vie paysanne ainsi exposée se résume à une suite de
travaux pénibles (Ruffi insiste beaucoup sur le travail à fournir), mais la misère n'est
jamais évoquée. La terre nourricière garde une vertu sacrée, celle de pouvoir nourrir
tous ses enfants, du moins ceux qui veulent bien la travailler et participer, dans le
respect et l'ordre des faits établis, à l'organisation de cette vie rurale. Les richesses
revêtent un aspect naturel que l'homme devrait retrouver : l'état de nature qui semble
annoncer une philosophie d'ordre rousseauiste induit une bonté originelle qui caractérise
ceux qui vivent en accord avec la terre-mère. Il existe donc une sagesse ancestrale que
la ville efface. Marseille, par ses configurations urbaines et rurales, permet de renouer
avec cette sagesse, synthétisant sur son sol, le terraire, les possibilités perdues et
pourtant à portée de la main. C'est donc dans le rapport étroit entre la ville et son terroir,
l'urbs et son alentour immédiat, qu'une organisation harmonieuse du monde doit
reposer. La cité semble être un passage obligé, une errance humaine qui permet à la
société de communiquer et de nouer des contacts, mais cette alliance contre nature ne
doit pas faire oublier les nécessités et les bienfaits de l'agriculture : « Car vieure non si
pot sensso l'agriculturo, — Utilo a tous humans, amigo de naturo, » (vers 255-256). La
ville est d'ailleurs souvent associée aux procès, aux jeux et aux troubles divers, lieu où
l'âme se perd définitivement. Nous pouvons reconnaître ici un topos arcadique qui place
l'origine de l'homme dans un âge d'or et plus sûrement certaines influences latines dont
nous aurons à reparler. Mais constatons dès à présent que cette organisation sert de toile
de fond à une mise en scène de l'Arcadie marseillaise ; une trame permanente permet à
Ruffi de disposer les éléments indispensables à la pérennité d'une société, à
l'établissement d'une vie hors du temps. 5 Nous pouvons alors établir un lien avec les
effets de cette verticalité historique. Cet arcadisme trouve dans l'image biblique un
ressourcement permanent : le Jardin d'Éden est évoqué, avec ses richesses, sa douceur
de vivre et la bonté de Dieu, bientôt effacée par la faute des hommes ; comme le terroir
marseillais, il garde une saveur étrange que l'on ne saurait totalement oublier. Les
références romaines et grecques, détours humanistes obligés, renchérissent sur la
prodigalité d'un monde originel qui est à portée de la main et que l'homme ne voit pas.
La mise en scène du terroir marseillais n'est pas fortuite ou une simple opération
identitaire : elle permet à Ruffi d'exposer une série de convictions philosophiques et
religieuses fortement controversées aux XVIe et XVIIe siècles, relayées par
l'établissement d'un corpus arcadique, et dans le même temps, d'inscrire l'espace qui le
porte dans une conjoncture idéale dévoilant à la fois l'identité et la place de l'homme sur
terre.
Une telle entreprise d'écriture ne pourrait exister sans antécédents. Ruffi s'inscrit
donc dans une lignée littéraire qui glorifie les beautés de la vie rustique. Ce sont
premièrement des écrivains de l'Antiquité : Virgile, Cicéron, Hésiode, Horace, Varron,
Caton, Columelle, Sénèque, Platon sont cités dans le poème. Il nous faut revenir sur
certains noms et éclairer ces influences.
5 Philippe Gardy parle de « temps circulaire » concernant ce poème. Cette circularité, cette a-histoire, est également
mise en valeur par l'enfermement géographique marseillais. La réalité produit dans ce cas un imaginaire fondé sur des
éléments physiques (Philippe Gardy, « Réalisme et Arcadie : Pey de Garros et Robert Ruffi », op. cit., p. 121).
�Ruffi se réfère directement à toute une série de poètes et d'agronomes latins.
Leurs œuvres sont connues au XVIe siècle par une série d'éditions : Giorgio Merula
donne en 1472 à Venise, chez Nicolò Jenson, la première édition des Scriptores Rei
Rusticæ qui comprend les ouvrages de Caton, de Varron, de Columelle et de G.
Martialis. Sébastien Gryphe édite ces textes à Lyon en 1541. Joseph-Juste Scaliger
publie dans les Opera omnia de Varron son essai Res Rusticæ et ceci à Paris en 1573 et
1581 (chez Henri Estienne).6 Ruffi se sert également de ses lectures historiques qui lui
fournissent faits et anecdotes (principalement Tite-Live à qui il emprunte le passage
concernant Cincinatus, mais aussi Cicéron). Il connaît également Plutarque qu'il lit
certainement dans la traduction d'Amyot. L'accès à ces œuvres n'est pas difficile
d'autant plus que se développe tout au long du siècle une curiosité pour l'agriculture :
création de jardins botaniques, introduction de plantes nouvelles, relecture des textes
anciens, tout cela concorde pour faire de l'homme humaniste un nouveau botaniste et un
jardinier empreint de curiosité. C'est ainsi qu'à l'orée du XVIIe siècle, l'ouvrage d'Olivier
de Serres, Le Théâtre d'agriculture ou le Mesnage des champs, connaît un succès
considérable.
Le poème de Ruffi s'inscrit dans cette tradition. La littérature participe à la
restitution mémorique d'un espace rural laissé exsangue par les guerres. Les travaux
humanistes, purement scientifiques et techniques, et la littérature se rejoignent. Il s'agit
de retrouver un lien plus fécond avec l'espace naturel. Nourri d'idéal antique, l'homme
humaniste rêve d'une communion qu'il souhaite totale. C'est dans cet esprit que le
poème de Ruffi est écrit et c'est pour cela qu'il revêt tant d'aspects, à la fois traité
d'agriculture et poème philosophique, description chorographique et texte identitaire.
En Provence, il faut noter, tout à côté de Ruffi, les œuvres de Pierre Quiqueran
de Beaujeu et de Jules-Raymond de Solier. Elles s'organisent en tableaux descriptifs qui
ont certainement inspiré le poète marseillais. L'œuvre de Quiqueran est publiée dès
1551 (la version française date de 1614). Solier ne connaît pas la publication de son
vivant ; son ouvrage écrit en partie dès 1577 est édité partiellement en 1615 dans une
traduction française.7 Nous ne pensons pas que Ruffi ait dû attendre les traductions
6 Caton est l'auteur d'un De Agricultura, M. Varron d'un Res Rusticæ et Columelle d'une série de traités concernant
l'agriculture. Nous citons d'après des éditions actuelles : Varron, Economie rurale, 2 vol., texte établi traduit et
commenté par Jacques Heurgon, Les Belles Lettres, Paris, 1978. Caton, De l'Agriculture, texte établi, traduit et
commenté par Raoul Goujard, Les Belles Lettres, Paris, 1975. Citons notamment de Columelle : De l'Agriculture.
Les Arbres., texte établi, traduit et commenté par Raoul Goujard, Les belles Lettres, Paris, 1986. Les humanistes
provençaux connaissent ces écrivains qu'ils citent souvent dans leurs sources. Marc Bertrand Maure est l'auteur d'un
commentaire sur le De Lingua latina de Varron, ouvrage publié à Lyon en 1569, Solier cite Caton, Columelle et
Varron dans ses sources.
7 PETRI QVIQVERANI BELLO- / IOCANI EPISCOPI SENECENSIS PRI- / MARI ARELATENSIVM DE LAVDI- /
bus Prouinciæ libri tres, & centum eiusdem de Armi- / bale Exametri, ad R. P. FRANCISCVM / TVRNONIVM
Cardinalem clarissimum. / [vignette aux armes de Provence] / Parisiis apud Lambertum Dodu. / 1551. (101 folios)
(exemplaire consulté bibliothèque municipale de Marseille 200070). LA PROVENCE / DE PIERRE DE /
QVIQVERAN, DE BEAU-IEV, / EVE'QVE DE SENE'S. // Distinguée en trois liures. // Traduicte du Latin, par le
sieur de / CLARET, Docteur, & Archi- / diacre en la saincte Eglise / d'Arles. // [vignette] // A TOVRNON, / Pour
ROBERT REYNAUD libraire / Iuré d'Arles. M. DCXIV. (pièces liminaires + 640 p., exemplaire consulté
bibliothèque Méjanes d'Aix-en-Provence 7892). Nous citons généralement d'après cette édition.
Les manuscrits de la chorographie de Jules Raymond de Solier sont nombreux. À ce jour, il semble que
celui conservé à la bibliothèque Méjanes d'Aix-en-Provence soit autographe et le plus achevé (Rerum Antiquarum et
Nobiliorum Pruinciæ, n° 759). Nous citons d'après la traduction française : LES / ANTIQVITEZ / DE LA VILLE DE /
MARSEILLE // PAR N. IVLES RAYMOND / de Solier Iuriconsulte. // où il est traicté de l'ancienne Republique des /
Marseillois : Et des choses plus remar- / quables de leur Estat : // translatées de Latin en François par CHARL[ES] /
ANNIBAL FABROT aduocat au Parl[e]- / ment de Prouence. // [vignette] // A Cologny, // Par Alexandre Pernet. //
MDCXV. (224 pages) (exemplaire consulté bibliothèque municipale de Marseille, 4919). Solier consacre un chapitre
au terroir de Marseille (ch. lxx, p. 207-210). Cf.. Agnès Le Menn, Jules-Raymond de Solier, premier écrivain général
de la Provence, thèse pour le diplôme d’Archiviste-paléographe, École des Chartes, Paris, mars 1994, 7 vol., 1000 p.)
�françaises pour connaître ces deux ouvrages : les manuscrits de Solier sont nombreux et
la première publication de De Laudibus Prouinciæ est connue. La circulation des
œuvres provençales (celles du second humanisme) est assez bien assurée et Ruffi est un
esprit assez curieux, très attentif aux travaux provençaux. Il serait étonnant que la
connaissance de tels ouvrages ait pu lui échapper. Quiqueran et Solier dressent dans
leurs œuvres une liste des richesses provençales que nous retrouvons chez Ruffi,
notamment le vin et les olives produits à Marseille. Mais il s'agit là d'un fait commun
pour cette époque ; l'excellence de ces productions était reconnue dans l'ensemble
provençal et même au-delà. C'est de l'Antiquité que provient la renommée des olives et
du vin marseillais et Ruffi ne manque pas de relever ce fait. Cependant Solier et
Quiqueran ne s'inscrivent pas dans la même veine littéraire que Ruffi. Solier est un
chorographe : l'objet de son œuvre est une description générale de l'espace provençal,
description des paysages, des hommes, de la flore et de la faune, un compendium dans
les données culturelles de l'humanisme. Quiqueran traite des beautés de la Provence
donnant pour chaque aire géographique et économique les variétés les plus
représentatives : oliviers du pays d'Arles, agrumes de la côte…. Ils n'ont pas tous les
deux l'optique philosophique et identitaire d'un Ruffi.8 La correspondance entre Lous
Plazers et ces deux ouvrages doit cependant être posée et clairement établie.
En dehors des premières lectures latines et des relations textuelles provençales,
Lous Plazers se pose inévitablement en miroir virgilien. Nous connaissons l'importance
du poète mantouan dans l'élaboration d'une thématique arcadique ; Les Bucoliques
agissent ici en catalyseur essentiel, cheminant en reconnaissance antique à travers les
poèmes rustiques et autres bergeries du XVI e siècle. Cependant, Les Bucoliques
obéissent à un mouvement qui apparaît distant des Plazers. Il n'est pas question pour
Ruffi de dialogues amoureux noués dans un locus amœnus exemplaire, d'une Arcadie
reconstituée et généreuse. Le temps des Bucoliques n'est pas celui des Plazers qui se
réfèrent beaucoup plus au rythme des saisons et des travaux des champs.
Plutôt que Les Bucoliques, ce sont Les Géorgiques qui constituent la référence
primordiale.9 Écrites, semble-t-il, à la demande d'Auguste qui regrettait que les Romains
se soient détournés des travaux des champs, Les Géorgiques reprennent une thématique
littéraro-agraire plus ancienne. Par l'ampleur et la portée du propos, cette œuvre trouve
un accueil privilégié au XVIe siècle. Ruffi est fortement influencé par ce texte,
beaucoup plus par l'esprit général que par tel ou tel aspect. Si nous pouvons en effet
trouver la marque de Virgile dans certains faits, certaines descriptions et techniques
agricoles, c'est bien la philosophie et l'art de vivre qui sont au cœur des Géorgiques qui
nous paraissent importants. Il existe certainement pour Virgile un âge d'or où l'agriculture régnait en maître ; ce n'est pas une Arcadie assimilable au Jardin d'Éden (ni même
celle qui préside à la création du monde selon Ovide 10), mais plutôt un sentiment qui
n'est pas dénué de philosophie et de politique. Les premiers Romains jouent ici un rôle
essentiel, premiers Latins qui surent être à la fois des paysans et des guerriers, combinant la force de la terre avec celle des armes. L'état de Nature sied donc aux hommes et
l'évolution romaine, telle qu'elle se dessine aux débuts de l'Empire, n'est pas favorable à
un retour aux anciennes pratiques. Oserions-nous le rapprochement avec la société marseillaise ? Certes pour Ruffi, l'âge d'or marseillais, modelé par l'histoire, est bien éloi8 Nous établirons toutefois une comparaison entre ces trois textes, notamment à propos des faits strictement
provençaux.
9 Virgile, Géorgiques, texte établi et traduit par E. de Saint-Denis, Les Belles Lettres, Paris, 1957, 7e ed. 1982.
10 N'oublions pas que dans Les Métamorphoses Ovide situe l'âge d'or en Arcadie.
�gné, mais c'est peut-être dans la fréquentation des éléments naturels du terroir que réside
une chance de se rapprocher au plus près d'une vérité humaine et physique. C'est
d'ailleurs dans cette relation avec son espace et plus particulièrement avec la notion de
terraire que la littérature occitane construit son existence au monde.
Les Géorgiques conduisent le texte de Robert Ruffi. Accumulant les
informations et se nourrissant à d'autres sources, Lous Plazers dépassent leur modèle et
élaborent une structure multiple. Là où le texte virgilien peut figurer comme un manuel
d'agriculture, Lous Plazers se démarquent quelque peu pour ne donner que peu
d'indications, quelques références tout au plus. La vision poétique l'emporte donc sur la
praxis, mouvement que l'on trouve également chez Virgile quand il est question des
louanges italiennes ou du bonheur de la vie rustique. Les Géorgiques gardent une force
poétique surprenante. Telle est la présence des grands poèmes.
Ruffi a eu connaissance de l'œuvre de Guy du Faur de Pibrac. Nous savons que
les Quatrains sont largement inspirés par ceux de Pibrac, publiés en 1583. La première
édition des Vers françois du sieur de Pybrac sur les plaisirs de la vie rustique date de
1576, texte repris en 1583, puis complété en 1584. 11 Ruffi a certainement eu entre les
mains une de ces trois éditions. On connaît le succès des Quatrains et leur impact sur
les préceptes pédagogiques. On peut donc penser que ces vers sur la vie rustique ont eu
un certain succès. Bénéficiant d'une place dans les publications diverses des œuvres de
Pibrac, cette évocation champêtre synthétise un sentiment déjà présent dans la poésie de
la Renaissance (qui conduit, on le sait, à une thématique florissante au début du XVII e
siècle). Il est donc probable que l'œuvre de Pibrac, relayée par les littératures de
l'Antiquité, a été l'aiguillon nécessaire à l'élaboration des Plazers ; il en est de même des
Quatrains et de De Vilhesso qui trouvent tous les deux leur inspiration chez Pibrac.
Lous Plazers et le poème de Du Faur de Pibrac n'ont pas été écrits dans le même
but et ne possèdent pas une structure identique. Les Vers françois sur la vie rustique
furent écrits dans les années 1570, pendant les rares instants de liberté quand ses
charges diverses et ses missions n'occupaient pas trop le confident de Henri III. Philippe
Tamizey de Larroque et Jules Clarétie nous présentent un Pibrac versifiant chez lui, au
calme, entre deux voyages et deux missions diplomatiques, image en plein accord avec
les éloignements de la ville et les plaisirs de la vie rustique. 12 Il est cependant acquis
que l'écriture de ce poème fut pour le moins bouleversée par la mort de son enfant :
« Et eusse poursuivi les biens du labourage,
— Mais la mort de mon fils m'en oste le courage,
— Et trouble tellement de douleur mon esprit,
— Que i'en laisse imparfait pour iamais cest escrit. »13
Pibrac tentera de donner une suite à son poème. Elle fut publiée en 1584, mais
ne comporte que peu de vers. Cependant, à l'occasion de cette nouvelle édition, et ceci
dans les derniers moments de son existence, Pibrac remania profondément le début de
11 Guy du Faur de Pibrac, Les Quatrains suivis de ses autres poésies, avec une notice par Jules Claretie, Paris, 1874,
rééd. Slatkine, Genève, 1969. Nous citons d'après cette édition.
12 Philippe Tamizey de Larroque est l'éditeur de Vie de Pibrac de Guillaume Colletet. Clarétie et Larroque accrédite
l'idée de l'écriture de ce poème « en son logis » et auprès de sa femme, Jeanne de Custos (cf. Guy du Faur de Pibrac,
Les Quatrains..., op. cit., p. 25-26).
13 Ibid., p. 135.
�son poème. Il s'agit là d'un travail de longue haleine, repris sur plusieurs années, rendu
difficile, comme l'auteur le précise lui-même, par les deuils et les voyages.14
Nous ne savons presque rien de l'élaboration des « Plazers ». Comme pour
l'ensemble de l'œuvre de Ruffi (surtout pour les longs poèmes), nous sommes réduits à
des suppositions et à des hypothèses qu'il nous est difficile de vérifier. Il est ainsi
vraisemblable que la marque du texte de Pibrac conditionne des dates d'écriture assez
tardives : pas avant la fin du XVIe siècle, vraisemblablement après la période troublée
que connut Marseille entre 1586 et 1596. Lous Plazers s'inscrivent dans le lent
mouvement de récupération nationale engagé par Henri IV : paix civile, garanties
données aux échanges économiques qui se concrétisent par les efforts marseillais pour
réorganiser l'activité de la ville, toute une période de prospérité et d'opulence que la
tradition historiographique a développée. À la différence de Pibrac, Lous Plazers ne
donnent aucun renseignements biographiques ni ne laissent transparaître la moindre
confidence. Le poème de Ruffi est donc tout entier au service de Marseille et se détache
de son auteur par un effet conscient de distanciation.
Le poème de Pibrac est d'une autre nature que celui de Ruffi. Il semble ici que
l'influence se soit arrêtée aux présupposées d'écriture, aux modèles du genre. Pibrac met
en scène deux paysans dissertant sur les vertus de la vie rustique, dresse une liste des
produits des provinces, fait intervenir des commentaires sur les événements politiques,
procède également par des images empruntées à la mythologie. Rien de tout cela dans
Ruffi dont le texte, on l'a vu, est d'une toute autre inspiration. 15 Le poème de Pibrac est
également tributaire d'autres facteurs sociaux : ceux de la Cour dont le poète français est
un membre influent et ceux des missions diplomatiques qui l'éloignent de France. On
peut, d'une certaine manière, lire son œuvre rustique comme un contre-texte de cour, un
« retirement » à la Montaigne (certes fortement limité dans l'étendue et l'introspection)
qui guide le poème dans les moments calmes de l'existence. Le modèle Pibrac n'apparaît
pas vraiment comme un calque, mais plutôt comme un cadre général dans lequel les
formes marseillaises et les préoccupations philosophiques de Ruffi se glissent et
débordent, ne se coulant jamais dans un moule totalement mimétique. L'imitation ici est
celle d'un genre très à la mode dont les origines latines influent peut-être plus sur Lous
Plazers que les cadres français.
Toile de fond d'une Arcadie occitane qui se dessine tout au long des XVI e et
XVIIe siècles, le poème de Ruffi garde une certaine originalité. On ne saurait le
confondre avec les sonnets arcadiques de Bellaud de la Bellaudière ni avec les pièces de
Pierre Paul. Lous Plazers, par le réseau textuel de références mis en place, ne
correspond pas à l'Arcadie enjouée des Passatens ou de L'Autounado. L'Arcadie de
Bellaud ou de Paul nécessite un tissu de relations privilégiées entre personnages divers :
l'établissement d'une société bachique, les célèbres Arquins pour Bellaud et la Bregado
pour Paul. L'objet du poème est alors de décrire fêtes et réjouissances dans leur éclat le
plus remarquable ; l'importance du repas et de la sexualité vient à point pour nous
démontrer que la société hors du temps se nourrit et aime dans la plus grande
14 Ibid., p. 138, où l'auteur, à la fin de la Continuation, précise les raisons du caractère inachevé de cette œuvre :
« L'autheur estant à continuer cest œuure a heure perdue, il fut contraint de le laisser, à cause du depart soudain de
Pologne, pour la nouuelle de la mort du Roy Charles neufiesme. » Pibrac avait accompagné le futur Henri III en
Pologne. Ce départ eut lieu en juin 1574.
15 Ibid., p. 128-129, 130 notamment. Il nous semble que nous pouvons relever une influence plus profonde chez
Michel Tronc dans son poème Lou Meinagy d'Izabeu (cf. Michel Tronc, Las Humours a la Lorgino, édition critique
par Catharina C. Jasperse, 2 tomes, L'Astrado, Toulon, 1978, p. 282-287, tome 2).
�insouciance. Lous Plazers est un poème asexué ; l'amour n'y est pas présent, même dans
sa forme la plus acceptable, celle qui le destine à la procréation. L'exploit érotique est
une constante des formes arcadiques chez Bellaud et Paul, et même si ceux-ci en
rajoutent quelque peu, on peut penser que ces réjouissances bachiques n'étaient pas
particulièrement chastes.
La mesure qualifie Lous Plazers. Il ne s'agit pas d'un texte relationnel, adressé
aux membres d'une société, mais d'une démonstration, d'un discours poétique qui se
réfère aux premiers temps de l'humanité. Ruffi n'expose pas les plaisirs ludiques de la
campagne, il œuvre pour un recentrage des morales, un modelage des mentalités (les
Quatrains le prouvent totalement) et un ressourcement aux modèles antiques. Bien loin
de Bellaud et de Paul qui prennent plaisir et brûlent leurs dernières énergies, Ruffi
espère un retour en des temps anciens, regrette un équilibre agraire qui, bien que
difficile à vivre, avait le mérite de rendre les hommes heureux et sages. Un âge d'or
arcadique, mais une Arcadie de la peine et du travail. Nous sommes bien loin des scènes
bachiques, des nymphes et des chambriÉros, nous sommes dans un monde où l'état de
plénitude est atteint. Seul Lou Meinagy d'Izabeu de Michel Tronc rappelle quelque peu
Lous Plazers : cette description de la vie d'un mas de la Crau fait appel aux notions
d'ordre, d'harmonie et d'amour divin, mais ce poème en reste à un simple niveau
descriptif et ne peut rivaliser avec le contenu des Plazers.
L'absence de conflits relie tous ces poèmes. Ils se retrouvent sur le chemin
intemporel des effacements conflictuels. Bellaud, Paul, Ruffi et Tronc semblent jouer
une partition dissonante, mais allant dans le même sens. Témoignant d'une répartition
inconsciente des rôles dans la thématique arcadique, Ruffi semble se réserver les
domaines plus austères des cadres établis et des harmonies perdues, Bellaud et Paul
œuvrent dans le fugitif, l'éphémère des images et des sens. L'établissement du genre est
donc tributaire des concepts d'ordre et de désordre dans la littérature, du recentrage et de
l'éparpillement de l'écriture. Ruffi semble resserrer perpétuellement son poème, ordonne
et classifie, élabore une structure qui cite ses références, architectes et maçons
indispensables. Dans le foisonnement et l'éclatement, Bellaud et Paul ne tentent aucune
élaboration, se laissent guider par le hasard bienfaiteur, objectif, et se nourrissent de
toutes les étincelles poétiques, éclairs d'images d'un instant. Cette juste répartition induit
des mécanismes d'écriture insoupçonnés, des enchâssements complexes qui définissent
les limites et les profondeurs de l'écriture d'oc du XVIe siècle.
Entre influences diverses et élaborations savamment orchestrées, Lous Plazers,
en tête de manuscrit, ouvre le champ de l'écriture par son espace poétique. Ce poème
correspond à un mouvement général, à une avancée dans une œuvre qui se dessine et
dont on aperçoit, peu à peu, l'importance et l'étendue.
(Poème composé en alexandrins ordonnés en rimes plates).
��[fo 1 r°]
4
8
12
16
20
24
Yeou canti lous plazers de la vido rustiquo
Que l'on pren au terren de85 Marselho l'antiquo,86
Surtout87 d'aquello gent qu'iston ey chams tout l'an,88
Ly vivent sur89 son ben90 milhour qu'en un berlan,
Car cadun es content vieure dins sa bastido
Embe moulher, enfans, d'uno agreablo vido,
Bestiaris e varletz tan que l'en fa bezon
Per servir au trabalh en tout temps e sezon.
Eou coumo un pichot rey quouro sa gent comando
Tan leou es obezit tout anssin que demando
E bono chiero fa de son beou revengut :
De vin, d'oli, de blat et d'enfrus qu'aura agut,
Gandit de tout procez que maco la cervelo,
Ailugnat de tabus e de gent jandarmelo,
Vivent a sous repas toujour alegroment,
Sa meynado a l'entour brifant galhardoment
Nom pas viando de bec ny de raubo sutilo
Reservado as gourmans delicatz dins91 la villo,
May ben de viando, d'ailh, d'oli ben alachat,
Mes en taulo tout lest per estre despachat,
Car sensso dire mout ny dire : "yeu n'en voli",
Cadun bagno lou pan en aqueou bon alholi
Que reven tout lou cor may que non sie negat,
Car fau que92 d'uno man sie toujour traffegat
Perque autroment sarie uno viando marrido
Vo ben implon lou sen d'uno gento bourrido
[fo 1 v°]
28
Qu'es facho en un7 clin d'huels d'aigo, d'alhet, de sau,
Boulhido en un toupin coumo lou vilan sau.
Encaro qu'es plus gostous quouro an cuech de limassos,
N'enfilant doas vo tres en un cop das plus grassos,
Passados dins la sausso aprestado au goudet,
85 de rajouté au-dessus.
86 PV : Qu'au terren de Marselho de tousten si pratiquo. de tousten biffé et remplacé à son tour par l'on pren et, audessus et également biffé. l'antiquo est disposé en marge à droite.
87 Yeu dic biffé, Sur tout rajouté au-dessus.
88 PV : Li vivent de son cru milhour qu'en un berlan. Vers biffé et disposé entre les vers 2 et 3.
89 de biffé, sur au-dessus.
90 cru biffé, ben au-dessus.
91 de biffé, dins au-dessus.
92 rajout au-dessus.
�32
36
40
44
48
52
Qu'es d'amendo e de pan d'alh e de broyt caudet.93
E quouro es festonau que toujour gauch emmeno,
Adoun quauque conieu se pren94 de la gareno,
Das mascles quan n'y a trop, car d'un soulet n'y a proun
Perque son enemis et l'un l'autre95 si tuoun.
Au resto diligent, jour e nuech en fatigo,
Perque ten la perezo estre son enemigo,
En gouto ny tezic jamay subget non es,
Demenant en tout tems son corps, bras, mans e des.
Toujour es matinier, emplegant la jornado,
Eou e sous servitours e la gent qu'a logado,
Sie vespre vo matin, son ben va visitar
Per veire se ly a ren que degue mau ystar,
Si lou boyer aura fach bono garachado,
Ben drecho e ben pregon lo long de la filo,
E si a l'oliveiredo an ben fos e reclaux,
Coumo d'autres aubretz que son dintre son claux,
Surtout si auran ben tratat la torto souco
Que fa lou divin suc tan saborous en bouco
Dounte non fau parlar coumo fruc imperitant,96
Car es de caressar coumo va meritant;
[fo 2 r°]
56
60
64
68
Si ben qu'au vendemiar eou li es e comando
Que tout razin gastat siege mes a la bando,
Pourrit vo l'escaudat, car gastarie lo vin,
Aussi dau mau madur non l'en a pas un brin.
De plus, quan lo matin au terren ly a d'aigagno97
Qu'es d'amaro sabour e pleno de magagno,
Non fa talhar razins commo ben provident,98
Sinon quan lou soleou es ben hault, treluzent,
Car qui vendemiara embe talo plouvino
Aura de vin herbat vo tournat dins l'eizino.
Vela perque tousten es agut evident
Que lo vin marselhes es dich99 fort excellent
E ben renomenat per poeto vo histori,
Treluzent toujour may en aquello memori,
Sie vin rouge vo blanc vo claret delicat,
Aussi de muscat blanc vo de rouge muscat.
Si ly a peno e plazer non es de merevelho,
93 Renvoyé en bas de folio par un signe (V à l'envers surmonté d'une croix). PV : Qu'es facho embe l'amendo de pan
de broyt d'alhet, biffée à son tour et remplacée par : d'amendo e de pan .facho ... ben d'alhet tout caudet.
94 manjon biffé, se pren au-dessus.
95 e entre ellous biffé. et car l'un l'autre au-dessus (car biffé).
96 PV : Car per rezon lou fruc que produs imperitant. Dounte non fau parlar coumo au-dessus. Seuls fruc et
imperitant ne sont pas biffés dans la PV et sont conservés dans la version définitive.
97 PV : De plus quan fa de nuech au terradour d'aigagno. lo matin rajouté au-dessus ainsi que ly a. Seuls fa de
nuech et -dour de terradour sont biffés (le -en de terren rajoutés sur le a et le d).
98 PV : lo matin enseguent. commo ben provident au-dessus.
99 PV : es segur biffé et remplacé par .de prez an tousten biffé à son tour. es dich fort rajouté au-dessus.
�72
76
Car dau vin la recolto es lou sang de Marselho,100
Mioux qu'aquello dau blat qu'es fort mediocroment,
Car dau terren la mar n'ocupo largoment.
De l'oli veroment l'en a grosso abondanci,
Tan beou, tan doux e bon qu'es d'oli d'importanci,
E per l'aver eytan quan las olivos soun
A ponch de las ebroar en sa bono sezoun,
L'on non bate jamay lous gietz ny las branquetos,
May ben embe las mans cuelhon las olivetos,
[fo 2 v°]
80
84
88
92
96
100
104
Surtout en un jour clar et nom pas lagagnous
Perque l'aubre e lou fruc s'en porton beaucop mioux.
Fan aussi netejar las olivos culhidos
Cado cero en101 triant pecous, fuelhos marridos,
Tant que fazent anssin d'un ordre provident,
L'oli non es jamay marrit, fort ny coyent
E puy tan leou que n'y a doas moutos netejados,
Las mandon au moulin per l'en estre esquichados
Si ben que tous lous ans va gouvernant anssin,
Ly a d'oli de tout bon, fort102 doux e onfassin.
Tanben lou naturau dau marselhes terraire
Ajudo a la bontat commo fa lou bon ayre,103
Sie de Ceon vo Sant Tronq, Sarturan, Lou Canet,
Malapogno, Cayran e de Montolivet,
Terradour sabourant tout quant que li ven naisse,
Tant per lou corps human que per bestiari paisse.
Memes que las perdrix, despuy la Gardi en bas
Que l'on pren per aqui, vous fau notar en cas,
Son d'un fort milhour goust qu'en autre luec de casso
Perque en aquel endrech l'er de la mar li passo.
Vouguen a la bontat das beous frucz qu'an tout l'an,
En tout tems e sezon, sie riche vo vielan,
Cadun s'en rejoys quan lou tems renovello,
Car avez la carchofle e la favo nouvello
Tan leou que sias yntrat au joli mes d'abriou,
E puy au mes104 de may, lou mes gay e gentiou,
[fo 3 r°]
108
Ven lou fruc rougineou de la dousso ceriero,
Venent105 au mes de jun, s'en siegue d'uno tiero,
La grosso agrioto qu'es d'un suc fort excellent,
E l'aubricot friand tan goustous e plazent,
100 Ruffi a d'abord biffé car dau vin pour placer dau vin après recolto, puis est revenu à sa première idée. Il a donc
biffé dau vin et a réécrit car dau vin a-dessus de la première version, identique donc à la version définitive.
101 rajout au-dessus.
102 ben biffé, fort rajouté au-dessus.
103 PV : Ajudo a la bontat per labontat de Payre biffé à partir de per. et biffé au-dessus ainsi que comma fa lou.
Ruffi a gardé le bon du deuxième bontat de la PV et a ajouté un A sur le P de Payre.
104 venent biffé et remplacé par au mes au-dessus.
105 commo aver biffé, venent au-dessus.
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120
124
128
Encontinent aprez,106 forsso janenco pero,
Puy l'auberge pichot quan lou soleou altero,
De julhet lo persegui antat107 madalenen
Qu'au plus fort dau soleou maduro e colour pren,
En sentour e sabour au manjar delectable
Dont l'aubre es singulier et tengut admirable,
Car non s'en trobo ges senon d'estre encertat,
Sens venir d'aubre franc ny de rasso plantat.
Tout persegui en aoust, puys quant e quant la figo
Que per la reculhir es de gento fatigo,
Tan bono, tan dousseto, excellento en bontat,
Portant un tau renom de son antiquitat,
Un fruq qu'es peculier dau marselhes terraire,
Car cambio de sabour tan leou que cambio d'ayre;
D'ello lou meinagier a prouffit e plazer,
Non fa que la culhir e secar de lezer,
Lous tres estas dirias qu'ello nous represento,
Car la figo floret es la plus eminento,
Aprez l'on entretrie d'autro fort bello a part
E puy la trialho qu'es d'estimo a miejo part,
May denembrar non fau qu'embe la solelhado
La remenant souvent es ben aparelhado.
[fo 3 v°]
132
136
140
144
148
E tan leou qu'es maduro a ponch de la secar,
Vous veas venir l'ausseou per leou l'ana becar,
Surtout quouro la ves fendudo e estrassado,
Car li fourrant lou bec, n'en tiro uno becado,
Li becant tan souvent que ven prest s'engreissar,
Ce que douno subget a cadun de cassar
A l'arquibuzo, au visc, a l'arquet et l'aragno,
Donte s'en fa souvent fort bello rastegagno,
Car adon tout ausseou es becofigo gras
Per tout lou terradour, aubres, vignos e pras.
Ho qu'es un friand manjar108 la becofigo grasso!
E fort109 brave es aqueou qu'en un morsseou l'empasso,
Basto la mitat cuech et 110de l'aste sortit
Per l'avalar de goust e de bon apetit.
E pauc de tems aprez, das tourdres ven la casso,
En octobre cadun apres ellous s'alasso
E tan que lou razin a la vigno111 es tancat,
Lou tourdre es toujour gras, may puy quouro a mancat
E que s'en va aubrejant per engoular l'olivo,
Non a graisso ny miech, e va sa car maigrino,
106 seguis biffé, aprez au-dessus. pero biffé après forsso.
107 PV : hantat, h biffé.
108 PV : E est un morsseou tan friand. Ho qu'es un friand manjar au-dessus.
109 que biffé entre e et fort.
110 tout biffé, et au-dessus.
111 dau pecoulh biffé, a la vigno au-dessus.
�152
156
Ben que per gran malhour, en tous lueqz bas e haux,
Lous cassaires li fan infinitat de maux,
Jusquo d'estre auturous, sens respect de persouno,
Raubar tout fruq pendent embe sa man leyrouno.
Non fau pas denembrar l'exercici das chams
Dau poble marselhes, despuy Pasquo a Toussants,
Per anar banquetar de bastido en bastido,
Parens, amys, vezins, d'uno plazento vido,
[fo 4r°]
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184
Hounte emplegon lou tems en alegres discours,
A banquetar e jugar quauquos houros dey jours
Vo si ben a prepaus anar tendre l'aragno
Per prendre d'ausseletz en thezo vo baragno;
Adoun uno batudo es facho vitoment
Per mandar lous ausseoux dins l'aragno au112 torment
E puy de ce qu'es pres, s'en fa presto plumado
Per en broco lardas, lous coyre a la soupado.
Tanben se ly a d'argent au jueq de gasagnat,
Tan leou per creissement dau vieure es designat :
A la villo es mandat, emplegat en de casso,
Sie perdris vo lapins, levraux, vedeou, becasso
Vo d'autro volarie coumo ven a prepaus.
En bastido non an jamay ges de repaus,
Car qui dansso, qui ris, qui d'autro113 modo canto,
Non ly a ges de tristour ny ges d'humour pecanto;
Talo vido es enfin adonc au terradour,
Per bastidos, jardins e per tout son contour.
E quan sian au bon tems de l'estiou vo la primo,
Ly a-t-il ren de plus noble e de n'en faire estimo
Qu'encertar d'aubreletz au subtiou escudet
Embe estace e couteou, lou germe e lou gros det,
En v'ajanssant tan lest e de tan gayo sciensso
Que d'un aubre marrit s'en fa un d'excellensso?
Non si pot estimar plus gran contentoment,
May que cero e matin siejon fach castoment.
D'autres plus grans plazers on li recebe encaro
Que per descrieure tout l'en aura proun per aro,
[fo 4 v°]
188
192
Car degun non pourrie dire ny recitar
Lous delicis ruraux per vieure e profitar.
E puys que l'on ves tau lou terren de Marselho,
Non si fau estonar n'y es de merevelho,
Si lous ancians saventz e de grandz esperits
Per si rendre contens e de troubles garis,
Li si son retiras cadun en luec campestre,
Esquivas de tout brut per aquito mious estre
112 lou biffé, au au-dessus.
113 a sa biffé, d'autro au-dessus.
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E touto sciensso aprendre en terradour ayrat
E l'ensegnar tanben milhour e plus eizat,
Car non si farie pas dins la villo tan ben,
Hounte per negociar soulament l'on se ten;
E ben que d'homes vans allegon que la villo
Es facho per ly ystar as habitans utilo
E qu'aussi aparten a toutos gens d'honour
Li pareisse en moyens e faire dau segnour
Gentilhomme marchant e si far veire en plasso,
Frequentar lou berlan114 que querelos amasso,
E per un gros mesprez si truffon folloment
D'aquelous que vieuran aus chams ben parcoment.115
May qui ben legira las historis passados
Despuy la creation dau monde recitados,
E116 que meditara lou tems despuy Adam :
Ben que n'age portat un tau gros mau e dan,
Fouguet 117tout lou premier qu'au paradis terrestre
Labouret au jardin que Diou l'avie fach mestre,
May118 tan leou qu'eou aguet contro Diou trabucat,
Diou ly dounet un fleou condigne dau pecat :
[fo 5 r°]
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Qu'eou e sous desandens en tout tems e tout eagi,
Embe peno e trabalh e suzour dau visagi
Vieuran, manjant 119son pan en labour e tracas,
La terro couturant, pras, hermes e rocas.
Apres eou, sous enfans de premiero naissensso,
Un Cayn, l'autre Habel, sens autro experiensso
Naturo lous pourtet segon qu'avion vouler :
Cayn de laborar prenguet tout son plazer
E Habel foun bergier, gouvernant d'averagi,
Home just davan Diou en aqueou premier eagi,
En li ufferissent 120tout aqueou premier nat
Doun fouguet lou premier au ceou predestinat.
Vela dounc lous premiers natz de semensso humano
Qu'an labourat tenent d'aver qu'a peou e lano121
E d'autres puys aprez122 vezent lou terren dur,
Non poudent portar fruc que venguesso madur
Per fauto de coutur. La fan li fazent guerro,
Trabalheron hardis a laborar la terro,
De villos ny hostaus non avion pensament,
Car de caunos avion per son aloujament,
114 PV : lous berlans. Les deux s sont biffés.
115 li vivon entre parcoment et chams biffé. vieuran et ben rajoutés au-dessus.
116 Vo biffé, E rajouté à gauche.
117 PV : Lou fouguet. Lou biffé, tout rajouté au-dessus entre fouguet et lou premier.
118 PV : Car biffé, May rajouté à gauche.
119 PV : N'en vieuran sie gagnant. N'en et sie gagnant biffés, manjant au-dessus.
120 sacrificant biffé, ufferissent au-dessus.
121 PV : sens ges d'uffano biffé, qu'a peou e lano au-dessus.
122 autant ben biffé, puys aprez au-dessus.
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May avion gros traffic de tenir averagi
De buous, fedos, moutons et autres norrigagi,
Vivent au premier tems en gran felicitat.
May quan lou monde foun puys aprez reverssat,
E que per mandament dau gran eternau jugi
Per aigo foun punit au tems dau gran delugi,
L'amic de Diou, Noe, la vigno anet plantar,
Commo tout lou premier que v'anet123 juventar,
Veray restauratour de tout l'human linagi,
Riche tant en enfans que bens e averagi,
[fo 5 v°]
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Joissent amploment lou payre e lous enfans
De tout ce qu'ero au monde e toujour laborans.
Aprez Abran, Ysac, Jacob e sa sequello,
Fort riches meynagiers e de sancto cervello,
En aqueou tems jadis avion tout son plazer
De possedar grans bens e gros troupeoux d'aver.
Autant dire s'en pot de proun de reys encaro
Que lou labour a grat tenion per causo raro
D'estre aussi meynagiers de bestiari e terren
Per lou contentoment qu'en tout tems l'on li pren.
Car vieure non si pot sensso l'agriculturo,
Utilo a tous humans, amigo de naturo,
E si lous chams per tems non eron meynajas,
Sie per l'oli, vin, blat, dins la terro, bourjas,
E de tout autre fruc necessari a la vido,
La vido de cadun sarie ben leou gauvido,
Car l'on si pot passar d'aver de vestimens,
May nom pas si passar das susditz alimens.
E vous fau creire aquo que un payre de familho
S'es marrit meynagier tombo leou en paurilho,
Car non deou pas comprar ce que a son terradour
Va pourrie reculhir moyenant son labour.
L'agriculturo enfin l'utilitat regardo,
Un pacefic estat que de malhur engardo,
Douno un fort grand plazer124 de veire verdejant
Lous chams, sentent l'odour das flours en passejant,
[fo 6 r°]
272
276
Veire naisse e flourir l'aubre e lou fruc que porto,
Netejar125 lous fruchaux de la branquilho morto,
E puy das ausseletz entendre lou jargon
Au cantar126 differentz, semblant un parangon
Dau concert muzical e may de la muzico,
Tant cadun127 das ausseoux a son cantar s'aplico,
123 que s'anet biffé, que v'anet au-dessus.
124 plazer originellement placé après Douno un est biffé et rajouté au-dessus de grand.
125 mutilar biffé, netejar rajouté au-dessus.
126 PV : cantar, biffé puis rajouté au-dessus.
127 PV : tant […] biffé, tant cadun rajouté au-dessus.
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Fazent retentir l'or d'un son melodious,
Lauzant128 Diou en son cant doucet e gracious.
E puys quan dau cantar an fach uno pauvado,
Grand silenci li a jusqu'a l'autro cantado,
Que ben leou s'enseguis e puy129 recomenssat
Per aquelous qu'avion per ordre comenssat.
Dirias que a son concert son quasi voux chauzidos,
Coumo si eron130 instruitz de las quatre partidos,
May reservan a part lo docte rossignou :
Quouro es prez d'un valat hounte l'aigo si mou,
Brandilhant fort lou bec e may lou gargasson
Que trambloto fort gay d'agreablo fasson
Per descourir savent embe son doux ramagi
Divers jargonament, divers cant e passagi
Qu'au monde non ly a ren de tan melodious
Coumo rey das ausseoux e lou plus precioux,
Car qui de nuech auzis talo vous excellento,
En luego de dormir, de l'auzir si contento.
Puy si l'estat dau ceou l'on a considerat,
Quouro lou jour es beou e l'er ben espurat,
[fo 6 v°]
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De l'astre luminous sa coursso jornaliero
Que douno au tenebrous la celesto lumiero,
Las estellos dau ceou fort claroment 131brilhant,
Lou bel arc colourat de la pluejo esquilhant,
Tant de beous corps celestz de fasson non communo
Nous denonciant lou tems e sezon oportuno
Vo ben si ploura leou vo si vendra seren
Vo si li aura vent vo tems de frejour plen,
Car qui de jour e nuech132 au terradour habito,
Proun d'admirables cas li contemplo e medito.
On liege que d'aucuns Romans an tan amat
Lou fet d'agriculturo e lou tems consumat
Que coumo avion a grat de lioumes certo sorto,133
D'ellous lo subrenom un cadun lioume porto,
De gent fort renomenas en tout temps de lurs noms :134
Lous135 Pizons, los136 Lentilz, Fabis e Cicerons,
L'un137 de favos voulie e un autre de pezes,
128 En son cant biffé au début du vers.
129 PV : es, puy rajouté au-dessus.
130 s'eron biffé, si eron rajouté à la suite.
131 et coumetos biffé, fort claroment rajouté au-dessus.
132 de jour e de nuech, originellement placé entre terradour et habito, biffé et rajouté au-dessus de terradour.
133 viando biffé, sorto rajouté au-dessus.
134 PV : Despuy lou subrenom dau lioume cadun porto — Renomas per tout donc vous diray ley noms. Despuy lou
biffé, lo rajouté au-dessus (tant per lur rajouté à la suite puis biffé), dau biffé, un cadun rajouté au-dessus (nom
rajouté à la suite puis biffé), cadun biffé. De gent fort rajouté en début de vers, per tout donc vous diray ley biffé, en
tout temps de lurs rajouté au-dessus.
135 PV : Son à gauche biffé.
136 lous biffé, los rajouté au-dessus.
137 L'un rajouté en début de vers, situé originellement entre favos et voulie, biffé.
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E de lentilhos l'un e puy l'autre de sezes.
Non si pot denenbrar d'autres grandz personagis,
Poetes, princes, reys et gens de hault linagis,
Filosofes tanben que tous an exerssat
La culturo dey chams e per escrich leissat
L'art e l'ensegnoment dau gouvert dau terraire,
E de so qu'es beson en tout temps per li faire,138
Dont cadun v'enseguis139 aux chams entieroment.
D'autro part, lous Romans, per gran commandoment,
[fo 7 r°]
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Douneron as censsours touto la cargo e curo,
Que lous possedent bens fesson bono culturo,
E si per aquo faire eron trop negligens,
Non mancar de punir touto sorto de gens,
Car coumo l'on preves que per l'enfant140 la mayre
Quouro li manco lach, per n'aver proun, fau fayre141
Multiplicar son142 lach per certans alimens
Propis per abondar, anssin, ny may ny mens,
Nautres que sian enfans de la terro habitablo,
Que d'ello sian nourris de fasson delectablo,
Quouro reculhen pauc aux chams mau labouras,
Fau dounar milhour obro e forsso foumeras,
Adounc tout si reven, car sens bon cultivagi,
La terro chomarie a nostre gran domagi.
Ce que considerant lou grand rey Romulus,
De Roumo premier rey, aprez v'aver conclus,
Comandet as Romans doas causos de143 ben faire :
L'uno de s'adonar au labourious terraire
E l'autro a la milici affin qu'embe estey dous
Per l'uno a guerrejar fouguesson valerous,
E per l'autro d'aver per toujour de que vieure.
Si faut-il enca may renomar e descrieure
D'un autre rey roman adounat enca plus
Au rustique labour, Numa Pompilius,
Louqual amavo tan lous chams e la culturo,
N'avent gran quantitat, que de volontat puro
[fo 7v°]
352
V'anet tout divisir per partz a sous subgetz,
Va dounant en cadun segon lous sious projectz,
May embe qualitat que terros e aubrilho
Fousson ben couturas en payre de familho,
138 PV : Si perfossant cadun de aussitos va ben faire. Tout est biffé sauf faire. La version définitive est rajoutée audessus. Entre beson et en, faire d'anssin biffé.
139 PV : Car si fau ben gardar biffé, dont cadun ... rajouté au-dessus.
140 si nourrissent biffé, per l'enfant au-dessus.
141 PV : De lach son enfantet quan n'a pauc li fau fayre. Quouro li manco en marge à gauche (son enfantet écrit en
marge à gauche est biffé), son enfantet quan n'a pauc li biffé, per n'aver proun rajouté au-dessus.
142 PV : lou sur lequel Ruffi a écrit son.
143 de originellement placé entre Romans et doas, biffé, rajouté au-dessus de causos.
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En metent grando peno a qui li mancarie,
Car davant Diou alors mau vengut l'on sarie.
Dount, per va ben gardar, ordonet magistras
D'anar veire per tout terros, vignos e pras,
Recercar e velhar sur la bono culturo,
E d'aquellous e tout que n'avion pauc de curo,
May surtout remarcar aquellous diligens,
Car lou rey subre tout amavo talos gens,
D'un cor fort volontous et d'alegre visagi,
E quant as negligens, vielz, jouves, de tout eagi,
Eron lous mau vengus, punys e mesprezas
Per lou rey au raport fach per lous magistras.
Un aultre illustre rey, de fortuno diversso,
Plen de gran esperit, Cirus, lou rey de Persso,
Fouguet tant adounat au culte dau terren,
Qu'abaissant sa grandour, un bon talen li pren,
Faire de son sicau144 un jardin de plazensso,
De beous aubres plantar d'uno agresto experiensso,
D'un ordre arrengueiras, fort beou, artificious,
Portant d'excellens frucz au goust delicious,
Aussi garnit de flours bellos ben odorantos
Que de sa man avie chauzit e mes las plantos.
[fo 8 r°]
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Si que venent vers eou un Lizander nomat,
Per veire aquest jardin de desir enflamat,
Ben acort, vertuous en touto docto sciensso,
Que avie portat au rey de presens d'excellensso,
Egaux a sa grandour, lo rey per145 recrear
Lisander gayoment, au jardin fet intrar,
Li fazent veire a l'ueilh sa rialo culturo
Qu'a bon drech li vantet d'estre la creaturo146
Tymbrado de sas mans, embe peno e plazer.
Lizander, tout ben vist, v'allucant147 de lezer,
Tant lou jardin troubet excellent, admirable,
Que juget non ly148 aver ges au monde149 semblable,
Et150 d'admiration restet coumo raubit,
D'un gros estounament que lou prenguet subit,
E puys que tan gran rey dau cult es lou moudello,
On lo deou imitar et va metre en cervello151
Et fayre encaro152 mioux puys que n'en saben l'us.
Un rey aziatic, apellat Attalus,
144 la siou man biffé, son sicau rajouté au-dessus.
145 PV : lou rey per lou biffé, lo rey per rajouté au-dessus.
146 d'estre la biffé, coumo rajouté au-dessus puis biffé. D'estre rajouté à la suite.
147 PV : v'allucant biffé puis rajouté au-dessus.
148 PV : Jugeant hon my. Le -ant de Jugeant biffé, ny biffé, ly rajouté au-dessus, que placé en début de vers.
149 de biffé après monde.
150 D'uno part biffé, Et rajouté au-dessus.
151 PV : Faudrie en l'imitant li metre la cervello. Seul cervello n'est pas biffé. Version définitive rajoutée au-dessus.
152 E se si pod far biffé, Et fayre encaro rajouté au-dessus (far biffé après et).
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Fort riche et opulent, d'uno armo liberalo,
Per laborar leisset sa dignitat rialo,
Abeissant sa grandour per de sa propri man
Trabalhar, curious dau jour au lendeman,
A faire de jardins seguent l'agriculturo.
Encaro un autre rey, d'uno mesme naturo,
Vo ben emperadour, Diocletian nomat,
Aqueou plazer rural a tan fort estimat,
[fo 8 v°]
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408
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Que quitant au Senat l'imperialo curo,
S'adounet volontier tout a l'agriculturo,
Quitant153 senatours, lou supreme gouvert,
Car eou d'autre154 costat tan d'estiou que d'huvert,
S'atendet au labour retirat a Solouno,
Son naturau pays, emplegant sa persouno
Au rustique plazer lou resto de sous ans,
Leissant a l'abandon tout l'Estat as155 Romans,
Mais non pouguet gardar156 fazent rustico vido,
Que non fouguesso157 en fin per poizon158 mau finido.
Qui das Souysses voudra leur Estat regardar,
Coustumo troubara que si deurrie gardar,
Car sus lou nombre cent qu'ellous an de villagis,
Chausisson tous lous ans millo homes de bons eagis
Per mandar a la guerro e puys quant au restant,
Lous autres eron mes per trabalhar d'autant
Au labour jornalier qu'es bezon au terraire
Per vieure d'un costat, de l'autre guerro faire,
Anssin va demenant e fazent d'an en an,
E lous millizians si troubant en gros dan
Per estre resolus commo ellous devien vieure,
D'arbitres aurien pres per jugear e descrieure
La causo que veirion estre la plus utilo
Contro lou mau gouvert qu'ero dintro lur villo.
Lous arbitres anant veire per la campagno
Se ly avie bon gouvert vo ben de la magagno,
[fo 9 r°]
428
432
Metion tout per escrich de ce qu'avion troubat
Dins la villo tanben e puys tout acabat
E v'aver raportat a lur pleno assemblado,
La causo entre ellous tous arbitres disputado,
Foun per drech resolut en prepaux vertadiers
De donar lou gouvert as ruraux meynagiers,
Prenent esto rezon159 que qui fort ben gouverno
153 Lous biffé, e eou de rajouté au-dessus puis biffé, Quitant en marge à gauche.
154 PV : Eou de l'autre. de biffé, le l de l'autre transformé en d, car rajouté en début de vers.
155 PV : das, as rajouté au-dessus.
156 fazent biffé, gardar rajouté au-dessus.
157 perdesso biffé, fouguesso rajouté au-dessus.
158 la biffé après poizon.
159 PV : Apielant. Prenent esto rezon en marge à gauche et au-dessus.
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Lous160 chams, coumo si deou, aussi d'amour interno
Dau ben public avio sagi gouvernoment.
De Furma Crezin l'on parlo dignoment,161
Que redrisset162 son camp de sa propro industrio,
Lou gouvernant soulet, segon sa fantazio,
Per son valent labour et son gran cultivar,
Plus grando quantitat d'enfrus venie estivar,
Que d'autres qu'avion may au triple de terraire,
Donc talz fort163 envejous que non reculhion gaire
Lou feron acuzar per un nomat Aubin
Que164 coumetie gros fraud au labour, may Crezin,
Eou a165 Romo assignat, va compareisse en plasso,
Aquit en beou mitan son atiral amasso,
Lous autilz de labour e sous buoul attelas,
Remonstrant qu'eou prenie en aquo gran166 soulas,
Tant que d'aqueou Aubin l'accusation167 frivolo
Foun declarado fausso, ambiciouso e follo.
De Platon l'on apren que la vido das chams
Es la plus agreablo, espargnant tous lous ans,
[fo 9 v°]
456
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468
Surmontant tout dangier e non ambicionado
Sinon das perezous168 qu'an l'armo passionado.
Or d'Athenos Platon anet 169en luec marrit,
Aqui si retirar content de l'esperit,
En ung luec tout incult, quasi commo sauvagi,
Hounte ero visitat per tout gran personagi
E son academie vouguet 170aqui drissar,
Commo foro de brut, de tout 171si sequestrar.
E si de Ciceron l'opinion fau prendre,
Un gran ben dau labour172 dis que si pot aprendre,
& qu'au monde non ly a estat plus agreable
Que lou rustic labour, util e proffitable,
Digne d'un noble cor que fort alegroment,173
Embe son revengut douno a vieure amploment,
Coumo per sous escrichs nous douno conoissensso,
Metent l'agriculturo en gloriouso essensso,
160 Los biffé, Lous rajouté au-dessus.
161 PV : Fau parlar d'un .... dignoment. Tout est biffé sauf dignoment. De Furma Erezin rajouté au-dessus (fau
parlar à la suite est biffé) ainsi que l'on parlo.
162 gouvernant biffé, redrisset rajouté au-dessus.
163 PV : Talz aultres, biffé. Dont rajouté en début de vers, fort en dessous.
164 Dizent rajouté en début de vers puis biffé.
165 En biffé, Eou rajouté en début de vers, a au-dessus.
166 son biffé, gran rajouté au-dessus.
167 PV : l'accusation biffé, rajouté au-dessus de d'aqueou, à nouveau biffé et rajouté au-dessus de la PV.
168 perevous biffé, perezous rajouté au-dessus.
169 PV : D'Athenos donc Platon s'en va. donc et s'en va biffés, anet rajouté au-dessus de s'en va et Or en début de
vers.
170 vouguet, originellement situé entre aqui et drissar, biffé et rajouté au-dessus de aqui.
171 aqui biffé, de tout rajouté au-dessus.
172 PV : Dau labour un gran ben. un gran ben est biffé et rajouté en début de vers.
173 ben amploment biffé, alegroment rajouté au-dessus.
�472
476
Car eou a Forminiano un cop s'entretenie
Vo ben au Tusculan quauquo fes li venie,174
E may au Pompeyan hounte eron sas bastidos,
Visitat das Romans per reformar lurs vidos,
Lauzent e aprenent lous termes d'orezon
Que rajavon adong dau bec de Ciceron,175
Louqual as susditz luecz per ans, mes e semanos,
Reformet amploment sas obros Tusculanos,
Et may sas orezons messos a son degut.
Autan ben Cincinat, roman, el es tengut
[fo 10 r°]
480
484
488
492
496
500
D'aver viscut as chams, fazent lo laboragi
De sous bras e sas mans d'un fort noble couragi,
Dins sa bastido e camp ero ordinariment,
De quatre jugeri que huech buous largoment
Li poudion assouvir cado jour la culturo.
Trabalhant, elegit foun a la dictaturo,
Alors176 de tout suprano e ferialo177 dignitat,
Sensso n'en saber ren ny v'aver recercat,
Eou foun anssin chauzit per son tan bon meynagi,
Que adounc lous Romans tenion en gran prizagi.
Lous deputas l'anant querre au nom dau Senat,178
Au camp, sur lou trabail, trouberon Cincinat,
Mitat nus, tout poudrous, a l'entour de l'araire.
Li denonciant l'honour qu'avion vogut li faire.179
Si fouguet estonat, poudez pensar coment,
Lou cor li tressalhet plen de contentoment,
D'un meynagie rural, un prince grand180 si veire,
Dau cop fouguet fort lourd. Davant que va si creire,
Trionfle dau labour,181 a Romo foun menat,
E aqui dictatour a son tems gouvernat,
May tan leou que fouguet de la charjo deforo,
Tournet prest a son camp vount ero sa demoro.
N'y a un autre tamben au labour adounat,
Un fort bon meynagier, Collatinus noumat,
[fo 10 v°]
504
Que per sa grand vertut au fet d'agriculturo,
Fouguet mes182 dau Senat, aussi a la dictaturo.
Seneco de grand nom, au labour fort enclin,
174 PV : si venie, remplacé par dessus par li venie.
175 PV : Qu'an rajat autros fes dau brave Ciceron. Seul Ciceron n'est pas biffé. que rajavon rajouté au début du vers
et adong dau bec de placé au-dessus (sens biffé après bec).
176 PV : qu'ero biffé, adonc rajouté en début de vers puis biffé, alors rajouté au-dessus.
177 PV : rialo. e may rajouté au-dessus puis biffé, e fe- rajouté avant rialo.
178 PV : Lous deputas d'ela anant de la part dau Senat. d'ela et de la part biffés. querre au nom rajouté au-dessus.
Nous rétablissons dau, biffé, et ceci pour la bonne lecture et la régularité du vers.
179 PV : quan li avie vogut faire. quan li avie biffé, qu'avion et li rajoutés au-dessus.
180 grand biffé, situé originellement avant prince, est rajouté au-dessus.
181 PV : Dau labour en triomfle. en triomfle biffé puis rajouté (sous la forme trionfle) dans la marge à gauche.
182 mes rajouté au-dessus.
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512
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520
524
528
Auprez de sa bastido entaulet un jardin,
De son sens, de sas mans, mes en bel equipagi
Que plus non si poudie n'en faire davantagi,
Disent que qui voudrie estre docte, excellent,
Deou sa villo quitar e si rendre content183
Per evitar rumour e perversso pratiquo,
Qu'entre poble commun de non ren si boustiquo,
Si que per estudiar fau estre en luec remot,
D'affaires escartat voun tout malhur es mort,
Car lou bon er das chams184 porto aquesto maximo
Que nostre entendoment subtiloment animo185
D'aprendre ubertoment beaucop en pauc de tems.
Autant Plino n'en dis, de mesme tous enssens186
Que vezent lou terren plen de causos plazentos,
Lou plazer nous condus a de fort eminentos.
Fau enca remarcar un poeto renomat,
Petrarco, fort souvent, car ero anssin nomat,
Tout ce qu'a compauzat de milhour en sa vido
Fouguet estent aux chams en un mas vo bastido,
Envidant sous amys de l'anar visitar,
E sous dauras prepaux entendre e escoutar,
Cadun li anavo prest sensso troubar excuzo,
Surtout quan si loget a la Font de Vaucluzo,
[fo 11 r°]
532
536
540
544
Car aqui d'un rustiq plazent contentoment,
Sas canssous e sounetz compauset doctoment.
Ajusten li un dotour en leys, mestre d'escolo,
Tan187 fort docte e famous, lou188 renomat Bartolo,
Louqual si sequestrant de la villo e l'estat,
En bastido reduch coumo luec escartat,
Prenguet la siou retreto au hault d'uno collino
Ount lou vent a lazer bronzis e li domino,
Prez Bologno, e aqui trabalhet, escrivent
Doctoment per las leys, coumo lou plus savent,189
E aqui reformet sous doctes Comentaris,
Regetant tout default et d'opinions contraris,
Car190 autentiquoment coumo as libres pareys,
A illustrat lou drech e lou sens de las leys.
Non sarie jamay fach si l'on si voulie attendre
D'allegar gens savens qu'aux chams si venon rendre
183 PV : Sa villo fau quitar e s'en .rendre absens. Deou de rajouté en début de vers (de deux fois écrit, deux fois
biffé). fau biffé (doun rajouté au-dessus puis biffé), de luen n'estar fau estre diligent rajouté au-dessus puis biffé, e si
rajouté au-dessus de quitar, faut prendre expedients rajouté en dessous, à la suite, biffé, suivi de content.
184 das chams rajouté au-dessus.
185 PV : […], animo rajouté au-dessus.
186 PV : d'uno vous tous enssens. d'uno vous tous biffé. de mesme tous rajouté au-dessus.
187 Un biffé, Tan rajouté au-dessus.
188 tres biffé, lou rajouté au-dessus.
189 PV : Castoment coumo en leys lou plus brave etsavent. Castoment biffé, doctoment per las leys rajouté audessus, en leys biffé, doctoment rajouté au-dessus puis biffé, de Roman biffé.
190 May biffé, Car rajouté en début de vers.
�548
552
556
Per li passar sous jours e li vieure content,
Qu'an escrich doctoment e d'estille plazent
Lou modou e l'adrech dau veray laboragi
Et dau temps191 lors present vo de futur presagi :
Hesiodo, Vergili e Marc Varro, Caton,
Horaci, Columello e Tulli Ciceron.
E ben que sie veray que pron causos utilos
E de raro vertut suprenon dins192 las villos,
Si l'on vou compensar las querellos, debatz,
Envejos, mau gouvert, d'enemis sur lous bras,
Qu'evitar non si pot en villos per lou trouble,
En fin l'on troubara un contentoment double
Dau plazer e proffit aux chams representat,
E que ly a bon moyen, coumo es ja recitat,
[fo 11 v°]
560
564
D'estudiar gayoment en touto docto sciensso,
Si rendre193 vertuous e n'en faire experiensso,
Car en mancou de tems qui la peno prendra,
Un caffi de doctrino e d'honour aprendra,
Enfin fau confessar d'uno reglo autentiquo,
Que tout bonhur vous ven en la vido rustiquo.
Je chante les plaisirs de la vie rustique — Que l'on prend au terroir de l'antique
Marseille, — Surtout ces gens qui restent aux champs toute l'année, — (4) Vivant ici sur
leur bien mieux que dans un tripot, — Car chacun est content de vivre dans sa bastide
— Avec femme, enfants, d'une vie agréable, — Troupeaux et valets autant qu'on en a
besoin — (8) Pour servir au travail en tous temps et saisons. — Lui, comme un petit roi,
quand il commande ses gens — Est aussitôt obéi ainsi qu'il le demande — Et il fait
bonne chère de son beau revenu : — (12) Du vin, de l'huile, du blé et des fruits qu'il aura
eus, — Préservé de tout procès qui meurtrit la cervelle, — Éloigné des querelles et des
gendarmes, — Vivant toujours joyeusement pendant ses repas, — (16) Ses enfants autour
de lui mangeant gaillardement, — Pas du gibier à plume ni de robe subtile — Réservé
aux délicats gourmands de la ville, — Mais bien de la nourriture, de l’ail, de l'huile bien
épaisse, — (20) Mis sur la table pour être vite expédiés, — Car sans dire mot ni
dire : « j'en veux », — Chacun trempe le pain dans ce bon aïoli — Qui revigore tout le
cœur pourvu qu'il ne soit pas noyé, — (24) Car il faut toujours qu'il soit monté d'une
main, — Parce qu'autrement il serait une mauvaise nourriture — Ou bien ils remplissent
leur corps d'une bonne bourride — Qui est faite en un clin d'oeil d'eau, d'ail, de sel, —
(28) Bouillie dans une marmite comme le paysan sait le faire. — C'est encore plus
goûteux quand on y a fait cuire des escargots, — En avalant deux ou trois des plus gras
en une seule fois, — Trempés dans la sauce prête dans un petit bol, — (32) Faite
d'amande et de pain aillé et d'un bouillon à peine chaud. — Et quand c'est grande fête
qui entraîne toujours la joie, — On capture donc quelque lapin de garenne, — Ce serait
trop de plusieurs mâles, car il y en a assez d'un seul, — (36) Parce qu'ils sont ennemis et
s'entretuent. — Au demeurant diligent, jour et nuit en fatigue, — Parce qu'il tient la
191 sie pr biffé après temps.
192 surpren dintre biffé, surprenon dins rajouté au-dessus.
193 Et devenir biffé, si rendre rajouté en début de vers.
�paresse pour son ennemie, — Il n'est jamais sujet à la goutte ni aux convulsions, — (40)
Remuant en tout temps ses corps, bras, mains et doigts. — Il est toujours matinal,
employant sa journée, — Lui et ses serviteurs et ses employés, — Que ce soit le soir ou
le matin, il va visiter son bien, — (44) Pour voir s’il y a quelque chose qui ne va pas, —
Si le bouvier a fait un bon sillon, — Bien droit et bien profond le long de la rangée —
Et si à l'oliveraie ils ont bien creusé et biné, — (48) Ainsi que les autres petits arbres qui
sont dans son clos, — Surtout s'ils ont bien traité la souche tordue — Qui fait le suc
divin si savoureux en bouche, — Dont il ne faut pas parler comme un fruit ne donnant
rien, — (52) Car il doit être caressé comme il le mérite ; — Si bien qu'il est aux
vendanges et y commande — Que tout raisin gâté soit mis de côté, — Pourri ou
échaudé, car il gâterait le vin, — (56) Il n'y a pas non plus un brin pas encore mûr. — De
plus quand le matin aux champs il y a de la rosée, — Qui est mauvaise et d'une amère
saveur, — Il ne fait pas couper le raisin comme bien provident, — (60) Sinon quand le
soleil est bien haut, éblouissant, — Car celui qui vendangera avec une telle humidité —
Aura dans le tonneau un vin de mauvais goût ou tourné. — Voilà pourquoi de tous
temps il est évident — (64) Que le vin marseillais est réputé excellent — Et bien
renommé par les poètes ou dans les histoires, — Éblouissant toujours plus dans cette
mémoire, — Que ce soit vin rouge ou blanc ou clairet délicat, — (68) Ainsi que du
muscat blanc ou du muscat rouge. — S'il y a de la peine ou du plaisir ce n'est pas par
merveille, — Car les vendanges et le vin sont le sang de Marseille, — Plus que la
récolte du blé qui est très médiocre, — (72) Car la mer influence largement le terrain. —
De l'huile, il y en a vraiment en abondance, — Si belle, si douce et bonne, de l'huile de
choix, — et pour l'avoir ainsi, quand les olives sont — (76) Prêtes à être cueillies à la
main à la bonne saison, — On ne bat jamais les pousses ni les petites branches, — Mais
c'est bien avec les mains qu'ils cueillent les petites olives, — Surtout pendant un jour
clair et non humide — (80) Parce que l'arbre et le fruit s'en portent beaucoup mieux. —
Il font aussi nettoyer les olives cueillies — Chaque soir en enlevant les queues, les
feuilles qui sont mauvaises — Et tant qu'ils font ainsi, d'un ordre provident, — (84)
L'huile n'est jamais mauvaise, ni forte ni piquante — Et puis aussitôt qu'il y a deux
mottes nettoyées, — Ils les envoient au moulin pour y être écrasées — Si bien que si on
se comporte ainsi tous les ans, — (88) Il y a de la très bonne huile, très douce et presque
à maturation. — Le naturel du terroir marseillais — Aide aussi pour la saveur comme
fait le bon air, — Que ce soit de Séon ou Saint-Tronc, Sarturan, le Canet, — (92)
Malepogne, Cayran et de Montolivet, — Terroir donnant saveur à tout ce qui y naît, —
Tant pour le corps humain que pour y faire paître le bétail. — Même les perdrix que l'on
prend par ici, — (96) Vers le bas de la Garde, il vous faut le noter, — Sont d'un fort
meilleur goût qu'en un autre lieu de chasse, — Parce qu'à cet endroit passe l'air de la
mer. — Désirant la bonté grâce aux beaux fruits qu'ils ont toute l'année, — (100) En tous
temps et saisons, que l'on soit riche ou paysan, — Chacun se réjouit quand le temps se
renouvelle, — Car vous avez l'artichaut et la fève nouvelle — Aussitôt que le joli mois
d'avril est arrivé, — (104) Et puis au mois de mai, le mois gai et gentil, — Apparaît le
fruit rosé de la douce cerise, — Venant au mois de juin, se suivent tout d'un trait, — La
grosse agriotte qui a un jus fort excellent — (108) Et l'abricot délicat, si goûteux et
plaisant. — Peu de temps après, beaucoup de poires de la Saint Jean, — Puis la petite
pêche quand le soleil est haut, — En juillet la pêche-madeleine greffée — (112) Qui
prend sa couleur et mûrit au plus fort du soleil, — À l'odeur et à la saveur d'un mets
délectable, — Dont l'arbre est singulier et tenu pour admirable, — Car il n'en existe pas
en dehors des greffés, — (116) Qui soient des arbres francs ni d'espèces plantées. —
�Toute pêche en août, puis aussitôt la figue, — Qui pour la cueillir est de douce fatigue,
— Si bonne, si doucette, excellente en saveur, — (120) Tenant son renom de son
antiquité, — Un fruit qui est particulier au terroir marseillais, — Car il change de saveur
aussitôt qu'il change d'air; — D'elle le fermier en a profit et plaisir, — (124) Il ne fait que
la cueillir et la sécher à son aise, — Vous diriez qu'elle représente nos trois âges, — Car
la figue-fleur est la plus éminente, — Après on cueille les plus mûres, d'autres très
belles, — (128) Et puis le rebut que l'on estime pour moitié, — Mais il ne faut pas oublier
qu'avec l'ensoleillement, — Celle qui reste est souvent bien pourvue. — Et aussitôt
qu'elle est mûre, prête à être séchée, — (132) Vous voyez venir l'oiseau pour vite aller la
becqueter, — Surtout quand il la voit fendue et ouverte, — Car en y fourrant le bec, il
en tire une becquée, — Y becquetant si souvent que bientôt il s'engraisse, — (136) Ce qui
donne idée à chacun de chasser — À l'arquebuse, à la glu, au petit arc et au filet, — On
en fait souvent de bien belles brochettes, — Car donc tout oiseau est becf.igue gras, —
(140) Dans tout le terroir, arbres, vignes et prés. — Oh! que le becf.igue gras est un mets
délicat! — Et celui qui l'avale en une seule fois est très fort, — Il suffit qu'il soit à
moitié cuit, débroché, — (144) Pour l'avaler avec goût et de bon appétit. — Et peu de
temps après, vient la chasse aux grives, — En octobre, après elles, chacun se fatigue, —
Et tant que le raisin est bien sur la vigne, — (148) La grive est toujours grasse, mais
quand il fait défaut, — Et qu'elle s'en va sur les arbres pour avaler l'olive, — Elle n'a pas
un brin de graisse, et va sa chair maigrelette, — Bien que par grand malheur, par tous
lieux bas et hauts, — (152) Les chasseurs lui causent une infinité de maux — Jusqu'à en
être hautains, sans respect pour personne,— Dérobant de leur main voleuse tous les
fruits qui pendent. — Il ne faut pas oublier l'exercice des champs — (156) Du peuple
marseillais, depuis Pâques jusqu'à la Toussaint, — Pour aller banqueter de bastides en
bastides, — Parents, amis, voisins, d'une vie plaisante, — Où ils emploient le temps à
de joyeux discours, — (160) À banqueter et jouer quelques heures de la journée — Ou si
bien à propos à tendre le filet — Pour prendre des oiseaux dans des allées ou sur des
haies; — Donc une battue est vite faite — (164) Pour envoyer les oiseaux au tourment
dans le filet — Et puis on plume vite ce qui est pris, — Pour en broche et lardés, les
cuire au souper. — S'il y a aussi de l'argent gagné au jeu, — (168) Il est vite désigné pour
l'accroissement des vivres : — Dépensés pour la chasse, sont envoyés à la ville, — Que
ce soit perdrix ou lapins, levrauts, oiseaux, bécasses — Ou autres volatiles comme il
convient. — (172) Ils n'ont jamais aucun repos aux bastides, — Car qui danse, qui rit, qui
d'une autre façon chante, — Il n'y a aucune tristesse ni humeur peccante, — Donc telle
vie est enfin au terroir, — (176) Aux bastides, jardins et aux alentours. — Et quand nous
sommes au bon temps de l'été ou au printemps, — Qu'y a-t-il de plus noble et de plus
estimable — Que de greffer de jeunes arbres au subtil écusson, — (180) Avec lien et
couteau, le germe et le porte-greffe — En les agençant bien vite et d'une science très
agile, — Qui d'un arbre mauvais en fait un excellent? — On ne peut pas ressentir un
plus grand contentement, — (184) Mais que soir et matin soient vécus chastement. — On
y reçoit encore d'autres plus grands plaisirs — Qui ne peuvent pour le moment être tous
décrits, — Car personne ne pourrait dire ni réciter — (188) Les délices de la campagne
pour vivre et profiter. — Et puisque l'on voit ainsi le terroir de Marseille, — Il ne faut
pas s'étonner ni être émerveillé — Si les anciens savants et de grands esprits — (192)
Pour devenir heureux et guéris des troubles, — Se sont chacun retirés dans un lieu
champêtre, — À l’écart de tous bruits pour là être mieux, — Et apprendre toute science
dans le terroir aéré — (196) Et aussi mieux l'enseigner plus aisément, — Car on ne ferait
pas aussi bien à la ville, — Où l'on reste uniquement pour négocier; — Et bien que des
�hommes frivoles allèguent que la ville — (200) Est faite pour être utile à ses habitants —
Et qu'il appartient aussi à toutes personnes d'honneur — D'y paraître avec tous moyens
et de se croire un seigneur, — gentilhomme marchant et se faire voir sur la place, —
(204) Fréquenter le jeu, source de querelles, — Et avec un grand mépris, ils se moquent
follement — De ceux qui vivront aux champs en bon ordre. — Mais celui qui lira bien
les histoires passées — (208) Récitées depuis la création du monde, — Et qui méditera le
temps écoulé depuis Adam : — Bien qu'il eut apporté un si grand mal et tant de
dommages, — Il fut le tout premier qui au paradis terrestre — (212) Laboura au jardin
où Dieu l'avait fait maître, — Mais aussitôt qu'il trébucha contre Dieu, — Dieu lui
donna un fléau digne du péché : — Que lui et ses descendants de tous temps et à tout
âge, — (216) Avec peine et travail et sueur au visage — Vivront, mangeant leur pain en
labeur et tracas, — Cultivant la terre, prés, friches et roches. — Après lui, ses enfants de
première naissance, — (220) L'un Caïn, l'autre Abel, sans autre expérience — Nature les
soutint selon leur volonté : — Caïn prit tout son plaisir à labourer — Et Abel fut berger,
gardien de troupeau, — (224) Homme juste devant Dieu en ce premier âge, — En lui
offrant tout premier né — Il fut donc le premier prédestiné au ciel. — Voilà donc les
premiers nés de semence humaine — (228) Qui ont labouré, gardant des troupeaux à
laine et à poils — Et puis d'autres après voyant le terrain dur, — Ne pouvant porter un
fruit qui devienne mûr — Par manque de cultures. La faim les tenaillant, — (232) Ils
travaillèrent hardis à labourer la terre, — Ils n'avaient pas de pensées pour les villes et
maisons, — Car ils avaient des caves pour leur logement, — Mais ils avaient une
grande activité pour garder le troupeau — (236) De bœufs, brebis, moutons et autres
élevages, — Vivant dans les premiers temps en grande allégresse. — Mais quand le
monde fut ensuite bouleversé, — Et que par commandement du grand juge éternel —
(240) Il fut puni par les eaux au temps du grand déluge, — Noé, l'ami de Dieu, alla
planter la vigne, — Comme le tout premier qui alla la remettre en jeunesse, — Vrai
restaurateur de toute la lignée humaine, — (244) Aussi riche en enfants qu'en biens et
troupeaux, — Le père et les enfants jouissant pleinement, — De tout ce qui était au
monde et toujours labourant. — Après Abraham, Isaac, Jacob et sa progéniture, — (248)
Fermiers fort riches et de saint jugement, — Jadis en ce temps avaient tout leur plaisir
— De posséder de grands biens et de gros troupeaux. — Et on peut en dire autant de
beaucoup de rois — (252) Qui de leur propre gré tenaient le labour pour chose précieuse,
— Ainsi qu'élever des troupeaux et cultiver la terre — Pour le plaisir qu'en tout temps
on y prend. — Car on ne peut pas vivre sans l'agriculture, — (256) Utile à tous les
hommes, amie de nature, — Et si les champs n'étaient pas autrefois cultivés, — Que ce
soit pour l'huile, le vin, le blé dans la terre défrichée — Et de tout autre fruit nécessaire
à la vie, — (260) La vie de chacun serait bien vite compromise, — Car on peut se passer
d'avoir des vêtements, — Mais pas se passer de ces aliments. — Et il vous faut croire
cela : qu'un père de famille — (264) S'il est un mauvais fermier tombe vite dans la
pauvreté, — Car il ne doit pas acheter ce qu'à son terroir — Il pourrait recueillir
moyennant son labour. — Enfin l'agriculture vise à l'utilité, — (268) Un état pacifique
qui préserve du malheur — Procure un grand plaisir de voir les champs — Verdoyants,
sentant l'odeur des fleurs en promenant, — Voir naître et fleurir l'arbre et le fruit qu'il
porte, — (272) Ramasser tous les fruits de la branche morte, — Et puis entendre le jargon
des petits oiseaux, — Aux chants différents, comme un parangon — Du concert musical
et même de la musique, — (276) Tant chacun des oiseaux s'applique dans son chant, —
Faisant retentir l'or d'un son mélodieux, — Louant Dieu par son chant doux et gracieux.
— Et puis quand ils ont fait une pause dans leur chant, — (280) Il y a un grand silence
�jusqu'à l'autre chant, — Qui suit bientôt et puis est repris — Par ceux qui avaient
commencé les premiers. — Vous diriez qu'à leur concert ce sont des voix presque
choisies, — (284) Comme s'ils étaient instruits des quatre parties, — Mais nous mettons à
part le docte rossignol : — Quand il est prêt d'un vallon où l'eau court, — Remuant
fortement le bec et puis la gorge — (288) Qui tremblote joyeusement d'une jolie façon —
Pour discourir savant avec son doux ramage — De divers langages, divers chants et
choses passagères, — Car au monde il n'y a rien de plus mélodieux — (292) Comme roi
des oiseaux et le plus précieux, — Car celui qui la nuit entend cette excellente voix, —
Au lieu de dormir, se contente de l'écouter. — Puis si l'on a considéré l'état du ciel, —
(296) Quand le jour est beau et l'air bien épuré, — La course journalière de l'astre
lumineux — Qui donne aux ténèbres la céleste lumière, — Les étoiles du ciel brillant
très clairement, — (300) Le bel arc coloré s'échappant de la pluie, — Tant de beaux corps
célestes nous indiquant — De façon non commune le temps et la saison opportune —
Ou bien s'il pleuvra bientôt ou si le temps sera serein — (304) Ou s'il y aura du vent ou
un temps plein de fraîcheur, — Car celui qui habite jour et nuit au terroir, — Y
contemple et médite beaucoup d'admirables figures. — On lit que quelques Romains ont
tant aimé — (308) Le fait d'agriculture et le temps passé, — Comme ils préféraient une
certaine espèce de légume, — Ils portent chacun un surnom tiré d'un légume, —
Personnes très renommées en tous temps par leur nom : — (312) Les Pison, les Lentulus,
Fabius et Ciceron, — Un voulait des fèves et un autre des pois, — Et un des lentilles et
puis l'autre des pois chiches. — On ne peut pas oublier d'autres grands personnages, —
(316) Poètes, princes, rois et personnes de hautes lignées, — Philosophes également qui
ont tous pratiqué — La culture des champs et laissé par écrit — L'art et l'enseignement
du gouvernement du terroir — (320) Et de ce qui est nécessaire en tous temps d'y faire,
— Ce que chacun suit entièrement aux champs. — D'autre part les Romains, par grand
commandement, — Donnèrent aux censeurs toute la charge et cure, — (324) Pour que
ceux qui possèdent des biens fassent bonne culture, — Et s'ils étaient trop négligents
pour faire cela, — De ne pas manquer de punir toute sorte de personnes, — Car comme
l'on prévoit que quand il manque du lait — (328) À la mère pour son enfant, pour en
avoir assez, il faut faire — Multiplier son lait par certains aliments — Ayant ces
facultés, ainsi, ni plus ni moins, — Nous qui sommes enfants de la terre habitable, —
(332) Qui sommes nourris d'elle de façon délectable, — Quand nous récoltons peu aux
champs mal labourés, — Il faut donner un meilleur travail et beaucoup de fumier, —
Donc tout rentre dans l'ordre, car sans bonnes cultures, — (336) La terre chômerait à
notre grand dommage. — Considérant cela le grand roi Romulus, — Premier roi de
Rome, après l’avoir décidé, — Commanda aux Romains de bien faire deux choses : —
(340) L'une de s'adonner au terroir laborieux — Et l'autre à la milice afin qu'avec ces
deux — Par l'une ils soient valeureux à la guerre — Et par l'autre qu'ils aient toujours de
quoi vivre. — (344) S'il faut encore citer et rendre illustre — Un autre roi romain adonné
encore plus — Au labour rustique, Numa Pompilius, — Lequel aimait tant les champs
et la culture, — (348) En ayant grande quantité, qui par pure volonté — Alla diviser le
tout par parts entre ses sujets, — En donnant à chacun selon ses projets, — Mais avec
qualité pour que terres et arbres — (352) Soient bien cultivés par un père de famille, —
Mettant en grande peine celui qui y manquerait, — Car il serait alors mal venu devant
Dieu. — Donc, pour bien le garder, il nomma des magistrats — (356) Pour aller voir en
tous lieux, terres, vignes et prés, — Rechercher et veiller sur la bonne culture, — Et sur
tous ceux qui n'en prenaient pas soin, — Mais surtout remarquer les plus diligents, —
(360) Car le roi aimait par dessus tout ces personnes, — Au cœur très volontaire et au
�visage joyeux, — Et quant aux négligents, vieux, jeunes, de tous âges, — Ils étaient les
mal venus, punis et méprisés — (364) Par le roi au vu du rapport fait par les magistrats.
— Un autre illustre roi, de fortune diverse, — D'un grand esprit, Cyrus, le roi de Perse,
— S'adonna tant à la culture du terroir, — (368) Qu'abaissant sa grandeur, il lui prit une
bonne envie, — Faire de son propre chef un jardin d'agrément, — Planter d'une
expérience agreste de beaux arbres, — Alignés en ordre, très beaux, artificiels, — (372)
Portant d'excellents fruits au goût délicieux, — Garnis aussi de belles fleurs bien
odorantes, — Qu'il avait choisies et plantées de sa main. — Si bien que venant vers lui,
un nommé Lysandre, — (376) Enflammé du désir de voir ce jardin, — Bien habile,
vertueux en toute docte science, — Qui avait apporté au roi des présents de choix, —
Pareils à sa grandeur, le roi pour distraire — (380) Lysandre gaiement, le fit entrer dans
le jardin, — Plaçant sous ses yeux sa culture royale, — Dont à juste droit il lui vanta
être sa création — Portant la marque de ses mains, avec peine et plaisir. — (384)
Lysandre, ayant bien regardé, admirant à loisir, — Trouva le jardin si excellent,
admirable, — Qu'il jugea qu'il n'y en avait pas au monde de semblable, — Et
d'admiration resta comme émerveillé — (388) Par un grand étonnement qui le prit
subitement, — Et puisque ce grand roi est un modèle pour la culture,— On doit l'imiter
et le garder à l'esprit — Et faire encore mieux puisque nous en connaissons l'usage. —
(392) Un roi asiatique appelé Attale, — Très riche et opulent, d'une âme libérale, —
Quitta sa dignité royale pour labourer, — Abaissant sa grandeur pour de sa propre main
— (396) Travailler, curieux du jour au lendemain, — À faire des jardins suivant
l'agriculture. — Un autre roi encore, d'une même nature, — Ou bien empereur, nommé
Dioclétien, — (400) A tant estimé ce plaisir rural, — Que délaissant la cure impériale au
Sénat, — Il s'adonna volontiers tout à l'agriculture, — Quittant sénateurs, le
gouvernement suprême, — (404) Car lui, là-bas, aussi bien l'été que l'hiver, —
S'appliqua au labour retiré à Salone, — Son pays natal, employant sa personne — Au
plaisir rustique le reste de ses années, — (408) Abandonnant tout l'État aux Romains, —
Mais il ne put continuer à mener cette vie rustique, — Sans qu'elle se terminât mal, par
le poison. — Qui voudra observer l'État des Suisses, — Trouvera une coutume que l'on
devrait conserver, — Car sur une centaine de leurs villages, — Ils choisissent tous les
ans mille hommes dans la force de l'âge — Pour envoyer à la guerre et puis quant au
restant — (416) Ils étaient destinés à travailler — Au labour quotidien comme il est
nécessaire au terroir, — Pour vivre d'un côté, de l'autre faire la guerre, — Se conduisant
ainsi année par année — (420) Et les miliciens se trouvant bien en peine — De devoir se
résoudre à vivre comme ils le devaient, — Avaient pris des arbitres pour juger et
décrire — la chose qu'ils considéreraient comme la plus utile — (424) Contre le mauvais
gouvernement qui était dans leur ville. — Les arbitres allant voir par la campagne —
S'il y avait un bon gouvernement ou bien de mauvaises pratiques, — Mettaient par écrit
tout ce qu'ils avaient trouvé — (428) Aussi dans la ville et puis le travail achevé — Et
rapporté à leur assemblée plénière, — La chose examinée entre tous les arbitres, — Il
fut résolu par de vrais propos et selon le droit — (432) De donner le gouvernement aux
fermiers ruraux — Considérant raisonnablement que celui qui gouverne fort bien — Les
champs, comme il se doit, avait également par un amour total — Du bien public un sage
gouvernement. — (436) On parle dignement de Furma Crezin — Qui redressa son
champ par sa propre habilité, — Le gouvernant seul, selon sa fantaisie, — Par son
valeureux labour et son grand sens des cultures, — (440) Il faisait pousser en été une plus
grande quantité de fruits — Que d'autres qui avaient bien trois fois plus de terres, —
Donc certains fort envieux qui n'en recueillaient pas tant, — Le firent accuser par un
�nommé Aubin — (444) Comme s'il commettait de grandes fraudes dans son travail, mais
Crezin, — Assigné à Rome, va comparaître en place publique, — Et au beau milieu
réunit ses affaires, — Les outils du labour et ses bœufs attelés, — (448) Montrant qu'il
prenait un grand contentement à cela, — Tant et si bien que l'accusation frivole de cet
Aubin — Fut déclarée fausse, ambitieuse et folle. — On apprend de Platon que la vie
des champs — (452) Est la plus agréable, épargnant le poids des années, — Surmontant
tous les dangers et peu enviée — Sinon des paresseux qui ont l'âme troublée. — Platon
alla hors d'Athènes pour un mauvais lieu, — (456) Se retirer là l'esprit content, — En un
lieu tout inculte, presque sauvage, — Où il était visité par tous les grands personnages
— Et il voulut dresser là son Académie, — (460) Hors de tout bruit, se retirer de tout. —
Et s'il faut prendre l'opinion de Cicéron, — Il dit que l'on peut apprendre un grand bien
du labour, — & qu'il n'y a pas d'état plus agréable au monde — (464) Que le rustique
labour, utile et profitable, — Digne d'un noble cœur qui fort joyeusement — Avec son
revenu donne amplement à vivre. — Il nous en donne connaissance par ses écrits, —
(468) Plaçant l'agriculture en glorieuse essence, — Car il se maintenait à Formies — Ou
bien à Tusculum où il venait quelquefois, — Et même à Pompéi où étaient ses bastides,
— (472) Visité par les Romains pour réformer leurs vies, — Louant et apprenant les
paroles d'oraisons — Qui sortaient donc de la bouche de Cicéron, — Lequel en ces
lieux et pendant ces années, mois et semaines — (476) Réforma amplement ses
Tusculanes, — Et puis ses discours convenablement mis au point. — Cincinatus,
romain, est également connu — Pour avoir vécu aux champs, faisant le labour — (480)
De ses bras et de ses mains, d'un fort noble courage, — Il était comme d'habitude dans
sa bastide et aux champs, — Avec quatre jougs et bien huit bœufs — Qui pouvaient
chaque jour suffire à la culture. — (484) Travaillant, il fut élu à la dictature, — Dignité
fériale alors supérieure à tout, — Sans en savoir rien ni l'avoir recherché, — Il fut ainsi
choisi pour son bon travail des champs — (488) Que les Romains tenaient donc en
grande estime. — Les députés allant le chercher au nom du Sénat, — Trouvèrent
Cincinatus dans son champ, au travail, — À moitié nu, tout poussiéreux, autour de la
charrue, — (492) Lui déclarant l'honneur qu'ils avaient voulu lui faire, — S'il fut étonné,
vous ne pouvez savoir comment, — Son cœur tressaillit, plein de contentement, — D'un
fermier se voir si grand prince, — (496) Il fut si étourdi. Avant qu'il puisse le croire, —
Triomphe du labour, il fut emmené à Rome, — Et a gouverné tout son temps ici comme
dictateur, — Mais aussitôt qu'il fut débarrassé de sa charge, — (500) Il retourna vite à son
champ où était sa demeure. — Il y en a aussi un autre qui s'est adonné au labour, — Un
très bon fermier, nommé Collatinus, — Qui par sa grande vertu concernant l'agriculture,
— (504) Fut placé au Sénat, également à la dictature. — Sénèque, de grand nom, fort
enclin au labour, — Disposa un jardin auprès de sa bastide, — À l'aide de son bon sens,
de ses mains, bien constitué, — (508) Car on ne pouvait en faire plus ni davantage, —
Disant que celui qui voulait être docte, excellent, — Doit quitter sa ville et s'en trouver
heureux — Pour éviter rumeur et pratique perverse, — (512) Car entre personnes
communes, on se harcèle pour un rien, — Si bien que pour étudier il faut être en un lieu
éloigné, — À l'écart des affaires où tout malheur est mort, — Car le bon air des champs
porte cette maxime — (516) Que notre entendement anime subtilement — Pour beaucoup
apprendre, ouvertement et en peu de temps. — Pline en dit autant, de même tous
ensemble, — Car voyant le terroir plein de choses plaisantes, — (520) Le plaisir nous en
fait rencontrer de forts éminentes. — Il faut encore remarquer un poète renommé, —
Pétrarque, car il était nommé ainsi, — Très souvent tout ce qu'il a composé de meilleur
dans sa vie, — (524) Ce fut résidant aux champs, dans un mas ou une bastide, — Invitant
�ses amis à venir le visiter, — Et entendre et écouter ses propos dorés, — Chacun se
rendait vite auprès de lui sans trouver d'excuse, — (528) Surtout quand il se logea à la
Fontaine de Vaucluse, — Car là d'un rustique et plaisant contentement, — Il composa
doctement ses chansons et sonnets. — Ajoutons-lui un docteur en lois, maître d'école,
— (532) Fort docte et célèbre, le renommé Barthole, — Lequel se mettant à l'écart de la
ville et de l'État, — Retiré dans sa bastide, en un lieu écarté, — Prit sa retraite en haut
d'une colline — (536) Où le vent gronde à loisir et y domine, — Près de Bologne, et il
travailla là, écrivant — Doctement pour les lois, comme le plus savant, — Et il y
réforma ses doctes Commentaires, —(540) Rejetant toute imperfection et opinions
contraires, — Car authentiquement, comme il paraît dans les livres, — Il a illustré le
droit et le sens des lois. — Ce ne serait jamais fait si l'on voulait parvenir — (544) À citer
les personnes savantes qui se rendent aux champs — Pour y passer leurs jours et y vivre
heureux, — Qui ont écrit doctement et d'un style agréable, — La façon et la pratique du
vrai labourage — (548) Du temps présent ou comme présage du futur : — Hésiode,
Virgile et Marc Varron, Caton, — Horace, Columelle, et Tullius Cicéron. — Et bien
qu'il soit vrai que beaucoup de choses utiles — (552) Et de rare vertu surviennent dans les
villes, — Si l'on veut compenser les querelles, débats, — Envieux, mauvais
gouvernement, ennemis sur les bras, — Dont on ne peut éviter le trouble en ville, —
(556) On trouvera enfin un double contentement — Du plaisir et profit représentés aux
champs, — Et qu'il existe un bon moyen, comme il a déjà été dit, — D'étudier gaiement
en toute docte science, — (560) Se rendre vertueux et en faire l'expérience, — Car en peu
de temps celui qui y prendra la peine — Apprendra une pleine mesure de doctrine et
d'honneur, — Il faut enfin confesser d'une règle authentique, — (564) Que tout bonheur
vous vient dans la vie rustique.
v. 1 : Yeou pronom personnel possède ici un emploi proche de celui du français et ne correspond
peut-être pas à une forme d'insistance. Cet emploi se retrouve plusieurs fois dans cette œuvre.
L'expression qui figure dans l'incipit et qui est reprise comme titre est inspirée de Pibrac. Nous
savons par ailleurs que Ruffi consacre dans ses Mémoires un court passage au terroir.
v. 2 : terren comme terradour ou terraire se retrouvent souvent sous la plume de Ruffi. Il s'agit
là d'une notion à la fois géographique et identitaire. Elle correspond aux limites du terraire
marseillais, partie comprise entre la ville et les collines qui l'entourent. Nous savons que cette
notion a pris une autre valeur au XIX e siècle : elle désigne l'espace dans lequel la langue évolue,
la société humaine et physique qui l'engendre et la régénère. L'étymologie lie ici l'espace à la
terre. Terraire s'évade donc de l'espace clos pour désigner le lieu naturel de la langue et du
« pays ». N'oublions pas cependant que pour Ruffi, le terraire est tributaire des conditions
particulières de l'environnement marseillais.
v. 3 : Surtout d’aquello gent : sous-entendu le plaisir de ces gens.
v. 4 : Ly vivent sur son ben que nous traduisons par « Vivant ici sur leur bien ». La restitution
littérale de Ly n'est pas possible. Nous préférons garder l'idée exprimée de la fonction du lieu et
traduire par « ici ».
berlan : il s'agit là d'un mot courant dans la littérature des XVI e et XVIIe siècles désignant soit
la maison de jeu, soit le jeu de cartes proprement dit. Relevons Le Triomphe du berlan de
Jacques Perrache, publié à Paris en 1585, puis à nouveau en 1587, recueil de poèmes qui
comporte un sonnet de Bellaud de la Bellaudière dans les pièces liminaires (poème non repris
dans l'édition de 1595). Jacques Perrache donne lui deux poèmes dans les pièces encomiastiques
du Don-Don infernal. Le recueil de Perrache entend dénoncer les méfaits du jeu. Pierre Paul est
l'auteur d'un Satyr berlandesc qui décrit l'ambiance particulière des maisons de jeux (Pierre
Paul, L'Autounado, op. cit., p. 52-53, au fo 29 v°-30 v°)
�v. 5 : bastido désigne une habitation située à la campagne et, par extension, le terrain qui
l'entoure. vieure dins sa bastido signifie donc « vivre dans sa propriété », maison et terrain
compris. Dès le début du XVIe siècle, le terroir marseillais se couvre de bastides où les
bourgeois marseillais passent une partie de l'année et qui leur permettent de s'approvisionner en
produits frais. Les bastides comprenaient deux parties distinctes : l'une pour l'agrément et l'autre
liée aux travaux des champs. C'est dans une bastide marseillaise, La Floride, que Guillaume du
Vair, gouverneur de Provence, anima une brillante société littéraire.
v. 8 : tout temps e sezon paraît être au singulier. Nous préférons traduire par un pluriel qui ne
dénature pas cette idée.
v. 9 : sa gent désigne l'ensemble de ses employés.
pichot rey reprenant l'idée d'une royauté de délices sans partage est présent chez Bellaud :
« Aros fa l'an entier qu'ery à la bastido, — De Mousur de Moulans en bono sanitat, — S'enss'
aver penssament quand valie, vin, ny blat : — Mays coum' un pichot Rey, passavian nostro
vido. » (Obros et Rimos…, op. cit., p. 55 des Obros et Rimos).
v. 9-10 : Une même idée se trouve chez Michel Tronc. Izabeu commande d'une façon énergique
à ses valets : « Per son coumandament tout ero aparelhat, — De matin l'oustau net, puis d'un
huel revelhat, — Coumandavo que leu fousso presto lei biasso » (Michel Tronc, Las
Humours..., op. cit., tome 2, p. 283).
v. 11 : chiero cf. « chero » que Mistral traduit par « bonne chère » (cf. Lou Tresor dóu
Felibrige, op. cit., tome 1, p. 543).
v. 13 : la référence aux procès se trouve également chez Pibrac : « Simple & droict en son cœur,
deteste la malice, — Et sans avoir procez honore la Justice » (Pibrac, Les Quatrains..., op. cit.,
p. 116-117).
v. 14 : Ailugnat cf. « alunhat ».
gent jandarmelo, les gendarmes. Nous ne pouvons restituer le redoublement de gent.
v. 17 : viando de bec désigne le gibier à plumes, de raubo sutilo désignerait plutôt le gibier à
poils (raubo traduit littéralement par « robe » (cf. Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit.,
tome 2, p. 710)). Ruffi indique donc que les paysans du terroir ne mangeraient pas le produit de
la chasse réservé aux citadins. Leur nourriture est issue des productions agricoles.
v. 17-18 : viando est pris ici dans le sens premier de nourriture. La ville semble être associée à
une délicatesse toute artificielle, loin de la vérité de la campagne vouée à une rusticité naturelle.
v. 18-19 : Nous trouvons dans La Bugado un proverbe dans le même registre : « Aillet et pan,
repas de paysan; pan et cart, repas de richard." (La Bugado prouvençalo vonte' cadun l'y a
panouchon. Enliassado de Proverbis, sentences, similitudos & mouts per riré en provençau.
Enfumado é coulado en un tineou de dès soüs per la lavar, sabounar é eyssugar coumo sé
deou. » A Aix, chez A. Makaire, imprimeur-éditeur, 1859, p. 20. Réédition de l'édition de 1649)
v. 19 : On peut comprendre de l'oli ben alachat de plusieurs façons. alachat renvoie à « lach »
ce qui induit une similitude de consistance (de l'huile bien « épaisse ») ou que cette huile a été
bien pressée, comme du lait bien tiré. On peut également penser que alachat signifie « associé »
(cf. Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 63). L'ail et l'huile seraient donc bien
« associés » pour donner ce bon alholi dont il est question au v. 22.
v. 21 : Pour l'emploi de yeu cf. v. 1.
v. 21-52 : Les recettes de l'aïoli et de la bourride sont toujours celles actuellement pratiquées en
Provence. Seuls, au XVIe siècle, les poissons ne semblent pas entrer dans la préparation de la
bourride. La nourriture exposée par Michel Tronc dans Lou Meinagy d'Izabeu apparaît bien
plus frugale : gateaux, raisins, vin, fromages, fougasses, lait caillé (Michel Tronc, Las
Humours..., op. cit., tome 2, p. 282-284).
v. 25 : Synérèse entre perque et autroment pour la justesse du vers.
v. 26 : sen est difficile à comprendre. S'agit-il de sen (sein) qui désignerait par extension le
corps de la personne humaine ? Nous pouvons également rapprocher sen de cena qui signifie
�parfois « souper » (cf. Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 514-515 à
« ceno »).
v. 28 : lou vilan désigne le paysan. C'est le paysan qui connaît cette recette. Nous rajoutons « le
faire » pour la commodité du sens.
v. 29 : Synérèse entre quouro et an.
v. 35 : Ce vers est difficile à interpréter. Nous comprenons que les paysans capturent des lapins
de garenne (certainement à l'aide de pièges) pour les manger ou pour la reproduction. Un seul
mâle suffit, car en captivité deux lapins placés ensemble s'entretuent.
v. 37 : Il est question ici du paysan du terroir. Plus loin dans le texte, le sujet impersonnel « ils »
désigne également les cultivateurs marseillais.
v. 39 : tezic cf. « tic ». Ce terme désigne aussi les mouvements convulsifs (cf. Mistral, Lou
Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 987 à « ti »).
v. 42-44 : La même activité est relatée par Pierre Paul : « Tant leou que lou souleou sy levo, —
Au repaus non fau ges de trevo, — Vau veyre mous trabailladours » (Pierre Paul, L'Autounado,
op. cit., p. 59, fo 131 v°).
v. 46 : la filo désigne certainement l'alignement des sillons par rapport au bord du champ. Nous
traduisons par « rangée ».
v. 49 : Virgile, au chant II des Géorgiques, donne des conseils pour l'exposition de la vigne dont
la culture est délicate : « Neue libi ad solem uergant uineta cadentem... » (Que tes vignobles ne
soient pas tournés vers le soleil couchant) in Géorgiques, op. cit., p. 30. Des conseils concernant
la vigne et les vendanges figurent également chez Varron (Res Rusticæ, op. cit., vol. 1, p. 78) et
Caton (De Agricultura, op. cit., ch. xxxvi, p. 38-39).
v. 50-70 : Le vin marseillais était très prisé dans l'Antiquité ainsi qu'au XVI e siècle. Solier
consacre de nombreux passages au vin produit dans ce terroir : « [...] les voisins Gaulois ont
appris des Marseillois à faire des vignobles, & planter des oliviers, & encore de ce que leur
terroir a esté abondant en vins & en huiles, qu'ils ont esté fort diligens à le cultiver. De l'un à
l'autre on fait du vin qui est plus excellent que le Nectar des Poëtes, les raisins qui rendent le
plus, & qui encore font le vin plus fort, sont ceux qu'ils appellent mornede, ribier, pendoulan,
rondillat, caillan, argnan, grand-guillaume, & autres qui sont fort beaux à voir. Il y a des vins à
Marseille qui sont gros, qu'on appelle pleins de suc, & liqueur, & ont double goust, puis qu'on
s'en sert pour donner goust aux autres.Il y a donques encor' aujourdhui beaucoup de vin à
Marseille : mais un peu gros, & tirans sur le noir, pleins de suc, comme dit Pline, plus tost par la
faute des habitans que par le naturel du terroir : car plusieurs d'entre eux, & principalement ceux
qui font estat de le vendre, engraissant si fort leur terroir, que le suc qu'on tire des raisins ne peut
qu'estre gros, & mauvais. » Enfin Solier précise qu'une réglementation interdisait d'importer du
vin à Marseille : « Au demeurant par un statut, & reglement particulier de la ville, il est defendu
de porter à Marseille de vins estrangers, à peine de confiscation, & autres amende arbitraire. »
(Les Antiquitez…, op. cit., p. 47, 209, 211, 212-213).
v. 51 : imperitant de « imperit », « ignorant », « propre à rien », « insolvable » d'après Mistral
(Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 126). C'est de l'éventuelle stérilité du fruit dont il
est question ici. C'est pourquoi il faut s'occuper de la souche avec amour. Nous traduisons par
« ne donnant rien » pour exprimer, a contrario, l'importance de la vigne.
v. 58 : magagno possède plusieurs sens qui se réfèrent tous à une idée exprimant la défectuosité
ou la malfaçon (Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 244). Ici, c'est la rosée qui
exerce une mauvaise action sur les vendanges.
v. 59 : provident, qui est qualifié par la providence. L'idée exprimée dans le vers précise que l'on
ne doit pas couper le raisin sans réfléchir, en se fiant seulement à la providence.
v. 61 : plouvino désigne ordinairement une pluie fine ou la légère gelée blanche du matin en
automne (cf. Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 598). Nous traduisons par
« humidité », car il nous semble que plouvino se rapproche de la rosée dont il est question au
v. 57.
�v. 62 : Mistral propose pour herbat « exposé sur l'herbe », « mis à l'air » (cf. Lou Tresor dóu
Felibrige, op. cit., tome 1, p. 960). Nous pensons plutôt à un vin qui aurait mauvais goût, un
goût de végétal et de terre.
v. 65 : Solier consacre un chapitre à l'ancienne bonte des vins de Marseille et cite des vers de
Martial (Les Antiquitez…, op. cit., p. 211-213, ch. lxxii).
Synérèse entre poeto et vo. histori compte pour deux syllabes. i est considéré comme la finale
féminine atone o (cf. memori au vers suivant et notamment aux vers 73 et 74).
v. 65-68 : Virgile dresse, au chant II des Géorgiques, une longue liste relative aux cépages et
aux crus italiens. Ruffi se contente d'énumérer les différentes sortes de vin, rouge, blanc, rosé et
muscats. Les nombreuses productions virgiliennes ne peuvent être, pour des raisons
géographiques, transposées à Marseille.
v. 68 : Solier remarque l'excellence du muscat marseillais : « Il y a beaucoup du vin musquat
que le vulgaire aime fort, on y fait aussi d'une sorte de vin qu'on appelle vin cuit, qui se diminue
jusques à la troisiesme partie. On fait grand cas de l'un, & de l'autre par toute la Provence. »
(Les Antiquitez…, op. cit., p. 213).
v. 70 : dau vin la recolto est impossible à rendre littéralement en français. Nous traduisons par
« les vendanges et le vin », tout en précisant qu'il s'agit de la fabrication du vin.
Remarquons la correspondance entre vin et sang établissant une personnification de Marseille.
La comparaison de Ruffi témoigne d'une position théologique qui n'est pas dénuée d'ambigüité;
le vin figurant le sang du Christ, on ne peut que s'interroger sur cette personnification
marseillaise.
v. 70-88 : La récolte des olives constitue un chapitre important chez Varron (Res Rusticæ, op.
cit., vol. 1, p. 78) et chez Caton (De Agricultura, op. cit., ch. lxxiii, p. 56).
Solier mentionne la présence des oliviers à Marseille depuis l'Antiquité : « (...) en dernier lieu
nous aprenons qu'il y a eu des oliviers à Marseille, plustost qu'en Italie, puis qu'il y en a eu à
Marseille dés le commencement, c'est à dire, cent cinquante huict ans apres la fondation de
Rome, & en Italie cent quatre vingts trois, comme dit Pline au livre 15. » ( Les Antiquitez…, op.
cit., p. 48).
Les orangers et citronniers sont cités par Quiqueran de Beaujeu comme des arbres spécifiquement provençaux (De Laudibus..., op. cit., fo 44) ainsi que par Pibrac dans son tableau
des provinces françaises (« D'orangers & citrons la Provence foisonne » , in Pibrac, Les
Quatrains..., op. cit., p. 130). Il s'agit là de la Provence côtière, essentiellement la région
d'Hyères. Les orangers et citronniers qui ne sont pas cités chez Ruffi ni chez Solier n'étaient pas
répandus à Marseille, sans doute à cause des conditions climatiques (le mistral ne devait pas
faciliter leur croissance).
v. 71 : Solier précise également que le blé est peu cultivé dans le terroir : « Ils ont moins du bled
que tout autre chose. » (Les Antiquitez…, op. cit., p. 208). La proximité de la mer n’est pas
favorable à cette culture. Le verbe ocupo indique plus une influence néfaste qu’une occupation
proprement dite.
v. 76 : ebroar cf. « desbroua », ramasser les olives à la main selon Mistral (cf. Lou Tresor dóu
Felibrige, op. cit., tome 1, p. 740).
v. 77 : giets cf. « gets », c'est-à-dire l'extrémité molle des branches, les dernières pousses.
v. 78 : olivetos, les petites olives ou des olives particulièrement fragiles qui ne peuvent pas être
gaulées et se gâteraient en tombant sur le sol.
v. 79 : lagagnous, dans le sens de « humide » (cf.. « un tems lagagnous » chez Mistral, Lou
Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 177).
v. 82 : On peut se demander s'il s'agit de quelques feuilles mauvaises qui ne peuvent être
associées à la préparation de l'huile ou si toutes les feuilles (ce qui est vraisemblable) doivent
être séparées des olives.
v. 83 : fazent, il s'agit bien d'un participe présent qui ne peut être traduit littéralement. Nous
employons une troisième personne du pluriel qui rappelle le sujet de fan au v. 81.
Pour provident cf. v. 59.
�v. 85 : moutos netejados désigne les mottes d'olives préparées avant d'être envoyées au moulin
(cf. Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 383). netejados signifie donc que la motte a
été débarrassée de toutes ses impuretés.
v. 88 : onfassin provient vraisemblablement de omphacium qui désigne le jus de raisin vert (le
verjus) ou l'huile d'une olive qui n'est pas encore mûre. Olivier de Serres parle de l’huile
« omphacim » à propos de l’huylraisim, hybride de la vigne et de l’olivier (cf.. Christiane
Amiel, Les Fruits de la vigne, MSH, Paris, 1985, p. 41).
v. 90 : bontat doit ici être rapproché de bon. Nous traduisons par « saveur ».
v. 91-92 : Ceon (Séon), Sant Tronq (Saint-Tronc), le Canet et Montolivet sont des quartiers de
Marseille situés à la périphérie nord, est et sud de la ville. Cayran, Malopogno et Sarturan
étaient des quartiers ruraux à l'est de Marseille qui ont disparu et dont le nom est attesté dans les
archives (cf. J-A-B Mortreuil, Dictionnaire topographique de l'arrondissement de Marseille,
Cayer, Marseille, 1872, p. 68, 210, 348-349).
v. 95 : la Gardi, la colline Notre Dame de la Garde.
v. 96 : vous fau notar en cas : littéralement « il vous faut le noter en cette circonstance ».
v. 99 : Le sens de ce vers est difficile à comprendre. Il nous semble que Vouguen est le participe
présent de voler que nous traduisons par « Désirant ». Les paysans désireraient atteindre la
bonté grâce aux produits du terroir. O. Teissier a lu « Venguen » que nous ne comprenons pas.
v. 100 : riche vo vielan, il s'agit ici d'une distinction entre propriétaire des bastides et paysans
qui vivent dans le terroir (cf. v. 28).
v. 100-117 : Tous ces légumes et ces fruits étaient cultivés dans le terroir jusqu'à une date
récente qui a vu la quasi-disparition des maraîchers. Solier vante les mérites de ces productions :
« [...] car le terroir de Marseille produit en abondance tout ce qui peut estre necessaire à la vie
des hommes. Car outre qu'il est fertile, l'air y est doux, & presque tousjours clair & serain,
toutes les plaines sont environnees & enceintes de colines. Mais la multitude des arbres
fruictiers rend les tertres ombrageux, où l'on entent un doux gazouillis d'oiseaux, principalement
au primtemps. Les principaux fruicts sont toute sorte de poires, & premierement celles qu'on
appelle musquees, qui sont meures long temps avant la saison, auberges, abricots. [...] on y a de
pesches jaunes, rouges, musquees, & de toute sorte, des noisettes, amandes, noix de Pin [...]
(Les Antiquitez…, op. cit., p. 207).
v. 105 : rougineou, d'un rouge délicat, rosé selon Mistral (Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit.,
tome 2, p. 805).
v. 108 : friand, dans le sens de « délicat » (cf. « friandèu » in Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit.,
tome 1, p. 1183).
v. 110 : auberge est une sorte de pêche (cf. Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 170).
Quiqueran de Beaujeu précise que les Provençaux appellent généralement les pêches par ce
nom : « [...] du parantage des pêches que nous appelons en general du mot d'Auberges. » (La
Provence…, op. cit., p. 325).
v. 112 : Synérèse entre maduro et e.
v. 113-114 : Le e final de admirable et delectable est considéré comme la finale féminine atone
o. Ces deux mots comptent pour trois syllabes (cf. v. 121-122).
v. 117-134 : Le figuier est très développé à Marseille et ses fruits sont renommés. Quiqueran de
Beaujeu le remarque : « Pour l'honneur de noz autres arbres fruitiers, je ne veux icy tirer en
ligne de comte les figues de Marseille, ni les prunes d'Apt. Leur reputation les rend assez
coneuës par tout; bien que les figues de Marseille cueillies de frais ne soient pas trop prisees en
noz tables. » (La Provence…, op. cit., p. 234-235).
Solier consacre un long passage aux fruits marseillais et en particulier aux figues : « On y
cueille la figue deux fois l'an au solsiste d'Esté, & à l'equinoxe d'Automne, qu'un mesme arbre
produit. Il y en a beaucoup plus en esté qu'en l'equinoxe d'Automne [...] mais ils [les
Marseillais] ont plus de figues blanches que d'autres fruicts, qu'ils ne cueillent point qu'elles ne
soient à my-seiches, & pour les faire du tout seicher on les met sur des clayes de roseaux liez
l'une contre l'autre avec d'osier [...] ceux des habitans qui ont le moins de figues en vendent 100.
�ou 150. quintaux, & ceux qui en recueillent d'avantage en auront 200. ou 250. quintaux, le
quintal est 100. livres pesant [...] » (Les Antiquitez..., op. cit., p. 207-208).
v. 121 : peculier, particulier (cf. Huguet, Dictionnaire…, op. cit., tome 5, p. 697).
v. 123 : meinagier se rattache à mainatge. Nous retrouvons ce mot chez Tronc, dans le titre de
l'un de ses poèmes, Lou Meinagy d'Izabeu. meinagier correspondrait plutôt à « métayer » qui a
supplanté « ménager » dans son sens ancien. Nous avons traduit par « fermier », nous référant
également au sens de possesseur d'une ferme. Le « mainatge » désigne le gouvernement
domestique du domaine ce que traduit imparfaitement le sens moderne du mot français
« ménage ».
v. 125 : La figue représente les trois âges de l’homme : la figue- fleur (l’enfance), la figue mûre
(l’âge adulte), la figue séchée (la vieillesse).
v. 127 : entretrie de « entre-tria » que Mistral donne pour « cueillir les fruits les plus mûrs ». Il
se peut également que entretrie désigne une cueillette désordonnée toujours suivant Mistral (cf.
Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 951). La traduction serait alors : « Après on en
cueille à part, de-ci de-là, d'autres très belles ».
v. 132 : veas pour « vesètz » par instabilité du s intervocalique, phénomène fréquent dans le
provençal maritime. Nous ne reviendrons plus sur ces formes fréquentes chez Ruffi.
v. 136-152 : La chasse constitue une des activités les plus prisées en Provence. Il y eut à ce
propos de nombreux conflits avec l'autorité royale au sujet de la réglementation qui ne tenait pas
toujours compte des pratiques ancestrales (cf. pièce XXVII). Nous trouvons dans La
Fauconnerie de Charles d'Arcussia de nombreux renseignements sur les différentes chasses :
perdrix et autres oiseaux (« cinquième journée ») et au Discours V les chasses à l'arquebuse, à la
glu ainsi qu'aux rets ou « aragnes » (LA / FAVCONNERIE / DE CHARLES D'ARCVSSIA / DE
CAPRE, SEIGNEVR D'ESPARRON, / DE PALLIERES, ET DV REVEST, / en Prouence. //
DIVISEE EN DIX PARTIES, / Contenuës à la page sixième. // Auec les portraicts au naturel de
tous les Oyseaux. // AV ROY. // [vignette] // A ROUEN, / chez FRANCOIS VAVLTIER, / sous
la porte du Palais, pres la Bastille. / ET /IACQVES BESONGNE, / dans la Cour du palais. / M.
DC. XLIIII (334 pages + 4 pages de table. Exemplaire consulté bibliothèque municipale de
Marseille 75963). Première édition à Aix-en-Provence en 1598.
La richesse du gibier à Marseille est relatée par Pierre Paul qui possède une bastide et s'y retire
souvent avec ses amis : « Apres lou cant de la sigalo, — Durant tres mes, guerro mourtalo —
Declary enbe mous aragnous, — Au tourdre gras, la serafino, — Lou courrousset, la
bouscarlino, — Testos negros et roussignous. » (Pierre Paul, L'Autounado, op. cit., p. 60, fo
134 v°).
v. 137 : Ruffi expose ici quatre chasses différentes : l'arquebuse, la glu, l'arc et le filet. Il ne
parle pas des pièges divers (lacets, pierres…) avec lesquels on attrapait le petit gibier.
v. 150 : graisso ny miech, littéralement « pas une moitié de graisse ».
v. 153-154 : Les conflits entre chasseurs et propriétaires étaient nombreux. Les propriétaires
plantaient des haies où les oiseaux nichaient et tendaient ensuite des filets afin de les attraper.
Les chasseurs rentraient dans les enclos et tiraient sur ces haies qui se dégradaient (cf. Paul
Moulin, La Chasse en Provence (XIIIe-XVIIIe). Etude historique et juridique, Annales de
Provence, Dragon, Aix-en-Provence, 1914).
Ruffi se place ici du côté des cultivateurs. La chasse n'est donc pour lui qu'un moyen de
subsistance contrairement à Pierre Paul qui en fait une activité ludique.
v. 155-160 : Les Marseillais ne fréquentaient pas les bastides l'hiver. À l'origine, ces maisons de
campagne servaient à fuir l'été et l'atmosphère empoisonnée de la ville, fort polluée au XVI e
siècle. La sociabilité marseillaise, telle qu'elle figure ici, est restée identique jusqu'à nos jours.
Elle rejoint ce que l'on appelle « la société du cabanon » particulièrement développée au XIXe
et dans la première moitié du XXe siècle.
v. 169 : Le sujet de es est vieure.
�Les Marseillais achètent avec l’argent gagné au jeu le gibier qu’ils emportent par la suite en
ville.
v. 170 : vedeou est attesté chez Bellaud : « Pres d'ello my mettriou en fazen lou vedeou »
(Obros et Rimos…, op. cit, p. 87, sonnet lxiii). Ce sonnet est construit sur la métaphore
amoureuse de l'amant changé en oiseau.
v. 174 : Les humeurs désignaient les quatre sécrétions liquides du corps (sang, phlegme, bile et
bile noire) dont le juste tempérament indiquait une bonne santé. peccanto est un adjectif vieilli
qui signifie mauvais. Les humeurs peccantes sont donc des humeurs mauvaises qui dérèglent le
corps.
v. 177-182 : Virgile expose dans Les Géorgiques différentes sortes de greffes : « Nec modus
inserere atque imponere simplex... » (Enter ou écussonner ne sont pas même pratique),
Géorgiques, op. cit., p. 22. Les techniques de greffes sont également exposées dans les œuvres
de Varron (Res Rusticæ, op. cit., vol. 1, p. 68-69) et de Caton (De Agricultura, op. cit.,
ch. xlviii, p. 45-46). Quant à Columelle, il consacre un volume entier aux arbres (Columelle, De
l'Agriculture. Les Arbres, op. cit.). Nous trouvons chez Olivier de Serres plusieurs chapitres
concernant les techniques de greffes : « Enter en Fente ou en Coin : & en Petite Coronne, c'est
entre l'escorce & le bois » (ch. xxii), « Enter en Escusson, & Canon ou Flusteau » (ch. xxiii)
(cf. LE // THEATRE // D'AGRICVLTVRE // ET // MESNAGE DES CHAMPS. // D'OLIVIER DE
SERRES / SEIGNEUR DV PRADEL. // A PARIS. / M. D C. // Par Iamet Métayer Imprimeur
ordinaire / du Roy. / Auec priuilege de sa Ma. té & de l'Empereur, p. 658-664, 666-671.) (1004
pages + table. Exemplaire consulté bibliothèque municipale de Marseille 22230).
v. 180 : estace est un francisme pour « attache (« estache » est attesté au XVIe). lou gros det qui
désigne le pouce nous est inconnu dans la terminologie des greffes. Nous pouvons penser qu'il
s'agit d'un porte-greffe assez important.
v. 184 : fach dans le sens de « vécus ». Il s'agit du mode de vie du terroir.
v. 197-198 : Nous retrouvons ici la structure romaine de l'otium et du negotium.
v. 202 : en moyens est difficile à expliquer. Il s'agit des moyens que les citadins utilisent pour
paraître dans la ville. Ruffi veut-il parler ici de l'étalage de leur richesse ou des moyens
empruntés pour paraître dans le monde?
faire dau segnour, c'est-à-dire se croire arrivé par la puissance de la richesse et du commerce.
Ruffi ironise ici sur les prétentions des négociants marseillais.
v. 203 : Gentilhomme marchant est une allusion aux nombreux marchants et bourgeois anoblis
dont le négoce constituait la principale activité économique de Marseille. On peut toutefois se
demander si cette appellation ne revêt pas un caractère ironique. Ruffi semblerait donc dénoncer
cette noblesse toute récente, issue de la bourgeoisie négociante.
v. 206 : parcoment de parc, « enclos ». L'idée exprimée précise que les paysans du terroir vivent
chacun dans leurs bastides, suivant une vie bien organisée. La notion d'ordre est donc
primordiale. Ne pouvant traduire littéralement, nous restituons cette idée.
v. 209 : lou tems, dans le sens ici de durée historique. Il s'agit de préciser dans les vers qui
suivent les grands épisodes de l'histoire sainte après le péché originel : « le temps écoulé ».
v. 213 : contro Diou trabucat. C'est un rappel du péché originel et de la désobéissance aux
commandements de Dieu. Adam « trébuche » et se heurte à la volonté divine.
v. 214 : condigne, terme de théologie qui désigne la juste adéquation entre le péché et la faute.
v. 215 : eagi compte pour une syllabe (idem v. 224).
v. 216 : labour pose un problème d'interprétation. Issu de « labor », le mot désigne le travail
puis par extension le travail des champs, le labour. Il semble cependant qu'il conserve chez
Ruffi son sens premier, comme au vers 417 : labour jornalier. Il existe une complémentarité de
sens enrichie par la thématique du poème.
v. 218 : couturant, « cultivant », que nous rapprochons de coutur au v. 231.
v. 220-223 : selon la Genèse, Caïn et Abel se partageaient les travaux des champs.
�v. 225-226 : il s'agit ici de l'oblation d'Abel (offrande des premiers nés du troupeau) sur laquelle
Yahvé porte son regard, ce qui provoque la colère de Caïn.
v. 229-235 : Ruffi rappelle ici la malédiction divine après le péché originel. Adam, Ève et leur
descendance ne se nourrissent plus des fruits du Jardin d'Éden, mais de ce qu'ils peuvent cultiver
sur terre : « Maudit le sol à cause de toi! Dans la peine tu t'en nourriras tous les jours de ta vie.
Ce sont des épines et des chardons qu'il fera germer pour toi, et tu mangeras l'herbe des
champs. » À la suite du meurtre d'Abel, la parole divine renouvelle sa condamnation sur Caïn :
« Lorsque tu cultiveras le sol, il ne te donnera plus sa vigueur. » Le domaine de l'homme déchu
est donc celui de la terre inculte dont il tire à grand peine sa nourriture. Ce rappel, en position
centrale dans le poème, rapproche donc le terroir marseillais du Jardin d'Éden.
v. 231 : fauto de coutur : il faut comprendre qu'à cause de la dureté de la terre et des méthodes
employées, les labours ne donnent pas de bonnes récoltes. coutur se rapporte en effet à
« coutu » que Mistral donne pour « profondeur de la culture », « labour d'un champ » (Lou
Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 661).
La fan li fazent guerro. On peut également comprendre qu’ils luttent contre la famine en
travaillant la terre.
v. 241 : la vigne fut plantée en terre par Noé à sa sortie de l'Arche. Les termes amic de Diou
rappellent certainement l'Alliance de Dieu et de Noé.
v. 242 : La vigne, qui figurait au jardin d'’Eden, est replantée après le déluge et donc « mise en
jeunesse » pour produire du vin.
v. 242-244 : les fils de Noé étaient au nombre de trois : Sem, Cham et Japhet.
v. 248 : sancto cervello, que nous ne pouvons traduire littéralement. Nous notons « jugement »,
en accord avec le bon sens des premiers hommes.
v. 253 : meynagiers de bestiari e terren, que nous ne pouvons restituer tel quel, indique que ces
rois étaient à la fois cultivateurs et éleveurs. Nous employons deux verbes à l'infinitif pour
garder la notion de bestiari et de terren.
v. 258 : bourjas désigne le lieu défriché (cf. Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 338).
Nous réduisons dins la terro, bourjas à « terre défrichée » dont l'idée correspond aux premiers
défrichements nécessaires à l'agriculture.
v. 260 : gauvido, littéralement « usée », donc compromise par l'absence de nourriture.
v. 264-266 : il semblerait donc que l'absence de travail soit source de problèmes économiques.
Le père de famille, mauvais fermier, met en péril sa famille et la collectivité à qui il donne un
exemple à ne pas suivre. Nous y voyons également une reprise de l'Histoire sainte.
v. 265 : Synérèse entre que et a.
v. 272 : lous fruchaux, la récolte des fruits.
v. 273-294 : Ce développement consacré au chant des oiseaux se rapproche des topoï
arcadiques. Parmi ceux-ci, relevons celui du rossignol et son chant envoûtant. Solier vante le
chants des oiseaux marseillais (cf. note v. 100-117).
v. 284 : las quatre partidos, les quatre arts libéraux.
v. 290 : passagi, dans le sens de choses éphémères (cf. Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op.
cit., tome 2, p. 491).
v. 312 : lous Pizons : surnom de la gens Calpurnia. Un C. Calpurnius Piso fut accusé de
concussion et défendu par Cicéron. Lentilz de Lentulus, branche de la gens Cornelia, Fabis de
Fabius de la gens Fabia. Les étymologies de pese (« pisum »), lentilha (« lent, lentis » et son
diminutif « lenticula »), de fava (« faba ») et de cese (« cicer ») permettent à Ruffi de gloser sur
le rapport entre le nom de ces légumes et ces hommes célèbres.
v. 321-326 : allusion à l'établissement du cens et aux rôle des censeurs à Rome.
v. 330 : propis per abondar, c'est-à-dire possédant les facultés pour faire venir le lait.
v. 331 : terro habitablo est à rattacher aux épisodes bibliques relatés plus avant, mais, par un
effet de modernité au XVII e siècle, cette notion revêt un aspect géographique dû certainement
aux Grandes Découvertes. habitablo se rapprocherait alors de « connue ». Néanmoins, ce terme
�indique, par un jeu d'opposition, qu'une « non-habitabilité » de la terre est rendue possible, soit
par jugement divin, soit par conséquence terrestre, toute géographique et climatique, déserts
connus ou inconnus où l'homme ne peut vivre.
v. 335 : tout si reven, « tout se met en bon ordre ». Le travail des champs combiné aux méthodes
appropriées permet un juste retour à une harmonie originelle.
v. 339-343 : allusion aux premiers Romains à la fois guerriers et cultivateurs. C'est avec une
charrue que Romulus dessine les contours de Rome. La légende des premiers romains guerriers,
législateurs et cultivateurs, est évoquée par Virgile : « Hanc olim ueteres uitam coluere Sabini,
— Hanc Remus et frater; ... » (Cette vie, jadis les vieux Sabins la menèrent, — Rémus et son
frère la menèrent), Géorgiques, op. cit. p. 37. Varron mentionne également la préférence des
anciens Romains pour la campagne ainsi que la fondation de la ville par des bergers (Varron,
Res Rusticæ, op. cit., vol. 2, p. 10 et vol. 2 p. 16).
v. 346 : Numa Pompilius, deuxième roi de Rome vers 314 av. JC.. Plutarque consacre une vie à
Numa Pompilius (Plutarque, Les Vies des hommes illustres, traduction de Jacques Amyot, 2
vol., « la Pléiade », Gallimard, Paris, 1951, vol. 1 p. 130-162).
v. 349-364 : Référence aux qualités de législateur de Numa et à l'égalité qu'il essaya de créer et
de maintenir entre Romains et Sabins.
v. 350 : va, pour rappel du travail des champs.
v. 354 : Ruffi ne semble pas considérer le polythéisme des Romains.
v. 369 : sicau cf. sicap.
v. 370 : d'uno agresto experiensso indique que Cyrus dispose d'une certaine expérience qui est
certainement celle de son peuple. Les Perses étaient en effet renommés pour leur savoir-faire en
matière de jardinage.
v. 371 : artificious renvoie à l'artifice des jardins construits par la main de l'homme.
v. 375-391 : Une vie de Lysandre figure dans l'oeuvre de Plutarque. Nous n'y trouvons pas
mention de cet épisode. Il y est fait allusion plusieurs fois à Cyrus, mais toujours pour des faits
militaires (Plutarque, Les Vies..., op. cit., vol. 2, p. 977-1016). Olivier de Serres mentionne la
qualité des jardins de Cyrus : « Cyrus, roi de Perse, est celebré és histoires pour avoir, avec
beaucoup d'artifice, de ses propres mains, dressé de beaux Vergers. » (Le Theatre
d'Agriculture…, op. cit., p. 655). Remarquons des correspondances entre Serres et Ruffi
concernant « l'artifice » des plantations et le travail du roi de « ses propres mains ».
v. 382 : Ruffi, dans la correction de ce vers, a oublié de corriger si en li, sans quoi le vers serait
difficile à comprendre. Nous établissons li. C'est bien la créature (les jardins) dont il se vante et
qui porte la marque de ses mains.
v. 386 : Synérèse entre ly et aver.
v. 387 : raubit cf. « ravit ».
v. 389 : cult, de la même famille que « cultiu » et « cultura », ne désigne pas un culte
quelconque, mais bien les cultures.
v. 390 : Remarquons dans ce vers les emplois de lo et de va (lo se rapporte au roi et va au
modèle de culture).
v. 392 : Attale III Philométor, roi de Pergame (vers 137 av. JC.), abandonna son trône pour se
livrer à son goût de l'agriculture et du jardinage. Cette anecdote figure dans Plutarque : « [...] et
Attale surnommé Philométor, c'est-à-dire, amateur de sa mère, qui jardinait et cultivait certaines
herbes médicinales, non seulement l'ellébore et la jusquiame, mais aussi la ciguë, l'aconit et le
dorycnium, les semant et plantant lui-même dans les jardins de son palais royal. » (Plutarque,
Les Vies..., op. cit., « vie de Demetrius », vol. 2, p. 820).
v. 396 : curious, par diérèse, compte pour trois syllabes.
v. 399-410 : Dioclétien se retira à Salone en Illyrie, sa ville natale, après son abdication. Il y
mourut en 313.
v. 405 : atendet, de « atendre », dans le sens de « s'appliquer au travail » (cf. Mistral, Lou
Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 162).
v. 411 : S'agit-il de l'État ou de l'état, leur façon d'être? Nous penchons pour la première
explication.
�v. 411-435 : Ruffi argumente ici sur l'émancipation des cantons suisses et leur lutte contre les
différentes dynasties occupant le pays.
v. 414 : de bons eagis, « ne pas encore être vieux » selon Mistral (Lou Tresor dóu Felibrige, op.
cit., tome 1, p. 46). Nous traduisons par « dans la force de l'âge ».
v. 426 : magagno cf. v. 58. Nous traduisons par « mauvaises pratiques ».
v. 430 : disputados, « examinée » au sens premier de l'étymon « disputo ».
v. 436 : Crezin ou Erezin. La première forme donne un vers de 11 pieds, la deuxième un
alexandrin. Au v. 444, il s'agit bien de Crezin.
v. 436-450 : Nous n'avons pas identifié la source historique utilisée par Ruffi.
v. 439 : cultivar ne peut être traduit littéralement. Il s'agit ici de sa compétence pour les cultures.
v. 445 : Nous pouvons nous demander si va compareisse n’est pas également une trace du
prétérit périphrastique (va + inf.) que l’on trouve en ancien occitan ou en catalan moderne. La
traduction serait alors « a comparu ».
v. 452 : espargnant tous lous ans, c'est-à-dire épargnant le poids des années comme si la
vieillesse se supportait mieux à la campagne.
v. 455 : Or est-il un gallicisme pour « hors » ou pour la conjonction « or » ?
v. 455-460 : Platon, de retour de Sicile et après avoir connu l'esclavage, se retira à Colone, dans
les environs d'Athènes, et y commença son enseignement ayant acheté un terrain dans le
voisinage du gymnase d'Académos.
v. 461-477 : Cicéron est évoqué ici pour des œuvres qui ne vantent pas la vie rustique. Ruffi cite
trois principales résidences de l'orateur romain : Formies (en italien Forminiano) où Cicéron fut
égorgé, Tusculum (Frascati) où il écrivit ses Tusculanes et Pompéi où il possédait une villa.
v. 477 : a son degut, « convenablement » (cf. Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1,
p. 715). Il s'agit de la dernière mise au point des Tusculanes.
v. 478-500 : Cincinatus fut nommé dictateur vers - 458. Les faits relatés par Ruffi sont inspirés
de Tite-Live qui décrit amplement les conditions de la nomination de Cincinatus : « Là, soit
qu'il creusât vigoureusement un fossé à la bêche, soit qu'il fût à sa charrue, toujours est-il qu'il
était en train de travailler la terre. » (Tite-Live, Histoire romaine, texte établi par Jean Bayet et
traduit par Gaston Baillet, tome III, Les Belles Lettres, Paris, 1943, 4 è édition, 1969, p. 41-42).
v. 488 : Nous faisons dériver prizagi de presar « estimer ».
v. 491 : Tite-Live mentionne que Cincinatus « essuie la poussière et la sueur » (Tite-Live,
Histoire romaine, op. cit., p. 42).
v. 493 : L'étonnement de Cincinatus est relaté par Tite-Live : « Il s'étonne, demande : « Rien de
trop grave ? » (Tite-Live, Histoire romaine, op. cit., p. 42).
v. 496 : lourd, dans le sens de « étourdi » (cf. Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit.,
tome 2, p. 231).
v. 501-504 : Collatinus : Lucius Tarquinus Collatinus, mari de Lucrèce outragée par Sextus
Tarquin, possédaient de grands biens à Collatia.
v. 505-517 : Sénèque fut exilé en Corse par Claude. Ruffi fait plutôt allusion à sa retraite à la
suite de ses différends avec Néron. À partir de 62, Sénèque se retire des affaires publiques et
voyage en Campanie. En 64, il renonce à ses biens. Ruffi ne cite aucune œuvre de Sénèque,
nous ne pouvons pas savoir s'il s'agit d'une influence directe ou indirecte. Pourtant l'auteur du
De Brevitate Vitæ, notamment par ses propos sur le gaspillage de l'existence, peut être considéré
comme une source philosophique possible ; Lous Plazers ne sont pas éloignés d'une morale
stoïcienne.
v. 507 : en bel equipagi : le jardin de Sénèque est idéalement constitué et comporte « tout ce
qu'il faut », comme un bel équipage.
v. 512 : poble commun renvoie à la définition de la communauté (cf. II, [76] pour une
explication plus détaillée).
v. 516 : animo à la fois « réveille » et « place en notre âme ».
�v. 518 : tous enssens se rapporte à Ruffi et aux lecteurs du poème convaincus par les bienfaits
de la vie rustique.
v. 518-520 : Pline est ici cité plus pour l'intérêt général de son œuvre (la description
géographique des lieux habités et non habités) que pour un aspect particulier.
v. 520 : « Choses » est sous-entendu dans de fort eminentos. C'est le spectacle de ces choses
plaisantes qui produit l'émotion et induit le bonheur de vivre.
v. 521-530 : Pétrarque est évoqué pour ses œuvres vulgaires. Ruffi participe en cela à la
célébration du poète florentin par les Provençaux, de Jean de Nostredame à Vaisquin Philieul,
pour qui le Canzoniere (ainsi que les œuvres latines, mais à un degré moins important) et la
présence de Pétrarque en Provence jouent un rôle important. Nous savons par ailleurs que
Robert Ruffi témoigne d'un néo-pétrarquisme littéraire dans ses Contradictions d'Amour.
v. 525 : envidant cf. « convidant ».
v. 531-542 : Bartolo, Barthole (1314-1356), célèbre juriconsulte italien qui enseigna à Pise et à
Pérouse. Barthole est fréquemment cité dans la littérature du XVI e siècle. Pierre Paul évoque
son nom et son œuvre dans sept poèmes différents de l'Autounado : « Quand vous aures vist de
ben pres —Lous riches escris de Bartolo » (au fo 92 v°) ainsi que Bellaud qui cite son nom
dans Lous Passatens et le Don-Don infernal en se livrant à un jeu morphologique de dérivatifs
qui lui est familier : « De tallo gent n'y a que n'an dins la testo — Qu'un Bartollin, & menon de
brudesto, — May qu'un qu'aura, Baldo, & Bartollons, — Pensas un pau que quand un paure
diable — Fiso son sac, à un tau venerable, — Si son proucez non va de reculons. » . Barthole est
également présent dans les Discours de Caramentran de Brueys : « Auriou bessay fach un
coument — Dessubre Iason & Bartollo, — Si fouguessi anat a l'Escollo, — Mays n'ay iamays
gaire sauput" et "Bartollo n'a leissat de leys, — Et l'Aretin pron de figuros » (IARDIN / DEY
MVSOS / PROVENSALOS. / Diuisat en quatre partidos. // Per CLAVDE BRVEYS / Escuyer
d'Aix. // [vignette] // A AIX. / Par Estienne Dauid Imprimeur / du Roy, & de ladite Ville. /
heritier de I. Tholosan. // M. DC. XXVIII. (2 volumes : 430 p. + 425 p. et 7 p. de table.
Exemplaire consulté bibliothèque municipale de Marseille 200018). Les citations sont extraites
des pages 48 et 63). Rabelais cite Barthole dans le chapitre X de Pantagruel à propos du procès
arbitré par Pantagruel, citation accompagnée d'une liste de juristes qui : « n'estoyent que gros
veaulx de disme, ignorans de tout ce qu'est nécessaire à l'intelligence des loix. » (Rabelais,
Œuvres complètes, édition de Jacques Boulanger et Lucien Scheler, « la Pléiade », Gallimard,
Paris, 1955, p. 216).
v. 544 : allegar, littéralement « alléguer » ou « mettre en avant ».
v. 549-550 : Nous avons vu que Virgile, Hésiode, M. Varron, Caton et Columelle ont tous, à des
degrés divers, été préoccupés par des questions d'agriculture ou sont les auteurs de traités sur les
techniques de culture et de poèmes sur la vie rustique. Ruffi tente donc d'insérer son texte dans
cette filiation littéraire, littéraro-agraire, dont les principaux représentants, ces écrivains latins et
grecs, constituent des exemples : par leur vie et leurs écrits, ils induisent un cheminement repris
par le poète marseillais. La référence à Horace nous semble emprunter une voie différente. Nous
y voyons par exemple un rappel de l'ode XV du chapitre II dans laquelle Horace proteste contre
le luxe et la construction des maisons romaines qui sacrifient l'agriculture et bouleversent l'ordre
établi de la nature. Ruffi, regrettant le poids social de la ville, rejoint Horace et ses
préoccupations empreintes d'une défense de la vie rustique.
v. 553 : Ruffi a écrit ven que nous corrigeons en vou.
v. 555-564 : La fin du chant II des Géorgiques souligne le bonheur de la vie rustique :
« Agricola incuruo terram dimouit aratro... » (Le cultivateur, lui, fend la terre de sa charrue
cintrée) ainsi que les vers (513-532), Géorgiques, op. cit. p. 37.
�II
LES QUATRAINS
Les Quatrains de Robert Ruffi, deuxième ensemble de poèmes de ce manuscrit
placé après le long texte des Plazers, obéissent à un genre bien particulier. Nous
pouvons en dessiner les contours, en préciser les aboutissants, même si Ruffi ne donne
aucun renseignement qui puisse nous permettre d'en dater l'écriture ou d'en comprendre
la motivation profonde. Pour examiner ces deux aspects, il faut recourir à une recherche
en amont sur les conditions d'élaboration d'un tel genre, sur les influences multiples qui
parcourent cet ensemble et enfin en situer les visées morales et sociales. La nudité de
présentation des Quatrains indique clairement l'évidence d'un tel propos : aucune
explication, aucune entrée en matière, car celles-ci seraient de toute manière superflues
et ne peuvent correspondre qu'à un changement des mentalités, des pratiques sociales et
des moyens pédagogiques dont témoigne notre époque. En un mot, la distance entre la
lecture des Quatrains au XVIIe et celle que nous pouvons effectuer apparaît
considérable : difficultés de formes et de pédagogie bien plus que de morale. Nous ne
nierons pas cependant l'évolution des mentalités et donc de l'éthique qui s'y rattache.
Mais la morale qui se dégage de ces quatrains tente de s'assurer une portée universelle et
intemporelle, s'appuyant en cela sur l'essentiel des préceptes religieux ; objectifs
louables sous la plume de Ruffi, mais qui aujourd'hui apparaissent marqués par une
époque, par un repliement sur des jugements moraux dont Nietzsche, par exemple, a
bien montré les origines, les finalités et les limites. 1 Retour en amont donc, et, sans nul
doute, au plus près du texte pour, en échos de sens, détailler les mesures d'un tel
message.
Les quatrains moraux, ensemble de poèmes dissertant sur les conduites à tenir,
proses et sentences diverses, appartiennent à un courant littéraire constitué de deux
routes. La première emprunte la voie antique : c'est celle des premiers textes gnomiques,
essentiellement grecs, qui tentent de réduire la vision du monde dans la forme close de
la phrase. La deuxième est liée aux préceptes religieux, ici catholiques, qui s'imposent à
la conduite humaine depuis l'installation de l'Église comme première puissance
intellectuelle en Occident. La forme grecque, qui n'était pas dénuée de contenu, se mêle
à un fond chrétien qui tente d'asseoir sa morale et d'en faire suivre les commandements.
1 Nietzsche n'est pas étranger à ce débat, non seulement par sa Généalogie de la morale, mais aussi par tout ce qu'il
doit au XVIIe siècle français. Son attitude envers les Moralistes français est parfois contradictoire, mais toujours
riche de sens. Notre époque est d'une certaine manière marquée par cette parole (encore qu'elle ait été parfois
confondue et interprétée de façon trop hâtive) qui était parfois sans appel sur le jugement moral : « [...] le jugement
moral ne doit jamais être pris à la lettre : en tant que tel, il ne contient jamais que du non-sens. » (Crépuscule des
Idoles, Gallimard, Paris, 1974, p. 67). Il ne faut pas confondre ici des œuvres empreintes de jugements moraux, guide
de bonne conduite (comme celles de Pibrac et de Ruffi) et la réflexion sur le comportement humain dont témoignent
certains moralistes français comme La Rochefoucauld ou La Bruyère. C'est ce dernier aspect qui retient l'intérêt de
Nietzsche et ce premier qu'il rejette.
�Pour des raisons essentiellement pédagogiques, la forme brève convient parfaitement
aux préceptes, aux devoirs qui guident la vie des Chrétiens ; la formation des enfants
s'accompagne alors, au Moyen Age ou à la Renaissance, de sentences diverses qui
traçaient une ligne de conduite. À la fin du XVI e siècle et au début du XVIIe, la force
moralisante du texte possède un pouvoir encore considérable. De la même manière que
les « Vies » des personnes illustres donnent des exemples remarquables, ce corpus
moralisateur indique, comme un guide que l'on doit consulter tous les jours, le bien
fondé des actions et des paroles humaines. Il disserte généralement sur les grands
principes fondateurs de la société : aux valeurs chrétiennes s'ajoutent celles du respect
de l'ordre établi, obéissance aux pouvoirs politiques en place. Sans être une époque plus
morale que les autres, ces années s'interrogent constamment sur la conduite humaine en
un siècle troublé où les préceptes étaient le plus souvent bafoués ou oubliés. Au-delà de
cette interrogation, l'homme humaniste entend associer à son savoir la réflexion nécessaire sur les profondeurs de la personnalité humaine ; l'œuvre de Montaigne est à cet
égard significative de ce cheminement et l'hommage de l'auteur des Essais à Guy du
Faur de Pibrac n'est pas, de ce point de vue, très étonnant. 2 Le « repliement » de
Montaigne révèle des tendances moralisatrices dont son œuvre porte la trace, mais Les
Essais ne constituent pas une tentative systématisante qui entend placer la morale et la
bonne conduite humaine au centre de l'œuvre littéraire. Si Montaigne (et avec lui
d'autres écrivains, de grands poètes comme La Ceppède et Sponde par exemple) n'est
pas étranger à une certaine affirmation de la morale, fidèle en cela aux principes qui ont
conduit son éducation, l'inscription du sujet dans l'écriture paraît bien plus forte, effaçant quelque peu le message moral. L'écriture de quatrains moraux, que ce soit ceux de
Ruffi ou de Pibrac, apparaît dénuée de cette inscription, texte volontairement distancié,
où l'Auteur est le plus souvent absent, masqué derrière les contingences éthiques qu'il
entend promouvoir. Différence essentielle qui tient aux mécanismes de l'écriture et plus
largement aux conditions d'élaboration d'un ensemble reconnu comme « texte ». Le discours sur la morale qui transparaît dans ces quatrains est donc significatif d'une pédagogie, d'un enseignement et du message dispensés ; trois aspects qui guident le texte et
induisent des effacements successifs, des allers et retours entre le personnel et le collectif, des adresses particulières où la deuxième personne du singulier tient un rôle primordial. Mais au-delà de ces caractéristiques dont nous reparlerons, les Quatrains
s'inscrivent dans une permanence littéraire qui entend décrire le comportement humain.
À cet égard, Ruffi et Pibrac peuvent être considérés comme des moralistes, en se référant au sens que Jean Lafond donne à ce terme. 3 La filiation littéraire explique les
formes choisies par Ruffi et l'essentiel de son argumentation ; un contenu moral qui, s'il
n'est pas identique à celui de Pibrac ou de Matthieu, n'est pas en contradiction avec les
grands principes énoncés dans leurs poèmes. Les Quatrains sont destinés à une lecture
provençale, en accord avec les préceptes généraux du catholicisme, mais ils portent la
marque de cette société, non seulement à travers la langue employée, mais également
dans la destination du message et la constitution d'un public potentiel. La filiation chrétienne, latine puis française, se noue à l'expression d'une société et au souci moral qui
2 Au livre III, chapitre 9 des Essais, Montaigne fait l'éloge de Pibrac qui vient de disparaître et cite le quatrain 109.
3 Nous renvoyons essentiellement à l'excellente préface de Jean Lafond dans l'édition des moralistes français.
Remarquons également un appareil critique de la première importance qui met en correspondance l'ensemble d'un
corpus à des époques sensiblement différentes : Moralistes du XVIIe siècle de Pibrac à Dufresny, édition établie sous
la direction de Jean Lafond, "Bouquins", Robert Laffont, 1992. Pibrac y est publié aux pages 5-11 (quatrains 1, 6, 8,
9, 10, 11, 26, 33, 37, 51, 53, 54, 55, 56, 59, 63, 74, 93, 95, 98, 100, 104, 109, 123, 125, 126). Jean Lafond ne prend
pas en compte les Quatrains de Ruffi ni ceux d'Ader et de Meynier.
�conditionne cette lecture. C'est entre ces deux pôles que se situe l'œuvre de Ruffi, c'est à
travers ces deux aspects que se développe un message interne aux facettes pourtant
communes et largement dispensé en d'autres lieux et en d'autres temps.
Les Quatrains font sans doute partie de ce que l'on appelle la littérature
gnomique. Développée en Grèce, elle emprunte la forme brève, sentences ou versets, le
plus généralement en poésie, utilisant le distique composé d'un hexamètre et d'un
pentamètre.4 Phocylide, Epicharme et Solon sont les principaux représentants de cette
littérature. Nous savons que Pibrac se place, dès la première édition de ses Quatrains en
1574, sous l'autorité de ses maîtres grecs. 5 Les œuvres de ces derniers sont éditées au
XVIe siècle : plus de dix éditions grecques ou latines pour Phocylide entre 1494 et
1530, jusqu'à la compilation latine d'Henri Estienne publiée à Lyon en 1589. Cependant,
l'influence la plus marquante est sans aucun doute celle de l'œuvre de Dyonisius Cato
composée de distiques regroupés certainement vers le IIIe siècle. Les Disticha Catonis
sont publiés pour la première fois en 1475 et connaissent un grand succès, plus de vingt
éditions tout au long du XVIe siècle. Ces distiques jouent un grand rôle pédagogique et
Erasme et Etienne Dolet s'y intéressent. François Habert traduit ces distiques en 1578 et
les publie sous la forme de quatrains. Il est évident que l'œuvre de Caton (qui ne doit
pas être confondu avec Caton le censeur) occupe une grande place dans cette
thématique littéraire, sans doute la première par sa diffusion et son étendue. Fidèles à
leurs principes poétiques, les écrivains français imitent Caton. Parmi eux, Baïf est sans
aucun doute le plus original; il publie en 1576 ses Mimes, Enseignements et Proverbes
qui témoignent à la fois de l'inscription du genre dans la littérature française et d'une
grande force poétique : « Suis Dieu, sers Dieu. Crains père et mère. — Fais joug au
droit. Sachant, va faire. — Commande-toi. Fuis le serment. — Choi[e] l'ami, l'ennemi
repousse. — Fais-toi bien. Soit ta façon douce. — Donne tôt, acquiers justement. »6 La
poésie de Baîf possède une valeur que l'on ne rencontre pas chez Pibrac ou Ruffi, mais
n'est aucunement pédagogique. Loin de la littérature, on demande aux quatrains moraux
d'être percutants, faciles à lire et à mémoriser, devant être retenus par toute une génération d'enfants. C'est l'œuvre de Pibrac qui joue ce rôle. Les Quatrains du Seigneur de
Pybrac (…) contenans preceptes & enseignemens utiles pour la vie de l'homme sont
publiés pour la première fois en 1574 (50 quatrains) puis augmentés au cours des nouvelles publications en 1575, 1576, 1578, 1583 et 1584 jusqu'à atteindre le nombre de
126.7 Les Quatrains de Pibrac connaissent un grand succès tout au long du XVII e
siècle : de nombreuses éditions témoignent de leur diffusion dans les couches les plus
hautes de la société. Madame de Maintenon nous apprend qu'elle fut élevée selon ces
principes : « On nous plaquoit un masque sur notre nez, car on avoit peur que nous ne
nous hâlassions; on nous mettoit au bras un petit panier où étoit notre déjeuner avec un
petit livret des Quatrains de Pibrac, dont on nous donnoit quelques pages à apprendre
par jour […)]»8 Il s'agit donc d'un parfait manuel à l'usage des bonnes mœurs que les
4 La littérature gnomique grecque est du même ordre que les sentences hébraïques réunies sous le titre Proverbes de
Salomon.
5 Pibrac, Les Quatrains…, op. cit., p. 25 : Cinquante Quatrains […] composez à l'imitation de Phocylides,
d'Epicharmus & autres anciens Poëtes Grecs […]).
6 Cité in Moralistes français du XVIIe siècle…, op. cit., p. 4.
7 Pibrac, Les Quatrains…, op. cit., p. 157-159. La postérité de l'œuvre de Pibrac est exemplaire. Les Quatrains sont
publiés au début du XIXe siècle avec ceux de Caton : Distiques de Caton, en vers latins, grecs et français : suivis des
quatrains de Pibrac, traduits en prose grecque par Dumoulin : le tout avec des traductions interlinéaires ou
littéraires du grec. A Paris, chez Fuchs, libraire, rue des Mathurins, hôtel de Cluny, Thermidor an X. Aout 1802.
(exemplaire consulté bibliothèque Méjanes C 341). Nous citons Caton d'après cette publication.
8 Ibid. p. 62.
�jeunes filles pouvaient emporter avec elles et il faut attendre la fin du siècle pour voir
les enseignements de Pibrac apparaître comme dépassés et encore, sous la plume de
Molière, dont les contemporains, c'est le moins que l'on puisse dire, ne partageaient pas
toutes les opinions.9 Tout à côté de Pibrac, nous pouvons citer les Tablettes de la vie et
de la mort de Pierre Matthieu publiées en 1610 qui connaissent également un grand
succès ainsi que les œuvres d'Antoine Favre. Pibrac, Matthieu et Favre sont d'ailleurs
édités dans le même recueil en 1640, ouvrage dédié au Dauphin ; Colletet, en 1658,
dresse une liste d'auteurs de quatrains dans un Traité de la poésie morale et sentencieuse. Les Quatrains de Ruffi (comme ceux de ses contemporains occitans Ader et
Meynier) ne constituent pas des poèmes isolés, ni même originaux ; ils s'inscrivent
pleinement dans une mode morale et se définissent à l'intérieur de ce genre avec les
particularités d'écriture le plus souvent induites par la société pour laquelle ils étaient
écrits.
La littérature occitane n'échappe pas aux missions moralisatrices. Ruffi n'est pas
le seul auteur de quatrains : nettement imités de Caton et de Pibrac, les productions
d'Honorat Meynier et de Guillem Ader sont les pendants naturels des Quatrains de
Ruffi (remarquons cependant que celles-ci jouent pleinement leur rôle pédagogique
octroyé par la publication).10 Au-delà de la littérature occitane, c'est toute la société provençale qu'il nous faut interroger. La remise en ordre des préceptes de l'Église depuis le
concile de Trente touche assez tard la Provence littéraire, mais d'une façon
remarquable : les œuvres de Jean de La Ceppède, de Louis de Galaup de Chasteuil ou
de César de Nostredame sont significatives des efforts de la Contre-Réforme tridentine
et s'inscrivent pleinement dans le renouveau religieux de la poésie. 11 D'autres poèmes
de Ruffi (sa Santo Madaleno et ses paraphrases du Pater) portent plus nettement la
marque de cet effort et se rattachent directement à ce courant littéraire, mais les
Quatrains témoignent également d'un souci moral qui n'était pas étranger à l'esprit du
concile de Trente. La société provençale du début du XVII e siècle est entièrement
9 Cf. ce jugement dans Sganarelle ou le cocu imaginaire où Gorgibus repproche à sa fille ses lectures : « Lisez-moi
comme il faut, au lieu de ces sornettes, — Les Quatrains de Pibrac, et les doctes Tablettes — Du conseiller Matthieu,
ouvrages de valeur, — Et pleins de beaux dictons à réciter par cœur. » (Acte I, scène I) (Molière, Oeuvres Complètes,
2 vol., texte établi, présenté et annoté par Georges Couton, « la Pléiade », Gallimard, Paris, 1971, tome I, p. 304).
Parmi ces « sornettes » dont parle Gorgibus figure la Clélie de Mademoiselle de Scudéry.
10 LE / BOVQVET / BIGARRE' / D'HONNORAT / MEYNIER, NATIF DE / la ville de Pertuis. // Dedié à
Monseigneur le Marquis d'Oraison, / Visconte de Cadenet // [vignette aux palmes "Palma Labori"] // A AIX, / Par
Iean THOLOZAN, Imprimeur du Roy / & de ladite ville. / 1608. 137 p. (Exemplaire consulté bibliothèque
municipale de Marseille 11319). Il s'agit là du premier recueil de Meynier (recueil bilingue occitan-français) qui
connut par la suite une brillante carrière parisienne. Sur Meynier, on peut consulter : Auguste Brun, Honoré Meynier
poète provençal (1570-1638), Aix-en-Provence, 1956.
LOV / CATOVNET / GASCOVN. // Boudat à Monseigne de FONTARAILLES // [vignette] // A
THOVLOVZE, / Per la beuze de IACQVES COLOMIEZ, / & RAMOND COLOMIEZ, / Imprimaires deu Rei. / M.
DC. VII. 32 p. (Seul exemplaire connu Britisch Librairy 11498. aa. 32). Lou Catounet a connu plusieurs rééditions en
1608, 1610, 1611, 1612 et 1620. Les poésies d'Ader ont été publiées au début du XX e siècle : Poésies de Guillaume
Ader, publiées avec notice, traduction et notes. Vol. I Lou Gentilhome gascoun par A. Vignaux, vol. II Lou Catounet
gascoun par A. Jeanroy, Privat-Picard, Toulouse-Paris, 1904. Nous citons d'après cette édition. Sur Ader, on peut
consulter : Guilhem Ader (1567?-1638), Actes du colloque de Lombez (21-22 septembre 1991) réunis par Philippe
Gardy, Centre d’Étude de la Littérature Occitane, Centre International de Documentation Occitane, Béziers, 1992.
11 Jean de La Ceppède, Les Théorèmes sur le sacré mystère de nostre redemption, 2 tomes, édition critique publiée
par Yvette Quenot, Nizet, Paris, 1988-1989. La première édition des Théorèmes est de 1613. Sur le sujet de la
Contre-Réforme tridentine voir Yvette Quenot, Les Lectures de La Ceppède, Droz, Genève, 1986.
Louis de Galaup de Chasteuil et César de Nostredame ne bénéficient pas d'une édition critique. Notons de
Louis de Galaup une Imitation des Pseaumes de la Penitence Royalle publiée à Paris en 1596. Cependant, l'essentiel
de l'œuvre de Galaup de Chasteuil reste manuscrite (bibliothèque inguimbertine de Carpentras 386). L'importante
œuvre de Nostredame est imprimée au début du XVII e siècle. Notons plus particulièrement dans cette thématique les
pièces religieuses contenues dans les Pieces heroiques publiées en 1608 à Toulouse.
�tournée vers un renouveau mystique, caractérisé en France par de grandes œuvres, mais
réunissant en Provence des forces poétiques exemplaires. La littérature d'oc illustre cette
thématique; les poésies de Ruffi en témoignent mais également les admirables sonnets
de la Paraphrase des Psaumes de la Penitence toujours inédits.12 Les Quatrains sont
donc le reflet d'une époque, d'une mentalité qu'ils entendent façonner. Dans le même
temps, la forme littéraire des quatrains moraux s'impose peu à peu en France et pénètre
en Provence : Martin Blanc, français de passage à Tarascon, dédie à Gabriel Calhat, cordonnier de la ville, un ensemble de quatrains restés manuscrits. 13 Il est probable que Les
Quatrains ont été écrits pendant un temps relativement long ; il nous faut prévoir pour
cette œuvre une durée d'écriture qui laisse place aux ajouts successifs qui ne
transparaissent pas dans le manuscrit. Nous pouvons donc penser que la parution de
l'œuvre de Pibrac (1574) et la traduction des distiques de Caton par François Habert
(1578) ont joué un rôle important, catalysant en quelque sorte des aspirations que les
mentalités avaient préalablement modelées. Constatons également que les Quatrains de
Ruffi ne sont pas isolés en leur temps : Ader en Gascogne et Meynier en Provence
consacrent une grande partie de leur œuvre à ce genre. Honorat Meynier, avant sa
carrière parisienne, publie son Bouquet Bigarré en 1608 dans lequel la répartition des
poèmes provençaux et français apparaît clairement réfléchie. Ses quatrains sont tous en
occitan et on y reconnaît également la marque de Caton et de Pibrac. 14 Nous
connaissons le succès de l'œuvre d'Ader qui se place, par son titre et le contenu de sa
préface, sous l'influence de Caton et de Pibrac : « Lou Catounet, Mousseigne, après aue
courut la Grecie dab lous sept sages, l'Italie dab Catoun lou bieil, l'Aspaigne dab Berin,
la France dab Pibrac, s'en ba per la Gascouigne […] »15 Le dessein de Ruffi est
semblable à celui d'Ader et on retrouve justement dans les Quatrains les mêmes
typologies et les mêmes distances par rapport à l'œuvre de Pibrac. 16 La morale exposée
dans ces œuvres est celle des « petites gens », morale du peuple et pour le peuple qui est
parfois identique à celle des « grands », mais qui efface un certain nombre de propos
que l'on retrouve chez Pibrac, notamment ceux liés à la vie de Cour. Les Quatrains
insistent donc sur des aspects réalistes, prenant l'essentiel de leur argument dans la vie
quotidienne et les activités économiques primordiales. Une telle insertion sociale
emprunte un registre parfois populaire que l'on retrouve dans les recueils de proverbes,
ceux de La Bugado, dans les compilations du Coucho-Lagno ou encore dans les
différents Discours contenus dans l'œuvre de l'Aixois Claude Brueys. 17 Cette
12 Cet ensemble de sonnets est déposé à la bibliothèque inguimbertine de Carpentras (ms 19).
13 Manuscrit 1059 déposé à la bibliothèque municipale de Marseille. Sur cette œuvre voir Auguste Brun, Poésies
gnomiques du XVIe siècle (d'après un manuscrit de la bibliothèque de Marseille), Aix-en-Provence, 1934.
14 Le Bouquet bigarré…, op. cit., p. 21-43. Cet ensemble comprend 120 quatrains.
15 Lou Catounet gascoun…, op. cit., p. 185-186. Sur les différentes publications de cette œuvre et sur la postérité du
Catounet voir François Pic, "Essai de bibliographie des œuvres imprimées littéraires et médicales, occitanes,
françaises et latines de Guillaume Ader (Lombez, 1567?-Gimont, 1638)", Actes du colloque de Lombez…, op. cit.,
p. 43-89.
16 Nous nous permettons de renvoyer à notre article : « Croisements d'Ecritures au XVIIe siècle : Guy du Faur de
Pibrac, Guilhem Ader et Robert Ruffi », Actes du colloque de Lombez…, op. cit., p. 193-201.
17 Concernant ces deux œuvres et plus généralement la personnalité et l'action de Jean Roize, nous renvoyons à
Philippe Gardy, L'Ecriture occitane aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Origine et développement d'un théâtre occitan
à Aix-en-Provence (1580-1730). L'Oeuvre de Jean de Cabanes, 2 vol., Centre International de Documentation
Occitane, Béziers, 1986, p. 197-208 notamment.
La Bugado prouvençalo vonte' cadun l'y a panouchon. Enliassado de Proverbis, sentences, similitudos &
mouts per riré en provençau. Enfumado é coulado en un tineou de dès soüs per la lavar, sabounar é eyssugar coumo
sé deou. À Aix, chez A. Makaire, Imprimeur-Editeur, 1859. La première édition de La Bugado sortit des presses de
Jean Roize à Aix-en-Provence en 1649. Une seconde édition (expurgée de 400 proverbes) fut publiée vers 1665 chez
�proverbialisation de l'écriture n'est pas étonnante : l'inscription populaire et les formes
même du genre qui se rapprochent des maximes closes des proverbes prédisposent ce
texte et en font, d'une certaine manière, un témoignage linguistique, d'un registre un peu
différent de celui de La Bugado, mais guère éloigné dans le style et le contenu.
L'étendue et les thèmes des Quatrains sont quasi identiques à ceux de leur
modèle ou de leurs contemporains. L'œuvre de Pibrac comporte 126 quatrains, celle de
Meynier 123, celle d'Ader 100. Les Quatrains de Ruffi sont au nombre de 114. 18 Ruffi
traite principalement de la richesse et de la pauvreté, des défauts humains, de la vertu et
des vices, des biens et de l'argent et des femmes avec lesquelles il se montre
particulièrement sévère, se faisant l'écho des mentalités populaires de son temps (les
correspondances avec La Bugado le prouvent). Nous pouvons regrouper ces thèmes en
plusieurs domaines (certains quatrains y figurent plusieurs fois, deux thèmes se
retrouvant parfois dans une seule pièce) :
amitié : 39, 55, 74, 80, 91, soit 5 entrées,
amour : 1, 9, 15, 21, 47, 72, 94, 111, soit 8 entrées,
argent et biens : 13, 18, 19, 23, 36, 92, 95, 96, 101, soit 9 entrées,
civilité : 76, 91, soit 2 entrées,
conseils de conduite : 24, 25, 29, 34, 35, 46, 54, 56, 61, 66, 69, 71, 82, 93, 100, 105, soit
16 entrées,
défauts : 4, 15, 22, 32, 39, 44, 63, 65, 77, 105, 108, 110, 114, soit 13 entrées,
Dieu : 1, 2, 20, 57, 64, 70, 88, 113, soit 8 entrées,
famille : 2, 19, 55, soit 3 entrées,
femme : 5, 9, 15, 21, 26, 31, 33, 35, 40, 46, 48, 49, 50, 78, 103, 109, soit 16 entrées,
mort : 4, 8, 17, 26, 53, soit 6 entrées,
ordre naturel et social : 3, 6, 8, 28, 30, 36, 38, 43, 53, 58, 73, 75, 81, 84, 86, 87, 90, 94,
98, 99, 113, soit 21 entrées,
parole : 7, 37, 44, 51, 80, 83, 104, 107, soit 8 entrées,
pauvreté : 3, 20, 59, 79, 85, 89, 102, soit 7 entrées,
procès : 10, 16, soit 2 entrées,
richesse : 11, 14, 20, 42, 45, 52, 57, 59, 60, 68, 69, 71, 77, 78, 79, 82, 89, 102, 112, soit
19 entrées,
vertu : 12, 18, 41, 62, 67, 96, 97, 106, 110, soit 9 entrées,
vices : 4, 27, 33, 41, 62, 85, 97, soit 7 entrées.
Nous totalisons au total 159 entrées ; les thèmes relatifs à l'ordre naturel et social, à la
richesse, aux conseils de conduite et aux défauts revenant le plus souvent. Notons
également 16 entrées concernant les femmes avec des jugements qui témoignent d'un
Claude Garcin à Marseille. La Bugado figure également dans une édition des Jardin dey Musos de 1666. Les
exemplaires des éditions de 1649 et de 1665 déposés à la bibliothèque municipale de Marseille (12103 et 12104) sont
déclarés manquants. Nous citons donc d'après la réédition du XIXe.
Lou / Coucho-Lagno / Prouuençau, / Per esconjurar las melan- / couliés de ley gens. // [vignette] // A AYS,
/ Aquo de Iean Roize, / a la plaço deys Prescheurs. / 1654. (112 p., exemplaire consulté et à ce jour seul exemplaire
connu : bibliothèque Méjanes Res 198, microfilm 191).
IARDIN / DEY MVSOS / PROVENSALOS. // Diuisat en quatre partidos. // Per CLAVDE BRVEYS /
Escuyer d'Aix. // [vignette] // A AIX, / Par Estienne Dauid Imprimeur / du Roy, & de ladite Ville. / heritier de I.
Tholosan. // M. DC. XXVIII. (ouvrage en deux parties, 430 p. + 425 p. + 7 p. de table, exemplaire consulté
bibliothèque municipale de Marseille 200018). Nous faisons référence aux Discours de Caramantran a baston
romput p. 43-59, Autre Discours à baston rumput p. 60-70, Autre Discours à baston romput p. 71-85, Autre Discours
à baston rumput, p. 86-98, tous publiés dans la deuxième partie de l'ouvrage.
18 Octave Teissier n'a pas publié l'intégralité des "Quatrains". Figurent dans l'édition : 3, 5, 6, 7, 9, 14, 19, 20, 21, 26,
28, 31, 33, 35, 39, 40, 45, 46, 48, 49, 50, 53, 54, 58, 59, 63, 65, 68, 72, 73, 74, 76, 77, 78, 80, 83, 84, 85, 86, 87, 89,
90, 92, 93, 94, 95, 99, 100, 107, 108, 109 (dans un ordre qui n'est pas celui du manuscrit), soit un peu moins de 45%
de l'ensemble.
�ethnotype féminin bien assuré, que l'on retrouve ailleurs, comme par exemple dans ces
deux proverbes de La Bugado qui ne sont pas repris par Ruffi : « Paraulo de fremo,
vessino d'azes » et « Beoutat de fremo, mirau de foueil ».19 La morale qui découle de
ces thèmes, la leçon que l'on doit en tirer, est toujours pleinement en accord avec les
préceptes chrétiens. Notons d'ailleurs que les recueils de quatrains, français et occitans,
s'inspirent tous de Caton et s'ouvrent sur le respect des commandements divins,
intertextualité qui démontre le caractère profondément prégnant des principes
religieux.20 L'argent et plus généralement l'ensemble des biens, la richesse et la pauvreté
jouent un rôle primordial ; refusant le hasard, le travail est la seule garantie de la fortune
et les condamnations des biens mal acquis et du jeu viennent renforcer cette idée
certainement reprise de la Bible. L'ordre naturel et social n'est jamais remis en cause,
dévoilant une prédestination et une organisation du monde qui ne peut être mauvaise
puisqu'inspirée par Dieu. En cela, l'obéissance au roi et le respect de la royauté sont à
souligner, surtout chez un écrivain qui n'a pas toujours été en accord avec ces principes.
Au-delà d'une simple morale, les Quatrains induisent un style de vie, un comportement,
une série d'exemples à suivre que l'on ne peut mettre en question.
La rupture de style occasionnée par la traduction en français des Distiques de
Caton et par l'écriture des Quatrains de Pibrac est maintenue par Ruffi. Le cadre
français s'impose : décasyllabes avec même système de rimes enchâssées sur le modèle
abba, versification qui ne semble pas aller sans poser quelques problèmes à Ruffi
(quelques synérèses qui nous paraissent maladroites et que nous signalons). L'occitan se
prête toutefois assez bien au style des quatrains : inversion du sujet, postposition des
pronoms, sujet collectif au singulier et verbe au pluriel, de telles structures linguistiques,
parfaitement correctes, se retrouvent chez Ruffi qui fait cependant rarement usage du
passé du subjonctif, s'éloignant en cela des emplois communément attestés chez Bellaud
ou Pierre Paul. Stylistiquement marqués par l'ellipse proverbiale, les Quatrains se
coulent dans un moule thématique qui est en plein accord avec les possibilités de
l'occitan.
Les Quatrains se situent au confluent de la littérature et du témoignage. On peut
lire ces textes comme le reflet d'une morale « provinciale », ce qu'ils sont certainement.
Néanmoins, ils participent, à leur place, à une thématique d'écriture qui entend décrire
les comportements humains et en définir les faiblesses et les qualités. Certes les
Quatrains de Robert Ruffi n'auront pas de portée pédagogique ; ils ne sont pas publiés
et ne servent à rien si l'on considère le succès prodigieux des pièces de Pibrac. Ils sont
situés hors du temps, mais reflètent pourtant les principes d'une morale religieuse et
populaire. Ils existent comme un collectage des sentences chrétiennes et ne débordent
jamais de leur cadre préétabli : une simple présence d'une parole morale.
19 La Bugado…, op. cit., p. 74 et 22.
20 Pibrac et Ader citent directement Caton ce que ne fait pas Ruffi. L'influence des Distiques est néanmoins grande,
comme en témoigne par ailleurs un proverbe relevé dans La Bugado : « Entendé son Caton » (La Bugado…, op. cit.,
p. 38).
�[fo 12 r°]
QUATRAINS
[1]
Tant que sentras glatir venos e pous,
Fau amar Diou de tout ton cor e armo
E ton prochan coumo tu mesme amo,
Complido es la ley en estey dous.
[2]
Puy si vos vieure en terro longoment,
Honoraras toun paire aussi ta maire
En li ajudant coumo sies tengut faire,
Car Diou t'en fa exprez comandament.
[3]
Dire : « yeou suc sortit de grand noblesso”
E per malhur paure estre devengut,
Sares toujour per tout lou mauvengut,
Car pauretat ablaigo gentilesso.
[4]
Content si dis quu a l'esperit content
E qui proun a e n'en vou davantagi,
Eou vivent, fa de sa mort corratagi,
Cupiditat enbornie touto gent.
[5]
Un es ben leou maridat, l'autre tard,
Benhurous es qui trobo en mariagi
Molher que sie bello, richo, ben sagi,
�May pauc souvent si recontro l'hasard.
[fo 12 v°]
[6]
Lous roturiez si far nobles vezes,
D'autres que soun nobles en decadensso,
May milhour es quouro per vous coumensso,
Que quand noblesso en vous la finissez.
[7]
Qui parlo plan embe frejo mineto,
Vous trompara ben haul subtiloment,
Plus leou que tau que parlo ubertoment,
Non vous fizes, l'on dis, d'uno aigo queto.
[8]
La condicion de vieure es diferento
Entre lous grands, mediocro e pauro gent
May au mourir tout es indifferent,
Tous sian eigaux quan la mort si presento.
[9]
A fremo si bono vo deshonesto,
Non mostres pas que tu l'ames trop car,
Si sur ton ped un cop si pot tancar,
Apres voudra montar dessus ta testo.
[10]
Qui mou procez per trop injustoment,
Pecat mortau noyris dins sa courado,
Voulent aver per causo colorado
Lou ben d'autruy mau e mechantoment.
[fo 13 r°]
[11]
Fortuno vou lous paures degitar
E douno ajudo a tous qu'an bono audasso,
May quand li plas faire laido grimasso,
�Apres lou dous, l'amar li fa tastar.
[12]
Per art lou ferri es tant subtilizat
Qu'es rendut lest per talhar causo duro,
Lo vertuous anssin sa forsso empluro
Per surmontar la duro adversitat.
[13]
D'home vivent jamay194 non sieges plejo
Si tu non vos estre lou pagadour,
E quan ti ven un pietous pregadour,
Digo tout court qu'a la prezon li nejo.
[14]
Lou ben s'amasso en suzour e magagno
Embe pron tems, mays n'y a qu'en pauc de jours,
Lous veas benleou riches e poderous,195
May lous valats non s'implon pas d'aigagno.
[15]
Ce qu'amo fremo es amat caudoment
E ce qu'hays tanben foro mesuro,
Mediocritat en ello ren non duro,
De bado aurie tout son contentament.
[fo 13 v°]
[16]
De pleidejar reten-ti la cabesso,
E si tes forsso, assajo d'apointar
Ben qu'ages drech quauque tros n'en quitar
Per ti levar de chicano e tristesso.
194 rajouté au-dessus.
195 PV : Embe proun tems n'y a que quant e quant — En beou non ren pareis riche marchant biffé. Une deuxième
version biffée a été écrite par Ruffi : Embe proun tems non veas may n'y a que quant e quant — En beou non ren
pareis estre lous veas riches poissant. Dans la marge à gauche figure également biffé : May n'y a que tau lous
negocis et ly a nouveou marchant. Un signe distinctif (v renversé et surmonté d'une croix) renvoie au bas du folio où
figure la version définitive.
�[17]
Cregne la mort es d'hamaro naturo,
May se ti pren a ton advis trop leou,
S'es196 embe honour non cregnes lou tombeou,
Lou ben mourir a l'honour si mesuro.
[18]
O que va mau quand ce que per vertut
Deou estre fach si ves per argent faire,
Car lou public patis en tal afaire,
L'argent toujour vertut a combatut.
[19]
Quand veas venir un marchant estrangier
Per trafegar negocis dins la villo,
Non li dounes tan couchous vostro filho,
Car proun li soun tombas en gros dangier.
[20]
Non ages pas tant de gauch se as proun ben,
Ny estonat quan siez197 pauret e chiche,
Car quand Diou vou fa leou de paure un riche,
Un riche aussi venir paure tanben.
[fo 14 r°]
[21]
Non viestes pas molher hauto en colour,
Car quouro va198 tan richoment parado,
De liau amor pot estre separado,
L'estat sermat es troubat lou milhour.
[22]
196 Si es biffé. May écrit en début de vers et puis biffé. S'es écrit en marge.
197 que es biffé, quan siez rajouté au-dessus.
198 es biffé, va rajouté au-dessus.
�Se as fach plazer en quauquo creaturo
E t'es ingrat, el es piege q'un can,
Un can conois quu li fa ben tout l'an,
Tout home ingrat demente la naturo.
[23]
Non prestes pas car bessay non v'auras,
E si tu vas marrit e luen dau terme,
Si au terme vas dau deoute, auras amerme,
Non prestes pas199 e l'amic non perdras.
[24]
Si entre tas mans la causo es sequestrado,
Gardo-vo anssin coumo va t'an dounat,
Sens ges d'engan, puy quan es ordenat,
Rende-vo leou car es causo sagrado.
[25]
Sies gracious a tous sens mau penssar
E ren maneflo en cadun agradable,
En compagnie familiau e tratable,
Prompt d'escoutar, mol a ti corroussar.
[fo 14 v°]
[26]
Moulhe au marit douno bon reconfort
Quand es prudento e per tout faire honesto,
May au contrari a d'estre deshonesto,
Glari au marit, fau esperar la mort.
[27]
En grand honour un home restara
E baudoment n'en faut tenir estimo
Quand saupra ben d'uno armo magnanimo
Dountar son vici e mestre s'en fara.
199 rajouté au-dessus.
�[28]
Quand l'home naisse au mondan hermitagi,
Es de plourar tout premier incitat,
Car de dolour e de calamitat
Es astrugat per un veray presagi.
[29]
Sens li penssar prometre es grand simplesso,
Car qui promete ayo trop de laugier,
Lou plus souvent es troubat messongier,
Abelan donc non fau estre en promesso.
[30]
Qui penssara venir en de grandours
E sur dau poble aver son esperansso,
Si l'en pren ben sara per malhuransso,
Car s'apielar d'un poble es hazardous.200
[fo 15 r°]
[31]
Doas oulos fa bon veire pres dau fueq
E se a l'hostau ly a may que d'uno fremo,
Li veas toujour debat e grosso reno,
Uno fa boursso e l'autro ten lou jueq.
[32]
Aqueou que dis que sap lou bas e haut
E de la sciensso estimo estre la souquo,
Sa lauzour va pourrissent dins sa bouquo,
Qui trop si vanto alacho un grand defaut.
[33]
La sobrietat lous vices fa perir,
E trop amar vins e fremos volagis
Ruyno lou cors e lou sens das plus sagis,
200 pernicious biffé, hazardous rajouté à la suite.
�Quu li s'adouno en peno pot garir.
[34]
Si de quaucun ti trobes mau content,
Fay beou semblant qu'eou non s'en doune gardo,
Car au beson si l'afaire non tardo,
Sara tout tiou en ta causo prenent.
[35]
L'home prudent pauc de causos fara
Sens recercar consseou en gros afaire,
May quand forsso es consseou de fremo entraire,
Pren lou premier qu'ello ti dounara.
[fo 15 v°]
[36]
Si quauque riche amassaire d'argent
Vo ben un qu'es en dignitat ben hauto,
Fan auturous dins villo uno grand fauto,
Lous veas trufas guignas de touto gent.
[37]
Au paraulous que de prepaux espousco
Contro cadun trop indiscretoment,
L'anco l'en coy e suffre201 de torment,
A gorjo clausso alin non intro mousco.
[38]
Lou tens passat va comprenent lou sagi
E dau present s'en sierve coumo ves,
E l'avenir s'en auto li preves
Lou preou dau tems fau prendre per usagi.
[39]
Promesso ten de ce qu'auras conclus,
Mentir non faut, ny estre variable
Siege en amic vo enemic notable,
201 a proun biffé, e suffre rajouté au-dessus. Ruffi n'a pas biffé le premier e que nous ne restituons pas.
�Qui perd sa fe non sabrie perdre plus.
[40]
Dioun que la fremo es de l'home naufragi,
Un mau coumun qu'es necessari a tous,
Un animau vous juri dangeirous
E de l'hostau la tempesto e l'oragi.
[fo 15 bis r°]
[41]
Lou vertuous dau vice es lou segnour,
Lou patient tout auvali mesprezo,
Vertut non pot dau fol estre comprezo,
Ny patiensso endurar deshonour.
[42]
Ly a tant d'uffano au mascle e au femelan
Que lo velut, l'or e la richo estofo
Van tout comun a riches e gent goffo,
Tau s'en vestis qu'a l'ostau fa lou can.
[43]
Es may d'honour a l'home montar haut
Que aut montar calar bas e dessendre,
Car baudoment eisso vous fau entendre
Que plus haut es plus202 perilho dau saut.
[44]
L'home afeitat que son visagi esparmo
Es femenin, fort van e vicious,
Lou sagi parlo en mout sustancious,
La paraulo es l'ymage de nostro armo.
[45]
Tau semblo riche e aver grand tresor
202 may biffé, plus rajouté au-dessus.
�Qu'en beous habis e glori si morfonde,
Qu'es endeutat quasi per tout lou monde,
Tout ce qu'on ves luzir non es pas or.
[fo 15 bis v°]
[46]
Gardo-ti ben toun secret revelar
A fremos, sous enfans, ny gent ebriago
Per non tombar en cauquo grosso plago,
Car non sabrion son propri crim celar.
[47]
De s'aflatar per trop, l'amour s'escuro,
Trop s'alugnar souvent mudo de chansso,
E sobroment se veire es amistansso,
Qui amo de luen uno gran peno enduro.
[48]
Quand te seguis un chin leissant son mestre,
Laisso-lou car autant eou t'en fara,
Parelhoment fremo que leissara
Son vray marit embe ello non fau estre.
[49]
Sept poulos dioun lou gau pot contentar,
May l'home aura la botelho ben semo,
Se contentar pensso may d'uno fremo
Coumo lou gau n'a gardo de cantar.
[50]
La sagi fremo entreten la meison
Honestoment e la ten provesido,
La follo pren bens de meison emplido,
Lous degalhant a boudre sens reson.
[51]
Qui porto habis riches per excellensso,
�Parlar li fau coumo se vestira
Vo si vestir segoun que parlara,
L'home es jujat segon203 sa contenensso.
[fo 16 r°]
[52]
Si a degalhar toun ben sies coustumier,
Seras seguit per faire bono chiero
E tant qu'auras argent en gibassiero,
Ti fan monsur en taulo lou premier.
[53]
Per terro e mar lous homes fan grand cours,
S'agrandissent un cadun a sa guiso
Per estre hurous, may si ben l'on s'aviso,
Apres la mort si ves qui es hurous.
[54]
Gardo-ti ben contro degun mau dire,
En son honour pensso de t'arrestar,
Non li a aubret que non li age a broutar,
Ny parentat que non204 li age a redire.
[55]
Fe ny pietat non regnoun plus en terro,
Non li vezes que tromparie per tout,
De faire ben lou camin es tout rout,
Amis, parens, l'un l'autre si fan guerro.
[56]
Quand vous fan offro aprochant de reson,
Es grand foulie se adounc l'on va refuso,
Tau fa refus que puy proun tems s'amuso,
Penssant v'aver, may non es plus seson.
203 PV segoun, u biffé.
204 rajouté au-dessus.
�[57]
Aqueou que fa en paure home daumagi
Per s'enrichir embe catious moyens,
Tenes a ment hounte anaran sous bens,
Diou lou rendra sensso ges d'heritagi.
[58]
De t'aflatar en cas de mariagi
De follo gent catious vo endeutas,
Gardo-ti ben e quito las beoutas
D'aquello tu qu'adores son ymagi.
[fo 16 v°]
[59]
L'home pauret dau riche es mau vengut
Quand fan enssen car toujour li fa guerro
Coumo un peirou mes embe un vas de terro,
Turtant toy dous, lou vas es leou romput.
[60]
Lou ben mondan ven souvent per fortuno,
Aussi perdut es per ello tanben,
E quan li plas, redouno may de ben,
Mes pauc souvent si recontro oportuno.
[61]
Quu si voudra en segurtat tenir,
Gardo-si ben a l'enemic de faire
Causo qu'un jour li venguesso desplaire
Per non venir en un tard repentir.
[62]
Qui a proun vertus, tanben cauque gros vici,
Usant dau vici enanch que das vertus,
A meritat d'honour estre perclus
En deleissant de vertus l'exercici.
�[63]
L'ambicious non es sadoul jamay
Quand ben aurie tou quant que si desiro,
Car tant may a tant plus son cor s'estiro
De desirar e n'aver enca may.
[64]
Quouro as fa vot a Diou gardo-ti ben
De lou fautar, may vite vay lou rendre,
Car autroment sies segur de mau prendre
E mious205 vaudrie non faire vot de ren.
[fo 17 r°]
[65]
Mious vau manjar un morsseu sec en pas
Qu'embe debat de viando delicado,
May taus l'en a de lengo destacado
Qu'embe courrous vivon a tout repas.
[66]
Servici fach en sesoun oportuno
Souvent pourra grosso fauto apaisar
Vo ben fara un enemic teisar,
De far plaser bono es toujour la luno.
[67]
L'home de ben quan si trobo atacat
Crudeloment de perversso fortuno,
Si la constansso en eou non es comuno,
Resto d'honour e vertut ableigat.
[68]
Prosperitat de cadun fort amado
205 may biffé, mious rajouté au-dessus.
�Es desirado e tous206 n'aven gros fan,
E quand nous13 ven en peno e gros affan,
Nous estourdis tan leou207 qu'es arribado.
[69]
D'aver de bens non sieges tan ardent,
Ny enssiuous de gros tresor en terro,
Car es proun ric e proun de bens ensserro
Aqueou que dis dau siou estre content.
[70]
Lou servitour de Diou s'es visitat
E basselat de fortuno contrari,
Quouro es a ponch quasi morir de glari,
Tant plus adounc de Diou es ajudat.
[fo 17 v°]
[71]
Degun non deou en fortuno esperar,
Penssant n'aver dins son cor208 alegresso,
De la blandir es uno grand simplesso,
May grand orguelh de la vituperar.
[72]
Lou fol amour cambie coumo lou vent,
Fa restar neq aqueou que may li estento,
L'amour honest non va jamay sens crento,
E crento va sens amour ben souvent.
[73]
Si tu sies prez de prince vo segnour,
De caquetar non ages pas l'audasso,
Ny embe villars ti prendre premier plasso,
Mal avisat toumbo en gros deshonour.
206 rajouté au-dessus.
207 adounc biffé, tan leou rajouté en dessous.
208 cauquo grand biffé, dins son cor rajouté au-dessus.
�[74]
Si quauque amic en honour as boutat,
Penssaras gouvernar son couragi,
Et ti fas tort s'eou si comporto en sagi
De lou vouler reputar per ingrat.
[75]
Un qu'es tancat a de gros accidens,
Resto embugat d'uno fort grando glori,
Car denembrar non s'en pot la memori,
Princes vo reis n'en fan cas en tout tems.
[76]
De faire ben per son luec vo la villo
Non deven pas si retenir degun,
May proprium roigo tant lou comun
Que tout va mau tous lous ans a la filo.
[fo 18 r°]
[77]
De passotens e de touto alegresso,
De banquetar, de jugar e trotar,
D'aver tout ayze on si pot sadolar,
May non n'y a ges sadoulat de richesso.
[78]
D'opinion si pot cambiar souvent
Coumo la luno es souvent209 variablo,
Au monde aussi touto causo es mudablo,
Fortuno, bens, la fremo, tems e vent.
[79]
D'orguelh non sorte honestetat deguno,
Quand l'orgulhous a grand felicitat,
Dangeirous es de cauquo adversitat,
209 au ceou biffé, souvent rajouté au-dessus.
�Riche es subget plus qu'un paure a fortuno.
[80]
Pertinent es endilhant uno harengo
De parlar dous e fousso as enemis,
Car enemis pourrion210 restar amis,
Lo ben parlar non blesset jamay lengo.
[81]
Au riaume qu'es bono tranquilitat
Que de211 cadun deou estre desirado,
D'un grand proffit lou poble fa parado,
E lou public n'a grand utilitat.
[82]
Qui a bon consseou e non en vol usar,
Qui es fort riche e non vou ren despendre,
E tau qu'enprunto e non vou jamay rendre,
Se l'en ven mau, non lous fau excusar.
[fo 18 v°]
[83]
Si desiras de fes un acord faire
E non voudrias quasi mens n'en parlar,
Fases semblant de pauc vous enautar
Qu'en fin pregat sias per finir l'afaire.
[84]
Si cauquun es de villo lou premie,
Non prengues pas jamay sa malo grassi,
Car en secret ti fara millo estrassi
Ben que tu sies home de prodomie.
[85]
210 podon biffé, pourrion rajouté au-dessus.
211 Que de biffé, Como en rajouté en marge puis biffé, Que de rajouté au-dessus.
�L'avare va recercant sa vergogno
Quand si dis paure e sara ben poissant,
Vivent mesavin, controfasent dau sant,
Per vous fises a taus ny a sa trougno.
[86]
Un douno tard, l'autre pren diligent,
Un vou lou mol e l'autre dur demando,
Un viou ben sobre e l'autre fort gourmando,
Lou vot dey gens va toujour different.
[87]
Tout ce que vean au monde dire e faire
Es agut dich e fach per lou passat,
E lou nouveou s'es au vielh compassat,
De tems en tems si ves un meme afaire.
[88]
Diou sur lous bons a toutos houros velho
Per au beson li donar son secours,
Quant as mechans lous trato de rebours
Per lous punir de fasson merevelho.
[fo 19 r°]
[89]
Assemblar d'or es causo difficilo
A pauro gent, may fau notar un cas
Qu'an may d'affan d'aver dous cens ducas
Que apres dous cens s'avanssar jusqu'a millo.
�[90]
Coumo un marchant es per far bancorouto,
Un navegant en dangier grandoment,
Tanben212 aqueou qu'a grand comandament
Es dangeirous venir dessus dessouto.
[91]
En un prodigue ajudar es perdut,
A la milici aquot es honorable,
A un amic semblo estre resonable
E au public cadun li es tengut.
[92]
Quand acabat as un grand bastiment
E qu'a la fin de plus bastir t'ennuejo,
Quan ti souven d'aver la boursso vuejo,
Ti fa venir un tard repentiment.
[93]
Sies corajous contro malo aventuro,
Ten ferme e fort lo tiou entendement,
Car ven lou tems que fort comodament
Si rende dousso en fin tout si maduro.
212 Aussi biffé, Tanben rajouté en début de vers.
�[94]
Tout passo e ven per son tems e sesoun,
Tems de plorar e puy apres de rire,
Tems de gagnar e tems d'aver dau pire
E tems d'amar e d'hayr per resoun.
�[fo 19 v°]
[95]
Quan la despensso es justo au revengut,
Fau anar drech car si ven un desastre,
Ruyno l'ostau e non si trobo emplastre
Per lou tornar coumo ero a son degut.
[96]
May de vertut ly a conservant son ben213
Qu'en l'aquistar per suzour e magagno,
Aquo s'entend quan aqueou que lou gagno
Per mau gouvert lou degalho en non ren.
[97]
Fuge avarici, amo la modestie,
Sies veritable e reten-ti de l'iro,
Das vicious non prengues pas ta miro,
Das vertuous siegue la compagnie.
[98]
La condition das sugets es seguro
Quouro an un rey plen de grand equitat,
Car aquot es vieure en sa libertat
Souto d'un rey que de son poble a curo.
[99]
Coumo lou ceou es de lumiÉros bellos,
Rendut brilhant aussi parelhoment
La villo va treluzent grandoment
Quand a de gens d'excelentos cervelos.
[100]
Gardo-ti vielh de trop de vin & viando,
213 PV : May de vertut es conservar lou ben. es biffé, ly a rajouté au-dessus. -nt écrit sur le n de conservar. lou biffé,
son rajouté au-dessus.
�D'estre pailhart ny ti medicinar,
Non siez lagnous, gardo de ti saunar,
Embe un bon er auras sanitat grando.
[fo 20 r°]
[101]
Per la fin ly a tres sortos de fortuno :
La borni que si va fourra per tout,
La follo que va douno e levo tout
E l'autro sourdo a pauro gent comuno.214
[102]
L'home que va de sa man lachoment,
La pauretat li fara leou presento,
May aqueou qu'a la man ben diligento,
Prosperara per estre richoment.
[103]
Beoutat de fremo es recomandacion,
May de tout215 muto, exempto de lengagi,
Ello es un riaume e fa216 davantagi,
Comando au rey qu'en ello a devotion.
[104]
214 PV située au fo 19 v° entre [99] et [100] et entièrement biffée : Tres sortos li a l'on dis de la fortuno : — La
borny que si va fourra per tout, — La follo que va douno e levo tout, — E l'autro sourdo a pauro gent coumuno. li a
l'on dis biffé, remplacé par l'on dis que ly a placé en début de vers. la au deuxième vers biffé ainsi que l'autro au
troisième vers.
215 PV : dont, de tout rajouté au-dessus.
216 PV : li biffé, ben rajouté au-dessus et non biffé. Nous ne prenons pas en compte cette version car le vers serait
alors faux.
�Qui gardo ben sa bouco e may sa lengo,
Son armo gardo e viou paisibloment,
Qui parlo proun falhe comunoment,
A peno pot gardar que mau non prengo.
[105]
Gardo-ti ben d'estre trop curious,
Qui va sera es plen de flatarie,
Retracious home de moquarie,
E maudisent menteur e querelous.
[106]
La lauzour va enseguent la vertut
Coumo fa l'ombro embe gran solelhado,
Au cors de l'home vo217 en candelo abrado,
Au vertuous gran lauzor l'es degut.
[107]
Qui uzara de paraulo piquanto
Engendra souvent quauque debat,
Per la paraulo un cadun es notat
E l'esperit d'aqueou qui trop si vanto.
217 PV : e, vo rajouté au-dessus.
�[fo 20 v°]
[108]
L'home suget a debaucho trop grando
Domagi pren au cors e a l'esperit,
Si non s'adobo e s'en rende garit,
Uzo los ans que vilhesso demando.
�[109]
Tres causos li a aurelhos, huels e lengo
Qu'a home fan las fremos recercar,
Per so non deou trop pres las alucar,
parla ny auzir afin que mau non prengo.
[110]
L'envejo ven d'orguelh e qui n'en uzo
Costumier es dire mau de vertut
E son prochan voudrie veire abatut,
Gros pecat es sens suget ny excuzo.
[111]
Qui s'amo trop va mespresant cadun,
Car de l'orguelh fomento la racino,
En compagnie ten auturouzo mino,
Tant que non es gaire amat de degun.
[112]
Tanben qui es orguelhous per richessos
Vo grands honours e de glori fassit,
A l'entour d'eou ten cadun enfessit
En denembrant l'autour de taus largessos.
[113]
Au monde fau estre ben trabalhant,
Car Diou v'a dich, en suzour dau visagi,
Qui non fa ren pren de mau far l'usagi,
l'ocious es de tout ben non chalhant.
[114]
Un coleriq dioun qu'a bel esperit,
Que au contrari un que non ten colero
D'entendement non a pas un zero,
May ce qu'es fach en colero es marrit.
�[1] : Tant que tu sentiras battre veines et pouls, — Il faut aimer Dieu de tout ton cœur et
âme — Et aime ton prochain comme toi-même, — La loi est accomplie de ces deux
façons.
[2] : Puis si tu veux vivre longuement sur la terre, — Tu honoreras ton père et aussi ta
mère — En les aidant comme tu es tenu de le faire, — Car Dieu t'en donne expressément le commandement.
[3] : Dire : « Je suis issu de grande noblesse » — Et par malheur être devenu pauvre, —
Vous serez toujours partout le malvenu, — Car pauvreté ruine noblesse.
[4] : Se dit content celui qui a l'esprit content — Et qui en a assez et en veut davantage,
— Lui vivant, il fait de sa mort courtage, — Cupidité aveugle toutes gens.
[5] : L'un est bien vite marié, l'autre tard, — Bienheureux est celui qui trouve en
mariage — Femme qui soit belle, riche, bien sage, — Mais le hasard se rencontre peu
souvent.
[6] : Vous voyez les roturiers se faire nobles, — D'autres qui sont nobles en décadence,
— Mais c'est mieux quand en vous commence — La noblesse plutôt que quand elle y
meurt.
[7] : Qui parle bien avec un visage froid — Vous trompera très subtilement, — Plus vite
que celui qui parle ouvertement, — Ne vous fiez pas, dit-on, à l'eau dormante.
[8] : La condition de vie est différente — Entre les grands, médiocres et pauvres gens,
— Mais au moment de mourir tout est indifférent, — Nous sommes tous égaux quand la
mort se présente.
[9] : À femme si bonne ou malhonnête, — Ne montre pas que tu l'aimes trop fort, — Si
sur ton pied elle peut une fois prendre appui, — Elle voudra après monter sur ta tête.
[10] : Qui déclare procès trop injustement, — Péché mortel nourrit dans son cœur, —
Voulant avoir par habit coloré — Le bien d'autrui mal et méchamment.
[11] : La fortune veut allaiter les pauvres — Et donne aide à tous ceux qui ont bonne
audace, — Mais quand il lui plaît de faire laide grimace, — Après le doux, elle leur fait
goûter l'amer.
[12] : Le fer est tant travaillé avec art — Qu'il est rendu prêt à couper chose dure, — Le
vertueux ainsi multiplie sa force — Pour surmonter la dure adversité.
[13] : Ne sois jamais caution d'un homme vivant — Si tu ne veux pas être le payeur, —
Et si un misérable quêteur te rencontre, — Dis-lui tout net qu'il neige en prison.
[14] : Le bien s'amasse par la sueur et la peine — Avec beaucoup de temps, mais il y en
a qu'en peu de jours, — Vous les voyez bientôt riches et puissants, — Mais les
ruisseaux ne se remplissent pas de rosée.
�[15] : Ce qu'aime femme est aimé chaudement — Et ce qu'elle hait aussi, hors de toute
mesure, — Médiocrité ne dure pas longtemps en elle, — Quoiqu’elle y aurait tout son
contentement.
[16] : Garde-toi de l'idée de plaider, — Et si tu as des forces, essaie de traiter — Bien
que tu aies le droit d'y laisser quelques plumes — Pour t'ôter de chicanes et de tristesse.
[17] : Craindre la mort est d'amère nature, — Mais si à ton avis elle te ravit trop vite, —
Si elle se présente, avec honneur ne crains pas le tombeau, — Le fait de bien mourrir se
mesure à l'honneur.
[18] : Ô que cela va mal quand ce qui par vertu — Doit être fait se voit fait par l'argent,
— Car la communauté souffre d'une telle affaire, — L'argent a toujours combattu la
vertu.
[19] : Quand vous voyez venir un marchant étranger — Pour négocier des affaires dans
la ville, — Ne lui donnez pas si vite votre fille, — Car beaucoup y sont tombés en grand
danger.
[20] : N'aies pas tant de joie si tu as assez de biens, — Ni ne sois étonné quand tu es
pauvre et chiche, — Car quand Dieu veut faire devenir riche un pauvre, — Il peut aussi
rendre pauvre un riche.
[21] : Ne vêts pas femme avec trop de couleurs, — Car quand elle va si richement
parée, — Elle peut être séparée de l'amour loyal, — L'état modéré est considéré comme
le meilleur.
�[22] : Si tu as fait plaisir à quelque personne — Et qu'elle est ingrate envers toi, elle est
pire qu'un chien, — Un chien connaît celui qui lui fait du bien toute l'année, — Tout
homme ingrat contredit la nature.
[23] : Ne prête pas car tu ne le reverras peut-être pas, — Et si tu es floué et loin du
terme, — Si tu transformes le terme en dettes, — Ne prête pas et tu ne perdras pas un
ami.
[24] : Si la chose est consignée entre tes mains, — Garde-la ainsi comme ils te l'ont
confiée, — Sans aucune tromperie, puis quand il est ordonné, — Rends-la vite car c'est
chose sacrée.
�[25] : Sois gracieux pour tous sans mal penser — En aucune façon hypocrite, à chacun
agréable, — En compagnie familial et docile, — Prêt à écouter, peu enclin à te
courroucer.
[26] : Femme donne bon réconfort au mari — Quand elle est prudente et pour tout faire
honnête, — Mais si au contraire elle est malhonnête, — Horreur pour le mari, il faut
attendre la mort.
[27] : Un homme demeurera en grand honneur — Et il faut joyeusement en tenir estime
— Quand il saura bien d'une âme magnanime — Dompter son vice et s'en rendre
maître.
[28] : Quand l'homme naît dans un ermitage mondain, — Il est tout d'abord incité à
pleurer, — Car de douleur et de calamité — Il reçoit un vrai présage.
[29] : Promettre sans trop y réfléchir est une grande innocence, — Car celui qui promet
avec trop de légèreté, — Est le plus souvent considéré comme un menteur, — Il ne faut
pas être généreux en promesses.
[30] : Celui qui pensera arriver à des hauteurs — Et sur le peuple asseoir son espérance,
— S'il en profite ce sera par malheur, — Car s'appuyer sur un peuple est hasardeux.
[31] : Il fait bon voir deux marmites sur le feu — Et si à la maison il y a plus d'une
femme, — Vous y voyez toujours disputes et grandes querelles, — L'une garde la
bourse et l'autre tient le jeu.
[32] : Celui qui dit savoir le bas et le haut — Et de la science estime être la souche, —
Sa louange va pourrissant dans sa bouche, — Qui se vante trop nourrit un grand défaut.
[33] : La sobriété fait périr les vices, — Et trop aimer vins et femmes volages — Ruine
le corps et le sens des plus sages, — Qui s'y adonne avec peine peut guérir.
[34] : Si tu es mécontent de quelqu'un, — Fais bien semblant pour qu'il ne s'en avise
pas, — Car au besoin si l'affaire ne tarde pas, — Il sera à tes côtés, épousant ta cause.
[35] : L'homme prudent fera peu de choses — Sans rechercher conseil pour une grosse
affaire, — Mais quand force est de prendre conseil auprès d'une femme, — Prends le
premier qu'elle te donnera.
[36] : Si quelque riche collecteur d'argent — Ou bien celui qui est en grande dignité, —
Commettent, hautains, une grande faute en ville, — Vous les voyez moqués, désignés
par toute sorte de gens.
[37] : Au bavard qui répand des propos — Contre chacun trop indiscrètement, — Il lui
en cuit et il souffre le tourment, — À gorge close, il n'entre pas mouche.
[38] : Le sage comprend le temps passé — Et se sert du présent comme il voit, — Et il y
prévoit l'avenir, s'en élève, — Il faut prendre pour usage le prix du temps.
[39] : Ce que tu auras conclu vaut pour promesse, — Il ne faut pas mentir, ni être
variable — Que ce soit pour un ami ou pour un ennemi notoire, — Qui perd sa foi ne
saurait perdre davantage.
[40] : On dit que la femme est le naufrage de l'homme, — Un mal commun qui est nécessaire à tous, — Un animal, je vous jure, dangereux, — Et de la maison la tempête et
l'orage.
[41] : Le vertueux est le seigneur du vice, — Le patient méprise tout incident, — Vertu
ne peut être comprise par le fou, — Ni patience endurer déshonneur.
[42] : Il y a tant de fierté pour les hommes et les femmes — Que le velours, l'or et la
riche étoffe — Vont communément aux riches et aux rustres, — Qui s'en vêt à la
maison fait le chien.
�[43] : Il est plus honorable à l'homme de monter haut — Que monter haut, tomber bas et
descendre, — Car il vous faut joyeusement entendre cela : — Plus on est haut, plus on
prend de risques en sautant.
[44] : L'homme affecté dont le visage est masqué et obscur, — Est comme les femmes,
très frivole et vicieux, — Le sage parle avec des mots substantiels, — La parole est
l'image de notre âme.
[45] : Tel semble riche et avoir grand trésor — Qu'en gloire et beaux habits il se
morfond, — Car il est presque endetté auprès de tout le monde, — Tout ce qu'on voit
luire n'est pas d'or.
[46] : Garde toi bien de révéler ton secret — Aux femmes, à leurs enfants, ni aux personnes ivres — Pour ne pas tomber en quelque grosse affliction, — Car ils ne sauraient
pas taire leur propre crime.
[47] : À trop se rapprocher l'amour s'assombrit, — Trop s'éloigner change souvent la
chance, — Et se voir sobrement est bon pour l'amitié, — Qui aime de loin endure une
grande peine.
[48] : Quand un chien laissant son maître te suit, — Laisse-le car il t'en fera autant, —
De même il ne faut pas demeurer — Avec la femme qui quittera son vrai mari.
[49] : On dit que le coq peut contenter sept poules, — Mais l'homme aura la bouteille
bien vide — S'il pense contenter plus d'une femme, — Il doit se garder de chanter
comme le coq.
[50] : La femme sage entretient la maison — Honnêtement et la tient approvisionnée, —
La folle prend les biens dont la maison est remplie, — Les gaspillant à foison sans
raison.
[51] : Qui porte habits riches par excellence, — Il lui faut parler comme il se vêtira —
Ou se vêtir comme il parlera, — L'homme est jugé selon sa contenance.
[52] : Si tu es habitué à gaspiller ton bien, — Tu seras suivi pour faire bonne chère, —
Et tant que tu auras de l'argent dans le sac, — On te considère comme le Premier
Monsieur à table.
[53] : Par terres et mers les hommes font grandes courses, — S'agrandissant chacun à
leur guise — Pour être heureux, mais si l'on s'avise bien, — On voit après la mort qui
est heureux.
[54] : Garde-toi bien de médire contre personne, — Pense de t'arrêter en son honneur,
— Il n'y a pas d'arbre où il n'y ait à brouter, — Ni parenté dont on n'ait à redire.
[55] : Foi ni piété ne règnent plus sur terre, — Vous ne voyez que tromperie partout, —
Pour faire le bien, le chemin est sinueux, — Amis, parents, se font mutuellement la
guerre.
[56] : Quand on vous fait une offre proche de la raison, — C'est grande folie si donc on
la refuse, — Celui-là la refuse puis s'amuse assez longtemps, — Pensant l'avoir, mais ce
n'est plus la saison.
�[57] : Celui qui cause un dommage à un pauvre homme — Pour s'enrichir avec de
méchants moyens, — Observe bien où iront ses biens, — Dieu le rendra sans aucun
héritage.
[58] : De te rapprocher à l'occasion d'un mariage — De folles personnes méchantes ou
endettées, — Garde-toi bien et quitte les beautés — De celle-là, toi qui adores son
image.
[59] : L'homme pauvre est mal venu pour le riche — Quand ils vont ensemble, car il lui
fait toujours guerre — Comme un chaudron placé avec un pot de terre, — Tous les deux
se heurtant, le pot est vite cassé.
[60] : Le bien mondain vient souvent par fortune, — Il est aussi perdu avec elle, — Et
quand il lui plaît, elle redonne plus de bien, — Mais peu souvent on la rencontre de
façon opportune.
[61] : Qui voudra se tenir en sécurité, — Se garde bien de faire à l'ennemi — Chose qui
un jour puisse lui déplaire — Pour ne pas en venir à un repentir tardif.
[62] : Qui a assez de vertus et aussi quelques gros vices, — Usant du vice avant les
vertus, — A mérité d'être privé d'honneur — En délaissant l'exercice des vertus.
[63] : L'ambitieux n'est jamais repu — Quand bien même aurait-il tout ce qu'il désire,
— Car plus il en a, plus son cœur s'enfle — de désirer et d'en avoir encore plus.
[64] : Quand tu as fait vœu à Dieu garde-toi bien — D'y manquer, mais va vite le
rendre, — Car autrement tu es sûr de recevoir le mal — Et il vaudrait mieux ne pas faire
de vœux.
�[65] : Il vaut mieux manger un morceau sec en paix — Que de la nourriture délicate en
se disputant, — Mais certains ont la langue si bien pendue — Qu'ils vivent en colère à
tous les repas.
[66] : Service rendu en saison opportune — Pourra souvent apaiser grosse faute — Ou
bien fera taire un ennemi, — Pour faire plaisir la lune est toujours bonne.
[67] : Quand l'homme de bien se trouve attaqué — Cruellement, par un hasard pervers,
— Si la constance n'est pas en lui commune, — Il reste accablé, d'honneur et de vertu.
[68] : Prospérité de chacun tant aimée — Est désirée et nous en avons tous grosse faim,
— Et quand elle nous vient avec peine et fatigue, — Elle nous étourdit aussitôt qu'elle
est arrivée.
�[69] : Ne sois pas aussi impatient d'avoir des biens, — Ni envieux de gros trésors en
terre, — Car il est assez riche et possède assez de biens — Celui qui dit être content de
ce qu'il a.
[70] : Si le serviteur de Dieu est visité — Et balloté par un destin contraire, — Quand il
est sur le point de mourir de peur, — Il est donc encore plus aidé de Dieu.
[71] : Personne ne doit espérer en la fortune, — Pensant ne pas avoir d'allégresse dans
son cœur, — La caresser est d'une grande naïveté, — Mais grand orgueil est de la
vitupérer.
[72] : Le fol amour change comme le vent, — Il fait rester interdit celui qui tergiverse le
plus, — L'amour honnête ne va jamais sans la crainte, — Et la crainte va bien souvent
sans amour.
[73] : Si tu te tiens auprès d'un prince ou d'un seigneur, — N'aies pas l'audace de
caqueter, — Ni prendre la première place parmi les coureurs de rue, — Mal avisé tombe
en grand déshonneur.
[74] : Si tu as placé quelque ami en honneur, — Tu penseras gouverner son courage, —
Et tu te fais du tort s'il se comporte en sage — De vouloir le faire passer pour un ingrat.
[75] : Celui qui s'est opposé à de gros accidents, — Reste embué d'une très grande
gloire, — Car on ne peut en effacer la mémoire, — Princes ou rois y prêtent attention en
tous temps.
[76] : Personne ne doit se retenir — De faire du bien pour son pays ou sa ville, — Mais
le particulier ronge tellement le commun — Que tout va mal d'une année sur l'autre.
[77] : De passe-temps et de toute joie, — De banqueter, de jouer et d'aller et venir, —
D'avoir toute aisance on peut se saouler, — Mais il n'existe pas d'homme saoul de
richesses.
[78] : On peut changer souvent d'opinion — Comme la lune est souvent variable, —
Chaque chose est aussi changeante en ce monde, — Fortune, biens, la femme, temps et
vent.
[79] : Aucune honnêteté ne peut naître de l'orgueil, — Quand l'orgueilleux a une grande
joie, — Il est exposé à quelque adversité, — Un riche est plus sujet à la fortune qu'un
pauvre.
[80] : Il est pertinent d'adresser une harangue, — De parler doux, fût-ce aux ennemis, —
Car les ennemis pourraient rester des amis, — Le bien parler n'a jamais blessé de
langue.
[81] : Au royaume où réside une bonne tranquillité — Qui doit être désirée de chacun,
— Le peuple exhibe un grand profit, — Et la communauté en a une grande utilité.
[82] : Celui qui reçoit un bon conseil et ne veut pas en user, — Celui qui est très riche et
ne veut rien dépenser, — Et celui qui emprunte et ne veut jamais rendre, — S'il leur
arrive quelque mal, il ne faut pas les excuser.
[83] : Parfois si vous désirez conclure un accord, — Et que vous ne vouliez guère en
parler, — Faites semblant de prendre un peu de hauteur — Pour que vous soyez
finalement prié de conclure l'affaire.
[84] : Si quelqu'un est le premier en ville, — Ne sois jamais en ses mauvaises grâces, —
Car il te fera en secret mille méchancetés — Bien que tu sois homme de prud'homie.
[85] : L'avare va recherchant sa honte — Bien qu'il se dise pauvre, il sera bien puissant,
— Vivant de manière fâcheuse, contrefaisant les saints, — Ne vous fiez pas à eux, ni à
leur trogne.
�[86] : Un donne tard, l'autre prend vite, — Un souhaite la mollesse et l'autre demande la
dureté, — Un vit très sobre et l'autre de façon bien gourmande, — Le vœu des gens est
toujours différent.
[87] : Tout ce que nous voyons au monde dire et faire — A été dit et fait par le passé, —
Et le nouveau s'est mesuré à l'ancien, — On voit de temps en temps une même affaire.
[88] : Dieu veille à toute heure sur les bons — Pour au besoin leur porter secours, —
Quant aux méchants, il les traite inversement — Pour les punir de façon merveilleuse.
[89] : Réunir de l'or est chose difficile — Pour les pauvres gens, mais il faut remarquer
— Qu'ils ont plus de difficulté à avoir deux cents ducats — Qu'après deux cents aller
jusqu'à mille.
[90] : Comme un marchant qui est sur le point de faire banqueroute, — Un navigateur
en grand danger, — De même celui qui a reçu un grand commandement — Est exposé à
redescendre au plus bas.
[91] : L'aide apportée à un prodigue est perdue, — À la milice cela est honorable, — À
un ami cela semble être raisonnable, — Et à la communauté chacun y est tenu.
[92] : Quand tu as achevé un grand bâtiment — Et qu'à la fin il t'ennuie de construire
plus, — Quand tu te souviens que ta bourse est vide, — Cela te donne un repentir tardif.
[93] : Sois courageux face à la mésaventure, — Tiens ferme et fort ton entendement, —
Car le temps vient que fort commodément — Elle s'adoucit et enfin tout s'accomplit.
[94] : Tout passe et vient en son temps et saison, — Temps de pleurer et puis après de
rire, — Temps de gagner et temps d'avoir le pire — Et temps d'aimer et d'haïr avec
raison.
[95] : Quand la dépense est égale au revenu, — Il faut aller droit car si un désastre
survient, — Il ruine la maison et on ne trouve pas de remède — Pour la remettre en son
état.
[96] : Il y a plus de vertu en conservant son bien — Qu'à l'acquérir par la sueur et la
peine, — Cela s'entend quand celui qui le gagne — Par son mauvais gouvernement le
verse dans le néant.
[97] : Fuis l'avarice, aime la modestie, — Sois sincère et retiens-toi de te mettre en
colère, — N'imite pas les vicieux, — Sois en compagnie des vertueux.
[98] : La condition des sujets est sûre — Quand ils ont un roi de grande équité, — Car
c'est être en liberté que de vivre — Sous un roi qui s'occupe de son peuple.
[99] : Comme le ciel est fait de belles lumières, — Rendu brillant, pareillement — La
ville est grandement illuminée — Quand elle possède d'excellents esprits.
[100] : Vieux, garde-toi de trop de vin et de viande, — D'être paillard et de te fier aux
remèdes, — Ne sois pas plaintif, garde-toi de te saigner, — Avec un bon air tu auras une
bonne santé.
[101] : Pour finir il y a trois sortes de fortunes : — L'aveugle qui se glisse de partout, —
La folle qui donne et enlève tout, — Et l'autre sourde aux pauvres gens communes.
�[102] : L'homme qui agit lâchement de sa main, — La pauvreté sera vite son lot, —
Mais celui qui a la main bien à propos, — Prospérera pour devenir riche.
[103] : Beauté de femme est recommandation, — Surtout muette, exempte de langage,
— Elle est un royaume et fait davantage — Elle commande au roi qui lui est dévoué.
[104] : Qui garde bien sa bouche et même sa langue, — Garde son âme et vit
paisiblement, — Qui parle trop commet généralement une faute, — Il peut à peine se
garder de n'avoir aucun mal.
[105] : Garde-toi bien d'être trop curieux, — Qui le sera est rempli de flatterie, —
Injurieux, homme de moquerie, — Et médisant, menteur et querelleur.
[106] : La louange suit la vertu — Comme fait l'ombre avec le grand soleil — Au cœur
de l'homme ou en chandelle allumée, — Grande louange est due au vertueux.
[107] : Qui usera de paroles blessantes — Engendre souvent quelque dispute, —
Chacun est remarqué par la parole — Et l'esprit de celui qui se vante trop.
[108] : L'homme sujet à trop grande débauche — Cause dommages au corps et à l'esprit,
— S'il ne s'arrange pas et n'en guérit point, — Il gaspille les années que la vieillesse
demande.
[109] : Les hommes recherchent trois choses chez les femmes : — Les oreilles, les
yeux et la langue, — Pour cela on ne doit pas les regarder de trop près, — Leur parler ni
les écouter afin qu'il n'arrive pas malheur.
[110] : L'envie vient de l'orgueil et celui qui en use — De façon habituelle dit du mal de
la vertu — Et il voudrait voir son prochain abattu, — Gros péché est sans sujet ni
excuse.
�[111] : Celui qui s'aime trop va méprisant chacun, — Car il fomente la racine de
l'orgueil, — En compagnie, il porte un visage hautain, — Si bien qu'il n'est aimé de
personne.
[112] : De même celui qui est orgueilleux de par ses richesses — Ou ses grands
honneurs et rempli de gloire, — Contamine chaque personne autour de lui — En
oubliant l'auteur de telles largesses.
[113] : Il faut être au monde en travaillant bien, — Sueur au visage, car Dieu l'a dit, —
Celui qui ne fait rien prend l'habitude de mal faire, — Le caractère oisif n'est pas tout à
fait bien réjouissant.
�[114] : On dit qu'un coléreux a bel esprit, — Qu'au contraire celui qui ne se met pas en
colère — N'a pas un brin d'entendement, — Mais ce qui est fait en colère est mauvais.
[1] : la ley, c'est-à-dire la loi des commandements divins.
La prononciation du s final de venos ne permet pas la synérèse et ne fausse pas le vers. C'est
toujours l'absence de synérèse entre complido et es, plus difficile à admettre, qui est garante de
la régularité du dernier vers.
Un quatrain reprenant une argumentation semblable figure en tête de l'ensemble des recueils
d'Honoré Meynier : « Hounoro d'un bouon couor lou Seignour tout puissant, — Et sous
coummandamens mette dins ta memory […] » (Le Bouquet bigarré..., op. cit., p. 21, quatrain
n°1) et de Pibrac : « DIEU tout premier, puis Pere & Mere honore : — Sois juste & droict : & en
toute saison — De l'innocent pren en main la raison : — Car Dieu te doit la haut juger encore. »
(Pibrac, Les Quatrains, op. cit., p. 75, quatrain I). Cette introduction en matière est inspirée de
Caton : « Si c'est un pur esprit que Dieu, — Ainsi que dans ses vers le poète l'écrit, — Que ton
soin principal soit de le reconnaître; — L'adorant de cœur et d'esprit. » (Distiques de Caton…,
op. cit., p. 1, quatrain I, livre I).
[2] : Il s'agit également d'une allusion au commandement divin relatif à l'amour filial. Ce
précepte se trouve chez Meynier : « Aqueou que d'un bouon couor fa hounour à son payre, —
En joyo & en salut si vioura longoment, — Et aqueou qu'amo Diou aura contentament, — Et
veyra prospera lou fruc de son terrayre. » (Le Bouquet bigarré…, op. cit., p. 21, quatrain n°2),
chez Ader : « Per ana dounc cap-leouat et ses crente, — Brembet de Diu, é de sous mandamens,
— Oundre lou Pai, la Mai é toutes gens, — Nou hasses tort à pressoune biouente. » (Pour aller,
donc, tête haute et sans crainte, souviens-toi de Dieu et de ses commandements; honore ton
père, ta mère, tous les hommes, et ne fais tort à âme qui vive) (Lou Catounet gascoun…, op. cit.,
p. 186, quatrain II) ainsi que chez Pibrac (cf. commentaire de [1]). Cette idée est inspiré de
Caton : « Montre envers père et mère une piété tendre, — Rends à tous deux même devoir : —
Que l'amour paternel n'empêche point de rendre — Les soins que pour sa mère un bon fils doit
avoir. » (Distiques de Caton…, op. cit., p. 43, quatrain xxiv, livre III).
[3] : ablaigo cf. « ablasigar ».
gentilesso désigne ici la noblesse (cf. Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 47-48).
[4] : Le premier vers est difficile à interpréter. La thématique générale de ce quatrain reprend
l'idée d'une richesse toujours insatisfaite, que même la mort ne semble pas arrêter.
[5] : Nous voyons bien ici en quoi consistent pour Ruffi les qualités d'une épouse : elle doit être
belle, riche et sage, reprise d'une mentalité populaire qui transparaît également dans d'autres
quatrains.
[6] : Les deux premiers vers de ce quatrain semblent indiquer un bouleversement des valeurs.
Ruffi précise par la suite que la noblesse est une affaire intérieure qu'il faut préserver.
[7] : Nous trouvons dans La Bugado quatre proverbes qui se rapportent directement à ce
quatrain. Les deux premiers concernent la parole : « A bouen entendour, pauc paraulos » et « A
beou parlié, sarro l'oureillo ». Le troisième est quasi identique au dernier vers du quatrain :
« Aygo queto es dangeiroue ». Le quatrième reprend cette idée tout en développant la
métaphore de l'eau dormante : « Foueil que se fizo à l'aygo mouorto » (La Bugado…, op. cit.,
p. 9, 11, 19 et 48).
[8] : Quatrain reprenant le topos de l'égalité devant la mort.
[9] : Ce quatrain présente le caractère dominateur de la femme et les faiblesses de l'homme qui
dévoile trop son cœur.
[10] : causo colorado est difficile à interpréter. Nous pensons à une allusion à la robe colorée
des magistrats; causo prendrait donc le sens de vêtement ce que confirme d'ailleurs Mistral (Lou
Tresor dóu Felibrige, op. cit., vol. I, p. 504).
L'idée de l'appropriation du bien d'autrui est chez Ader : « N'ames arren que nou set apertengue,
— Seguich lou dret en toutis tous ahés; — Ben aquesit de tort ou de traoués — James sera qu'à
�male fin nou bengue. » (Ne convoite rien qui ne t'appartienne; suis le droit chemin en toutes tes
affaires; il ne peut se faire qu'un bien acquis à tort et de travers ne vienne à mauvaise fin) ( lou
Catounet gascoun…, op. cit., p. 188, quatrain VI).
[11] : Fortuno garde un double sens au XVIe siècle. Dans certains cas, sa signification se
rapproche de celle de l'étymon latin que l'on peut traduire par sort ou hasard. Nous choisissons
généralement « fortune » qui dans ce cas se rapporte à l'argent, tout en gardant présent à l'esprit
ce sens premier.
Ce quatrain est construit à l'aide de sensations gustatives, de « degitar » qui signifie littéralement élever un enfant au sein, aux notions de doux et d'amer dans le dernier vers.
[12] : empluro, cf. « empurar », attiser, que l'on traduit ici par multiplier.
[13] : plejo pour caution, terme ancien de jurisprudence (du bas latin plegium, cf. l'ancien
français « pleige »).
nejo est peut-être un francisme. Ce dernier vers signifie le froid de la prison et symbolise, par
l'image du lieu glacé, la sévérité du châtiment.
[14] : Les rimes des deuxièmes et troisièmes vers indiquent que le s final de jours était
prononcé.
Le dernier vers correspond à un proverbe recueilli dans La Bugado : « Ley valas s'implon pas
d'eygagnos » (La Bugado…, op. cit., p. 58).
[15] : Nouveau quatrain sur les femmes qui présente leur caractère excessif.
[16] : tes cf. « tenes ».
Le thème judiciaire est commun à presque tous les auteurs de quatrains. Nous le trouvons chez
Ader : « En tous ahés nou t'aupiniastres gouaire, — Estan en so qu'en haran gens de ben, — Que
lou procez ei la quére d'un ben, — E l'espitau guigne lou plaidejaire. » (En tes affaires ne
t'opiniâtre pas : tiens-t'en à ce que feront les gens de bien; car un procès, c'est le vers rongeur
d'un bien, et l'hôpital guette le plaideur.) (Lou Catounet gascoun…, op. cit., p. 190, quatrain
XIII). Brueys traite ce thème dans le Discours de Caramantran a baston romput avec un
vocabulaire semblable : « Deys chicanos fau levar man, — Car n'y aurié finquos à deman »
(Iardin…, op. cit., p. 54). La Bugado témoigne également de cette préoccupation : « N'arisquo
un dreth en pleidejant, perde pu leou en t'accourdant. » (La Bugado…, op. cit., p. 68).
[17] : La mort est un thème qui figure chez Pibrac : « Ne souhaiter la mort, & ne la craindre »
(Pibrac, Les Quatrains, op. cit., p. 89, quatrain LXIX).
[18] : Nous traduisons public par communauté. Le sens du XVIe siècle privilégie le sentiment
communautaire que le mot français « public », dans son emploi actuel, ne rend
qu'imparfaitement.
Un proverbe de La Bugado reprend un argument semblable dans un traitement inverse : « La
vertut enrechis l'homé pauré » (La Bugado…, op. cit., p. 54).
[19] : couchous pour « si vite » (cf. Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 591).
Ce mot est employé par Bellaud de la Bellaudière : « Et mittat esglariat, couchoux t'en
retournerez » (Obros et Rimos, op. cit., p. 127, sonnet cxxviii).
veas compte pour une syllabe.
Faut-il voir dans ce quatrain une allusion à un épisode de la vie marseillaise ? Nous préférons
pour notre part penser à un thème (ne pas donner sa fille à n'importe qui) qui trouve une
illustration spécifiquement marseillaise (le marchant étranger).
�Une même idée est chez Pibrac : « A l'estranger sois humain & propice, — Et s'il se plainct
incline à sa raison : — Mais luy donner les biens de la maison, — C'est faire aux siens & honte
& injustice. » (Pibrac, Les Quatrains, op. cit., p. 95, quatrain LXXXIX).
[20] : La puissance divine est ici évoquée en liaison avec les richesses que Dieu accorde et qu'il
peut également reprendre.
Caton exprime également les aléas de la fortune : « Quand pour toi la fortune est la plus libérale,
— Redoute en ses faveurs quelque revers fatal : — Elle change souvent, et sa course inégale —
Commençant bien, peut finir mal. » (Distiques de Caton…, op. cit., p. 9, quatrain xviii, livre I).
[21] : La beauté de la femme doit honorer son mari, mais ne doit pas non plus être trop visible ;
la distance ici entre deux comportements est étroite. La beauté féminine est sujette à caution,
débat dont La Bugado se fait l'écho : « Beoutat de fremo, mirau de foueil » (La Bugado…,
op. cit., p. 22).
[22] : creaturo est féminin, mais l'idée comprise ici est reprise dans la suite du quatrain au genre
masculin.
[23] : v'auras, « tu ne l'auras pas, tu ne le reverras pas », « le » symbolisant le bien prêté.
amerme de « amermar », diminuer, amoindrir.
[24] : Ce quatrain est-il une allusion aux différents placements financiers ? Nous pensons y voir
plus sûrement un précepte plus général qui fait de celui qui conserve et restitue ce qui lui a été
prêté un homme d'une honnêteté exemplaire.
[25] : Le comportement ici souhaité est exempt de toute outrance et de toute mauvaise humeur.
Ce quatrain se veut à lui tout seul un manuel de savoir-vivre.
maneflo signifie littéralement « flagorneur ».
[26] : La versification de ce quatrain soit déséquilibrée par les rimes riches du deuxième et
troisième vers et les rimes pauvres du premier et du quatrième.
�Ce quatrain résume l'image féminine contenue dans cette œuvre. Il est évident que de tels
jugements, aujourd'hui outranciers, accentuent le côté maléfique et néfaste des mauvaises
épouses.
De tels jugements perdureront dans la littérature. Ainsi, quelques années plus tard, l'auteur
anonyme d'une Suito dey regrez dou Païsan. Sur la survivenço de sa moüiller à son ay contenue
dans Lou Coucho-Lagno commence son poème par ces vers : « Aro qu'ay prés un pauc d'alen —
Per you siou d'avis que parlen — Non pas de l'ay, may de las fremos. — Crezi qu'ay gitat de
lagremos — Despuy qu'ay espouzat la miou — Per lou mens un gros plen barquiou […] » (Lou
Coucho-Lagno…, op. cit., p. 29).
[27] : Dompter son vice et devenir son propre maître est un précepte élémentaire pour une
bonne conduite morale.
�[28] : Nous ne comprenons pas ce que Ruffi entend par mondan hermitagi. Nous pouvons peutêtre y voir une allusion aux maisons closes. Le présage serait alors une malédiction issue de
naissance.
[29] : abelan, que nous avons traduit par généreux. Mistral donne pour es gaire abelan : « il
n'est pas généreux » (Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., vol. I, p. 6).
Un proverbe de La Bugado rappelle l'importance des promesses : « Cauvo proumesso es
degudo. » (La Bugado…, op. cit., p. 26).
[30] : Ruffi fait ici référence aux changements subits de l'opinion populaire. Ce quatrain pourrait
être une allusion aux troubles marseillais et plus particulièrement à la dictature de Charles de
Casaulx entre 1591 et 1596.
[31] : La rigueur morale de Ruffi ne peut s'accommoder de la polygamie. Mais ici, elle semble
être refusée beaucoup plus pour une impossibilité liée aux « tares » féminines que pour une
question religieuse. Cette idée est présente dans La Bugado : « De doues fremos dins la meizon,
de la mitat l'y en a ben pron » (La Bugado…, op. cit., p. 31).
[32] : Il s'agit ici du seul quatrain qui mette en cause la vanité des hommes de science qui
entendent tout savoir et tout connaître.
alacho, nourrit plutôt qu'allaite qui serait trop littéral.
[33] : L'association du vin et des femmes volages doit être remarquée; l'union ainsi pré sentée
s'attaque à la raison et au cœur des hommes.
[34] : Ruffi semble développer un argument qui prend en compte la patience et la dissimulation
en affaires et ceci dans l'intérêt d'un revirement spectaculaire.
[35] : Une idée similaire figure chez Ader : « Dab ta mouillé prenes cousseil en causes — Que
n'anen pas mes enla de l'oustau; — Si hemne sab qu'as heit arren de mau, — Aquoi prou dit, e
puch toquei se gauses. » (De ta femme prends conseil sur les choses qui ne sortent pas de la
maison; si elle sait que tu as fait quelque chose de mal, elle a vite fait de te le reprocher, et,
après, « touches-y si tu l'oses! ») (Lou Catounet gascoun…, op. cit., p. 207, quatrain LXIII).
[36] : Il semblerait donc qu'il ne soit pas pardonné aux riches et aux personnes sociale ment
importantes. Ruffi est certainement ici l'interprète d'une parole populaire qui garde en elle une
certaine marque d'irrespect, voire de contestation dissimulée sous la moquerie. Nous savons que
le Carrateyron procède de cette même manière.
[37] : clausso certainement pour « clauso ».
l'anco l'en coy pourrait signifier l'imminence d'une volée de coups, bien sûr ici au figuré. Nous
traduisons par « il lui en cuit », gardant l'idée de coy, mais ne pouvant, en français, conserver la
particularité corporelle.
Nous trouvons un argument semblable chez Meynier : « Aqueou que parlo pauc & parlo per
mesuro, — Non pou estre tengut que per ben advisat, — Car lou vray naturau d'un qu'es mau
advisat, — Es de parlar beaucop & tant à l'adventuro. » (Le Bouquet bigarré…, op. cit., p. 24,
quatrain n°18).
Le dernier vers de ce quatrain correspond à un proverbe de La Bugado : « A bouco clauso, non
l'intro mousquos » (La Bugado…, op. cit., p. 10).
[38] : Les enseignements du passé, la rigueur dans le présent et la prédiction de l'avenir servent
à Ruffi pour dresser un portrait du sage qui saurait réunir ces trois qualités.
Ce quatrain paraît inspiré de Caton : « Aye une prévoyance sage, — Et des faits importants
garde le souvenir, — Semblable au dieu Janus, dont le double visage, — Voit derrière et devant,
le passé, l'avenir. » (Distiques de Caton…, op. cit., p. 30-31, quatrain xxvii, livre II).
[39] : Il s'agit là d'une reprise d'un commandement divin.
[40] : dioun cf. dison traduit par « on dit ».
Remarquons, dans ce quatrain, le passage de la troisième personne du pluriel à la première du
singulier, le je de Ruffi dans vous juri, qui introduit, fait rare dans ces poèmes, une reprise d'une
idée commune renforcée par l'inscription personnelle.
Nous trouvons dans les Discours de Caramantran a baston romput de Claude Brueys deux
idées similaires : « La fremo qu'és un pichon sotto — Vau mays per l'honnour de l'houstau » et
« Uno fremo qu'és trop meissanto, — Passo per Diable dins l'houstau » (Iardin…, op. cit., p. 45
�et 74). Un proverbe recueilli dans La Bugado va également, de façon très claire, dans le même
sens : « La fremo es un mau necessari dins un houstau. » (La Bugado…, op. cit., p. 55). Lou
Coucho-Lagno, quelques années plus tard, reprend cette idée dans un Coqualani : « Uno fremo
dins un houstau — Es cert' uno marrido eyzino. » (lou Coucho-Lagno…, op. cit., p. 99).
[41] : auvali cf. « auvari ».
[42] : ufano, pour « fierté » (Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 1069).
gent goffo désigne les personnes grossières, de basse condition (Lou Tresor dóu Felibrige,
op. cit., tome 2 p. 63). Ruffi semble indiquer dans ce quatrain que la richesse vestimentaire n'est
qu'un leurre. Le sens du dernier vers est obscur; il semble que celui qui se vêt de cette façon
ressemble au chien de la maison.
[43] : L'idée d'une chute (au sens figuré bien sûr) et de son caractère dangereux est exprimée
dans un proverbe de La Bugado : « As fach lou saut perilhous » (La Bugado…, op. cit., p. 15).
[44] : esparmo cf. « espaumar » qui signifie espalmer, nettoyer la carène d'un navire et l'enduire
de suif. La métaphore établie par Ruffi prend en compte les notions d'espalme, de suif et l'action
même qui consiste à réparer ce qu'on ne voit pas (la carène). L'idée exprimée est donc celle d'un
visage fuyant dont l'essentiel est caché, recouvert en apparence d'un masque. Nous proposons
donc les deux adjectifs « masqué » et « obscur » qui alourdissent le texte, mais qui ont le mérite
de restituer cette idée.
Remarquons un quatrain au contenu voisin chez Meynier : « Lou veray naturau es de l'home
qu'es flatie, — De parlar doussoment & ordenariment, — Si sa boucho dis l'un son couor penso
autrament, — Et qui si fiso d'eou viou de mentardarie. » (Le Bouquet bigarré…, op. cit., p. 32,
quatrain n°32) ainsi que chez Pibrac : « Parler beaucoup on ne peut sans mensonge, — Ou pour
le moins sans quelque vanité : — Le parler brief convient à verité, — Et l'autre est propre à la
fable & au songe. » (Pibrac, Les Quatrains, op. cit., p. 90, quatrain LXXIIII). La Bugado
renferme également une idée semblable : « Bellos paraulos, non coueston ren. » (La Bugado…,
op. cit., p. 23). Cette idée paraît inspirée de Caton : « La première vertu de l'homme raisonnable
— Est de mettre à sa langue un frein judicieux. — Il n'est rien de plus estimable : — L'homme
qui sait se taire est presque égal aux Dieux. » (Distiques de Caton…, op. cit., p. 2, quatrain III,
livre I).
[45] : Le dernier vers est à rapprocher de deux proverbes de La Bugado : « N'es pas or tout ce
que luze » et « Tout ço que luze non es pas or », proverbes identiques, à la structure inversée
(La Bugado…, op. cit., p. 69 et 96).
[46] : crim, sans e de soutien (on trouve par ailleurs crime cf. notre chapitre sur la versification).
Ce quatrain met en scène la discrétion, le peu de parole nécessaire à la conduite des bonnes
affaires. Les femmes, les enfants et les ivrognes paraissent être des personnes peu sûres,
pouvant révéler ces secrets à cause de leur « état » naturel ou artificiel.
plago prend ici un sens purement abstrait.
[47] : s'aflatar a ici le sens de s'approcher de trop près de quelqu'un. Ce quatrain est construit
sur un jeu d'opposition (loin / proche). Notons amo de luen qui n'est pas gratuit sous la plume de
Ruffi car nous savons qu'il connaissait Jaufre Rudel dont il cite le nom dans l'Odo a Pierre
Paul.
[48] : Encore un quatrain sur la nature des femmes et sur leur inconstance.
[49] : ben semo, métaphore érotique sur cette bouteille vidée.
�L'argumentation développée dans ce quatrain est semblable à celle contenue en [31].
[50] : La femme maîtresse de maison, régnant sur son domaine est un thème récurrent dans les
mentalités populaires.
Un quatrain similaire se trouve chez Meynier : « L'home qu'a per mouille uno fremo prudento,
— Pou dire qu'es heuroux, car la fremo es la clau, — Que sarro & entreten lou ben qu'es dins
l'houstau, — Vou ben lou mando tout en rouino doullento. » (Le Bouquet bigarré…, op. cit.,
p. 33, quatrain n°68) ainsi que chez Ader : « N'ames pas trop la hemne ahelequade — E que non
biu arrestade a l'oustau, — Qu'encoué noun y aje, om y pot pensa mau ; — Boun renom bau
mes que cinte daurade. » (N'aime pas trop la femme délurée et qui ne sait pas se tenir à la
maison; même à tort, on en peut mal penser : bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée.)
(Lou Catounet gascoun…, op. cit., p. 197, quatrain XXXIII). Un proverbe de La Bugado résume
cet état d'esprit : « Fremo fa ou desfa l'houstau. » (La Bugado…, op. cit., p. 48).
[52] : Nous mettons des majuscules à Premier Monsieur pour bien marquer la déférence
hypocrite attribuée au payeur par ses invités.
Une idée similaire se trouve chez Ader : « Tant qu'om te sab force argent en la bousse, — De
toutis es Moussur é compaignoun; — Quan nou n'as mes, delechat es deu moun, — Coum si
james counegut nou t'augousse. » (Tant qu'on te sait force argent en poche, tu es pour tous un
monsieur, un compagnon [qu'on recherche]; quand tu n'en as plus, tu es délaissé du monde,
comme si jamais on ne t'avait connu.) (Lou Catounet gascoun…, op. cit., p. 191, quatrain XVI).
[53] : Quatrain sur l'imminence et la certitude du jugement dernier. Il semble que Ruffi nous
indique l'éphémère des choses terrestres.
[54] : La médisance ne peut rien apporter de bon. Ruffi signale en outre que les hommes
possèdent en eux quelque chose de bon qui peut motiver ces louanges.
[55] : Quatrain pessimiste et désabusé qui présente le règne de la tromperie et l'absence de foi et
de piété. La guerre entre parents et amis illustre ce propos.
rout, que l'on peut rapprocher du verbe « routa » auquel Mistral attribue le sens de « tourner sur
soi-même » (Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 820). Le chemin à accomplir pour
�faire le bien est donc « sinueux ». Il est également possible que rout prenne le sens plus fréquent
de « cassé », « abimé », ce qui donnerait une traduction quelque peu différente : il s'agirait d'un
chemin « difficile » à emprunter.
[56] : Le « bon conseil » fait partie des orientations morales distillées par les quatrains. Nous
retrouvons cette idée dans deux proverbes : « A bouen amic, bouon conseou » et « Conseou,
cauvo sacrado. » (La Bugado…, op. cit., p. 12 et 28).
[57] : Le châtiment de Dieu est exemplaire : l'absence d'héritage, dans un siècle où le patrimoine
légué possède une valeur primordiale signifie sans aucun doute un grand malheur.
[58] : Il s'agit là d'un quatrain sévère et austère qui condamne à travers le mariage les
fréquentations douteuses. L'amour ne doit donc pas être plus fort que la raison, encore moins si
celle-ci est liée aux affaires.
�[59] : Reprise du célèbre pot de terre contre le pot de fer, mais ici, dans sa provençalité, un
peirou contre un vas de terro.
[60] : fortuno est ici à prendre dans les deux sens, étymologiques et modernes.
Par ben mondan Ruffi indique la célébrité, tout au moins, la reconnaissance sociale.
[61] : segurtat qui est dans la langue moderne aussi fréquent que « seguretat » (cf. l'ancien
occitan « segurtat » (E. Lévy, Petit dictionnaire, op. cit., p. 338).
[62] : Topos de la lutte de la vertu contre les vices.
[63] : Ruffi condamne l'ambitieux qui ne connaît pas de limites à l'enrichissement.
Nous ne pouvons garder la notion d'estiro qui rend bien l'idée de l'accroissement des biens.
« enfle » s'impose en français avec « cœur ».
[64] : La faute envers Dieu est sans doute la plus grande que l'on puisse commettre.
[65] : viando delicado est une expression que nous pouvons rapprocher des vers 16-17 des
Plazers où il est question du palais délicat des citadins.
[66] : Dans les nombreux proverbes sur la lune relevés dans La Bugado, aucun ne correspond au
dernier vers de Ruffi. On peut comprendre ici que les astres qui guident le destin des hommes
favorisent les bonnes actions. Relions également le sens de ce vers avec la météorologie
populaire (particulièrement paysanne) qui fait grand cas de la lune et de ses états.
[67] : ableigat cf. « ablasigar ».
Nous traduisons ici fortuno par « hasard ».
[68] : Faut-il voir dans ce dernier vers une amertume à peine déguisée concernant les richesses
acquises et le comportement de ces nouveaux riches ?
[69] : enssiuous compte pour trois syllabes.
Argument semblable dans un proverbe : « Non es pas riche qu a de ben, may aqueou que se
contento. » (La Bugado…, op. cit., p.71).
[70] : fortuno garde son premier sens que le français « fortune », dans ce cas, peut rendre.
Ce quatrain paraît inspiré de Pibrac : « De l'homme droict Dieu est la sauvegarde : — Lors que
de tous il est abandonné, — C'est lors que moins il se trouve estonné, — Car il sçait bien que
Dieu lors plus le garde. » (Pibrac, Les Quatrains, op. cit., p. 80, quatrain XXV).
[71] : blandir se rapporte à fortuno.
[72] : cambie et non « cambio ». La voyelle finale du paradigme est ici e.
Ruffi privilégie un amour raisonnable. Il est fidèle en cela à la juste morale qui se méfie des
passions.
[73] : villard désigne un citadin, batteur de pavé, habitué des petits vols et des escroqueries.
[74] : Quatrain sur l'amitié. Remarquons l'emploi de gouvernar dans le sens de « conduire ».
Nous restituons le français « gouverner », évidemment dans ce même sens.
[75] : Le premier vers est difficile à interpréter. On peut lire es tancat ou estancat. Nous
privilégions la première lecture : dans ce cas, ce verbe prend la signification de « faire
obstacle », « s'opposer ». accidens conserve un sens proche de son étymon latin accidens qui
signifie « événement malheureux ». Nous comprenons donc que celui qui s'est opposé à un
« accident » et a eu une influence sur le destin reste embué d'une grande gloire dont se
souviennent les souverains.
[76] : proprium désigne en latin ce qui appartient en propre à quelqu'un. Nous comprenons ici
une référence à l'individualisme civique face aux besoins de la communauté.
roigo tout lou comun figure dans la première chanson du Carrateyron : « Maudit sia tant de
ratun — Que roygon roygon roygon — Que tant roygon lo comun. » (Huguette Albernhe-Ruel,
Philippe Gardy, Les Chansons du Carrateyron, P.U.F. / I.E.O., Paris, 1972, p. 21 et 26). Nous
savons que ces chansons ont été écrites autour des années 1530 et imprimées peu après
(Chansons / nouelles en / lengaige pro= / uensal., s.l., s.d., reproduction photographique
précédée d'une introduction bibliographique par François Pic, Centre International de
Documentation Occitane, Béziers, 1979). Il n'est pas étonnant que Ruffi reprenne une
expression qui, bien que sanctionnée par la publication, devait avoir une origine populaire et
plus particulièrement basochienne. Notons toutefois que ce roigo tout lou comun comporte une
�portée politique et revendicatrice dans le Carrateyron ce qui est totalement gommé chez Ruffi
au profit d'un vague sentiment collectif.
[77] : Remarquons ici la description de la cupidité comparée aux autres vices que sont le jeu et
les festivités outrancières.
[78] : La variabilité des choses et des hommes est relevée ici. Ruffi semble la présenter comme
une chose inscrite dans l'ordre naturel et le comportement humain. Fortuno est encore à double
sens.
[79] : Dangeirous es dans le sens de « être en péril », « être exposé au danger » (cf. Lou Tresor
dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 697 qui cite deux vers de Claude Brueys à ce propos).
Quatrain ironique et amer qui semble regretter le pouvoir grandissant de l'argent et
l'enchaînement des richesses.
[80] : endilhant, qu'il est impossible de restituer littéralement, s'oppose évidemment à parlar
dous.
[81] : Quatrain se référant à la politique d'apaisement de Henri IV et à la fin des troubles
religieux.
[82] : Sur les conseils voir commentaire de [56].
[84] : prodomie, prud'homie, évidemment dans son sens ancien.
[85] : Remarquons le basculement du singulier avare au pluriel générique.
Les quatrains sur l'avarice sont nombreux chez Caton. Nous citons en exemple : « Fais de tes
revenus un honorable usage; — De l'infâme avarice abhorre les liens. — De ton or quel est
l'avantage, — Lorsque tu restes pauvre au milieu de tes biens ? » (Distiques de Caton…, op. cit.,
p. 50, quatrain xvi, livre IV).
[86] : Ruffi ne semble pas regretter ces différences qui lui semblent être « naturelles ».
[87] : vean compte pour une syllabe.
[88] : merevelho à comprendre dans le sens du merveilleux religieux.
[89] : Ruffi semble nous dire que la richesse possède une propre dynamique qu'il faudrait
simplement mettre en marche.
[90] : Remarquons l'instabilité de traitement de a prétonique dans grandoment et comandament.
venir dessus dessouto, littéralement se retrouver en dernière position.
[91] : Ruffi détaille dans ce quatrain les dépenses que l'on est tenu de faire dans la so ciété.
Après avoir écarté l'aide à un prodigue, il hiérarchise ces dépenses : aider à la constitution de la
milice est honorable, prêter à un ami raisonnable et participer aux dépenses publiques est
obligatoire.
[92] : Il s'agit ici d'un conseil inspiré par l'idée du travail telle qu'elle est exposée dans les textes
sacrés : la paresse apparaît être, même pour un riche, un défaut des plus importants dont on
pourrait se repentir plus tard.
[93] : si rende dousso se rapporte à malo aventuro.
[94] : Ces vers rappellent L'Ecclesiaste : « Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose
sous les cieux; un temps pour naître et un temps pour mourir; un temps pour planter et un temps
pour arracher ce qui a été planté; un temps pour tuer et un temps pour guérir […] »
Cette idée est reprise par un proverbe : « A toutos cavos l'y a son tens » (La Bugado…, op. cit.,
p. 19).
[95] : L'économie du ménage est chose constante dans tous les ensembles de quatrains : chez
Ader : « Despen lou ben per coumpas et mesure, — E mes que mes lou que t'as amassat : —
�Que puch apres si lou t'as despensat, — D'en gaigna mes aquo ba à l'abenture. » (Dépense ton
bien avec modération et mesure, surtout si tu l'as amassé; car, après que tu l'as dépensé, en
gagner encore est chose aventureuse.) (Lou Catounet gascoun…, op. cit., p. 191, quatrain XV)
[96] : Les notions de mau gouvert et de non ren apparaissent complémentaires. Le « mau
gouvert » renvoie bien sûr à la société du XVI e siècle, aux nombreux emplois de ce terme,
notamment dans le Carrateyron. Il ne s'agit pas ici d'une référence politique. Le « non ren » est
une notion abstraite qui se réfère aux ténèbres infernales, mais qui n'a pas ici une valeur
religieuse. Nous sommes en présence d'un investissement réaliste de deux notions abstraites.
[97] : L'idée générale de ce quatrain peut être comparée avec un vers de Pibrac : « Hante les
bons, des meschans ne t'acointe » (Pibrac, Les Quatrains, op. cit., p. 82, quatrain XXXV).
[98] : Ce quatrain est évidemment une allégeance à Henri IV ou Louis XIII. Nous penchons
toutefois pour le Béarnais en raison des positions politiques de Ruffi.
[99] : Placé après le quatrain précédent sur les bontés royales, ces vers précisent l'allégeance
marseillaise et le respect des choses établies. La ville est semble-t-il illuminée par la sagesse des
esprits qui la peuplent.
[100] : Relions ce quatrain aux conseils exposés dans De Vilhesso (XXXIX, v. 87-96).
La médecine exposée dans ces vers est élaborée à partir d'une vie sobre (refus du vin, de la
viande et des fêtes) et d'une absence de remèdes. La méfiance envers les médecins n'est pas
chose rare dans la littérature ni dans les mentalités populaires.
bon er rappelle celui du terroir marseillais dans Lous Plazers (v. 90).
�Les quatrains contre l'abus du vin sont nombreux chez Caton : « Ne bois du vin qu'autant que le
besoin l'exige, — Si tu veux prudemment conserver la santé : — Souvent le mal qui nous afflige
— Est l'enfant de la volupté. » (Distiques de Caton…, op. cit., p. 54, quatrain xxiv, livre IV).
[101] : fortuno joue ici pleinement à double sens : l'inconstance de la richesse, son inégalité
« naturelle » et le hasard qui semble décider pour elle.
[102] : Remarquons l'importance du geste, de man et donc de l'action qui s'y rattache.
[103] : Ce roi est évidemment son époux sur lequel elle règne.
L'image des femmes muettes est présente chez Ader : « La hemne qu'ei més que nou cau
sabente, — Que parle trop é que nou crein arren, — Si lou marit la bride nou lou ten, — A la
perfin loun hé uë mes cousente. » (La femme qui est plus savante qu'il ne faut, qui parle trop et
�ne craint rien, si son mari ne la tient pas en bride, elle lui joue, à la fin, le plus mauvais tour.)
(Lou Catounet gascoun…, op. cit., p. 201, quatrain XLVI).
[104] : falhe, littéralement « défaut » (cf. « fali », Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1,
p. 1093). Nous traduisons par « commet une faute ».
[105] : Relions ce quatrain au poème Contro lo trop curious (III).
[106] : Ce quatrain n'est pas dénué de valeur poétique sans doute apportée ici par les images de
l'ombre et du soleil redoublées par celles du cœur et de la chandelle.
[107] : piquanto est restitué par « blessante » qui convient mieux en français pour la parole.
[108] : Seule une synérèse au deuxième vers entre e et a pourrait expliquer la régularité de la
versification.
Les quatrains moraux se doivent évidemment de développer une argumentation contraire aux
plaisirs du jeu et de la débauche. Nous savons que cette recommandation est une constante chez
Ruffi; elle apparaît déjà en filigrane dans Lous Plazers. On la retrouve dans un proverbe de La
Bugado : « Au juec et au vin, l'home se rende couquin » (La Bugado…, op. cit., p. 17).
[109] : La typologie exposée dans ce quatrain synthétise les « vices » féminins : écouter (ce qui
ne la regarde pas), voir (ce qu'elle ne doit pas voir) et parler (bien sûr outre me sure), curiosité
maladive et parole intempestive.
Notons le pluriel générique home au deuxième vers.
Pibrac précise que certaines beautés ne doivent pas être livrées à l'abandon : « Ses yeux, ses
mains, son oreille & sa bouche » (Pibrac, Les Quatrains, op. cit., p. 89, quatrain LXX).
[110] : L'orgueil, un des péchés capitaux, est le sujet de ce quatrain ainsi que des deux suivants.
C'est peu si l'on se réfère à l'importance de ce défaut dans les recommandations religieuses.
[111] : voir [110].
[112] : enfessit, littéralement « infecté ». Ce personnage riche qui oublie l'origine de ses biens et
de ses honneurs « contamine » par son comportement les personnes qui se tiennent auprès de
lui.
[113] : chalhant cf. chalant. Il est question ici du « caractère » de l'oisif décrit en tant que
comportement.
Cette idée du travail est inspiré de la Genèse et des recommandations divines qui y figurent.
[114] : Inspiré sans doute des commandements divins, ce quatrain est un archétype de la
sentence morale. On le retrouve sous une autre forme chez Ader : « Nout hiques pas en ta grane
colère — Que tu madich nout pousques matiga : — Aquet que sab soun bici castiga — Per
dessus touts lou plus sage s'apere. » (Ne te mets point en une telle colère que tu ne puisses plus
te maîtriser toi-même; celui qui sait dompter son vice doit, plus que tout autre, être appelé sage.)
(Lou Catounet gascoun…, op. cit., p. 193, quatrain XXII).
�III
[fo 22 r°]
Contro lo trop curious
5
10
15
Fort ben si fau gardar d'un qu'es trop curious,218
Que per villo e cantons va dau mourre cochous
Per s'enquerir de maus plus tost que de ben faire,
Car recontro219 de gens parlant ensembloment,
S'aprocho a petit pas, los ten220 tanben a ment,
Qu'en aurelhant apren lo secret d'un afaire.
Eou221 es lest quouro ves parlar ensen doas chambriÉros
De s'acoustar ben prez, si plantant per carrieres
Per saber lous discours e pron d'autres prepaus,
En las lauzant que fan caduno liau servici,
Dessalon lou gouvert a l'home plen de vici,
D'aquellous en qui fan servici a sos hostaus.
Autanben das varlets eou embe flatarie,
D'un mestre li parlant honte mious estarie,
Entray tout lo govert de l'ordinari mestre,
S'entende si va mau plus leou que nom pas ben,
Aussi dau femelan si l'en a autanben,
Surtout si de l'honour li aurie ges d'escaufestre.
218 couchous écrit sous curious. Ruffi a ici hésité et n'a pas choisi en biffant un des deux mots. Nous établissons la
première version qui est conforme à l'expression contenue dans le titre.
219 PV : S'eou recontr[... biffé. Car rajouté en début de vers, le o de recontro rajouté par dessus. Le reste du mot a
été biffé et est illisible.
220 PV : las tensat ben a ment, los réécrit sur las, les trois dernières lettres de tensat biffées et tan rajouté au-dessus.
221 PV : Eou, biffé puis rajouté en début de vers.
�20
25
30
Souvent eou vol saber quan quauco fremo passo
D'ounte ven, vonte va, son esperit ravasso
Quand van contro son grat per carriero cochous
Vo quuro ves intrar de gens en un hostau,
Eou boyno per saber s'es per ben vo per mau,
Per mariagi o querello e cas injurious.
Eou espie das vezins lo bon vo mau govert,
Frequentant sous ostaus sie d'estiou vo d'huvert
Como un dissimulat tout lo siou trin remarquo,
E mesme si s'eran per la villo endeoutas
Vo per lo mens si son a las extremitas
Como aqueou qu'en malhur son esperit embarquo.222
[fo 22 v°]
E puy a tout moment son esperit arasso
Per saber l'infamie de parentat e rasso,
222 Une strophe a été entièrement biffée entre les vers 30 et 31 : Per villo recontrant gens d'honour en querello — A
ponch de s'injurian, l'home ysto en grand cervello — Per decourar tout quant quento ellos si dira — Sur tout contro
l'honour n'en n'en perdra pas uno — Per va debagolar quouro li plas quaucuno — Que un jour mau a sous os
quaucun lo punira. PV du deuxième vers : A ponch de jusquos a ... biffé et corrigé au-dessus. Au cinquième vers n'en
biffé, va rajouté au-dessus.
�35
40
Sie de mascle e femeou particulieroment,
E puy lo plus souvent quouro es en compagnie
De prest va decelar, eou es lo lavagnie,
Parlant coumo vilen fort temerariment.
Si letros vo paquet d'autruy pren finoment,
Las duebre, las legis, puy claux subtiloment
Per saber lo secret e n'en prend la memori223
Vo si ven a prepaus eou las crochetara
E s'es d'un enemic d'aquo lo privara
Per que en cativetat eou espandis sa glori.
223 Ce vers est situé en fin de strophe. Un signe distinctif (V renversé surmonté d'un petit rond) le positionne à sa
bonne place. Per rajouté au-dessus en début de vers et non biffé. puy biffé, à la place de e rajouté au-dessus. PV :
prendre memori, les deux dernières lettres de prendre biffées et la rajouté au-dessus.
�45
Or lou trop curious fach en mechancetas
Es reputat d'aver estos grans qualitas :
Un trompeur, messongier, flatur e babillaire,
Trayte, retracious, surgentiou de debat,
Dissimulat, secret, de malhur imbibat,
En fin que non vau ren sinon qu'a tout mau faire.
Contre le trop curieux — —Il faut très bien se garder de quelqu'un qui est trop
curieux, — Qui par ville et tous lieux va le visage empressé — Pour s'enquérir des
maux plutôt que de bien faire, — S'il rencontre des personnes parlant ensemble, — (5) Il
s'approche à petits pas, les observe aussi, — Car en tendant l'oreille il apprend le secret
d'une affaire. — — Quand il voit parler ensemble deux servantes, il est décidé — De
s'approcher bien près, s'arrêtant dans les rues — Pour connaître leurs discours et bien
d'autres propos, — (10) En les louant, disant qu'elles accomplissent chacune un service
loyal, — Elles facilitent le gouvernement de l'homme plein de vices, — De ceux
qu'elles servent bien dans leurs maisons. — — Aussi bien avec la flatterie des valets, —
Leur parlant d'un maître qui conviendrait mieux, — (15) Il tire d'un mauvais pas le gouvernement du maître ordinaire, — Il cherche à savoir si ça va mal et non si tout va bien,
— S'il fréquente aussi les femmes, — Surtout s'il n'y aurait pas à s'alarmer pour l'honneur. — — Il veut souvent savoir quand quelque femme passe — (20) D'où elle vient, où
elle va, son esprit rêvasse — Quand elles vont vite dans les rues contre leur gré — Ou
quand il voit entrer des gens dans une maison, — Il s'impatiente pour savoir si c'est pour
le bien ou pour le mal, — Pour un mariage ou une querelle et pour une affaire injurieuse. — — (25) Il épie le bon ou le mauvais gouvernement des voisins, —
Fréquentant leurs maisons que ce soit l'été ou l'hiver, — Comme un dissimulé il remarque tout leur train — Et même s'ils s'étaient endettés en ville — Ou pour le moins
s'ils sont à leurs extrémités — (30) Comme celui qui embarque son esprit en malheur.
— — Et puis à tout moment son esprit réfléchit — Pour connaître l'infamie de parenté
et de race, — Que ce soit les hommes et les femmes particulièrement — Et puis le plus
souvent quand il est en compagnie — (35) Il va vite trahir, il est le médisant, — Parlant
fort témérairement comme un fâcheux. — — S'il prend finement lettres ou paquets
d'autrui, — Il les ouvre, il les lit puis ferme subtilement — Pour connaître le secret et il
en garde la mémoire, — (40) Ou s'il en a l'intention, il les volera — Et s'ils appartiennent
à un ennemi, il le privera de cela — Parce qu'en méchanceté il étale sa gloire. — — Or
le trop curieux, pétri de méchancetés, — Est réputé pour avoir ces grandes qualités : —
(45) Un trompeur, menteur, flatteur et babillard, — Traitre, injurieux, source de disputes,
— Dissimulé, cachotier imbibé de malheur, — Enfin il ne vaut rien sinon pour tout mal
faire.
Cette pièce décrit un comportement humain que Ruffi présente comme un défaut
majeur. Ce « trop curieux » est en effet socialement indésirable, car sa ligne de conduite
est élaborée à partir d'une curiosité malsaine : tout connaître et surtout les travers des
gens pour les mettre sur la place publique, trompeur, menteur… comme nous l'indique
�la dernière strophe du poème. Remarquons simplement que le « trop » du titre, repris
dans un vers, tend à considérer l'exagération de la curiosité comme un défaut. Nous
savons que ce comportement est également une qualité ; le savoir et son enseignement
ne peuvent se concevoir sans une certaine curiosité. Le « curieux » doit donc être
vertueux pour se servir de sa curiosité à bon escient.
Ce poème ne nous semble pas être d'une grande qualité. Ruffi décrit un
comportement en hésitant sur les modèles à suivre : ce n'est pas une satire (certains
traits ne sont pas assez appuyés) ni une véritable description qui aurait demandé un
développement plus important. Les alexandrins ne donnent pas à ce texte un rythme
souple, les strophes ne constituent un cadre révélateur d'une forme particulière ( les
rimes aabccb sont le plus souvent pauvres et la versification hésitante).
v. 1 : curious, par diérèse, compte pour trois syllabes.
v. 2 : mourre cochous qualifie celui qui possède un visage marqué par la hâte ou la précipitation
(mourre possède en occitan un sens péjoratif), sans doute pour indiquer la fébrilité du
personnage (cf. II, [19]).
v. 4 : Nous traduisons Car par « S' ». Ruffi a en effet hésité entre une première version, S'eou, et
cette version définitive. La restitution idéale serait « Car s' », mais le vers serait alors faux.
« Car » en français serait incompréhensible. Nous privilégions dans la traduction l'établissement
du sens.
v. 5 : los ten tanben a ment : Mistral donne « observer » pour ce qui signifierait littéralement
« garde en son esprit » (Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 320).
v. 7 : chambriÉros est d'un emploi très courant aux XVIe et XVIIe siècles. Ces servantes étaient
le plus souvent originaires de la Haute Provence ou du Dauphiné.
v. 8 : Remarquons la voyelle atone finale issue de a latin orthographiée en e dans carrieres.
v. 11 : Dessalon, mot à mot « dessalent », c'est-à-dire « rendent agréable », en enlevant toutes
difficultés. Ce sont les chambriÉros qui facilitent ainsi la vie de leur maître. Littré donne pour
« dessalé » le sens d'un homme fin et rusé.
v. 11-12 : Mistral donne pour « faire service » : « être d'un bon service » (Mistral, Lou Tresor
dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 885). D'aquellous se rapporte certainement à vici que l'on peut
considérer comme un pluriel. Nous devons nous interroger sur ces « services » rendus par les
chambriÉros. Considérant également dessalon, nous pouvons nous demander s'il ne s'agit pas
ici d'une métaphore érotique.
v. 13 : Ce vers peut être compris de deux façons. Ruffi continue à parler des servantes : dans ce
cas flatarie se rapporte à varlets et li au vers suivant est employé pour ces mêmes servantes. Il
se peut également que Ruffi dans cette strophe parle des valets. La traduction serait alors :
« Aussi bien aux valets, avec flatterie » et li désigne ces domestiques qui connaissent bien la vie
de leur maître.
v. 14 : estarie dans le sens de demeurer, convenir, ce qui explique le singulier de ce verbe se
rapportant à « maître ». Nous ne sommes cependant pas sûr de la lecture de estarie. Il s'agirait
peut-être de eflarie de « enflar », ce qui signifierait alors : « Leur parlant d'un maître qui
�montrerait mieux sa fortune » (« enflar » dans le sens de « s'énorgueillir, montrer sa fortune »,
cf. Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 911).
v. 15 : entray de « entraire », tirer d'un mauvais pas.
Le sens de ce vers est quelque peu obscur. Nous ne savons pas ce que Ruffi entend par
l'ordinari mestre. S'agit-il d'un maître « commun » ou plutôt d'un maître auquel le valet est
attaché toute l'année ?
v. 18 : Nous nous interrogeons sur le sens de honour. S'agit-il de l'honneur, au sens large du
terme (le maître en question pourrait être alors déshonoré par quelques mauvaises actions) ou,
en liaison avec les femmes du vers 17, s'agit-il de son honneur « viril » ? (Mistral donne
également à « ounour » le sens de « chasteté », in Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2,
p. 440.) Le maître serait donc dans ce cas probablement fautif, soit par manque de virilité, soit
par manque de discrétion, ce qui, dans les deux cas, compromettrait son honneur et expliquerait
l'émoi suscité par une telle situation.
v. 21 : va per carriero cochous, Mistral donne « aller vite » pour « ana couchous » (Mistral, Lou
Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 591). Il faut comprendre ici couchous comme une
locution verbale qui ne s'accorde pas avec le féminin pluriel.
v. 22 : Nous supposons que quuro est une forme pour « quouro », qui correspond au sens du
texte. Cette première forme n'est pas attestée ailleurs chez Ruffi.
v. 23 : boyno cf. « boinar », trépigner d'impatience.
v. 27 : dissimulat reviendra sous la plume de Ruffi à la dernière strophe. Nous devons ici faire
référence au sens premier de « dissimulé » qui concerne un homme particulièrement rusé et faux
qui emprunte des voies détournées pour arriver à ses fins. Ce mot est d'un usage courant au
�XVIIe siècle. La Bruyère traduira un chapitre des Caractères de Théophraste consacré à la
« dissimulation » (cf. La Bruyère, Les Caractères, édition de R. Garapon, Garnier, Paris, 1962,
p. 20). La « dissimulation » exposée par Ruffi décrit donc un comportement qui était déjà
remarqué depuis l'Antiquité et qui semble occuper les pensées des moralistes du XVII e siècle.
Nous conservons le mot « dissimulé » en se rapportant à son sens ancien.
v. 28 : Les dettes, sujets de nombreux quatrains, reviennent comme un défaut majeur.
v. 29 : extremitas peut signifier une situation extrême, périlleuse. On pourrait aussi comprendre
que cet état est proche de la mort.
�v. 30 : embarquo associé au malheur et aux « extrémités » du vers précédent est-il une référence
à la barque de Charon ? Il se peut tout simplement que ce mot souligne le caractère aventureux
de tels comportements.
v. 31 : arasso signifie littéralement « trier », « éliminer », « mettre au rebut ». Il est difficile
d'employer ces trois verbes. « Réfléchir » indique une action intellectuelle préméditée, ce que le
texte développe. L'esprit de ce personnage est donc entrainé à un grand discernement, à toute
une série de calculs pour arriver à ses fins.
v. 33 : femeou se rapporte plus à la femme pris dans un sens général.
v. 35 : decelar ne peut être traduit ici par le français « déceler » qui est transitif. Nous traduisons
par « trahir », nous référant au sens donné par Mistral dans l'expression « decela soun ami »
(Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 707). Nous devons également nous
interroger sur l'intransitivité de decelar dans le texte. S'agit-il d'un emploi commun au XVIIe ou
d'une erreur de Ruffi qui aurait ainsi oublier de noter le complément nécessaire ? Quelques
verbes intransitifs en français peuvent prendre un forme transitive en occitan, mais ce sont
généralement des verbes se référant à une action concrète (cf. Ronjat, Grammaire…, op. cit.,
tome 3, p. 540). La position de decelar en fin d'hémistiche et l'absence de rature dans le
manuscrit (aucune hésitation apparente, ni un quelconque changement d'encre décelable)
tendrait à nous indiquer la correction de cette forme intransitive.
v. 36 : vilen est ici traduit par « fâcheux », plutôt que par grossier ou rustre.
v. 38 : ven a prepaus peut s'interpréter de diverses manières : « si quelque chose vient à son
oreille », « à ses propos » ou plus simplement « s'il en a l'intention », cette dernière
interprétation que nous choisissons permet de qualifier le comportement du personnage.
crochetera, sans doute un francisme du verbe « crocheter » qui dans le cas d'une lettre signifiait
dérober et décacheter.
v. 40 : glori et memori au vers 37 comptent chacun pour deux et trois syllabes. La versification
de Ruffi considère le i post-tonique comme une voyelle muette.
v. 41 : fach qualifie le comportement de ce « curieux » en révélant sa nature profonde, en
quelque sorte naturelle. « pétri » nous paraît approprié pour décrire cet état.
v. 44 : retracious de « retraci », injure.
�IV
[fo 23 r°]
Las CorduriÉros
Chanson1
4
8
12
16
20
De l'agulho nautres viven
Fort ben eizat,
De besogno proun aven,
Diou sie lauzat.
De villo nautre corduran,
D'obragi fen pichot e gran,
De fiou vo ben de cedo,
Homes e fremos nous serven,
N'en despachan tout que n'en ven,
Toujour gagnan monedo.
En pron de sortos trabalhan
A cordurar,
E souven lo tems degalhan
Per mesurar.
De pointos orles, pon coupas
Vo reire pons e colles plas.
De bellos defilados,
De pon de perlo e pon luzent,
D'obragi fen a l'uelh plazent,
De bellos relevados.
De fes sian tres vo quatre enssen
1 Chanson se trouve à la droite du titre sur la même ligne. Ce texte figure sur le même folio, disposé sur deux
colonnes. Les trois premières strophes se situent sur la colonne de gauche, les deux dernières à droite.
�24
28
32
36
40
A trabalhar,
De canta e rire nous paissen2
E de talhar.
Cachan lo mout, parlan d'amour,
May en tout ben e tout honour,
Coumo filhos degudos,
Puy l'uno l'autro n'aprenen
De ben respondre a tout venen
E non sian pas ren mudos.
En cordurant au coissinet
Si v'alucas,
Tenen l'obragi de tout net
Qu'es un gran cas.3
Dirias que jamay det ny man
Non v'a toucat, tan fort aman
Que la netici jougne.
Siege d'hiver vo ben d'estiou,
Plantan l'agulho tan sutiou
Que cauco fes nous pougne.
2 Ruffi semble avoir préalablement écrit paysen. Il utilise la jambe du y pour un deuxième s et le haut de la même
lettre pour écrire un i.
3 Ruffi n'a pas placé ce vers en retrait (ainsi que le vers 44). Nous rétablissons cet alinéa pour conserver l'unité du
poème.
�44
48
Fau que de matin si leven
Per n'afanar,
E lou cero tard au calen
Toujour velhar.
D'huver suffren gros frech de pez,
E tan nous tortoiro de prez
Que lo ventre n'acoro,
May per uzar d'onestetat,
Gardan que de ventositat
�Non sorte ges deforo.
Les Couturières — Chanson — Nous autres vivons de l'aiguille — Fort aisément, — Nous avons assez de besogne, — (4) Dieu soit loué. — Nous autres cousons
en ville, — Nous faisons de petits et grands ouvrages, — De fil ou bien de soie, — (8)
Nous servons hommes et femmes, — Nous en dépêchons autant qu'il en vient, — Nous
gagnons toujours monnaie. — Nous travaillons de différentes façons — (12) Pour
coudre, — Nous gaspillons souvent le temps — pour mesurer. — Points d'ourlets,
points coupés, — (16) Ou points arrière et cols plats, — De beaux effilages, — Des
pommettes et des points brillants, — Nous faisons des ouvrages agréables à l'œil, — (20)
De belles retouches. — Parfois nous sommes ensemble trois ou quatre — À travailler,
— Nous nous délectons à chanter et à rire — (24) Et à tailler. — Enfilant les mots,
parlant d'amour, — Mais en tout bien et tout honneur, — Comme filles promises. — (28)
Puis nous nous apprenons mutuellement — À bien répondre au tout venant, — Et nous
ne sommes pas du tout muettes. —— En cousant au petit coussin, — (32) Si vous
l'examinez, — Nous avons l'ouvrage tout à fait propre — Car on en fait grand cas. —
Vous diriez que jamais doigt ni main — (36) Ne l'a touché, nous aimons si fort — Qu'il
atteigne à la propreté. — Que ce soit en hiver ou bien en été, — Nous plantons l'aiguille
si promptement — (40) Que quelquefois elle nous pique. — Il faut que nous nous levions
de bon matin — Pour travailler dur, — Et le soir tard à la lampe, — (44) Toujours veiller.
— En hiver nous souffrons d'un grand froid aux pieds, — Qui nous tourmente de si près
— Que le ventre défaille, — (48) Mais pour user d'honnêteté, — Nous prenons garde
qu'il ne sorte — Aucun vent au-dehors.
Ce tableau nous présente des couturières provençales dans leur travail. Ruffi
n'entreprend pas une description réaliste. Il semble que les couturières sont en accord
avec la loi divine précisant l'effort dans le travail. Le froid, seul élément teinté de
réalisme littéraire, est évoqué, également relayé par un détail scatologique. Ce poème
n'est pas suffisamment développé pour que nous ayons une description totale des
différentes façons de coudre ; seuls quelques points sont mentionnés, quelques
techniques sans autres explications que leur nom.
Le qualificatif Chanson qui accompagne le titre permet à Ruffi d'user d'une
certaine liberté formelle. Nous savons que la forme de la chanson est libre à cette
époque, se référant uniquement aux strophes identiques que le poème doit comporter.
L'unité est donc à la discrétion du poète. Ruffi choisit une strophe de dix vers suivant
une alternance précise : un octosyllabe, un tétrasyllabe, un octosyllabe, un tétrasyllabe,
deux octosyllabes, un hexasyllabe, deux octosyllabes et un hexasyllabe (nombre de
pieds : 8, 4, 8, 4, 8, 8, 6, 8, 8, 6). Les rimes sont combinées sous la forme : ababccdeed.
v. 2 : fort ben eizat ne peut être traduit littéralement. La construction proposée par Ruffi
présente un adjectif postposé qui se réfère à un sujet générique. Nous ne pouvons pas, en
français, utiliser une telle structure. Nous préférons y substituer l'adverbe de manière
�correspondant à cet adjectif. Un problème similaire se pose au vers 39 pour sutiou qui ne se
rapporte pas à agulho.
v. 8 : Dans nous serven, il nous apparaît que le pronom n'est pas en position d'insistance. Il
correspond à un emploi proche de celui du français, pronom personnel sujet la plupart du temps
non employé en occitan. Sous la plume de Ruffi, cette tournure n'est pas exceptionnelle, elle se
retrouve ailleurs, comme par exemple dans l'incipit des Plazers : « Yeou canti… »
v. 9 : despachan a ici le sens de « faisons promptement ». Ce mot qualifie le travail vite et bien
fait des couturières. Il faut donc comprendre qu'elles effectuent tout le travail qu'elles ont à
faire. Nous traduisons par le verbe « dépêcher » en nous référant à ce sens quelque peu vieilli
aujourd'hui.
v. 15 : Nous pensons que pointos et pon sont synonymes. pointos ne désigne certainement pas
l'étoffe de tissu. Ce mot peut également désigner la dentelle (cf. Mistral, Lou Tresor dóu
Felibrige, op. cit., tome 2, p. 618). Associé à orles, nous pouvons comprendre les « points
d'ourlet », points qui consistent à prendre un ou deux fils en biais à l'étoffe au-dessous du rempli
double, c'est-à-dire l'ourlet proprement dit.
pon coupas, « points coupés », ancienne forme de dentelle.
v. 16 : reire pons, « points arrière », point d'aiguille qui empiète sur celui que l'on vient de faire.
colles plas désigne certainement les cols de dentelle plats dont on ornait les robes.
v. 17 : defilados ne compte que pour trois syllabes ; le s du pluriel ne peut donc être prononcé.
v. 18 : Les pommettes étaient des petits nœuds de fil cousus à des poignets de chemise ou de
manchettes.
pon luzent, « points brillants », points fait avec un fil brillant ?
v. 20 : relevados, cf. « relevar » qui possède également le sens de remplacer, désigne ici les
réparations importantes, c'est-à-dire selon la terminologie de la couture les retouches. Pour la
versification même remarque pour relavados que pour defilados au vers 17.
v. 23 : Seule une synérèse entre le a de canta et e (difficile à comprendre) pourrait expliquer la
justesse du vers.
v. 25 : cachan peut prendre le sens de « mettre bout à bout » (cf. Mistral, Lou Tresor dóu
Felibrige, op. cit., tome 1, p. 408). Nous traduisons par « enfilons » pour rester dans une
terminologie appropriée.
v. 29 : venen plutôt que vo ren que nous pourrions également lire, mais qui ne nous paraît pas
aller dans le sens du texte. Les couturières ont ici la langue bien pendue tout en restant dans les
limites du convenable.
v. 31 : Le coussinet, petit coussin que l'on mettait sous le tissu pour soutenir le travail.
v. 34 : cas que nous traduisons par « cas » peut également désigner un « chas ». Nous ne voyons
pas ce qu'il pourrait signifier dans ce contexte. Qu'es un grand cas ne peut être traduit
littéralement.
v. 37 : jougne est assez difficile à expliquer. L'amour porté par les couturières à leur travail et
les précautions qu'elles prennent suffiraient à atteindre une propreté, une pureté quasi naturelle.
v. 39 : sutieu que l'on ne doit pas confondre avec son homonyme « subtiu », mais qui se
rapproche plutôt de « sobte », subit, rapide. Pour la construction grammaticale cf. v. 2.
v. 42 : afanar dans le sens de travailler, peiner au travail.
v. 47 : acoro cf. acorar, défaillir.
�V
[fo 23 r°]
Sonnet des Nations & contre les
Provenssals
r
faict par M le Grand Prieur de France1
4
Les tannez Affricains sont remplis de vengence
& la froide Scitie abonde en cruaute,
Les salles Alemans pleins de cupidite
& les traistres Anglois sont enflez d'arrogance.
8
Le marran Espagnol se plait de l'apparance,
Le mutin Escossois brave de pouvrete
Et l'estourdi Francois n'est que legerete,
Le fin Ytalien ne dit tout ce qu'il pense.
11
Un vice est peculier en chasque nation
& chacun le descrit selon sa passion,
On peult de tous ces maux le Provenssal mescroire.
14
Vengeur, cruel, avare, arrogant, ambitieux,
Pouvre, leger, trincat & mal officieux :
Voyla mon Chiverni dont Provence fait gloire.
1 Le titre de ce sonnet est disposé d'une façon un peu différente dans le manuscrit. La dernière mention (faict par…)
est recopié en dessous le titre, vers la droite, France se trouve donc presque emprisonné dans la reliure. Nous pensons
que Ruffi a rajouté cette phrase par la suite.
�Ce sonnet d'Henri d'Angoulême recopié par Ruffi présente une définition du caractère provençal suivant les ethnotypes en place à la fin du XVI e siècle. Arrêtons-nous
d'abord sur l'insertion de la Provence parmi ces différentes « nations ». Nous savons que
ce dernier terme n'a pas aux XVIe et XVIIe siècles la même signification qu'aujourd'hui;
nation se réfère beaucoup plus à une appartenance culturelle et géographique, à une
identité reconnue comme telle et possédant son propre caractère. C'est à ce titre que les
Provençaux sont comparés aux autres peuples européens.1 Des Africains aux Scythes,
sans qualifications particulières, donc pris comme un ensemble homogène, jusqu'aux
Allemands, Anglais, Espagnols, Ecossais, Français et Italiens, tous sont cités avec leur
défaut principal : la vengeance pour les Africains, la cruauté pour les Scythes, la saleté
1 Sur l'image des Européens nous renvoyons aux différents articles publiés dans :L'Image de l'Autre Européen XVeXVIIe siècles, études recueillies par Jean Dufournet, Adelin Charles Fiorato, Augustin Redondo, Actes du colloque
« L'Image de l'autre européen, XVe-XVIIe siècles », Paris 23-25 mai 1991, La Modernité aux XV e-XVIIe siècles
n°2, Presses de la Sorbonne Nouvelle, Paris, 1992.
�et la cupidité pour les Allemands (sans doute un rappel des ravages des célèbres
lansquenets), la traitrise et l'arrogance pour les Anglais, l'apparence pour les Espagnols,
le caractère rebelle des Ecossais (avec une pointe non négligeable de sympathie), la
légèreté des Français et l'hypocrisie des Italiens. Les deux quatrains servent donc à
cadrer l'entourage principalement européen. Viennent ensuite un tercet qui introduit les
vices proprement provençaux et, les derniers vers où figurent les propriétés
provençales : la vengeance, la cruauté, l'avarice, l'arrogance, l'ambition, la pauvreté, la
légèreté, l'artifice et l'absence de savoir-faire. Le dernier vers clôt la satire en renvoyant
la Provence à une gloire identitaire qui n'est pas reconnue par Henri d'Angoulême.
Le Grand-Prieur reste en Provence près de dix ans, de 1576 à 1586, année de son
assassinat par Philippe d'Altovitis. Nous savons qu'elle fut son action politique et
culturelle. Nous pouvons nous interroger sur les motivations de ce sonnet. Henri
d'Angoulême se heurte plusieurs fois aux sentiments particularistes des Provençaux, à
cette identité fortement nouée autour de son Parlement ; le Grand-Prieur est gouverneur,
donc représentant du roi, souvent en conflit avec les instances parlementaires. Nous
pouvons voir ainsi se dessiner un clan littéraire quelque peu hostile aux manifestations
identitaires provençales, celui des « français », soucieux de préserver les intérêts de la
politique royale : le Grand-Prieur lui-même, mais aussi ses secrétaires François de
Malherbe et Siméon-Guillaume de La Roque. Ce sonnet des Nations est donc dirigé
contre les Provençaux, reprenant les vices de tous les peuples, un par un, et divulguant
l'étendue des maux particuliers de cette nation.
Cette vision de la Provence n'est pas celle des écrivains provençaux.
L'affirmation de l'identité provençale est constante, même chez ceux qui écrivent en
français comme César de Nostredame ou Annibal de Lortigue. Michel Tronc, dans un
de ses sonnets, synthétise ce point de vue. Les arguments développés sont évidemment à
l'opposé de ceux du Grand-Prieur : « Un que demando a Lorges sy ero provenssau et eu
ly responde : — Oc, you syou provenssau, et toutos mas humours — Non despendon
sinon de l'umour provenssallo, — En toutos mas acssions uno humour prodigallo, —
Bravo en toutey pars, amado das hounours. —— Lous Prouvenssaus valhens quan s'en
van ey furours — Sy fourron en mittan, coumo ou vin ley moyssallo; — Vous dirias
qu'ellous an uno vido imortallo, — Tant pau en queque sie redouton ley pavours. ——
Enque lou voulles-vous entre ley dameizello, — Prodigou a son amic, ly dounar l'escarcello, — Et per vous faire court, en tout es liberau. —— Voules-vous receber un signallat servicy, — Et un que sie tanben a tout faire propicy? — Venes my resserquar,
you que siou provenssau ! » (cf. Michel Tronc, Las Humours…, op. cit. tome 2, p. 331).
Pierre Paul livre dans son Autounado quelques jugements sur les nations européennes :
« Lous Allamant au combat sont vaillens — & lous Frances non son ren negligens —
De beoure fouort d'aqueou suc de la vigno, —— Et l'Italian lou ten ben pron de pes, —
Lou Marceilles dirias qu'es fach expres, — Es vray doutour de tallo medecino. » (cf.
Pierre Paul, L'Autounado, op. cit., p. 83 fo xcv v°). Nous pouvons donc nous interroger
sur les motivations qui ont conduit Ruffi à insérer dans ses œuvres un sonnet qui n'est
pas favorable aux Provençaux. Outre l'importance littéraire et politique accordée au
Grand-Prieur, Ruffi tente de résoudre une contradiction interne, celle exprimée
notamment dans L'Odo a Pierre Paul et plus largement dans l'ensemble de son œuvre.
Les vers français cohabitent avec les vers provençaux alors que l'archivaire marseillais
prend la peine de fustiger ceux qui abandonnent leur langue maternelle. De la même
manière, par un effet d'effacement temporel, cette description des Provençaux s'insère à
contre-jour dans une œuvre à la fois renaissantiste et diglossique.
�Henri d'Angoulême ne se contente pas d'animer une brillante société littéraire. Il
était lui-même poète. Ses poésies sont renfermées dans un admirable manuscrit aux
pages marbrées dont le frontispice est dessiné à la plume, sans doute par César de
Nostredame. Trente-quatre sonnets y sont écrits avec une encre dorée. Pour lire ces vers,
il faut présenter le manuscrit horizontalement à la lumière, l'encre apparaît alors en
relief. Le sonnet recopié par Ruffi ne figure pas dans ce manuscrit (Les Oeuvres poétiques de Monseigneur le Grand Prieur de France Henry d'Angoulesme gouverneur &
lieutenant general pour le Roy en Provence & admiral des Mers, 22 folii, bibliothèque
nationale, fonds français 2378).
v. 1 : tannez, sans doute à cause de la couleur de leur peau.
Jean de Léry compare la couleur de la peau des indigènes du Brésil à celle des Provençaux :
« Quant à leur couleur naturelle, attendu la région chaude où ils habitent, n’estans pas autrement
noirs, ils sont seulement basanez, comme vous diriez les Espagnols ou Provençaux. » (Histoire
d’un voyage en Terre de Brésil (1578), texte établi, présenté et annoté par F. Lestringant,
Librairie Générale Française, Paris, 1994, p. 212).
v. 2 : Scitie, c'est-à-dire le pays des Scythes qui était situé au nord de la mer Noire et à l'est de la
mer Caspienne, occupant le sud de la Russie, l'Ukraine et la Sibérie occidentale. Le GrandPrieur fait sans doute référence aux peuples nomades qui habitaient la Russie, Tartares,
Cosaques et autres guerriers qui étaient tristement célèbres pour leur cruauté.
v. 4 : Huguet précise que les Anglais sont réputés pour leur ivrognerie, mais nous savons que
cette accusation est générale au XVIe siècle, tous les peuples s'accusant des mêmes maux. Un
anglois est aussi un créancier (cf. Huguet, Dictionnaire…, op. cit., tome 1, p. 214).
v. 5 : Le qualificatif marran pour les Espagnols n'est certes pas gratuit sous la plume du GrandPrieur. L'Espagne est donc confondue avec ses propres hérétiques. On sait pourtant quelle fut sa
politique envers les Juifs et les Musulmans. L'utilisation et le renvoi aux conversos est donc
éminemment politique en des temps où l'Espagne apparaît ennemi de la politique royale.
L'Espagnol est connoté « d'apparance ». Nous y voyons en filigrane une référence au débat entre
« estre » et « parestre ». L'importance de ce débat dans le Faeneste de D'Aubigné nous
intéresse, car il qualifie le Gascon, plus proche voisin de l'Espagnol, du même défaut. Faut-il
voir ici une constante géographique ou politique de l'ethnotype (en référence à l'alliance d'Henri
de Navarre et de l'Espagne) ?
v. 6 : mutin est sans doute une référence aux luttes écossaises contre les tentatives d'annexion
anglaise et plus largement sur la volonté des Écossais de conserver leurs préro gatives et leur
indépendance. Ceux-ci sont réputés pour leur fierté (cf. Huguet, Dictionnaire…, op. cit., tome 3,
p. 622).
v. 11 : Teissier exprime dans une note son doute sur le sens de mescroire. Nous comprenons
pour notre part que les Provençaux ne possèdent pas tous ces défauts, mais bien d'autres dont la
liste suit aux vers 12 et 13.
v. 13 : trincat, c'est-à-dire artificieux et rusé (cf. Huguet, Dictionnaire…, op. cit., tome 7,
p. 342).
v. 14 : Philippe Hurault, comte de Chiverny fut Garde des Sceaux en 1578 et sous Henri IV. Il
montra une grande habilité dans les affaires. Octave Teissier n'avait pas dans sa publication
identifié ce personnage. Il écrit en note : « Cette expression [se référant à mescroire au vers 11],
pas plus que celle de chiverni, ne peuvent s'expliquer par le sens du sonnet, à moins, quant à
chiverni, qu'il ait écrit : cher ami. » Dans une note manuscrite de l'exemplaire de Marseille, il
rectifie sa lecture et précise : « C'est une erreur pour Chiverni qui vivait à l'époque du grand
prieur. Né en 1528 Philippe Hurault comte de Chiverny mourut en 1599. Il fut Garde des
Sceaux en 1578. »
�VI
L'AMOUR DE DIOU
Ce long poème sur l'Amour de Dieu constitue une illustration des vérités de la
religion catholique. Ruffi disserte, comme à son habitude, sur les bontés de Dieu et
semble reprocher aux hommes une attitude qui n'est pas en accord avec les principaux
préceptes divins. Les premiers vers du poème évoquent la création du monde, restant
fidèles, jusqu'à la reprise lexicale, au déroulement des idées exprimées dans la Genèse.
Notons à ce propos que Ruffi ne parle pas de la femme, ni de sa création particulière ni
du péché originel qui est présent en filigrane, mais jamais développé et détaillé. Cet
effacement contraste avec les nombreux quatrains qui montrent la femme comme « un
mal nécessaire ».
L'essentiel du poème est constitué par deux longs développements consacrés au
jour du sabbat et aux commandements. Il semble là que Ruffi soit dans la droite filiation
de Pierre Charron dont il cite le nom et surtout de ses Trois Veritez écrites dans un but
évident de contradiction, réfutant les arguments des athées, Juifs et autres « idolâtres ».1
De ce point de vue, l'Amour de Diou peut être considéré comme une œuvre
démonstrative, une apologie des valeurs et du message chrétien. C'est certainement ce
caractère pédagogique qui grève les quelques effets poétiques qui nous paraissent
dignes d'être signalés : adresse directe à Dieu dans les premiers et surtout les derniers
1 La bibliographie concernant Pierre Charron est importante. Notons toutefois que les œuvres de ce dernier eurent un
grand succès, surtout son traité De la Sagesse. Ses arguments définissent une catholicité qui se veut exempte de
reproches "scientifiques" et qui assoie la Vérité du monde à partir des livres saints de la religion catholique et des
interprétations de l'Eglise. DISCOVRS / CHRESTIENS / DE / LA DIVINITE / CREATION REDEM- / TION ET
OCTAVES DV / Sainct Sacrement. // PAR M. PIERRE CHAR- / ron Parisien, Docteur Theologal, / Chanoine en
l'Eglise de Condon. // [vignette] // A PARIS. / Chez ROBERT BERTAULT marchand / Libraire au mont St Hilaire a
l'estoille d'or / couronnee. / M. DCXXII. Première édition à Paris en 1604. (248 + 516 + 10 + 3 (table) pages.
Exemplaire consulté bibliothèque municipale de Marseille 59520)
LES / TROIS VERITEZ. // SECONDE EDITION, : REVEVE, CORRIGEE, ET DE / beaucoup augmentée, //
PLVS / AUGMENTEE DE LA REPLIQVE / faicte aux Ministres de la Rochelle, / par le mesme Autheur. / Par M.
PIERRE le CHARRON Parisien. // [vignette] // A PARIS, / chez la veufue PIERRE BERTAVLT, au / mont sainct
Hilaire, à l'Estoille / couronnée. / M. DC. XX. (exemplaire consulté G 2980, bibliothèque Méjanes d'Aix-enProvence, 763 p. + 377 p. pour la Replique).
�vers qui laissent transparaître le sujet-écrivant toujours masqué derrière la
démonstration.
Ruffi disserte donc pour prouver la préséance du huitième jour sur le septième,
recourant à des arguments inspirés de l'Ancien et du Nouveau Testament. La différence
majeure, à la base du choix du sabbat, est le caractère messianique du Christ que Ruffi
évoque évidemment, mais qu'il ne discute pas, répondant à ses détracteurs par le silence
ou plutôt par l'affirmation de ce qui est pour lui une évidence. Il n'est pas concevable de
remettre en cause ou tout simplement de vouloir discuter la nature du Christ qui est
révélée par l'Évangile. L'argumentation de Ruffi est donc assise sur des fondements de
certitude et de foi qui ne peuvent être mis en doute ni même questionnés. De la même
manière, l'évocation des dix commandements ne prend sa force que dans le rappel du
message chrétien. La filiation entre les deux Testaments est donc complète et ruine les
efforts des infidèles qui tendent à nier le caractère rédempteur du Christ.
Nous pouvons toutefois nous interroger sur les motivations d'une telle
argumentation. La reprise des affirmations de Pierre Charron est dirigée contre
l'ensemble des non chrétiens et plus particulièrement contre les Juifs et les Mahométans.
Pourrions-nous voir dans cette attitude une quelconque relation avec la présence des
Juifs en Provence ? Ruffi est suffisamment averti des questions historiques pour
connaître leur poids administratif et économique. N'oublions pas également que les édits
�de Louis XII avaient forcé les Juifs à un exil vers le Comtat et que l'Espagne avait
promulgué des lois bien plus sévères dès la fin du XV e siècle. Y aurait-il encore
quelques dangers de voir apparaître un crypto-judaïsme en Provence ? Nous ne le
croyons pas, mais toutefois l'historien qu'est Ruffi se souvient certainement du rôle
important des Juifs provençaux. La réfutation théologique se double d'un souvenir
historique que l'on ne peut pas effacer d'un trait de plume.
La versification de Ruffi est dans ce poème parfois hésitante. Les rimes plates
donne à ce texte un souffle limité. Les quelques vers fautifs ou reposant sur un
décompte particulier sont signalés.
�[fo 24 r°]
L'Amour de Diou
4
8
12
16
20
24
Grand Diou, fornissez-mi d'uno gaillardo humour
Que puesqui dignoment referir vostro amour
Tant grand, haut, excellent, de tout incomprenssible,
Qu'a l'home avez portat que plus non es possible,
Car davant que lo metre au monde avez creat
Lo monde, terro, mar e lo ceou illustrat,
Creat de volatilho e tout divers bestiari
Per ben multiplicar autant qu'es necessari.
Per l'home tout aquo fon creat expressoment
Per n'uzar a plaser fort liberaloment,
Tant de ce qu'es dins mar que per l'er e la terro,
Como mestre que tout a son poder enserro,
Dominant sobeiran sur tous los animaus
Sens n'en poder sufrir aucuns dangiers ny maus.
Tout aquo premie fach l'home ave[z] mes au monde
Afin que de taus bens fort plenoment abounde.
O grand amour divin qu'envers l'home fouguet
De li aver aprestat tau perpetuau banquet,
Que quand sarie creat aussi tost atrobesso
Tout ben acompliment como en taulo ja messo,224
Tout anssin que s'eou ero225 en aquest monde bas
Recercant sous plasers, delicis e esbas.
Adam donc es aqueou home lors sensso vici
Que joisset premier de tau grand benefici
En sa creation de Diou illuminat,
De ben lo reconoisse en sa divinitat
[fo 24 v°]
28
32
36
Per so qu'ero investit d'uno armo immortalo,
Infuso dau segnour per sa graci specialo,
S'inclinant d'obesir a Diou e l'adorar
En perpetuau honour sens jamay variar,
Coumo resplendissent d'uno forto lumiero,
Car davant que pecar, avie son armo entiero,
Conoyssent ben e mau en ben considerat
E dau divin voler santoment abeurat,
Coumo aspirant toujour per humilitat grando
Au servici de Diou tout anssin que comando.
Ben crezez que fouguet estonat e content,
Adam en grand monarco e soulet si vezent,
224 Les deux vers suivant sont placés en bas de folio, rajout mentionné par un signe particulier (V renversé surmonté
d'une +).
225 ero biffé, puis rajouté à la suite.
�40
44
48
Car de la possession dau monde fon leou presso
Embe uno226 visto d'uelh sens que ren caminesso,
Car non doutavo pas d'ave compotitour.
E tan leou que li soun per Diou son creatour
Presentat tous227 ausseous e tout divers bestiari,
Lur imposet lo nom a tous sens inventari.
L'on estimo qu'Adam per eou e tous humans
Anet remercia Diou de cor, a jointos mans,
Coumo representant l'universalo masso
Das humans que vendrion per eou de rasso en rasso,
Car tous los homes nats qu'eron e naissiran,
Tous creas en Adam verament si diran,
[fo 25 r°]
52
56
60
64
68
72
Tan qu'au monde n'y aura per228 rasso successivo
Descendus, cabussas d'abondanci excessivo,
Si que per ave Adam envers Diou trabucat,
Tous homes son compres en aqueou grand pecat,
Tan grand qu'a tous humans ero mort eternalo
E dau particulier reducho universalo.
May Diou trop plen d'amour en l'home qu'a creat,
De lo veire perdut foun mougut de pietat
E dins son cabinet per secreto ordenansso,
Resolvet faire a l'home entiero delioransso
E que dau ceou vendrie lo veray sauvadour,
Juste per recatar tout home pecadour.
Coumo au temps prevesit, Jesus en car humano
Es vengut, a suffert la mort, grevo, inhumano,
Trionfant de Satan, de la mort e l'enfer,229
Los humans deliorant das mans de Lucifer,
Si que resussitant apres Jesus en glori,
De la redemption dono pleno memori
E d'aver aqueou jour das limbous deliorat
Los paures sants que avion aqui pron esperat,
Losquals avion viscut subre la ley anciano
E tenion dins lo cor l'esperansso certano
Que230 sarie au futur adveniment de Christ
226 uno rajouté au-dessus.
227 forso biffé, tous rajouté au-dessus.
228 de biffé, per rajouté au-dessus.
229 PV biffé : E tous a deliouras de la mort a l'enfer.
230 Aquo biffé, que rajouté en début de vers.
�Coumo en aquo instruitz per lo Sant-Esperit,
[fo 25 v°]
76
80
84
88
92
Car dau Viel Testament la ley ero cachado.
Mes au noveou Jesus231 l'a fort ben publicado
E puy en nous donant son Evangeli sant
V'a rendut confirmat per effet tres puissant,232
Coumo aqueou qu'en la sieu sapiensso eternalo
E divin e human, sa volontat foan talo233,
Car lo Viel e Noveou Testament an lo but
D'un mesme sens e ley e d'un meme salut.
En des comandamens touto la ley divino
Consisto,234 may la fau marcar dins la peitrino,
Tout home que vol vieure en chrestian veroment
E ben los deou gardar per vieure dignoment,
Car Jesu expressament235 v'a dich e anssin va comando
Sur peno d'estre mes de l'infernalo bando,
Disent qui vol intrar au riaume celest
Lous deou ben observar e en aquo estre lest,
Mes ben que tous236 dez, siou despui la ley antiquo,
Non mens la ley de graci en a lus e pratiquo,
Volent Jesus8 que sion237 gardas entieroment,
231 Abréviation Jhs surmonté d'un trait.
232 PV biffée : Li rend de tout effectivo, poissant. V'a rajouté en début de vers. le ut de rendut rajouté après rend qui
n'a pas été biffé. Tout le reste du vers a été rajouté au-dessus.
233 Ce vers ainsi que le précédent sont écrits au bas du folio. Ils ont été rajoutés et un V renversé surmonté d'un v
indique leur place.
234 e après Consisto biffé.
235 Abréviation : xpt surmonté d'un trait.
236 los biffé après tous.
237 d'estre biffé, que sion rajouté au-dessus.
�96
100
Dauqual nombre y a tres que veritabloment
Regardon tous l'honour de la majestat sancto,
Coumo fau lo servir d'amour forto e poissanto.
D'ounte lo premier es aquest comandament :
D'adorar Diou solet, de pur entendement,
L'amar de tout ton sens, de moyens, cor e armo
E d'aquest grand amour estre toujour en armo,
Ti nembrant que per eou possedes tan de bens
E ti sousten au monde embe dons excellens.
�[fo 26 r°]
104
108
112
116
120
124
128
Lou segond de jamay son nom en van non prendre,
Ny mancou lou jurar, tout aquo ti fau crendre.
Per lou ters de gardar lo sabat dau segnour,
Coumo comandat es de quitar aqueou jour
Tout trabal corporau per uno gran memori
Dau repaus dau grand Diou en son haut concistori,238
Qu'es lou septiesme jour, dissato du sabat,
Jour qu'entre los Judeous es encaro gardat.
May despuy que Jesus dau monde fet sortido,
Montant tout glorious en sa celesto vido,
As apostous donet avant que de partir
Tout poder sur la fe e ley que fau tenir,
Li leissant tout lou soyng, lo gouvert e mestrizo
De la chrestianitat e de la sancto Eglizo,
Ellous considerant que tau jour de sabat
Per grand vivo rezon devie estre cambiat,
Car lou repaus de Diou au sabat figuravo
Qu'au sepulcre Jesus meme jour repausavo.
Aprez ave invocat lo segnour creatour
De voule autorizar la mutation dau jour,
Foun dich a lendeman qu'ero lo jour huitiesme
E quitar lo sabat precedent jour setiesme
Per non plus enseguir lo terme judaiq
E observar lo jour huitiesme autentiq,
Car quand Jesus suffret la mort tan grevo e duro,
Lo dissato sabat eou ero239 en sepulturo
[fo 26 v°]
132
136
140
Li repausant e puy anet resuscitar
A lendeman huitieme, un jour de respetar,
Jour de resurrection e creation novello
Vo regeneration dau monde spitituello.
Per so dimenche es dich240 un jour dominical,
Un jour dau grand soleou que non a ges d'aigal,
Si ben que despuy lors l'Egliso militanto
V'a toujour observat en fe fermo e constanto,
Inspirado dau ceou e dau Sant-Esperit;
Or qui avisara tout ce que Jesu-Christ
A fach tau jour huitieme,241 es causo esmervelhablo
En242 la resurrection tau jour243 plus qu'admirablo.
Un tau jour Diou cambiet la tenebro en lo clar,
238 Après son, gr biffé. Ruffi semble avoir oublié le dernier mot de ce vers. Il figure au bas du folio sous la forme
consistori. Un signe (V à l'envers surmonté d'un trait) le rattache à cet endroit. Concistori a été également rajouté à la
fin du vers, à la suite de haut.
239 foun mes biffé, eou ero rajouté au-dessus.
240 PV : Per so dich es dimenche. dich es biffé, es dich rajouté au-dessus après dimenche.
241 PV : A fach en tau huitieme jour. en et jour biffés, jour rajouté au-dessus de tau.
242 Car biffé, en rajouté en début de vers.
243 es biffé après jour.
�144
148
152
As enfans d'Israel pet seq244 passa la mar
Faguet e au desert tau jour ploure la mano,245
Qu'avie pleno sabour de norrituro sano,
De sant Jehan meme jour Jesus foun batejat,
Aussi en Cana estant de nossos convidat,
Cambiet l'aigo en de vin, causo miraculouso,
Meme jour de cinq pans, per obro gloriouso,
Cinq mil homes eou a dignoment resassiat,
Car benissent los pans, los a multiplicat.
En tau jour a donat as apostous poissansso
De prechar, batejar en touto asseguransso.
Los apostous tau jour ystent ensembloment,
Porto sarrado yntret miraculosament
[fo 27 r°]
156
160
164
168
Vont Jesus246 li mostret lo las, mans, pets e plagas
E das luecs vulneras las cicatrissos vagos,247
E aqui lo mescrezent fouguet tout consolat
Quand adoun benurous li touquet lo costat.248
As apostous tau jour assemblas au cenacle,
Foun dau Sant-Esperit sur ellous fach miracle,
Descendent en un vent dau ceou fort vehement
Coumo en lengos de fuec sur cadun si metent,
Tous dau Sant-Esperit receberon poissansso249
De parlar touto lengo250 en touto asseguransso;251
Proun d'autres enca ly a de miraculous cas
De meme jour as Sants Evangelis notas,
Donc l'Egliso a bon drech a chauzit respectable
Tau jour per lo repaus de Diou recomandable.
Or quant as autres sept restans comandamens,
Son tous en charitat de beous ensegnomens
Per vieure a tous humans d'amour charitativo
244 faguet biffé, pet seq rajouté au-dessus.
245 PV : Puy tau jour au desert li fet ploure la mano. Puy tau jour et li fet biffés. faguet, e et tau jour rajoutés audessus.
246 Abréviation Jhs surmontée d'un trait rajoutée au-dessus.
247 largos biffé, vagos rajouté au-dessus.
248 Ce vers ainsi que le précédent figurent au bas du folio. Ils ont été rajoutés par la suite. Un V renversé et surmonté
d'une + les place à cet endroit.
249 la grasso biffé, poissansso rajouté à la suite.
250 estrani biffé après lengo.
251 plasso biffé, asseguransso rajouté à la suite. asseguransso figure également en bas de folio acompagné du signe
V renversé surmonté d'un trait qui indique sa place.
�172
176
180
E coumo tous fondas en causo deffensivo
De non tuar ny raubar e non point palhardar,
Non estre faus temoin e de non desirar
La fremo ny lous bens de ton prochan, en sorto
Qu'envers eou252 ton amour e charitat sie forto
Noto, car charitat eterno au ceou sera
Voun253 l'esperansso e fe caduno perira.
Dasquals254 comandamens divisant la dezeno,
Son tous reduchs en dous, fort eyzas sensso peno :
L'un de ton armo e cor ton grand Diou amaras,
L'autre amo ton prochan coumo a tu mesme fas.
[fo 27 v°]
184
188
192
196
Or davant questo ley fousso au monde donado,
En dez255 comandamens santoment ordenado,
Tous humans sensso ley vivion en libertat
E non si conoissie ny vici ny pecat,
Vivent obscuroment en la ley de Naturo,
Non cregnent lous mechans ges de peno futuro,
Car lous vicis alors eron dissimulas,
Per non vicis tengus e las cupiditas
Eron en touto vogo e surtout las lubricos
Licenciosament tengudos juridicos,
Si ben qu'embe uno ley pecat es conegut
E l'home de pecar pot estre retengut.
Quantos ydolatries et tout autre gros crime
Regnavon per tous luecs! L'on n'en liege un abisme,
252 Rajouté au-dessus.
253 E l'esp biffé en début de vers.
254 E das biffé en début de vers. das rajouté au-dessus et puis biffé. Dasquals rajouté en début de vers.
255 En dez biffé et rajouté en début de vers.
�200
204
Siege entre los Hebrus coumo aussi das gentious,
Tout ero abhominat, pertout de gens catious.256
Or Diou, fort offenssat de talo catiou vido,
Desirant de donar as humans uno brido,
Si souvenent d'Abram, d'Isac e de Jacob
Qu'eou avie tant amat e favorit beaucop
E promes que los sious en action trionfanto
Joissens si veirion d'aquello terro santo,
Dicho per grand lauzour terro de promession
E qu'a son temps n'aurion la pleno possession
256 Ce vers et le précédent sont rajoutés et figurent en bas de folio. leur place est indiquée par le signe V renversé et
surmonté d'une +.
�208
212
E que aquellos enfans delioras de l'Egipto
Eron tous de Jacob semensso ysraelito,257
Gens dau segnour chauzis e li portant amour
Subre258 tout autro gent dau monde e son contour,
Per que si contenion en honest exercici,
Au desert retiras,259 alugnas de tout vici,
[fo 28 r°]
216
220
224
228
232
236
En tau lueq desertous e foro de trapis,
Dau vieure e de tout aise, aqui ben acomplis.
Enfin lo bon260 segnour vezent que point d'orduro
Aqui non si fasse per ges de creaturo,
Estant sa majestat au sant mont de Syna,
A Moyse parlant de tout l'endoctrina,
Li comandant de far au bas de la montagno
Talo gent assemblar en deserto campagno,
May que dau mont Syna non s'aprochesson pas261
Sur peno que sarion quant e quant lapidas
E de ben remostrar en aquello assemblado
Que consideron ben la favour signalado262
Que Diou lur avie fach miraculosament,
De los aver tiras d'Egipto e dau torment
Qu'enduravon captifs, tengus en servitudo
E coumo lo segnour lur causo a mantengudo
Contro lous Egiptians, losquals a fach perir,
Qu'en memori d'aquo si ellous an lo desir
De gardar ben tout so que Diou comandara,
Tous en sa protection dignoment lous aura.
E lou poble, entendent la volontat divino
Que Moyso raportet, cadun si determino
D'obesi263entieroment au mandat dau segnour,
Coumo tres agreable a264 va gardar toujour.
Or ystent lo grand Diou en sa magnifisensso,
Remplissio estous265 lueqs de sa divino essensso,266
[fo 28 v°]
240
A Moyso assignet l'esmervilhable jour
Que lo poble auzirie los prepaus dau segnour,
Auqual sarie la ley d'uno vous penetran267
257 commo biffé à la suite de ysraelito.
258 Ruffi a inscrit en marge un signe (un trait horizontal barré de trois traits verticaux) qui n'a aucun correspondant
dans le manuscrit.
259 e biffé à la suite de retiras.
260 Et biffé en début de vers, bon rajouté au-dessus.
261 lou toua (?) biffé, s'aprochesson pas rajouté au-dessus.
262 cadun de l'assemblado biffé, la favour signalado rajouté au-dessus.
263 Ruffi a biffé une lettre après obesi. Nous ne pouvons pas savoir s'il s'agit d'un r.
264 a biffé, rajouté au-dessus.
265 PV : Vo remplissie aquestous. Vo biffé, le e de remplissie transformé en o, les trois premières lettres de
aquestous biffées.
266 essensso rajouté par la suite et réécrit une deuxième fois en dessous, accompagné d'un signe (V renversé et
surmonté d'un trait).
267 PV : penetranto, les deux dernières lettres sont biffées.
�244
248
252
256
260
264
Notificado a tous e touto armo escoutant.
Assemblas donc au lueq en delici esperans,
En homes siey cens millo autant petits que grans,268
Outro un nombre plus grand das enfans e de fremos,
Tous embe d'huels ubers e aurelhos ben fermos,
Auzeron dau segnour son269 prepaus tout divin,
Car270 a v'auzir cadun l'esperit ero enclin
E das comandamens la ley foun publicado
En grand crento e tremour per la gent escoutado,
Car Diou li ubrie lo cor per ben v'entendre tout
Fort attentivoment, sensso n'en perdre un mout.
Mai271 de pensar que Diou estos paraulos sanctos
Eou age promulgat de sa vous entonantos?
Non, non, car Diou non a ges de membres humans
Coumo los homes an testo, cors, pez e mans,
Car fazent un miracle a sa grandour d[i]visable,
Eou fet dessendre a l'air, en aquo convenable,
Uno celesto vous que articuladoment
Va prononciavo mioux que home ny instrument,
Per cas miraculous en vous tan ben sonanto
Qu'intravo dins l'auzido a touto armo escoutanto,
Car autant v'entendie lo luen coumo lo prez,
A tous d'un mesme son divinoment exprez,
Si ben qu'a tous l'auzido ero fort ben eigalo,
Tant en particulier que aussi universalo.
[fo 29 r°]
268
272
276
O benhurouso gent que l'Hebreu ero adoun!
D'estre tous los premiers de Diou agut tau don
E d'estre agut chausis subre toutos las rassos
Dau monde e nations e toutos populassos.
May non fau s'estonar si Diou tan volontous
Publiquet esto ley en un luec desertous,
Car eou l'anet chauzir en aquo convenable,
Coumo luec272 lors exempt de tout vici damnable
E sous prepaus voulie que fousson publicas
Davant de gens docils, de cor273 purificas
268 PV : D'environ siey cens mil d'homes lors ignorans biffé. La correction est rajoutée en dessous en interligne.
269 lo biffé avant son.
270 Car biffé et rajouté en début de vers.
271 diou biffé après Mai.
272 per biffé, luec rajouté au-dessus.
273 cors biffé, cor rajouté au-dessus.
�280
284
288
292
296
Et non en de grans lueqs, plassos e grandos villos
Plenos d'impietat e de gens indocillos
Voant touto orduro a lueq,274 messonjo e faussetat,
Coumo indignes d'auzir la santo majestat,
Laquallo non si plas qu'en la gent pacifiquo
Que humbles et devots, l'amour de Diou la piquo.275
E comben questo ley das dez comandamens
Age entre los Judious pres son comenssament,
Pas mens n'en fon donas a touto creaturo
Chrestiano e autre gent dau passat e futuro
Affin de la gardar, car Jesus dignoment
Anssin v'a ordenat au Noveou Testament.
E qui voudra saber quouro aquesto doctrino
Das Des Comandamens e paraulo divino
De Diou foun promulgado en tau lueq desertous,
Chauzit expressoment coumo lueq respetous,
As historis s'apren que fouguet en l'annado
Despuy lo monde creat que adon ero contado,
D'environ dous mil ans, ajustant quatre cens
Cinquanto quatre au tout. Vela donc en que tems
Como Carion descriou fort ben en sa croniquo
Veritablo, parlant de touto causo antiquo.
[fo 29 v°]
300
Per la fin, nous faut tous ben considerar
Las grandors e benfachs de Diou e admirar
Tant d'amour singulier que sur tout home porto,
Car lo veant pecador, au bon camin l'emporto,
274 e biffé après lueq.
275 Ce vers et le précédent ont été rajoutés. Ils sont écrits au bas du folio accompagnés d'un signe (V renversé et
surmonté d'une +).
�304
308
312
Li disent gardo ben tous mous comandamens
E may de Jesu expressoment12 los nous276 ensegnomens
Si277vos intrar hurous en son haut concistori
Coumo li joissent de l'eternalo glori.
Si bon que d'acomplir ce que lo segnour dis,
Eou nous fa compagnons a son sant paradis.
O promesso importanto! O mouts fort gracious!
Que per li estre obedient tousten l'home es hurous,
Car quand Diou v'a promes, la paraulo es seguro,
S'abeissant creatour envers sa creaturo,
276 sants cam (?) biffé, nous rajouté au-dessus.
277 Disent biffé, Si rajouté en début de vers.
�316
Laquallo eou amo tant per lous aver creas
Que desiro que tous los humans sien sauvas.
Inspiras-nous segnour, nostre bon celest paire,
D'acomplir los mandats que comandas de faire.
L'Amour de Dieu — Grand Dieu, pourvoyez-moi d'une gaillarde humeur —
Pour que je puisse dignement rapporter votre amour — Si grand, haut, excellent, tout à
fait incompréhensible — (4) Que vous avez porté à l'homme, plus cela n'est pas possible, — Car avant de le mettre au monde vous avez créé — Le monde, terre, mer et le
ciel illustré, — Créé des volatilles et toute sorte d'animaux — (8) Pour bien multiplier,
autant qu'il est nécessaire. — Tout cela fut expressément créé pour l'homme — Pour en
user très libéralement comme il lui plaît, — Aussi bien ce qui est dans la mer que dans
l'air et sur la terre — (12) Comme maître qui tient tout en son pouvoir, — Souverain
dominant sur tous les animaux, — Sans en pouvoir souffrir ni dangers ni maux. — Une
fois tout cela accompli, vous avez mis l'homme au monde — (16) Afin que de tels biens
il abonde pleinement. — O grand amour divin qui consista — À avoir apprêté pour
l’homme tel perpétuel banquet, — Pour qu'il trouve, aussitôt qu'il serait créé, — (20) Si
bel accomplissement comme en table déjà dressée, — Comme s'il était lui-même en ce
monde bas — Recherchant ses plaisirs, délices et ébats. — Adam est donc cet homme
dès lors sans vice — (24) Qui jouit en premier de tel grand bénéfice, — Illuminé en sa
création par Dieu — Afin de bien le reconnaître en sa divinité — Parce qu'il était
investit d'une âme immortelle, — (28) Infuse par la grâce spéciale du seigneur, —
S'inclinant à obéir à Dieu et l'adorer — En honneur perpétuel sans jamais varier —
Comme resplendissant d'une forte lumière, — (32) Car avant de pécher il avait son âme
entière, — Connaissant bien et mal tout bien considéré, — Et de la volonté divine saintement abreuvé, — Comme aspirant toujours par grande humilité — (36) Au service de
Dieu ainsi qu'il commande. — Croyez bien qu'il fut étonné et content, — Adam en
grand monarque et se voyant seul, — Car la possession du monde fut vite conquise —
(40) Avec un coup d'œil, sans qu'il fasse du chemin, — Car il ne pensait pas avoir un
compétiteur. — Et aussitôt que lui furent présentés par Dieu son créateur — Tous
oiseaux et divers animaux, — (44) Sans inventaire, il leur imposa à tous un nom. — On
estime qu'Adam pour lui et tous les humains — Alla remercier Dieu de tout son cœur, à
mains jointes, — Comme représentant l'universelle masse — (48) Des humains qui
viendraient par lui de race en race, — Car tous les hommes nés qui existaient et naîtront,
— Tous se diront créés véritablement par Adam, — Tant au monde il y en aura par race
successive — (52) Descendus, venus en excessive abondance. — Du fait qu'Adam eut
trébuché contre Dieu, — Tous les hommes sont compris en ce grand péché, — Si grand
que c'était mort éternelle pour tous les humains — (56) Et de particulière réduite à l'universel. — Mais Dieu trop plein d'amour pour l'homme qu'il a créé, — Fut pris de pitié
de le voir perdu — Et dans son étude, par ordonnance secrète, — (60) Résolut de procurer à l'homme une entière délivrance — Et que du ciel viendrait le vrai sauveur, — Juste
pour donner refuge à tout homme pécheur. — Comme au temps prévu, Jésus en chair
humaine — (64) Est venu, a souffert la mort, grave, inhumaine, — Triomphant de Satan,
de la mort et de l'enfer, — Délivrant les humains des mains de Lucifer, — Tant et si
bien que Jésus ressuscitant après en gloire, — (68) Donne pleine mémoire de la rédemption — Et d'avoir délivré des limbes ce jour — Les pauvres saints qui avaient là assez
attendu, — Lesquels avaient vécu sous l'ancienne loi — (72) Et gardaient au cœur l'espé-
�rance certaine — Que viendrait l'avènement du Christ, — Instruits en cela par le SaintEsprit, — Car la loi de l'Ancien Testament était cassée. — (76) Renouvelée, Jésus l'a très
bien publiée — Et puis en nous donnant son Évangile saint — L'a donc confirmée par
un effet très puissant, — Comme celui qui en sa sagesse éternelle — (80) Et divin et humain, sa volonté fut telle, — Car l'Ancien et le Nouveau Testament ont pour but — Un
même sens et loi et un même salut. — Toute la loi divine consiste — (84) En dix commandements, mais il faut la graver dans la poitrine, — Tout homme qui veut vraiment
vivre en chrétien — Et doit bien les observer pour vivre dignement, — Car Jésus l'a dit
expressément et le commande ainsi — (88) Sous peine d'être placé de l'infernal côté, —
Disant que qui veut entrer au royaume céleste — Doit bien les observer et être prêt à
cela, — Mais bien tous les dix, propre à chacun depuis la loi antique, — (92) Et pas seulement pratiquer au grand jour la loi de grâce, — Jésus voulant qu'ils soient entièrement
observés, — Nombre parmi lequel il y en a trois qui véritablement — Concernent tous
l'honneur de la sainte majesté, — (96) Comme il faut le servir d'amour fort et puissant. —
D'entre eux le premier est ce commandement : — Adorer Dieu et lui seul, par pur
entendement, — L'aimer de tout ton esprit et de tous tes moyens, cœur et âme, — (100)
Et ce grand amour doit être toujours en ton âme, — Te souvenant que tu possèdes grâce
à lui tant de biens — Et qu'il te soutient en ce monde par des dons excellents. — Le second de ne jamais prendre son nom inutilement, — (104) Ni même le jurer, il te faut
craindre tout cela. — Pour le troisième d'observer le sabbat du seigneur, — Comme il
est commandé d'abandonner ce jour — Tout travail corporel, pour une grande mémoire
— (108) Du repos du grand Dieu en son haut consistoire, — Car il est le septième jour,
samedi du sabbat, — Jour qui est encore observé par les Juifs. — Mais après que Jésus
fut sorti du monde, — (112) Montant tout glorieux en sa céleste vie, — il donna aux
apôtres avant de partir — Tout pouvoir sur la foi et la loi qu'il faut observer, — Leur
laissant tout le soin, le gouvernement et la maîtrise — (116) De la Chrétienté et de la
sainte Eglise. — Eux considérant que le jour de sabbat — Par grande raison devait être
changé, — Car le repos de Dieu représentait le sabbat — (120) Le même jour où Jésus
reposait au sépulcre. — Après avoir invoqué le seigneur créateur — D'autoriser par sa
volonté le changement de jour, — Il fut décréter le lendemain qui était le huitième jour
— (124) Et abandonner le sabbat le septième jour précédent — Pour ne plus suivre le
terme judaïque — Et observer l'authentique huitième jour, — Car quand Jésus souffra la
mort si grave et dure, — (128) Il était en sépulture le samedi sabbat — Y reposant et puis
il alla ressusciter — Au lendemain huitième, un jour à respecter, — Jour de résurrection
et de nouvelle création — (132) Ou régénération spirituelle du monde. — Pour cela
dimanche est déclaré un jour dominical, — Un jour de grand soleil qui n'a pas d'égal, —
Si bien que depuis lors l'Église militante — (136) L'a toujours observé en foi ferme et
constante, — Inspirée par le ciel et le Saint-Esprit; — Or qui avisera tout ce que JésusChrist — A fait ce huitième jour, c'est chose dont on s'émerveille — (140) En la
résurrection plus qu'admirable en ce jour. — Un tel jour Dieu changea les ténèbres en
�clarté, — Fit passer à pied sec la mer aux enfants d'Israel — Et au désert ce jour pleuvoir la manne, — (144) Qui était pleine de saveur, de nourriture saine, — Jésus fut baptisé par saint Jean le même jour, — Aussi à Cana étant convié à des noces, — Il changea
l'eau en vin, chose miraculeuse, — (148) Le même jour de cinq pains, par œuvre
glorieuse, — Il a dignement rassasié cinq mille hommes, — Car bénissant les pains, ils
les a multipliés, — En ce jour il a donné aux apôtres pouvoir — (152) De prêcher, baptiser en toute assurance. — Les apôtres étant ensemble ce jour, — Il entra miraculeusement par la porte fermée — Là Jésus leur montra son côté, mains, pieds et plaies — (156)
Et les cicatrices incertaines aux endroits vulnéraires, — Et là le mécréant fut tout
consolé — Quand donc bienheureux il lui toucha le côté. — Aux apôtres, assemblés ce
jour au cénacle, — (160) Il fut réalisé sur eux un miracle par le Saint-Esprit , —
Descendant d'un vent du ciel de façon véhémente — Comme en langues de feu se posant sur chacun, — Ils reçurent tous du Saint-Esprit pouvoir — (164) De parler toute
langue en toute assurance ; — Il y a beaucoup d'autres cas miraculeux encore — Notés
aux saints Évangiles au même jour, — Donc l'Église à bon droit a choisi tel jour — (168)
Respectable, recommandable pour le repos de Dieu. — Or quant aux sept autres commandements restant, — Ils sont tous de beaux enseignements en charité — Pour vivre
d'amour caritative pour tous les humains — (172) Et comme tous fondés sur la défense —
De ne pas tuer ni voler et ne pas être paillard, — Ne pas être faux témoin et de ne pas
désirer — La femme ni les biens de ton prochain, de sorte — (176) Qu'envers lui ton
amour et ta charité soient une forte — Marque, car la charité sera éternelle au ciel — Ou
�l'espérance et la foi chacune périront. — Desquels commandements divisant la dizaine,
— (180) Ils sont tous réduits à deux très aisément et sans peine : — L'un de ton âme et
ton cœur tu aimeras ton grand Dieu, — L'autre, aime ton prochain comme toi-même. —
Or avant que cette loi soit donnée au monde, — (184) Saintement ordonnée en dix
commandements, — Tous les humains sans loi vivaient en liberté — Et on ne
connaissait pas ni vice ni péché, — Vivant obscurément en la loi de Nature, — (188) Les
méchants ne craignant aucune peine future, — Car les vices étaient alors dissimulés, —
Non considérés comme vices et les cupidités — Avaient libre cours et surtout les lubriques, — (192) Licencieusement tenues pour juridiques, — Si bien que le péché est
connu avec une loi — Et l'homme peut être retenu de pécher. — Quelles idolâtries et
�tout autre gros crime — (196) Régnaient en tous lieux! On en lit un abîme, — Que ce soit
chez les Hébreux comme aussi chez les païens, — Tout était abommination, partout de
méchantes gens. — Or Dieu, fort offensé par telle méchante vie, — (200) Désirant donner aux humains une bride, — Se souvenant d'Abraham, d'Isaac et de Jacob — Qu'il
avait tant aimés et beaucoup favorisés — Et promis que les leurs en action triomphante
— (204) Se verraient jouissant de cette terre sainte, — Dite par grande louange terre
promise — Et dont ils auraient pleine possession en leur temps, — Et que ces enfants
délivrés de l'Egypte — (208) Etaient tous semence israelite de Jacob, — Peuple choisi du
seigneur et lui portant amour — Plus que tout autre peuple du monde et son contour, —
Parce qu'ils se maintenaient en un honnête exercice, — (212) Retirés au désert, éloignés
�de tout vice, — En tel lieu désertique et hors de la terre piétinée, — Des vivres et de
toute aisance, là bien parfaits. — Enfin le bon seigneur voyant que point de saleté —
(216) Là ne se faisait par aucune créature, — Étant sa majesté au saint mont Sinaï, —
Parlant franchement à Moïse, lui dicta sa doctrine, — Lui commandant, au bas de la
montagne, de faire — (220) S'assembler telles gens en déserte campagne, — Mais qu'ils
ne s'approchent pas du mont Sinaï — Sous peine qu'ils seraient immédiatement lapidés
— Et de bien souligner à cette assemblée — (224) Qu'ils considèrent bien la faveur marquée — Que Dieu leur avait miraculeusement octroyé, — De les avoir fait fuir d'Egypte
et du tourment — Que captifs ils enduraient, réduits en servitude — (228) Et comment le
seigneur a maintenu leur cause — Contre les Egyptiens, lesquels il a fait périr, — Qu'en
�mémoire de cela, s'ils ont le désir — De bien observer tout ce que Dieu commandera, —
(232) Il les prendra dignement tous sous sa protection. — Et le peuple, entendant la
volonté divine — Que Moïse rapporta, chacun se détermine — À obéir entièrement au
mandat du seigneur, — (236) Comme toujours très agréable à l'observer. — Or étant le
grand Dieu en sa magnificence, — Il remplissait ces lieux de sa divine essence, — Il
assigna à Moïse le jour émerveillé — (240) Où le peuple entendrait les propos du seigneur, — Auquel la loi serait d'une voix pénétrante, — Notifiée à tous et toute âme
écoutant. — Assemblés donc en ce lieu, attendant en délice, — (244) Six cent mille
hommes, autant petits que grands, — Outre un nombre plus grand d'enfants et de
femmes, — Tous avec des yeux écarquillés et des oreilles bien ouvertes, — Ils entendi-
�rent le propos tout divin du seigneur, — (248) Car l'esprit de chacun était enclin à l'entendre — Et la loi des commandements fut publiée — En grande crainte et tremblement,
écoutée par les gens, — Car Dieu leur ouvrait le cœur pour bien toute l'entendre, — (252)
Très attentivement, sans en perdre un mot. — Mais peut-on penser que Dieu ait
promulgué — Ces paroles saintes par sa voix entonnées ? — Non, non, car Dieu n'a pas
d'organes humains — (256) Comme les hommes ont tête, corps, pieds et mains, — Car
accomplissant un miracle de sa grandeur divisible, — Il fit descendre par l'air, convenable en tous points, — Une céleste voix qui d'une bonne articulation, — (260)
Prononçait mieux que homme ou instrument, — Par circonstance miraculeuse, en une
voix si bien sonnante — Qui pénétrait l'écoute de toute âme attentive, — Car on l'en-
�tendait de loin comme de près, — (264) D'un même son, pour tous divinement fait exprès, — Si bien que l'écoute était très égale pour tous, — Particulière tout aussi bien
qu'universelle. — Ô bienheureux peuple qu'étaient donc les Hébreux! — (268) Etre les
tous premiers de recevoir tel don de Dieu — Et d'avoir été choisis parmi toutes les races
— Du monde et nations et toutes populations. — Mais il ne faut pas s'étonner si Dieu
aussi bien disposé — (272) Publia cette loi en un lieu désertique, — Car il alla le choisir
convenable pour cela, — Comme lieu lors exempt de tout vice damnable — Et il voulait
que ses propos soient publiés — (276) Devant un peuple docile, des cœurs purifiés — Et
non en de grands lieux, places et grandes villes — Pleines d'impiété et de peuples indociles — Vouant toute saleté en tous lieux, mensonge et fausseté, — (280) Comme in-
�dignes d'entendre la sainte majesté, — Laquelle ne se plaît qu'avec les gens pacifiques,
— Car humbles et dévots, l'Amour de Dieu les touche. — Et même si cette loi des dix
commandements — (284) A pris son commencement parmi les Juifs, — Elle fut pourtant
donnée à toute créature — Chrétienne et autre peuple du passé et futur — Afin de l'observer, car Jésus dignement — (288) L'a ordonné ainsi au Nouveau Testament. — Et
pour qui voudra savoir quand cette doctrine — Des Dix Commandements et parole divine — De Dieu fut promulguée en tel lieu désertique, — (292) Choisi expressément
comme lieu respectueux, — On apprend aux histoires que ce fut en l'année, — Depuis
le monde créé, car il était donc compté — Environ deux mille ans, en ajoutant quatre
cent — (296) Cinquante quatre en tout. Voilà donc en quel temps, — Comme Charron
�décrit fort bien en sa chronique — Véritable, parlant de toute chose antique. — À la fin,
il nous faut tous bien considérer — (300) Les grandeurs et bienfaits de Dieu et admirer —
Tant d'amour singulier qu'il porte à chaque homme, — Car le voyant pécheur, il le mène
au bon chemin, — Lui disant observe bien tous mes commandements — (304) Et puis de
Jésus expressément les nouveaux enseignements — Si tu veux entrer heureux en son
haut consistoire — Comme y jouissant de l'éternelle gloire. — Il est si bon d'accomplir
ce que le seigneur dit, — (308) Il nous fait compagnons à son saint paradis. — Ô
promesse importante! Ô mots si gracieux! — Que pour lui être obéissant tout le temps
l'homme est heureux, — Car quand Dieu l'a promis, la parole est sûre, — (312) Créateur
s'abaissant vers sa créature, — Laquelle il aime tant pour les avoir créés — Qu'il désire
�que tous les humains soient sauvés. — Inspirez-nous seigneur, notre bon père céleste,
— (316) D'accomplir les ordres que vous commandez de faire.
Titre : Amour peut être pris dans deux sens : l'amour que l'on doit à Dieu et celui qu'il porte aux
hommes.
v. 1 : Diou compte pour une syllabe.
v. 2 : Il s'agit ici d'un commandement divin que l'on retrouve notamment dans le premier
Quatrain.
v. 3-4 : L'amour de Dieu est incompréhensible si l'on prend en compte les erreurs humaines :
péché originel et commandements divins qui ne sont pas toujours observés comme il
conviendrait. C'est pour cela que cet amour, tout en étant incompréhensible, est démesuré et ne
peut être égalé. Cet amour est à la mesure de la bonté de Dieu. Pierre Charron consacre un
chapitre de ses Discours à la bonté divine (cf. Discours chrestiens…, op. cit., p. 87-96, chapitre
De la Bonté de Dieu).
v. 5 : lo, évidemment l'homme.
v. 6 : Il s'agit ici d'un rappel de l'œuvre de Dieu dans les quatre premiers jours de la création du
monde.
illustrat, littéralement « illustré ». Le ciel originel n'était pas constitué d'étoiles et de planètes et
au quatrième jour, Dieu les disposa à leur place. Le terme biblique généralement choisi est celui
de « luminaire ». Notre traduction « illustré » doit donc être comprise dans le sens d'enluminé,
décoré avec brillance.
La Genèse (1) précise : « Dieu dit : Qu'il y ait des luminaires dans l'étendue du ciel, pour séparer
le jour d'avec la nuit; que ce soient des signes, pour marquer les époques, les jours et les années;
et qu'ils servent de luminaires dans l'étendue du ciel, pour éclairer la terre. » Pierre Charron
consacre son quatrième Discours à la création du ciel et à ses différents « étages » (Discours
chrestiens…, op. cit., p. 26-40).
v. 7 : bestiari désigne ici l'ensemble des animaux. Ce mot compte pour deux syllabes.
v. 7-8 : La création des animaux eut lieu les cinquième et sixième jours de la Genèse. La notion
de reproduction des espèces est précisée telle que Ruffi le note : « Soyez féconds, multipliez, et
remplissez les eaux des mers; et que les oiseaux multiplient sur la terre. » (Genèse, 1). Ruffi
semble seulement prendre en compte la création des oiseaux qui eut lieu au cinquième jour et
celle des animaux terrestres au sixième. Il n'évoque pas particulièrement celle des poissons qui
est antérieure à toutes les autres.
v. 8 : necessari compte pour trois syllabes. La versification de Ruffi présente un traitement du i
post-tonique semblable à celui du e.
multiplicar se réfère à la reproduction. Nous gardons le terme « multiplier ».
v. 9 : fon, forme faible pour foguèt, largement attestée aux XVI e et XVIIe siècles.
v. 9-14 : Ruffi n'évoque pas la création de l'homme. Il se réfère à la supériorité que Dieu lui
donne sur les animaux : « Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il
domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre et sur
tous les reptiles qui rampent sur la terre. […] Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre et
l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal
qui se meut sur la terre. » (Genèse, 1). Cette supériorité permet au premier homme de posséder
les richesses de la terre qui lui sont offertes.
v. 12 : enserro, littéralement « enferme ». Nous préférons ici recourir à une traduction qui
comporte cette idée associée au pouvoir divin représenté dans le vers suivant par sobeiran.
v. 15 : Ruffi a écrit ave. Cet infinitif est ici difficilement acceptable. Nous corrigeons par ave[z].
v. 19-20 : Ruffi insiste ici sur ce qui a été offert à l'homme par Dieu. Le péché originel est cause
du travail de l'homme, ce que Ruffi, indiciblement, souligne et semble regretter. Il y a là comme
une nostalgie du Jardin d'Éden qui se rapproche évidemment d'un Age d'or arcadique, temps qui
n'étaient pas temps et qui ne connaissaient pas les vices, l'effort et le travail, toute une
�organisation divine rompue par la faiblesse des hommes et que la construction sociale ne peut
égaler.
v. 21 : Nous pouvons considérer eou pronom personnel comme une forme d'insistance, ce qui
n'est généralement pas le cas dans les poèmes de Ruffi.
v. 23-24 : Pour la versification et le traitement de i post-tonique voir v. 8.
v. 25 : Pour que le vers ne soit pas faux, il faudrait que creation compte pour quatre syllabes ou
que Diou compte pour deux (creation ne compte que pour deux syllabes au vers 131 et Diou
pour une aux vers 1, 29, 42, 57…).
v. 27 : Le péché originel fait découvrir à l'homme l'existence de la nudité, de la chair, mais
révèle également sa mortalité. Ruffi insiste donc sur l'âme immortelle donnée par Dieu.
v. 31 : La lumière qui illumine Adam est celle de Dieu, celle qui jaillit des ténèbres. Adam est
encore à ce moment un homme qui n'a pas connu le péché originel, donc hors du temps et de la
réalité physique qui sera celle de tous les hommes.
v. 32 : amo entiero est à rapprocher de amo immortalo au vers 27. La même idée semble ici
exprimer le sentiment de la pureté de l'âme avant le péché originel. Elle est à la fois immortelle
et entière, ne pouvant être atteinte par le mal et les vices qu'elle ne connaît pas, résidant auprès
de Dieu et de sa perfectibilité.
v. 33 : Nous ne pouvons pas conserver lo divin voler sous cette forme verbale. Nous préférons
restituer clairement cette idée en utilisant un substantif.
v. 38-40 : Dieu place Adam au Jardin d'Éden. Il est quelque sorte le premier monarque d'un
royaume que la Genèse décrit et localise. Ruffi se réfère à cette royauté sans couronne, sur une
terre précise, découvrant un espace limité et pourtant riche en biens di vers. Le monde clos du
Jardin d'Eden est précisé dans la Genèse (2) : « Puis l'Eternel Dieu planta un jardin en Éden, du
côté de l'orient, et il y mit l'homme qu'il avait formé. » Ruffi n'évoque pas le fleuve d'Éden qui
se divise en quatre bras.
v. 39 : presso dans le sens de « posséder », donc « conquise ».
v. 40 : caminesso est plus difficile à comprendre. Un seul coup d'œil suffirait à Adam pour
posséder le monde; il n'a donc pas besoin de se déplacer. Nous ne pouvons pas employer
l'équivalent « cheminer » et préférons un substantif en utilisant « fasse du chemin » qui a par
ailleurs le mérite de conserver l'emploi du subjonctif.
v. 41 : compotitour pour « compétiteur ». On peut comprendre qu'Adam et Dieu poursuive à ce
moment le même but. Adam est souverain de son royaume et deviendra le « compétiteur » de
Dieu par le péché originel. Il se peut également que ce terme provienne de cum + potitor latin,
mot à mot « avec celui qui se rend maître ». Relions également cette expression avec potentator,
« souverain » et plus généralement tous les mots de cette famille. Le sens serait alors différent :
Adam ne doute pas d'avoir un maître, mais ce terme précise également, par le préfixe com-, un
sentiment d'attachement à ce pouvoir.
v. 42-44 : C'est l'homme qui attribue un nom aux animaux qui lui sont présentés par Dieu.
L'action de « nommer” n'est donc pas divine, mais humaine. Genèse, 2 : « L'Éternel Dieu forma
de la terre tous les animaux des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les fit venir vers
l'homme, pour voir comment il les appellerait, et afin que tout être vivant portât le nom que lui
�donnerait l'homme. Et l'homme donna des noms à tout le bétail, aux oiseaux du ciel et à tous les
animaux des champs […] »
v. 49-52 : Il s'agit ici d'un rappel de la descendance d'Adam comme premier homme, semence
originelle de l'humanité.
v. 52 : abondanci excessivo rappelle les préceptes de Dieu sur la reproduction des hommes.
Toutes les races proviennent donc d'Adam.
v. 53 : Si que indique une conséquence. La faute d'Adam induit le péché originel. Nous avons
donc traduit par « Du fait ».
v. 56 : La mort n'est donc plus « particulière » à l'homme. Le péché originel induit, outre la mort
de l'homme, celle qui touche l'univers dans sa totalité, flore, faune et tous êtres, toutes choses
qui créées par l'homme possèdent en eux-mêmes la part d'éphémère révélée par Dieu. Le péché
originel engendre donc les notions de vie et de mort telles que nous les connaissons.
v. 57-62 : Ruffi abandonne ici la Genèse pour rattacher le Nouveau Testament à l'Ancien. La
venue de Jésus-Christ est donc liée au péché originel.
v. 59 : cabinet désigne ici le lieu intemporel et irréel de la création du monde « ouvroir de
Dieu ». Nous traduisons par « étude », restituant le sens d'un lieu où s'exprime la réflexion
préalable à la création divine.
v. 61 : vendrie compte pour trois syllabes.
v. 63-64 : Relevons car humano et l'évocation des souffrances du Christ. Ruffi ne développe pas
ces souffrances. Nous savons cependant qu'elles constituent un sujet poétique chez certains
poètes comme César de Nostredame ou Jean de La Ceppède.
�v. 65 : Allusion à la tentation du Christ qui au désert fut tenté par le diable. Jésus triomphe donc
de Satan, de la mort (par la résurrection) et de l'enfer. Il évite ainsi les trois principaux écueils
de l'humanité depuis le péché originel.
v. 66 : Remarquons ici la présence du diable (nommé Satan et Lucifer) qui n'est pas évoqué
auparavant pour le péché originel.
v. 67 : glori compte pour une seule syllabe.
v. 68 : Pour que le vers ne soit pas faux, il faudrait considérer que redemption compte pour
quatre syllabes. Suivant le traitement du i post-tonique, memori ne compte que pour deux
syllabes.
�v. 69-74 : Le rachat de Jésus ne concerne pas que les hommes, mais également les saints qui
demeuraient emprisonnés dans les limbes. C'est ici un rappel des hommes remarquables (Ruffi
cite plus loin Abraham, Isaac et Jacob) que Dieu ne pouvait totalement abandonner.
v. 75 : cachado cf. « cachar », serrer, écraser. Nous avons traduit par « casser » qui possède un
sens voisin et qui s'applique particulièrement à loi.
v. 75-76 : Ruffi lie dans ces deux vers l'ancienne et la nouvelle loi. Il affirme que la première loi
de l'Ancien Testament était rompue, écrasée et oubliée et qu'elle est donc revigorée par celle
contenue dans l'Évangile. Les deux livres saints sont liés par la même parole divine.
v. 76 : L'abréviation Jhs signifie « Jésus-Christ ». Pour la justesse de la versification, nous ne
restituons que Jesus.
v. 80 : foan, c'est-à-dire « fut ». Il s'agit de la forme fon, diphtonguée et graphiée en tenant
compte de cette diphtongaison. Ruffi écrit également foun (v. 58) et fon (v. 9) ici non
diphtongués. Un tel phénomène est donc instable. La graphie témoigne de la difficulté de
codifier ces diverses solutions qui ne sont pas encore fixées.
v. 81-82 : Cette affirmation place les deux livres saints auprès de la même parole di vine. Ruffi
démarque ici les infidèles qui ne reconnaissent pas la sainteté des Évangiles, principalement les
Juifs. Il sera question plus loin du sabbat. Ruffi semble donc se poser en contradicteur du
judaïsme.
v. 87 : La restitution de cette abréviation bouleverse l'équilibre de la versification. Elle aurait dû
correspondre dans ce vers à deux syllabes. Nous ne pouvons pas restituer « expres », car le t de
l'abréviation indique la présence d'un adverbe. Nous gardons ici expressement pour la fidélité au
texte.
v. 88 : bando, « côté » plutôt que « foule ».
v. 91-92 : Ces deux vers nous paraissent obscurs. Nous comprenons qu'il faut observer ces dix
commandements et pas seulement la loi de grâce.
v. 93 : cf. v. 76 pour Jesus.
v. 97-102 : Ce premier commandement semble important pour Ruffi. Il le place en-tête de ses
Quatrains, se conformant en cela à une attitude moralisatrice commune à tous les auteurs de
sentences morales.
v. 101 : nembrant cf. « membrant ».
v. 103-104 : prendre et crendre ne comptent que pour une syllabe. Ruffi considère pour la
versification le [e] de l'infinitif comme un e de soutien.
Il s'agit du deuxième commandement : « Tu ne prendras point le nom de l'Eternel, ton Dieu, en
vain; car l'Eternel ne laissera point impuni celui qui prendra son nom en vain. » (Exode, 20).
v. 104 : crendre cf. « crénher ».
v. 105 : Le mot hébreu « schabbat » signifie repos. Ruffi l'emploi dans ce sens.
v. 105-108 : Il s'agit du troisième commandement : « Souviens-toi du jour du repos, pour le
sanctifier. Tu travailleras six jours, et tu feras tout ton ouvrage. Mais le sep tième jour est le jour
du repos de l'Eternel […] » (Exode, 20).
v. 108 : Relevons concistori qui place le « consistoire » des cardinaux dans une antériorité
divine. Le consistoire divin est haut, ce qui détermine une position « basse » pour le consistoire
catholique, assemblée humaine qui s'inspire de Dieu et sur lequel le Saint-Esprit doit
« descendre » pour inspirer les hommes.
v. 109 : du où l'on attendrait « dau ». Nous avons gardé cette première forme. Nous ne pouvons
savoir s'il s'agit d'un gallicisme ou d'un oubli de la lettre a pour écrire « dau ».
v. 110 : gardat, dans le sens de « observer » un rite religieux.
Le Judaïsme occupe une grande place dans la réfutation de Pierre Charron. Ses arguments sont
ceux intrinsèquement développés par Ruffi : « La Judaïque a bien receu les revelations & les
moyens de servir la Déité : mais pour ne les entendre, ny ne les prendre & pratiquer par le bon
bout, comme il faut, ne penetrant au vif, au dedans & spirituel, mais s'arrestant à l'ombre & à
l'écorce, est demeuree en arriere. » (Les Trois Veritez, op. cit., p. 106).
v. 111-112 : Jésus est représenté ici au moment de la résurrection. Il est donc hors du monde
humain, mais pas encore auprès de son créateur. Cet état explique Despuy que alors que l'on
�pourrait attendre « Abans que ». Avant que de partir figure au vers 114, indiquant cette idée.
Remarquons donc le jeu linguistique entre Despuy que, fet sortido et avant que de partir. La
sortido n'est donc pas un départ.
v. 115-116 : C'est saint Pierre qui reçut de Jésus le soin de bâtir l'Église. Nous savons que les
Apôtres répandirent la parole du Christ.
v. 117-119 : Le dimanche fut institué à la place du samedi comme jour dominical (huitème jour
de la semaine à la place du septième). Cela fut fait en mémoire de Pâques et de la Pentecôte,
c'est-à-dire de la résurrection de Jésus-Christ et de la descente du Saint-Esprit sur les apôtres.
v. 122 : Il faudrait admettre pour que le vers soit juste une synalèphe entre voule et autorizar.
v. 124 : terme, pris au sens de « parole », mais surtout de « écriture ».
v. 125 : judaiq compte pour trois syllabes.
v. 126 : Il n'y a pas, ici, de synalèphe entre huitiesme et autentiq.
v. 128 : Jésus a été crucifié un vendredi et ne ressuscita que le dimanche. Il était donc le samedi
au tombeau.
v. 133 : dominical, dans son sens premier : qui appartient à Dieu.
v. 135 : Eglizo militanto désigne l'assemblée des fidèles sur la terre par opposition à l'Église
triomphante (les saints) et l'Église souffrante (les âmes du purgatoire).
v. 139 : esmervelhablo indique, par le suffixe « -ablo » désignant la qualité et la possibilité, et la
base radicale « mervelh- » « ce que l'on peut considérer comme merveilleux ». Nous nous
interrogeons cependant sur « es-» Il ne peut s'agir que du préfixe « es-» qui souligne
l'accomplissement de l'action. Nous comprenons donc qu'il s'agit d'une « chose dont on peut
s'émerveiller ».
v. 141 : Le premier jour de la semaine est le dimanche. Or, ce fut le premier jour que Dieu
changea les ténèbres en clarté, donc un dimanche.
v. 142 : Allusion au passage de la mer Rouge par les Hébreux.
v. 143 : La manne fut donnée par Dieu aux Hébreux dans le désert après le passage de la mer
Rouge. Ce don eut lieu un dimanche, car les Hébreux en ramassèrent pendant six jours avant le
sabbat.
v. 148-150 : La multiplication des pains telle qu'elle est décrite ici est inspirée de l'Évangile
selon Matthieu : « Tous mangèrent et furent rassasiés, et l'on emporta douze paniers pleins des
morceaux qui restaient. Ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille hommes, sans les
femmes et les enfants. » (Matthieu, 14).
v. 149 : resassiat, métathèse pour « ressasiat ».
v. 153-158 : Cet épisode de la résurrection est rapporté de l'Évangile selon Jean : « Le soir de ce
jour, qui était le premier de la semaine, les portes du lieu où se trouvaient les disciples étant
fermées, à cause de la crainte qu'ils avaient des Juifs, Jésus vint, se présenta au milieu d'eux, et
leur dit : La paix soit avec vous! Et quand il eut dit cela, il leur montra ses mains et son côté.
(…) Puis il dit à Thomas : Avance ici ton doigt, et regarde mes mains; avance aussi ta main, et
mets-la dans mon côté; et ne sois pas incrédule, mais crois. » (Jean, 20).
v. 159-164 : Les Apôtres reçurent le Saint-Esprit le jour de Pentecôte : « Tout à coup il vint du
ciel un bruit comme celui d'un vent impétueux, et il remplit toute la maison où ils étaient assis.
Des langues, semblables à des langues de feu, leur apparurent, séparées les unes des autres, et se
�posèrent sur chacun d'eux. Et ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et se mirent à parler en
d'autres langues, selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer. » (Actes des Apôtres, 2).
v. 173 : palhardar, c'est-à-dire « paillarder », verbe français est d'un emploi vieilli. Nous
traduisons par « être paillard ».
v. 181-182 : Ruffi revient ici sur les commandements d'amour divin et d'amour filial. Il est vrai
que le sujet central du poème traite de ces amours importantes pour la morale chrétienne telle
qu'elle est développée dans les Quatrains.
v. 183 : questo, aphérèse de « aquesto » qui permet la justesse du vers en ne comptant que pour
deux syllabes.
v. 187 : Naturo avec un N majuscule (c'est nous qui marquons cette différence), car il s'agit là et
dans les vers suivants d'un discours sur l'état de Nature. Contrairement à ce que Ruffi expose
dans Lous Plazers, l'homme « avant la loi », ne possède aucune bonté inhérente à sa nature
profonde. Au contraire, il ne peut discerner ni le bien ni le mal, ni obéir à la loi de Dieu qu'il
ignore. C'est donc cette loi qui entend organiser le monde et établir sur terre un juste respect de
la personne humaine. Cette conception, teintée d'un égocentrisme chrétien, efface toute
l'Antiquité païenne et les philosophies qui s'y rattachent.
v. 191-192 : Nous ne pensons pas que ces vers constituent une allusion à l'épisode du « veau
d'or ». Ruffi ne fait pas mystère de ses sources religieuses qui sont facilement identifiables et
somme toute communes à l'ensemble des écrivains de sa génération. Il est probable qu'une telle
allusion aurait été beaucoup plus directe.
Les cupidités « lubriques » sont certainement une référence à une autre organisation familiale
ainsi que d'autres pratiques sexuelles : inceste, adultère, polygamie… spécifiquement interdites
par la morale chrétienne. Le fait qu'elles soient considérées comme « juridiques », c'est-à-dire
entérinées par l'organisation sociale, fixe les cadres d'une antériorité historique, celle d'une
société qui existait avant la loi chrétienne. En cela, ces hommes ne peuvent être condamnés
�comme des pécheurs qui enfreignent volontairement les commandements divins (ce que
précisent les vers 193-194).
v. 195 : Ruffi a écrit dans un autre poème crim (II, [46]) sans e de soutien.
Nous voyons dans « idolatries », chez les Hébreux et les autres peuples de l'Antiquité, une
allusion aux religions polythéistes et au rites hébraïques qui ne correspondent pas aux pratiques
chrétiennes.
v. 197 : gentious désigne ici les peuples païens de l'Antiquité.
Charron, dans le livre II des Trois Veritez, disserte sur la première religion qu'il nomme La
Gentile (Les Trois Veritez, op. cit., p. 100-101).
v. 199 : catiou est ici au masculin, se rapportant pourtant à vido, comme au vers précédent avec
gens. Certains adjectifs possèdent une seule forme pour les deux genres, formes courantes
�comme « grand » (cf. Ronjat, Grammaire…, op. cit., tome 3, p. 27). Le cas de catiou semble
plus complexe. La sens de ce mot évolue de l'étymon captivus, prisonnier, à celui de misérable
et de méchant comme dans cet emploi, sens semblable à celui de l'italien cattivo. Il existait en
ancien occitan une forme neutre des adjectifs se déclinant comme le cas régime singulier.
Cependant catiou ne nous paraît pas relever de cet emploi. Il est possible que la permanence
d'une seule forme pour les deux genres de catiou soit construite en analogie avec « grand » ou
encore « jove » et autres adjectifs épicènes qui n'avaient qu'une seule forme pour les deux
genres en latin et en ancien occitan.
v. 207-208 : C'est Jacob qui emmène sa famille en Egypte, soit en tout soixante-six personnes
sans compter les femmes de ses fils (Genèse, 46).
v. 213-214 : Allusion aux famines successives et aux provisions de blé constituées par les fils de
Jacob et les frères de Joseph (Genèse, 42 et 43).
v. 213 : trapis cf. « trepé » que Mistral donne également pour « terre piétinée » (cf. Mistral, Lou
Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 1041).
v. 214 : acomplis, dans le sens de « parfaits », corroborant ici l'idée que l'homme possède un
destin se nouant à la perfection, pourvu qu'il sache emprunter le bon chemin.
v. 215 : orduro, que nous traduisons par « saleté », indique tout ce qui est bas et souillé par la
mauvaise action des hommes.
v. 218 : l'endoctrina ne peut, dans ce contexte, s'expliquer comme un participe passé. Nous y
voyons pour notre part un francisme pour le passé simple « endoctrinèt ».
Nous pouvons cependant nous demander si ce mot ne qualifie pas Moïse dans la sé quence
« Moïse l'endoctriné ». La traduction serait alors : « À Moïse l'endoctriné parlant tout à fait ».
v. 219-222 : C'est sur le Sinaï que Moïse reçut les dix commandements. Auparavant, les
Hébreux avaient reçu défense de s'approcher de la montagne : « Tu fixeras au peuple des limites
tout à l'entour, et tu diras : Gardez-vous de monter sur la montagne, ou d'en toucher le bord.
Quiconque touchera la montagne sera puni de mort. On ne mettra pas la main sur lui, mais on le
lapidera, ou on le percera de flèches : animal ou homme, il ne vivra point. » (Exode, 19).
v. 223-232 : Dieu a rappelé à Moïse, au sommet du Sinaï, ce qu'il fit pour les Hébreux : « Vous
avez vu ce que j'ai fait à l'Egypte, et comment je vous ai portés sur des ailes d'aigle et amenés
vers moi. Maintenant, si vous écoutez ma voix, et si vous gardez mon alliance, vous
m'appartiendrez entre tous les peuples, car toute la terre est à moi; vous serez pour moi un
royaume de sacrificateurs et une nation sainte. » (Exode, 19). Ruffi rappelle donc l'alliance de
Dieu et des Hébreux.
v. 235 : mandat ne désigne pas ici Moïse, mais les commandements qu'il a reçus. Nous
traduisons littéralement en nous référant au sens premier de ce mot.
v. 238 : Remarquons ici une synérèse issue de ia médiéval résolue en [jɔ], minoritaire chez
Ruffi. Ce phénomène n'est pas rare en Provence à cette époque (cf. Les Chansons du
Carrateyron, op. cit., p. 21-24 : « Maudit sio tant de ratun » où, contrairement à la transcription,
sia figure dans la première strophe et sio dans les strophes suivantes. On trouve également cette
forme dans les poèmes de la Paraphrase des pseaumes de la penitence restée manuscrite
(bibliothèque inguimbertine de Carpentras, ms 19), texte de la fin du XVI e siècle ou du début
du XVIIe.).
v. 239 : esmervilhable que nous traduisons par « émerveillé » pour ne pas alourdir le texte
français, tout en nous référant à l'explication donnée au v. 139.
v. 244 : Le dénombrement de l'assemblée des Hébreux dans le désert donne effectivement le
nombre de six cent trois mille cinq cent cinquante hommes (Nombres, 1).
v. 246 : Nous inversons en français les qualificatifs du texte occitan. Nous préférons
« écarquillés » pour « yeux » et « ouvertes » pour « oreilles » afin de rendre l'attention des
fidèles.
v. 255-256 : Ruffi évoque l'irréalité physique de Dieu que les hommes ont pourtant souvent
représentée sous la forme d'un être humain.
�v. 257 : Ruffi a écrit dvisable ou duisable ce qui est incompréhensible. Il s'agit peut-être de
« divisable », mais dans ce cas cet adjectif n'est pas accordé avec grandour et il compterait pour
trois syllabes ce qui fausserait le vers. Pourtant, nous ne voyons pas qu'elle a été l'intention de
Ruffi, si ce n'est de conformer son texte à la versification (pieds et rimes en -able).
La grandeur divisible de Dieu serait celle qui lui permettrait de prendre voix humaine. Nous
avons traduit par « divisible ». Cette nature divine est un rappel des premiers écrits de la
Genèse. Dieu est divisible comme il divise la lumière et les ténèbres, le ciel et la terre.
v. 267 : Nous traduisons gent par « peuple » reprenant la terminologie généralement adoptée de
« peuple élu ».
v. 267-270 : Nous ne pouvons pas soupçonner Ruffi d'un quelconque crypto-judaïsme. La
référence au « peuple élu » se situe dans le passé que l'imparfait du verbe être au vers 267
souligne. Les Hébreux assemblés au Sinaï constituent un « peuple élu », ce que leurs
descendants ne sont peut-être plus. N'oublions pas que Moïse et les Hébreux obéissent à la loi
de Dieu, mais que quelques années plus tard les Juifs n'ont pas reconnu la nature messianique de
Jésus.
v. 270 : populassos que nous traduisons par « populations ». « Populace » revêt en français un
sens nettement péjoratif.
v. 271-282 : Il s'agit ici d'une évocation du rôle du désert dans les religions monothéistes du
Proche-Orient. Sans évoquer complètement ce sujet qui demanderait de plus amples
développements, remarquons que la distinction opérée par Ruffi n'est pas dénuée d'une certaine
vérité, aussi bien pour l'Ancien que pour le Nouveau Testament.
v. 282 : Le s du pluriel prononcé dans humbles empêche la synalèphe.
v. 283 : Pour questo cf. v. 183.
v. 285 : Ruffi a écrit non fon ce qui est obscur. Ce sont bien les dix commandements qui ont été
donnés dans le but de les observer. La négation est incompréhensible. Ruffi a peut-être voulu
écrire « n'en » au lieu de non, ce qui se comprendrait mieux. Nous restituons n'en. Étant donné
l'incertitude du texte, nous donnons une traduction plus proche de l'idée générale.
v. 285-288 : Les Hébreux constituent le « peuple élu », mais la loi s'applique à tous ; tel est le
message du Christ, message que justement les Israélites refusent. Ruffi souligne ici la catholicité
et l'universalité de la parole de Jésus.
v. 293 : historis pour « histoires » qui désigne à la Renaissance toutes les chroniques
historiques.
v. 302 : veant compte pour une syllabe.
v. 302-316 : Remarquons le glissement du discours historique à la relation individualisée entre
l'homme et Dieu. Ruffi termine son poème comme il l'a commencé : sur une adresse directe au
créateur. Stylistiquement, cette adresse utilise l'apostrophe et l'invocation ; la relation duelle
ainsi installée referme le texte.
v. 304 : L'abréviation devrait compter pour une seule syllabe.
v. 309 : gracious compte pour trois syllabes.
v. 316 : mandats ici dans le sens de « ordres ».
�VII
LES CONTRADICTIONS D'AMOUR
L'ensemble des quatorze sonnets que Ruffi intitule lui-même Contradictions
d'Amour est certainement l'œuvre la plus complexe et la plus élaborée qu'il nous soit
donné à lire dans ce manuscrit. Très tôt, ces sonnets retiennent l'attention des éditeurs et
des spécialistes du XVIe siècle provençal, d'Octave Teissier bien sûr, à René Nelli et
Robert Lafont qui en proposent une édition partielle. 1 Ruffi est là un poète accompli,
rivalisant avec les meilleurs sonnettistes occitans, provençaux ou gascons, bien plus
d'ailleurs par les thèmes abordés et sa culture littéraire que par l'art du sonnet qui reste
toujours quelque peu incertain, empêché par une rhétorique figée et une langue de loin
trop retenue.
Quelle place prennent ces Contradictions dans l'ensemble du manuscrit ?
Relevant d'un quatrième grand ensemble proposé à la lecture, après Lous Plazers, les
Quatrains et L'Amour de Diou, ces sonnets pourraient figurer comme une exception
dans une œuvre qui est tout entière tournée vers un effort religieux et politique. Ruffi est
cependant un humaniste conséquent ; il ne peut éviter la portée philosophique des
discussions sur la nature de l'Amour et passer sous silence une poésie qui se nourrit de
1 Voir à ce sujet notre bibliographie à la suite de l'introduction générale.
�topoï et de thèmes récurrents, cette lyrique amoureuse qui trouve en Provence des
illustrateurs talentueux, que ce soit en occitan ou en français. Les Contradictions font
donc partie d'un projet plus global consistant à poser les questions fondamentales qui
animent la discussion littéraire depuis les débuts de la Renaissance.
La première lecture des Contradictions fait apparaître une utilisation abondante
des clichés de la lyrique amoureuse ; Éros en constitue la figure exemplaire, dieu
d'Amour avec tous ses attributs : arc, flèches, blessures… Il est cependant évident que
cette utilisation est en fait un discours sur ces topoï, sur leur emploi et leur vérité
littéraire et spirituelle. En ce sens, les Contradictions se construisent suivant un schéma
bien simple : décrire la nature d'Amour en la mettant en perspective antithétique, la
�discuter pour arriver à un point final où la fonction et l'essence de cette nature
s'élaborent dans l'harmonie intériorisée de ces contraires. Au-delà d'un point de vue
littéraire considérant seulement les formes, les métaphores et les styles, ces quatorze
sonnets entendent poser un problème philosophique qui est débattu depuis
l'établissement de la pensée platonicienne : celui de la Nature profonde de l'Amour et du
mouvement qui l'anime. C'est le point central de toute une tradition philosophique
grecque, orientale et occidentale, et c'est aussi, ne l'oublions pas, la mise en perspective
littéraire majeure du Trobar. Il n'est donc pas étonnant que les Contradictions
reprennent ces topoï en les discutant un par un : Éros lui-même en tant que Dieu et
�« enfant ailé », puis les thématiques des yeux et du cœur si riches poétiquement aux
XVIe et XVIIe siècles.
Ces sonnets sont donc au nombre de quatorze. Notons à ce propos que le premier
de ces poèmes est incomplet ; le dernier vers est manquant ce qui nous permet de nous
interroger sur l'état de la copie que nous avons sous les yeux. Ce vers manquant ne
signifie pas un manque d'intérêt pour des textes qui sont d'ailleurs peu raturés,
certainement recopiés sur ce manuscrit à partir d'une version antérieure. Faut-il donc
penser à un oubli de Ruffi ou à une mise à l'écart en attendant une relecture future qui
n'a jamais eu lieu ? N'oublions pas non plus qu'entre L'Amour de Diou et les
Contradictions nous trouvons sept folii vides (du 30 r° au 37 v°) qui prouvent un
bouleversement du manuscrit tel que Ruffi avait dû l'élaborer. Néanmoins, ces quatorze
poèmes paraissent être nettement structurés suivant un ordre contradictoire voulu par
Robert Ruffi. Les thèmes proposés s'enchaînent ainsi :
sonnet [1] : pièce introductive qui annonce le propos et chante l'Amour,
sonnet [2] : évocation de la puissance d'Éros,
sonnet [3] : Amour ne peut être un dieu,
sonnet [4] : Amour est un dieu,
sonnet [5] : Amour y voit clair et établit sa puissance sur les hommes,
sonnet [6] : Amour ne peut être un oiseau,
sonnet [7] : Amour est un oiseau, dieu ailé,
sonnet [8] : Amour n'est pas un petit enfant,
sonnet [9] : Amour est au contraire un petit enfant,
sonnet [10] : Amour est dans le cœur des hommes,
sonnet [11] : Amour tire son origine des yeux,
sonnet [12] : Amour ne provient pas des yeux mais du cœur,
sonnet [13] : Amour provient à la fois des yeux et du cœur,
sonnet [14] : Amour est contradiction fondamentale.
Nous voyons que les paires opérantes sont ici [3]-[4], [6]-[7], [8]-[9] et [11]-[12]. [1]
est en position introductive, pré/texte justificatif. [2], [5] et [10] servent de lien entre les
parties. [13] établit une synthèse entre [11] et [12] qui annonce la contradiction fondamentale qui sert de conclusion : [14]. 2 Deux sonnets en guise d'introduction, une paire
contradictoire, un sonnet de liaison, deux paires contradictoires, un autre sonnet de
liaison, une dernière paire contradictoire, un sonnet de synthèse et une conclusion qui
établit la contradiction fondamentale. Cette chaîne de sonnets poursuit un mouvement
ascensionnel menant à un but philosophique et poétique précis, une convergence qui
conduit à une essence découverte et contradictoire. Mettant en parallèle ces poèmes
selon des niveaux différents, nous pouvons hiérarchiser ces constructions en étapes
successives : dans un premier niveau le sonnet introductif et dans un second les poèmes
de transition, un troisième est constitué par les paires contradictoires, un quatrième par
la synthèse des contradictions et le dernier, ultime, par l'établissement définitif de la
nature contradictoire. La chaîne de sonnets conduit vers ce point ultime par étapes bien
mesurées :
[14]
[13]
[3]-[4]
[6]-[7] [8]-[9]
[11]-[12]
2 Ces sonnets ne sont pas numérotés dans le manuscrit. Ils figurent deux par deux sur le même folio sans que
l'écriture soit en rapport avec la contradiction des thèmes.
�[2]
[5]
[10]
[1]
Nous pouvons donc examiner cet ensemble comme une construction cohérente :
elle assemble ces parties et les mène après une transition vers une finalité philosophique
qui les englobe. Il s'agit d'une figure élaborée, toute rhétorique dans le sens constructif
que l'on donne à ce mot, désignant le discours et les formes du discours. Il n'est donc
pas étonnant que cet ensemble soit constitué de sonnets ; la phrase poétique est ici close
dans une séquence qui la détermine et la guide dans le cadre fixe de la forme, déroulant
son ruban de mots pour mener le mouvement de la lecture à un point voisin de son
départ, proche, mais en aucune façon semblable. La chaîne repart alors dans sa
trajectoire ascensionnelle, balancier de mots et d'images.
La régularité de la versification dans l'ordre des rimes des tercets (ccd-eed sauf deux
exceptions ccd-ede) assure le retour des mots sans aucune fantaisie stylistique. Le
sonnet est utilisé comme un cadre régulatoire qui détermine le mouvement des thèses et
des antithèses.
Ruffi intervient directement dans le contenu des propositions amoureuses. Six
sonnets révèlent l'emploi de la première personne ([5], [7], [9], [11], [12], [13]). Une
analyse plus détaillée des thèmes confirme le mouvement ascensionnel dont nous
parlions. Ruffi reprend à son compte un sonnet de transition, deux sonnets de deux
paires contradictoires, les deux sonnets de la dernière contradiction ainsi que le sonnet
de synthèse. Nous pouvons ainsi dessiner un « portrait-type » de Cupidon tel que Ruffi
le revendique : un Amour puissant, qui y voit clair, qui provient à la fois des yeux et du
cœur et prend la forme d'un petit enfant ailé. Ruffi accepte pleinement le topos
amoureux, se conforme aux images littéraires et artistiques de son époque. Notons
également que le lexique concernant les yeux est empreint d'un certain réalisme ; les
termes lagagno et lagagnous changent le registre de la lyrique et ramènent le texte vers
des préoccupations purement physiques.
La discussion philosophique sur la nature de l'Amour est présente dans la
philosophie de l'Antiquité chez Platon, essentiellement dans Le Banquet. Nous savons
quelle fut la destinée du texte platonicien et sa redécouverte d'abord par les humanistes
italiens, puis par l'ensemble des philosophes et poètes de la Renaissance. La philosophie
croise ici la littérature et la poésie ; étroitement mêlés ces trois arts entendent à leur
manière disserter et illustrer l'Amour, examiner l'héritage de l'Antiquité et renouveler
ses propositions. L'importance des écoles néo-platoniciennes italiennes n'est pas ici à
démontrer. Mais au-delà du néo-platonisme, nous pouvons affirmer que le
questionnement grec parcourt toute la pensée occidentale et même arabe si l'on
considère l'influence de cette philosophie sur les théories de Ahmad Ghazâlî et son
Kitâb al-Zohra (le Livre de Vénus) ou celles de l'Andalou Ibn Hazm qui sont peut-être,
�selon la théorie aujourd'hui très discutée de Nykl, à l'origine du Trobar. Quoi qu'il en
soit, le Moyen Age et la Renaissance sont imprégnés de théorie platonicienne, éditent
Platon et discutent ses arguments, reprenant l'essentiel d'une philosophie.
Ce chemin philosophique mène directement aux écoles néo-platoniciennes de la
Renaissance italienne; c'est en effet en Italie que l'essentiel des études platoniciennes est
mené. Marsile Ficin publie en 1484 son commentaire des œuvres de Platon. 3 Nombreux
sont alors les traités sur l'amour qui font référence à Platon : citons les deux plus
importants, le Libro di Natura d'Amore de Mario Equicola publié pour la première fois
en 1525 et les Dialoghi d'Amore de Leone Ebreo publié en 1531. Ces ouvrages viennent
à point pour théoriser sur la nature de l'amour, faisant parfois référence à la lyrique
troubadouresque, reprenant toujours dans leur argumentation l'essentiel des grandes
idées platoniciennes. Commentant et citant Platon, Ficin et les autres humanistes de la
Renaissance italienne mettent en place une primauté de l'Amour sur les autres
sentiments humains. Sur ce point les humanistes sont en totale conformité avec la
pensée chrétienne qui affirme la primauté de l’Amour, par exemple dans Le Cantique
des Cantiques ou L’Épître aux Corinthiens de Paul (I, 13). L’Amour est un sentiment
3 Il s'agit de Platonis Opera publié à Florence en 1484 et réédité en français à Paris en 1522 puis plus de dix fois
dans le siècle. Ficin avait également publié une Theologia Platonica en 1489 à Florence (publiée en 1506 à Paris).
L'essentiel de la célébrité de Ficin est dû à son Commentaire […] sur le Banquet d'Amour de Platon publié pour la
première fois en français à Poitiers en 1545 puis au Discours de l'honneste Amour sur le Banquet de Platon publié à
Paris en 1578. Le Commentaire a fait l'objet d'une édition moderne : Marsile Ficin, Commentaire sur le Banquet de
Platon, édition de Raymond Marcel, Les Belles Lettres, Paris, 1956. Nous citons d'après cette édition. Sur la
philosophie et la personnalité de Ficin voir : Raymond Marcel, Marsile Ficin (1433-1499), Les Belles Lettres, Paris,
1958.
L'œuvre de Platon fut de nombreuse fois éditée à la Renaissance. Nous citons d'après une édition moderne :
Platon, Oeuvres complètes, 2 vol., « la Pléiade », Gallimard, Paris, 1950.
�indispensable qui surpasse tous les autres. Néanmoins la tradition chrétienne établit une
différence entre l’Amour et le sentiment amoureux, érotique et sexuel, relayée par la
différenciation lexicale grecque entre « Éros » et « Agapê » inconnue en occitan.
L'Amour n'est pas seulement une rencontre humaine, il est aussi mouvement,
moteur d'une humanité. Dante avait situé auprès de Dieu et des corps célestes l'amour
comme force et énergie ; le dernier vers de La Divine Comédie précise que c'est « l'amor
que move il sole e l'altre stelle ». Certes, il s'agit ici d'un amour divin, mais nous
pouvons nous demander si l'humaniste du XVIe siècle, à la fois chrétien et nostalgique
de l'Antiquité, n'établit pas une confusion entre l'Amour de Dieu et l'Amour païen.
Marsile Ficin consacre le cinquième discours de son Commentaire à l'Amour comme
�puissance intermédiaire entre Dieu et les hommes. L'Amour est donc une force qui
guide les hommes vers l'harmonie naturelle, qu'elle soit, pour Ficin et les humanistes,
union avec Dieu ou, pour Platon, union avec la beauté et le bonheur. L'Amour est donc
harmonie universelle comme dans le discours d'’Eryximaque qui, développant des
arguments proches de l'allégorie des contraires d'Héraclite (le monde est composé
d'éléments contraires : froid et chaud, sec et humide…), voit dans la nature une
tendance vers cette harmonie. C'est cette contradiction fondamentale qui est l'Essence
de la Nature et c'est dans sa description et sa dénomination que le monde se découvre.
Ruffi connaît les textes bibliques, les œuvres de Platon et certainement le
Commentaire de Ficin. Nous retrouvons chez les arguments du poète marseillais des
jugements empruntés à Ficin sur la grandeur de l'Amour : « En résumé, nous
reconnaissons sans contexte que l'Amour est un dieu grand, admirable »,4 mais
également sur sa puissance : « En tout par conséquent l'Amour accompagne le chaos,
précède le monde, éveille ce qui dort, illumine ce qui est obscur, ressuscite ce qui est
mort, forme ce qui est informe et perfectionne ce qui est imparfait. »5 Ruffi se situe dans
la lignée de ses prédécesseurs italiens. Pour lui, l'Amour est contradiction ; on peut
discourir sur sa nature, donner divers arguments, il est en tout, à la fois dieu et homme,
oiseau et enfant, petit et grand et, thème littéraire par excellence, ce sont les yeux et le
cœur qui sont sa résidence. Il existe donc une contradiction fondamentale qui est
exprimée dans le dernier sonnet, archétype des procédés antithétiques. L'établissement
de cette contradiction produit une harmonie basée sur ces contraires. Néanmoins, le
message de Ruffi se clôt sur la mort. Il semble ici que son pessimisme soit plus fort que
l'éclat de la lumière qui guide Dante au Paradis. Ruffi ne trouve pas Dieu en l'Amour,
seulement les hommes, ne rencontre pas l'éternité, mais la douleur et la mort.
La route littéraire est balisée par Pétrarque. L'humaniste florentin est un grand
lecteur de Platon et tout son Canzoniere est d'inspiration platonicienne ; on peut penser
que d'une certaine manière néo-pétrarquisme et néo-platonisme se rejoignent dans la
théorie amoureuse. En France, l'œuvre de Maurice Scève témoigne d'une philosophie
d'inspiration néo-platonicienne et subit l'influence des thématiques pétrarquisantes (la
dévotion de Scève ira jusqu'à rechercher le tombeau de Laure en Avignon). L'influence
du poète italien et de ses successeurs est indéniable : on ne peut comprendre la poésie de
la Renaissance si l'on ne se réfère pas à Pétrarque et aux poètes pétrarquisants.6
La poésie utilise cependant des formes et des thématiques particulières. Les
principaux topoï de la lyrique amoureuse trouvent leur origine dans l'Antiquité : arc,
flèches, blessures, yeux et cœurs transpercés ne sont pas inventés à la Renaissance. Le
Moyen Age, avec Le Roman de la Rose, témoigne également de la permanence de ces
images ; au moment de cueillir la rose, le poète est touché par une flèche : « Et trait a
moi par tel devise — Que parmi l'œl m'a au cors mise — La saiete par grant roidor ».
Toute la poésie amoureuse des XVIe et XVIIe siècles utilise ces Cupidons joufflus,
tantôt assassins, tantôt doux amoureux, ailés et décochant leurs flèches au gré de leurs
fantaisies. Les thèmes amoureux sont donc le plus souvent tributaires d'une mythologie
abusive qui met en scène l'Amour suivant des procédés connus et bien utilisés.7 Rien de
4 Marsile Ficin, Commentaire…, op. cit., p. 144.
5 Ibid. p. 141.
6 Sur ce point voir l'ouvrage ancien mais toujours utile de Joseph Vianey, Le Pétrarquisme en France au XVIe
siècle, Coulet, Montpellier, 1909.
7 Nous sommes redevable pour cette analyse à deux ouvrages essentiels : Claude-Gilbert Dubois, Le Maniérisme,
PUF, Paris, 1979 et Gisèle Mathieu-Castellani, Les Thèmes amoureux dans la poésie française 1570-1600,
Klincksieck, Paris, 1975.
�bien étonnant alors que les yeux et le cœur, dépassant de loin les blasons du début du
siècle, deviennent des emblèmes significatifs des intensités amoureuses, à la dimension
de l'univers, des « yeux planètes » selon l'expression de Gisèle Mathieu-Castellani.8
L'Amour est alors la principale force poétique qui anime l'écriture, un Amour érigé en
vertu, harmonie suprême : « L'amour est alors principe de vertu; de même que, au sein
d'un monde inorganisé, chaotique, discordant, l'amour a apporté l'ordre, l'harmonie,
l'accord des parties […] »9
Ruffi se rattache donc à cette antériorité littéraire : les poètes de la Pléiade bien
sûr, Ronsard dont l'ode xxviii, dialogue des yeux et du cœur, est d'une influence
capitale, mais aussi Philippe Desportes chez qui l'alliance des contraires semble être
poétisée : « Comme au chaos tout se mesloit ensemble, — Ainsi cet œil cent contraires
assemble — Dans le chaos de mon entendement. »10 Nous trouvons également chez les
Soupirs d'Olivier de Magny quelques sonnets de la même inspiration dont un, démarqué
de Pamphilo Sasso et de Girolamo Britonio, consiste en une série de questions sur la
nature de l'amour. Les procédés oxymoriques de Ruffi ne sont que des reprises. Parmi
ceux-ci, le sonnet antithétique est utilisé depuis Pétrarque et son célèbre « Amor mi
sprona », procédé repris par Ronsard dans Les Amours.11 Ruffi n'invente rien, il reprend
et amplifie des phénomènes poétiques, les intégrant à un discours qui se veut
conciliateur et quelque peu ultime. En ce sens, les Contradictions apparaissent être un
ensemble « en bout de ligne », venant après bien d'autres, mais son originalité se situe
au cœur de la synthèse clairement affirmée. Le propos de Ruffi n'est pas de parler
d'amour, d'exprimer ses sentiments, mais bien de dire Amour, de le décrire, de le cerner,
d'en dessiner les contours poétiques et mythologiques. À ce titre, son entreprise est
originale ; elle ne s'élabore pas à partir d'une fracture personnelle, elle semble se
construire sur une opération intellectuelle et mentale dénuée de toute réalité. Il s'agit
bien d'un discours poétique qui dévoile ses arguments un par un. Cette distance par
rapport au texte et à son objet est originale dans la littérature occitane qui se construit la
plupart du temps sur des représentations vécues, à partir de réalités fortement
perceptibles. Les Contradictions échappent à cet état de fait et se situent dans le
domaine des pures abstractions. Il est cependant évident que nous trouvons chez Louis
Bellaud de la Bellaudière, Pierre Paul et Michel Tronc les mêmes topoï amoureux, mais
ils sont ici empruntés au fonds commun littéraire qui détermine leur poétique. Ruffi
apparaît dans un autre lieu, même si la langue des Contradictions est quelque peu
8 Gisèle Mathieu-Castellani, Les Thèmes…, op. cit., p. 87-92.
9 Ibid. p. 103.
10 Elégie lxiv, cité in Ibid. p. 242.
11 « Amor mi sprona in un tempo et affrena, — assecura et spaventa, arde et agghiaccia, — gradisce et sdegna, a sé
mi chiama et scaccia, — or mi tene in speranza et or in pena. […] » (Pétrarque, Canzoniere. Le Chansonnier, édition
bilingue de Pierre Blanc, Garnier, Paris, 1988). « J'espere & crains, je me tais & supplie, — Or je suis glace, & ores
un feu chault, — J'admire tout, & de rien ne me chault, — Je me delace, & puis je me relie. […) » (Pierre de Ronsard,
Ouvres complètes IV. Les Amours (1552), édition de Paul Laumonier et Raymond Lebègue; Nizet, Paris, 1982).
�semblable à celle utilisée par ses contemporains. Le poète marseillais est le seul à
affirmer hautement cette contradiction fondamentale que les autres poètes provençaux
ressentent, mais ne définissent pas. Elle apparaît en filigrane chez Bellaud, sous des
aspects badins et humoristiques : rappelons-nous le célèbre « Coumo lard en sartan s'y
fond mon couraçon » à propos d'un amour déçu.12 Cependant, le non-dit sur lequel se
fonde une grande partie de l'œuvre bellaudine n'est pas fait pour éclairer les thèmes et
exprimer les difficultés amoureuses autrement que par l'ironie et l'humour. La
contradiction fondamentale existe, elle est même au cœur des circonvolutions
maniéristes de l'œuvre du poète grassois. Ruffi écrit dans le camp découvert des
discours poétiques. Il tente d'œuvrer dans la clarté de la démonstration, mais il démontre
lui aussi les errements de cette fracture inhérente à l'amour et à la société « baroque »,
celle qui touche, selon les mots d'Yves Bonnefoy, à la grâce : « En lui [le baroque] les
deux contraires, sans se renier, ont consenti l'un à l'autre, dans un repos à la fois joyeux
et désespéré, que l'on peut dire une grâce. »13
Alexandrins et rimes des tercets ccd-eed (sauf [6] et [14] ccd-ede)
12 Obros en Rimos…, op. cit., p. 108-109 (sonnet cxxxvii des Passatens).
13 Yves Bonnefoy, « La Seconde Simplicité », L'Arc. Cahiers méditerranéens, « Baroque », Aix-en-Provence, rééd.
Duponchelle, Paris, 1990.
�[fo 38 r°]
�CONTRADICTIONS D'AMOUR
[1]
4
Yeou voli a tout jamay, sensso m'estre fachous,
Rezonar e cantar e recantar encaro
L'Amour que m'a acourat e ten palli ma caro,
E qu'en thedi mi fa glatir venos e pous.
8
Aqueou fiou de Cipris que douno gauch e plours,
Lou recaliou d'amour que lou jouvent emmaro,
E lou ponchon sutiou que sensso dire garo
M'a nafrat dins lou piez e mi ten doloirous.
11
D'Amour voli cantar las troussos e las flechos,
Sous frejolis glassons, son fueq d'ardors e mechos,
Sous jangoulans senglous, sas lagremos e plours,
Sous fende cor, souspirs e sas plagos mortalos,
Sous tragiques regrez, son arq, bendeou e alos,
[…278
[2]
4
Amour sur tous lous dious es tengut lo premier,
Sur los emperadous e reys quand vou279 si plasso,
Eou destrus quand li plas e la mort palli amasso,
Eou bate tout lo monde e lo ceou e l'enfer.
8
Amour jouves e viels coumo brave nauchier
Embarco doussoment de touto gent e rasso,
Embe gauch e souspirs li fa tenir grimasso,
Escaufant lous plus frechs sensso ges d'empachier.
11
Amour jouve pitot caufo la gent antiquo,
Das laches perevous lo cor surgis e piquo
Sas flamos coumo vou a cadun fa sentir,
14
Touto sorto de gent, tant savens que novicis,
Tous senton pauc ou pron sous coyens exercicis,
Amour donq es un diou que fa tout retentir.
278 Le dernier vers de ce sonnet est manquant.
279 PV : e nobles eou biffé, quand vou rajouté au-dessus.
�[fo 38 v°]
[3]
4
Amour non es ren diou puy qu'es tant envejous
Contro de touto gens, car un diou qu'es propici,
Amo touto vertut coumo exempt de tout vici,
E meno per rezon ce que vou contro tous.
8
Car si l'Amour sortie dau calibre das dious,
Touto causo d'honour aurie per exercici,
May puy qu'en tout son gest non mostro que malici,
Es plus leou un diablon vo singe vicious.
11
14
Vezent que per tout lueq fa faire de querellos,
Fa tombar en pecat las armos las plus bellos,
El es de tout malhur lo veray surgentiou.
Fin qu'a las Muzos fa servir de corratiÉros
Per pauficar l'Amour entre gens las plus fÉros,
Amour donq tan mechant non es jamay un diou.
[4]
4
Aqueou que dis qu'Amour non es diou subeiran,
Non sap ce que si dis, fazent as dious injuro
E mostro que ignorant non conois sa naturo
D'estre fort gracious, courtes, doux e human.
8
Jamay as amourous non portant mau ny dan,
Per so qu'entre los dious a pres sa norrituro,
Aussi non pot jamay estre tacat d'orduro
Puy qu'a la deitat coumo vou a sa man.
11
E qu'Amour siege un diou, lou ceou va determino,
Car qui a ben legit e vist son origino,
Dau diou Mars trobara qu'es agut engendrat
E de Cipris tanben, aquello gran deesso,
�14
Per tant fau confessar se la cauvo es ben presso,
Qu'el es un veray diou embe gran potestat.
[fo 39 r°]
[5]
4
Aqueou que pegne Amour gran monarco das dious
Embe un negre bendeou davant sa visto claro,
Avie de neblo as huels, plens de lagagno e taro,
Que veire non poguet sous huels tan clars e vious.
8
Car quand m'anet blessar, eou lous ubrie toy dous
E may sensso bendeou li vegueri la caro,
Mi toucant drech au cor d'uno sieu flecho amaro,
Doun yeou280 cresi que anssin fort drech amiro a tous.
11
Donquos si aquest archier avie sur las parpelos
Un veou cubrent son vist e sas fassons tan bellos,
Jamay eou non sabrie tan drech au cor guinchar,
14
May vezent que toujour, sens prendre ges d'amiro,
E sens mancar d'un brin en un mesme lueq tiro,
Amour non a bendeou e li ves haut e281 clar.
[6]
280 yeu biffé, yeou rajouté au-dessus.
281 e biffé puis rajouté au-dessus.
�4
Aqueou que dis qu'Amour es gentil damoizeou,
Qu'es un enfant alat, demente sa naturo,
Car un diou que nous semblo e a mesme figuro,
Siege un home vo diou non pot pas estre ausseou,
8
Car quouro va volant es conegut ben leou,
May coumo tous los dious soun poissans de naturo,
Podon anar per l'ayre e sur la terro duro
Perque un diou tout celest ven pouderous dau ceou.
�11
Non fau pas donq pintar l'enfant embe las alos,
Car d'aqui non pren pas sas forssos naturalos,
Coumo dire a vogut quauque jouve282 soutas,
14
Que se aquest pitoton portavo de plumagis,
A fe tan leou pourrie semblar un cropatas
Vo ben un mariton novici de lengagi.
[fo 39 v°]
[7]
4
Non, non, yeou diq qu'Amour cadun que vou enrollo,
& feris touto gent fin qu'a hostes volans,
Mesme das animaus au monde rodelans,
Fau que sie emplumat puy que per l'er s'envolo,283
8
Car eou rodo per tout, coumo uno cauvo follo,
Per l'ayre fa encagna los ausseous bequejans
L'un l'autre, amorejant, au vol si recercant,
E quan li plas es leou a la celesto escolo.
11
Donq per bono rezon pinton lou diou d'Amour
D'estre anssin tos284 alat, volatejant toujour,
E quu dis que non pot estent diou aver plumo,
14
Non se sau que l'Amour poissant a desplumat
Uno aiglo e un pavon e s'en es ben armas
Per volar haut e bas segon la sieu costumo.
[8]
4
Es folie d'allegar que l'Amour sie pichon,
Coumo s'ero sortit d'uno rasso naneto,
Car pauc de cas farie de la siou personeto,
Autant vaudrie que fousso un pichot mirmidon.
Non,285 car el es poissant, grand e7 plen de renom,
Eou nafro los plus forts, li maco la carneto,
Lous dounto, espalofis coumo uno galineto,
282 paure biffé, jouve rajouté au-dessus.
283 en terro [… biffé, s'en volo rajouté au-dessus.
284 Rajouté au-dessus.
285 no biffé après Non.
�8
El es un Hercules e grand diou Cupidon.
11
Tanben quu dis qu'Amour es jouve e fort volagi,
N'en mente, car un diou fau que siege plen d'eagi,
D'un cerveou ben rassis e de sens ben madur,
14
Car la testo das dious embugas de vilhesso
Es pleno de grand sens et de hauto sagesso :
L'Amour dons es antiq, grand, poissant per segur.
[fo 40 r°]
[9]
4
Quant a mi diou qu'Amour es encaro un enfant,
Un garsson jouvenet que non a conoissensso
D'offensar touto gent fin qu'as dious d'excellensso,
Lous pougnent enfre cor de son286 dart penetrant.
8
Car d'un sagi n'en fa un triste fol amant,
Coumo sens jujament e sensso experiensso,
Un veray folineou, orfelin de prudensso,
Enfin es un enfant que va tout borrascant.
11
E puy qu'el es287 anssin d'aquel eagi tan tendre,
L'on pourrie contro d'eou si gardar e deffendre
Quand desparro son tret a l'encontro de tous,
14
Per tant coumo garsson el es sensso finesso,
Non sabent ce que fa per aquello joynesso,
Tanben es ignorant dau mau das amourous.
[10]
4
Amour es dins lo cor coumo un ausseou en gabi,
Fa sautar l'esperit d'uno estrangi furour,
Es un vent de souspirs, de tragiquo dolour,
Un gros caffi de plours, uno cauvo d'enrabi.
8
Das redoublas senglous n'en fa usuro e rabi,
Fa devenir l'amant embe palli colour,
Dins lou cor engabiat s'es frech douno calour,
Amour rastis lo cor e fa lo cerveu babi,
D'ideos li metent e proun de faux semblant,
286 de son écrit deux fois. Le deuxième est biffé.
287 PV : Qu'el si non ero, tout est biffé sauf qu'el. E puy rajouté dans la marge en début de vers et es rajouté audessus.
�11
Esberlugant lo sens de tout pauret amant,
En Amour ben souvent en querelos si paisse,
14
De furi e de folie garnis l'entendement,
E souvent fa fougnar per may d'encagnament,
Amour per un plaser millo dolours fa naisse.
[fo 40 v°]
[11]
4
Puys que das hueils l'on dis qu'Amour pren l'origino,
E mous huels lagagnous mi tenent288 coumo en plours,
M'empachon fort d'Amour recebre las vapours,
Sentent toujour coular d'aigo dins ma peitrino.
8
O poderous Amour qu'as huels dounes racino,
Fay tarir de mous huels sas christalos289 humours,
Per tout gay m'encourar las doussetos amours,
Et mi faire sentir l'amourouso plouvino.
11
Car das huels claroment l'Amour sentriou venir,
E non si pot sens veire en Amour devenir,
Ny ges de fremo amar se non l'ay alucado,
14
Perque l'uel lou premier d'Amour es l'agulhon,
E non si pot amar que valho un dardalhon,
Que non vegues premier si la pesso v'agrado.
[12]
4
Yeou manteni qu'as huels non s'engendro l'Amour,
Ny pren son fondament jamay d'uno veirino,
May ben dau cor senssible aqueou es que domino,
E pot amar sens huels car es das huels segnour.
8
Dau cor ven lou senglout, lou souspir, nuech e jour,
Dau cor ven rire e gauch, sarras dins la peitrino,
E lou cor mando as huels l'ardour290 de son eyzino,
Donquos non ven das huels may dau cor ven l'Amour.
Aussi Jaufret Rudel, grand poeto de Provensso,
288 tapas e biffé, mi tenent rajouté au-dessus.
289 crist biffé, christalos écrit à la suite.
290 lardour écrit deux fois. Le premier est biffé.
�11
Uno qu'ero en Levant l'amet en son absensso,
E traversset las mars per veire son subget,
14
Car sens veire eou7 l'amet per son bon renom creire;
Un borni naturau amo de cor sens veire,
Enfin aquest Amour parte dau cor secret.
[fo 41 r°]
[13]
4
Non, yeu diq que l'Amour das huels e cor enssens291
Derivo vertadier et toy dous fan l'offici,
Car los huels messagiers, premiers en exercici,
Comunicon au cor sous regars convenens.
8
E lou cor ressentent das huels lous ingrediens,
Si nafro quant e quant e toutey dous sens vici
Formoun l'Amour parfet d'uno292 harmonie propici,
Trabalhant en commun d'amorous entretiens.
11
E de fet l'huel hulhado a293 mostrar l'amistansso
D'un regard crocareou qu'en Amour proun avansso,
Coumo dau courasson lo veray messagier.
14
Lou cor fa moure l'huel, car en aquo s'agrado
D'estre lou gaviteou de l'Amour encourado,
Si ben qu'entre tous dous rendon l'afaire entier.
[14]
4
Amour borreou dau cor es un mau incurable,
Car fa lous uns amar e lous autres hayr,
L'home que n'es gantat non en pot ben garir,
Si non purgo l'ardour d'un secours amyable.
8
Amour es un grand prince, invincible, imprenable,
Fa lou cor escaufar e souvent afeblir,
Souventos fes l'amant fa vieure aussi morir,
Lou fa feble, puissant, hurous e miserable.
Amour per lou vouler en tout moralisar,
291 PV : e dau cor sares enssens, tout est biffé sauf cor et enssens. das huels e rajouté au-dessus.
292 ar écrit après uno et puis biffé.
293 en biffé, a rajouté au-dessus.
�11
Li donar de lauzour e puy lou mesprezar,
El es bon e mauvay, el es dous, el es aigre,
14
El es triste e alegre, el es sagi e es fou,294
El es jouve e7 vilhard, es295 pichot, grand, gros, maigre,
El es borni e li ves per fa rompre lou cou.
294 fol biffé, fou écrit à la suite.
295 PV : el es g, el et g biffés.
�[1] : Je veux à tout jamais, sans me mécontenter, — Raisonner et chanter et rechanter
encore — L'Amour qui m'a pris au cœur et rend pâle mon visage, — (4) Et qui en
chagrin me fait battre veines et pouls. —— Ce fils de Cypris qui donne joie et pleurs, —
La braise d'Amour qui égare le jeune homme, — Et le subtil aiguillon qui sans crier
gare — (8) M'a blessé dans la poitrine et me rend souffrant. —— D'Amour je veux
chanter le carquois et les flèches, — Ses froids glaçons, son feu ardent et ses mèches, —
(11) Ses sanglots plaintifs, ses larmes et ses pleurs, —— Son cœur blessé, ses soupirs et
ses plaies mortelles, — Ses tragiques regrets, son arc, bandeau et ailes, — […
[2] : Amour est tenu à la première place sur tous les dieux, — Il supplante quand il le
veut les empereurs et les rois, — Il détruit quand il lui plaît et occit la pâle mort, — (4) Il
élimine tout le monde et le ciel et l'enfer. —— Amour jeunes et vieux comme brave
nocher — Embarque doucement toute sorte de gens et de toutes races, — Avec joie et
soupirs il les fait grimacer, — (8) Chauffant les plus froids sans aucun obstacle. ——
Amour jeune enfant chauffe les vieilles gens, — Des lâches paresseux, il soulève et
frappe le cœur — (11) Et fait sentir à chacun comme il veut ses flammes. —— Toute
sorte de gens, aussi bien savants que novices, — Tous ressentent plus ou moins ses
cuisants exercices, — (14) Amour est donc un dieu qui fait tout retentir.
[3] : Amour n'est en rien dieu puisqu'il est si envieux — Envers tant de gens, car un dieu
qui est favorable, — Aime toute vertu, exempt de tout vice, — (4) Et mène avec raison
ce qu'il veut contre tous. —— Car si l'Amour sortait du moule des dieux, — Il aurait
pour exercice toute chose d'honneur, — Mais puisqu'en toutes ses actions il ne nous
montre que malice, — (8) Il est plutôt un petit diable ou un singe vicieux. —— Voyant
qu'en tous lieux il fait naître des querelles, — Il fait tomber en péché les âmes les plus
belles, — (11) Il est la vraie source de tout malheur. —— Il va jusqu'à transformer les
muses en courtières — Pour inculquer l'amour entre gens les plus sauvages, — (14)
Amour donc si méchant n'est jamais un dieu.
[4] : Celui qui dit qu'Amour n'est pas un dieu souverain, — Ne sait pas ce qu'il dit,
faisant injure aux dieux, — Et il montre qu'ignorant il ne connaît pas sa nature : — (4)
Etre très gracieux, courtois, doux et humain. —— Jamais il ne donne mal ni dommage
aux amoureux, — Parce qu'il puise sa nourriture parmi les dieux, — Aussi il ne peut
être taché de saleté — (8) Puisqu'il a la divinité à sa main, comme il le désire. —— Et
qu'Amour soit un dieu, le ciel le détermine, — Car qui a bien lu et vu son origine, — (11)
Du dieu Mars trouvera qu'il a été engendré, —— Et de Cypris également, cette grande
déesse, — Il faut bien confesser, si la chose est bien certaine, — (14) Qu'il est un
véritable dieu, d'une grande puissance.
[5] : Celui qui peint Amour grand monarque des dieux — Avec un bandeau noir devant
sa vue claire, — Avait du brouillard devant les yeux chassieux et obstrués, — (4) Pour
n'avoir pas pu voir ses yeux si clairs et vifs. —— Car quand il me blessa, il les ouvrait
tous les deux, — Et puis je vis son visage sans bandeau, — Me touchant droit au cœur
de sa flèche amère, — (8) Dont je crois qu'il nous vise ainsi, droit et fort. —— Donc si
cet archer avait sur les paupières — Un voile couvrant son regard et ses belles
expressions, — (11) Jamais il ne saurait viser si droit au cœur, —— Mais il est clair que
toujours, sans prendre de repères, — Et sans manquer une seule fois, il tire au même
endroit, — (14) Amour n'a pas de bandeau et y voit haut et clair.
�[6] : Celui qui dit qu'Amour est un gentil damoiseau, — Qu'il est un enfant ailé,
dissimule sa nature, — Car un dieu qui nous ressemble et a la même figure, — (4) Qu'il
soit un homme ou un dieu ne peut pas être un oiseau, —— Car il est reconnu comme tel
quand il vole, — Mais comme tous les dieux sont puissants de nature, — Ils peuvent
aller dans l'air et sur la terre dure — (8) Parce qu'un dieu si céleste devient puissant dans
le ciel. —— Il ne faut donc pas peindre l'enfant avec les ailes, — Car il ne tire pas de là
ses forces naturelles, — (11) Comme a voulu dire quelque jeune gros sot, —— Car si ce
tout petit enfant portait des plumes, — Il pourrait bien ressembler à un corbeau — (14)
Ou bien à un oiselet qui commence à parler.
[7] : Non, non, je dis qu'Amour enrôle qui il veut, — Et blesse tout le monde jusqu'aux
hôtes volants, — Même les animaux qui tournent autour du monde, — (4) Il faut qu'il
soit emplumé puisqu'il vole dans l'air. —— Car il rode de tous côtés comme une chose
folle, — Il irrite les oiseaux se béquetant en l'air — L'un l'autre, s'aimant et se
poursuivant dans leur vol, — (8) Et quand il lui plaît il est vite à l'école céleste. ——
Donc pour une bonne raison ils peignent le dieu d'Amour — Comme des êtres tous
ailés, toujours voletant, — (11) Et celui qui dit qu'il ne peut pas être dieu et avoir des
plumes, —— Ne sait pas que l'Amour puissant a déplumé — Un aigle et un paon et s'en
est bien armé — (14) Pour voler haut et bas, selon son habitude.
[8] : C'est folie d'alléguer que l'Amour est petit, — Comme s'il était né d'une race de
nains, — Car on ne saurait faire cas de sa petite personne, — (4) Autant vaudrait qu'il fût
un petit Myrmidon. —— Non, car il est puissant, grand et plein de renom, — Il blesse
les plus forts, il leur meurtrit la chair, — Il les dompte, effrayés comme une poulette, —
(8) C'est un Hercule, un grand dieu, Cupidon. —— Aussi celui qui dit qu'Amour est
jeune et fort volage, — Ment, car un dieu doit être de grand âge, — (11) D'un cerveau
bien rassis et de sens bien mûri, —— Car la tête des dieux pénétrés de vieillesse — Est
pleine de grand sens et de haute sagesse : — (14) L'Amour est donc ancien, grand,
assurément puissant.
[9] : Quant à moi je dis qu'Amour est encore un enfant, — Un jeune garçon qui ne se
rend pas compte — Qu'il offense toutes gens, jusqu'aux dieux les plus grands, — (4) Les
perçant en plein cœur de son dard pénétrant, —— Car d'un sage il fait un amant triste et
fou, — Comme sans jugement et sans expérience, — Un vrai petit fou, orphelin de
prudence, — (8) Enfin c'est un enfant qui arrive comme une bourrasque. —— Et
puisqu'il est ainsi d'un âge si tendre, — On pourrait s'en garder et défendre, — (11)
Quand sur tous il décoche son trait, —— Mais comme garçon il est sans finesse, — Ne
sachant ce qu'il fait à cause de cette jeunesse, — (14) Aussi il est ignorant du mal des
amoureux.
[10] : Amour est dans le cœur comme un oiseau en cage, — Il fait tressaillir l'esprit
d'une fureur étrange, — C'est un vent de soupirs et de douleurs tragiques, — (4) Un
grand vase de pleurs, une chose enragée. —— Il fait usure et rage des sanglots
redoublés, — Il donne à l'amant de pâles couleurs, — S'il fait froid dans le cœur
emprisonné, il donne de la chaleur, — (8) Amour rôtit le cœur et rend le cerveau idiot,
—— Donnant des idées et beaucoup de faux-semblants, — Troublant le sens de tout
pauvre amant, — (11) En Amour, on se repaît souvent de querelles, —— Il garnit la
�conscience de furie et de folie, — Et souvent il fâche pour plus d'entêtement, —
Amour fait naître mille douleurs pour un seul plaisir.
(14)
[11] : Puisque l'on dit qu'Amour tire son origine des yeux, — Et mes yeux chassieux me
gardant comme en pleurs, — M'empêchent fortement de recevoir les vapeurs de
l'Amour, — (4) Sentant toujours couler de l'eau dans ma poitrine. —— Ô puissant
Amour qui donnez racine aux yeux, — Fais tarir de mes yeux les humeurs cristallines
— Pour tout gaiement me remplir le cœur de douces amours, — (8) Et me faire sentir
l'amoureuse petite pluie. —— Car je sentirais clairement l'Amour provenir des yeux, —
Et sans voir on ne peut pas être amoureux, — (11) Ni aimer aucune femme si je ne l'ai
pas regardée, —— Parce que l'œil est le premier aiguillon de l'Amour, — Et on ne peut
aimer que piqué par un petit dard, — (14) Sans que vous ne voyiez en premier si la pièce
vous plaît.
[12] : Je maintiens que les yeux n'engendrent pas l'Amour, — Il ne tire pas son essence
de quelques verres, — Mais bien du cœur sensible, c'est lui qui domine, — (4) Et il peut
aimer sans yeux, car il est des yeux le seigneur. —— Du cœur viennent le sanglot, le
soupir, nuit et jour, — Du cœur viennent le rire et la joie cachés dans la poitrine, — Et
le cœur donne aux yeux l'ardeur de son secours, — (8) Donc non pas des yeux, mais du
cœur vient l'Amour. —— Aussi Jaufre Rudel, grand poète de Provence, — Aima en son
absence une qui était au Levant, — (11) Et traversa les mers pour la voir en personne,
—— Car il l'aima sans l'avoir vue, de par sa renommée; — Un aveugle de naissance
aime du cœur, sans voir, — (14) Enfin cet Amour part du cœur secret.
[13] : Non, je dis que l'Amour provient des yeux — Et du cœur ensemble et tous les
deux font office, — Car les yeux messagers, premiers en exercice, — (4) Communiquent
au cœur leurs regards complices, —— Et le cœur ressentant ce qui entre par les yeux,
— Se blesse aussitôt et tous deux sans vice — Forment l'Amour parfait d'une harmonie
propice, — (8) Travaillant de concert, en amoureux entretiens. —— En effet l'œil guette
pour dire l'amitié — Qui d'un regard accrocheur se montre en Amour, — (11) Comme du
cœur le vrai messager. —— Le cœur fait mouvoir l'œil, car il lui plaît — D'être bouée
de l'Amour en le cœur, — (14) Si bien qu'ils créent, tous deux, un dénouement heureux.
[14] : Amour, bourreau du cœur est un mal incurable, — Car il fait aimer les uns, haïr
les autres, — L'homme qui en est paré ne peut en guérir — (4) S'il n'en purge l'ardeur
d'un secours aimable. —— Amour est un grand prince, invincible, imprenable, — Il
échauffe le cœur, souvent l'affaiblit, — Il fait souvent vivre l'amant, aussi mourir, — (8)
Il le rend faible, puissant, heureux et misérable. —— Amour pour tout à fait le
moraliser, — Lui adresser des louanges et puis le mépriser, — (11) Est bon et mauvais, il
est doux, il est aigre, —— Il est triste et joyeux, il est sage et est fou, — Il est jeune et
vieux, il est petit, grand, gros, maigre, — (14) Il est aveugle et il y voit pour tordre le cou.
[1] :
v. 3 : Amour ne porte pas de majuscules dans le manuscrit.
v. 4 : Nous retrouvons la même expression dans le quatrain [1] : « Tant que sentras glatir venos
e pous ».
v. 2 : Ruffi insiste ici sur les antériorités littéraires qui font de ce thème un topos amoureux. Il
est probable également que ce vers souligne le non épuisement d'un sujet pourtant déjà traité à
�maintes reprises. Relevons Rezonar qui semble en retrait par rapport à l'affirmation du chant. Ce
mot anonce le discours réconciliateur qui emprunte souvent les voies de la raison pour décrire
l'Amour et le ramener à sa juste proportion.
v. 5 : Cipris, un des surnoms d'Aphrodite. La déesse fut transportée après sa naissance à Chypre
(Ciprus) par Zéphyre. Cette île lui fut consacrée. Éros est considéré comme le fils d'Aphrodite et
de Mars.
v. 6 : emmaro cf. « enmarar », s'égarer en pleine mer. Le sujet de ce verbe est recaliou et non
jouvent. C'est en effet l'Amour qui trouble le jeune homme et qui cause son égarement.
v. 9 : troussos désigne des objets liés ensemble dans des draps ou des cordes, ici le carquois qui
contient les flèches (cf. Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 1058). Nous
retrouvons troussos avec le même sens chez Michel Tronc : « Un que pouorto un arc, uno
trousso, uno flecho » (Michel Tronc, Las Humours…, op. cit., tome 2, p. 425, sonnet 30).
Les flèches de l'Amour sont un des topoï les plus répandus dans la lyrique amoureuse. Nous
trouvons cela dès le Moyen Age, mais l'essentiel est ici inspiré de Pétrarque : « Per fare una
leggiadra sua vendetta, — et punire in un dí ben mille offese, — Celatamente Amor l'arco
riprese, — come huom ch'a nocer luogo et tempo aspetta. —— Era la mia virtute al cor ristretta
— per far ivi et negli occhi sue difese, — quando 'l colpo mortal là giú discese — ove solea
spuntarsi ogni saetta. » (Pétrarque, Canzoniere, op. cit., p. 53, sonnet 2). Nombreux sont les
continuateurs de Pétrarque. Remarquons simplement que Ronsard gauchit ce topos dans une ode
adressée à Remy Belleau. L'Amour n'a pas d'arc, mais une arquebuse : « Il n'a point d'arc aussi,
& le feint-on rüer — Des flèches à grand tort : il a voulu müer — Son arc en harquebouze, on le
sent à l'épreuve : — Car pour le coup d'un trait si grand feu ne se treuve — Autour du cœur
blessé, qu'il le puisse tüer — Comme le feu d'un plomb […] » (Pierre de Ronsard, Les Odes de
1555. Les Continuations des Amours 1555-1556, in Oeuvres Complètes VII, édition de Paul
Laumonier, Didier, Paris, 1959, p. 197).
v. 10 : frejolis, aphérèse de « afrejolits ».
mechos fait référence aux mèches des lampes qui permettaient d'allumer le feu et de le maintenir
en activité. Ce terme est souvent utilisé dans des métaphores érotiques, mecho désignant alors le
sexe masculin. Éros est souvent appelé le diou porto mecho : « Vous autres, creze-you, mourres
d'un mesme mau, — Tout aquo non vous ven que dau Diou porto mecho » (Pierre Paul,
L'Autounado, op. cit., fo xvi v°).
Nous trouvons une argumentation semblable chez Estienne Jodelle qui se réfère également à
l'œil des femmes transperçant le cœur des hommes : « Oeil, œil, le plus bel œil, qu'eurent
oncques les Dames, — Qui comme un fer ardent (car de l'Amour les flèches — Portent et fer, et
feu) nous perces et enflammes, —— Bien que le coup, l'ardeur, les amoureuses mèches — Nous
tourmentent, tu viens pourtant nos cœurs contraindre — De te laisser sans fin renouveler tes
brèches. » (Estienne Jodelle, L'Amour obscur, édition de Robert Melançon, Orphée-la
Différence, Paris, 1991, p. 73-74. Sur Jodelle voir également l'édition de ses œuvres complètes :
Oeuvres complètes, édition établie par Enea Balmas, 2 vol., Gallimard, Paris, 1965-1968).
[2] :
v. 1 : Dans la mythologie Éros n'est pas un dieu majeur (les douze dieux de l'Olympe), mais le
premier des dieux mineurs, résidant le plus souvent auprès de sa mère Aphrodite qu'il aide dans
ses desseins.
Ruffi reprend ici une idée platonicienne exprimée par Phèdre dans Le Banquet : « De fait, c'est
un honneur d'être de beaucoup, entre les Dieux, le plus ancien. » (Platon, Oeuvres complètes,
op. cit., vol. 1, p. 701).
v. 2 : L'évocation du pouvoir d'Éros sur les empereurs et les rois rappelle son invincibilité et ses
flèches que rien ne peut détourner de leur but. Zeus y succomba lui-même.
v. 3 : Remarquons la finale féminine atone en i dans palli. Mistral donne cette forme comme
spécifiquement marseillaise (Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 463). Nous
ne sommes pas ici en présence d'un pluriel antéposé. La finale en i peut s'expliquer par une
�analogie avec la forme masculine (e atone > i). Nous retrouvons ce phénomène à plusieurs
reprise dans ces sonnets.
v. 4 : bate, le provençal, dans sa variété maritime, présente un e de soutien à la troisième
personne du singulier du présent de l'indicatif des verbes du troisième groupe.
Il ne s'agit pas ici d'une intrusion d'éléments chrétiens dans un discours mythologique ; le ciel et
l'enfer dont il question se réfèrent à l'Olympe et aux Enfers où réside Hadès. Éros semble donc
avoir la maîtrise sur l'Olympe et les Enfers. L'Amour, comme au vers précédent, transcende
donc la mort et la vie.
v. 5-6 : Nous pouvons voir dans cette image du nocher qui embarque à tous âges toutes gens et
races une référence à Charon. Mais pourquoi aussi ne pas comprendre une allusion à Noé et à
son arche ? Il y a là certainement confusion chez Ruffi et syncrétisme de deux images qui sont
pour lui chargées d'un sens particulier. La mort et l'instant du passage sont l'objet de plusieurs
poèmes et Noé est fréquemment cité dans les textes religieux.
v. 8 : Nous retrouvons cette image de l'Amour chauffant les hommes chez Michel Tronc : « Que
rende lous humans autant caut coumo un four » (Michel Tronc, Las Humours…, op. cit., tome 2,
p. 425).
v. 10 : laches est sûrement un francisme et non pas le pluriel redoublé de lach qui serait
incompréhensible.
perevous est la forme marseillaise de peresós (instabilité du -s- intervocalique et établissement
d'un v par épenthèse).
[3]
v. 5 : calibre, conformément au sens de son étymon arabe, qâlib, qui signifie « moule ».
v. 8 : Ces deux qualificatifs sont intéressants. Le premier, diablon, nous replace dans un
contexte chrétien, bien que peu affirmé. Le caractère diabolique de l'Amour est donc clairement
établi : s'il procure de la peine, donne le mal et n'est pas un dieu, Amour ne peut être qu'une
force maléfique inspirée par le diable. Remarquons néanmoins que Ruffi n'affirme pas une
analogie complète entre l'Amour et le Diable. Nous savons que pour Platon, Éros est un être
intermédiaire entre les dieux et les hommes, un daïmôn, étymon de démon.
La comparaison avec un singe vicieux relève de son absence de divinité. L'Amour n'est pas un
dieu, mais il imite et contrefait les dieux comme un singe imite les hommes. Éros possède
également, en sa nature, des vices pour tromper les hommes et leur faire croire à son caractère
divin.
v. 10 : pecat et armos sont une intrusion du lexique chrétien dans cette discussion
mythologique. L'ensemble raisonné du sonnet procède en référence chrétienne : Amour ne peut
être un dieu puisqu'il n'y a qu'un seul Dieu ; c'est ce que Ruffi semble nous dire de façon
implicite.
v. 12 : Mistral donne également pour corratiÉros un autre sens, celui d'une personne qui voyage
incessamment (Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 647). Nous ne pensons pas
que ce deuxième sens s'applique ici. Ruffi semble plutôt jouer sur la basse condition des Muses
changées en courtières.
v. 13 : pauficar ou pacificar, car l'écriture ici se confond. pacificar s'opposerait à fÉros, mais de
quelle pacification pourrait-il s'agir ? Nous préférons comprendre que l'Amour doit être planté
comme un pieu entre ces personnes sauvages, en quelque sorte garant d'une certaine civilisation.
[4]
v. 1 : Cet Aqueou est impersonnel; nous ne pensons pas y déceler une allusion directe à un
personnage ou une œuvre. Cependant, il révèle une antériorité qui place le dialogue ainsi
instauré dans une filiation littéraire et picturale. Il s'agit bien de discuter la nature de l'Amour en
fonction de l'esthétique d'une époque, en gros celle que nous appelons aujourd'hui « baroque ».
v. 2 : Le pronom si dans si dis correspond à une forme réfléchie qui indique une implication
directe du sujet. Nous ne pensons pas que si corresponde ici au pronom personnel français
�« on ». Le vers signifie donc « ne sait pas ce qu'il se dit », occitanisme courant dans la largue
parlée.
v. 3 : naturo serait à rapprocher du français « essence ».
v. 6 : Éros est le fils de Mars et de Vénus ; il a donc été élevé parmi les dieux.
v. 7-8 : La saleté dont il est question ici est toute spirituelle. Elle est à rapprocher des souillures
de l'âme et du péché figurant dans le sonnet précédent. La divinité empêche donc toute saleté
mentale.
v. 8 : Mistral donne deitat comme littéraire, l'opposant à « divinita » (Mistral, Lou Tresor dóu
Felibrige, op. cit., tome 1, p. 717).
v. 10 : legit, exprimant ici la connaissance à laquelle on accède avec les livres, à l'opposé d'un
savoir naturel. On ne peut connaître la vraie nature d'Éros ; il faut la découvrir dans la
mythologie.
v. 12 : gran possède souvent au XVIe siècle une seule forme pour les deux genres (cf. Ronjat,
Grammaire…, op. cit., tome 3, p. 27).
v. 13 : cauvo cf. « causa », avec instabilité du -s- intervocalique et addition d'un v par épenthèse.
Nous comprenons que la « chose est bien prise », c'est-à-dire « arrêtée », « figée ». Son avenir
est alors certain : Amour est un vrai dieu.
[5]
v. 2 : La tradition mythologique représente Éros comme un dieu malin, mais ce sont les
représentations postérieures qui insistent surtout sur son aveuglement. Éros est donc souvent
représenté avec un bandeau noir devant les yeux. Nombreux sont les exemples littéraires qui
reprennent cette idée. Relevons seulement pour la littérature occitane un même thème chez
Bellaud de la Bellaudière : « Aquel Borny garçon brigandeou plen de rage, — My fet veire
Françon un jourt trop à mon dan” et « Aquel que dis (l'amic) qu'encin qu'uno Taupeto, — Es
borny das dous hueils lou garçon de Cypris, — Nud, Pichot, senss' pouder de l'autour d'un
chassis, — Perqué non pouot blessar à drech siou nostr' Armeto. » (Bellaud de la Bellaudière,
Obros et Rimos…, op. cit., p. 68 et 134 (sonnets xxviii et cxxxiii des Obros et rimos) ainsi que
chez Michel Tronc : « N'es-ty pas un enffant qu'es borny, mut e sour, —Un que non n'a ny fe,
ny armo, ny conssiensso » (Michel Tronc, Las Humours…, op. cit., tome 2, p. 425).
v. 3 : lagagno e taro désignent la conjonctivite, les yeux obstrués par la chassie et fermés par les
déchets. Nous traduisons par « chassieux » et « obstrués » pour rendre l'image des yeux malades
et fermés.
v. 10 : fassons est employé pour exprimer la physionomie agréable d'Éros, expressions du
visage que son regard met en valeur.
[6]
v. 2 : Ronsard, s'inspirant de Properce, dément qu'Éros soit ailé : « Je dirois volontiers que
l'amour n'a point d'aisles, — Las! car s'il en avoit, s'ebranlant dessus elles — De mon cœur
quelquesfois se pourroit absenter. » (Pierre de Ronsard, Les Odes de 1555…, op. cit., p. 196197).
v. 6-8 : C'est ici une allusion aux dieux de la mythologie qui n'avaient pas besoin d'ailes pour se
déplacer sur la terre et dans les cieux. Si Éros est un dieu, il n'a donc pas besoin d'ailes.
v. 10 : Les forces naturelles de Cupidon sont donc celles des dieux et ne peuvent être données
par des attributs réels comme les oiseaux tirent leurs forces de leurs ailes.
v. 12 : pitoton exprime doublement un sentiment de jeunesse.
v. 14 : mariton cf. « marito » qui désigne un oiseau chez Michel Tronc : « L'aze, la cabro, lou
couguou, — Et puis apres fa la marito » Catharina Jasperse précise dans une note qu'il peut
s'agir d'une pie (Michel Tronc, Las Humours…, op. cit., tome 1, p. 31, tome 2, p. 532). Ce
sonnet se clôt donc sur un oiseau bavard qui commence à parler, assez disgracieux comme le
�corbeau et qui ne possède pas un chant mélodieux. Éros ne peut être un oiseau, car il pourrait
être semblable aux corbeaux et aux pies.
[7]
v. 1 : diq, cf. « disi », est une forme héritée de la langue médiévale. Il semble que de telles
formes (comme « suc » (siáu)), présentes notamment chez Bellaud, ne soient pas une exception.
Remarquons la double négation qui ouvre le sonnet et qui place ce poème dans un dialogue
contradictoire avec le précédent.
v. 2 : hostes volans désigne les oiseaux.
v. 4 : emplumat se retrouve également chez Tronc : « Un pichot enffantin enplumat, sensso
siensso » (Michel Tronc, Las Humours…, op. cit., tome 2, p. 425).
v. 8 : celesto escolo doit être rapprochée de « troupe céleste » qui désigne les dieux de l'Olympe.
Cette « école céleste » est donc à portée d'aile pour Éros qui peut à tout moment rejoindre ses
semblables.
v. 9 : Nous pouvons nous interroger sur le sujet impersonnel de pinton. Il fait certainement
référence aux nombreuses représentations d'Éros qui le peignaient comme un petit dieu ailé et
joufflu. Ce sont donc ces peintres et ces poètes qui le décrivent comme oiseau qui sont
concernés par ce vers. La bastide marseillaise de Guillaume du Vair, président du parlement,
baptisée La Floride, était décorée de petits angelots et d'Éros. Ruffi fait-il allusion à la
décoration de cette demeure qu'il a certainement fréquentée ? (cf. Joseph Billoud, « La Floride
du Président du Vair », Marseille, n° 27, Marseille, août-novembre 1955, p. 3-12).
v. 12 : Pour le pronom réfléchi se cf. note du v. 2 sonnet [4].
v. 13 : L'aigle et le paon représentent la force et la beauté.
[8]
v. 1 : Cupidon petit enfant figure également chez Pierre Paul : « Filhetos que marchas dessouto
la bandiero — D'aqueou pichot enfant, lou diou das amourous » (Pierre Paul, L'Autounado,
op. cit., fo lx v°).
v. 4 : Les Myrmidons étaient des hommes issus de fourmis, originaires de l'île d'Egine.
v. 7 : espalofis, cf. « espelofit » qui signifie littéralement « ébouriffé ». L'image de la poule
ébourrifée indique la frayeur ressentie devant la force d'Éros.
v. 8 : Remarquons l'image antithétique d'Hercule et de Cupidon. L'un est fort, l'autre vulnérable,
l'un est un colosse, l'autre un petit enfant.
v. 11 : rassis est un francisme qui indique la sagesse. Littré précise qu'un homme rassis est un
homme dont l'esprit est calme, mûri par la réflexion.
v. 12 : embugas signifie littéralement « imbibés ».
[9]
v. 1 : diou, cf. « disi », forme du provençal maritime qui témoigne de l'instabilité du -sintervocalique. Ruffi a utilisé au vers 1 du sonnet [7] la forme diq. L'étendue de ses possibilités
linguistiques va donc des formes héritées de la langue médiévale aux notations phonétiques des
ultimes évolutions.
v. 2-4 : Cupidon est donc inconscient des méfaits qu'il pourrait commettre. Toutes ses actions
sont effectuées sans malice et sans vice. Il possède l'innocence de l'enfance.
La jeunesse de Cupidon est reprise de Platon : « Il est, Phèdre, des Dieux le plus jeune. »
(contradiction entre Phèdre et Agathon dans Le Banquet, Platon, Oeuvres complètes, op. cit.,
vol. 1, p. 724).
v. 3 : L'offense faite aux grands dieux est sans doute une allusion à l'amour de Zeus pour
Europe. C'est en effet une flèche de Cupidon qui éveilla l'amour du dieu. Éros n'avait donc pas
mesuré la portée de son geste. Ruffi prend ici quelques libertés avec la mythologie, car c'est
Aphrodite qui incita Cupidon à décocher sa flèche.
�v. 12 : L'idée exprimée ici est différente de celle de Platon : « Mais, en outre de cette jeunesse, il
est délicat. » (Platon, Oeuvres complètes, op. cit., vol. 1, p. 725).
v. 14 : Nous comprenons que Cupidon ne réalise pas le mal que l'Amour peut faire. Dans la
mythologie Éros est amoureux de Psyché et leurs amours sont tumultueuses. Cupidon est brûlé
par l'huile d'une lampe que Psyché tient au-dessus de lui et ne trouve son bonheur qu'après bien
des vicissitudes. Éros souffre donc physiquement et moralement.
[10]
v. 4 : Mistral précise que le verbe « cafi » dérive d'une unité de mesure de capacité autrefois
utilisée à Marseille (caffium ou gaficium) (cf. Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige…, op. cit.
tome 1, p. 415). Nous nous conformons à cet étymon pour traduire par « vase », exprimant le
récipient qui pourrait contenir des pleurs.
v. 6 : La voyelle finale en i de palli s'explique ici par le pluriel antéposé.
v. 8 : rastis, forme marseillaise pour « rostís ».
Mistral donne également à babi le sens de dadais (Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit.,
tome 1, p. 200).
v. 12 : furi est ici accentué sur la première syllabe, contrairement aux formes les plus répandues,
« furia » ou « furiá » à Marseille. Cette accentuation est certainement influencée par le français
« furie » et sa finale en i. Toutefois cette influence vient à propos pour la justesse de la
versification. Nous pouvons cependant nous demander si la synalèphe opérée avec le e qui suit
ce mot ne facilite pas la chute de la synérèse finale de « furiá », la confondant totalement dans la
prononciation : [defürjedefulie]. Remarquons également que folie ne compte que pour deux
syllabes.
v. 14 : Ce dernier vers possède la force d'une sentence proverbiale.
[11]
v. 1 : L'importance des yeux dans la perception de l'Amour est fréquemment traitée dans la
lyrique amoureuse. Elle se double de l'intérêt porté aux yeux de la femme aimée. Nous
rapporterons ici deux antécédents célèbres qui nous semblent aller dans le même sens que les
idées exprimées dans ce sonnet, tout d'abord chez Pétrarque qui rappelle que l'Amour réside
dans les yeux : « Occhi leggiadri dove Amor fa nido » (Pétrarque, Canzoniere, op. cit., p. 158),
la même idée est chez Ronsard : « Et de ces yeulx les astres jumeletz, — Qui font trembler les
ames de merveille : — Feirent nicher Amour dedans mon sein (Pierre de Ronsard, Les Amours
(1552), in Oeuvres Complètes IV, édition de Paul Laumonier et Raymond Lebègue, Nizet, Paris,
1982, p. 11).
Tout ce sonnet semble inspiré de l'ode xxviii de Ronsard : « J'avoy les yeux et le cœur —
Malades, d'une langueur — L'une à l'autre différente : — Tousjours une fiévre ardente — Le
pauvre cœur me brusloit, — Et tousjours l'œil distilloit — Une pluye catarreuse, — Qui
s'escoulant dangereuse — Tout le cerveau m'espuisoit. — Lors mon cour aux yeux disoit : —
LE COEUR — « C'est bien raison que sans cesse — Une pluye vangeresse — Lave le mal
qu'avez fait, — Car par vous entra le trait — Qui m'a la fiévre causée. » […] » (Pierre de
Ronsard, Oeuvres complètes, Texte établi et annoté par Gustave Cohen, 2 vol., « La Pléiade »,
Gallimard, Paris, 1950 (extrait des Odes, vol. 1, p. 568-569).
v. 2 : Pour lagagnous cf. l'explication donnée pour lagagno à la note du v. 3 du sonnet [5].
v. 4 : L'image de l'eau dans la poitrine s'oppose aux vapeurs et aux chaleurs de l'Amour. Il s'agit
également des larmes versées par les yeux malades.
v. 6 : humour est employé ici dans le sens de « liquidité ». Ce sont donc les différentes
sécrétions « cristallines » qui sont ici évoquées à l'opposé de la petite pluie amoureuse qui
remplit le cœur.
v. 13 : que valho un dardalhon nous interroge sur valho. Ne pourrait-on pas voir ici le subjonctif
de « voler » plutôt que de « valer » ? Le vers signifierait donc : « On ne peut aimer que si un
petit dard le veut ». Nous restituons dans notre traduction l'image de la piqûre.
�v. 14 : la pesso désigne l'amoureuse ou plutôt la femme dont on doit tomber amoureux. Nous
savons que dans un autre registre la pesso dau mitan désigne le sexe de la femme (cf. le sonnet
xxxiiii des Passatens de Bellaud de la Bellaudière intitulé : Un que demando a sa mestresso la
pesso dau mitan et chez Pierre Paul ces vers extraits de L'Autounado : « Ben que ly voulien tout
contant — Pagar la pesso dau mitan », Pierre Paul, L'Autounado, op. cit., p. 70, fo 98 v°). Nous
traduisons littéralement.
[12]
v. 7 : Mistral donne à eyzino le sens de « aide », « secours » (Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige,
op. cit., tome 1, p. 850).
v. 9-12 : Ruffi cite le nom de Jaufré Rudel et se réfère à « l'Amour de loin », légende poétique
qui s'inspira de quelques vers du troubadour pour décrire son amour pour la comtesse de Tripoli.
Ces faits figurent dans la Vida du poète : « Jaufré Rudels de Blaia si fo mout gentils hòm,
princes de Blaia. Et enamorèt-se de la comtessa de Trípol, ses vezer, per lo ben qu'el n'auzi dire
als pelegrins que venguen d'Antiòcha. E fez de leis mains vers ab bons sons, ab paubres motz. E
per voluntat de leis vezer, el se crozèt e mes-se en mar, e pres la malautia en la nau, e fo condug
a Trípol en un alberc per mòrt. E fo fait a saber a la comtessa et ella venc ad el, al seu leit, e
pres-lo entre sos bratz. Et el saup qu'ella era la comtessa e mantenent recobrèt l'auzir e'l flairar, e
lauzèt Dieu e'l grazí que l'avia la vida sostenguda trò qu'el l'agués vista; et enaissí el morí entre
sos bratz. Et ella lo fez a gran honor sepellir en la maion del Temple; e pois en aquel dia ella se
rendèt morga per la dolor qu'ella ac de la mòrt de lui.” (Jaufré Rudel, Liriche, a cura di Robert
Lafont, Le Lettere, Firenze, 1992, p. 74). Nous ne pouvons savoir si Ruffi a eu directement
accès au texte de la Vida. Bon lecteur des archives et de la littérature médiévale, il est possible
qu'il ait eu entre les mains un chansonnier de troubadours. Néanmoins, nous ne pouvons pas
effacer une lecture indirecte par l'intermédiaire de l'œuvre de Jean de Nostredame. La première
vie publiée est en effet celle de Jaufré Rudel : « Le poëte, aiant oyu parler des vertus de la
comtesse de Tryppoly et de sa doctrine par quelques pelerins qui venoyent de la Terre Saincte,
en devint amoreux, à la louange de laquelle feist de fort belles chansons. Ayant esté poinct aut
cœur de la voir, print congé du comte Geoffroy, jasoit qu'il s'essayast de tout son pouvoir le
desister de ceste peregrination, se meist sur mer en habit de pelerin, durant son voyage fut saisi
de griefve maladie, tellement que ceux de la nef, cuydans qu'il fut mort, le vouloyent getter en
mer. Et en cest estat fut conduit aut port de Tryppoly, et la arrivé, son compagnon feist entendre
à la comtesse la venue du pelerin malade; la comtesse estant venue en la nef, print le poëte par
la main, et luy, sachant que c'estoit la comtesse, incontinent apres le doulx et gracieux acueil,
recouvra ses esprits, la remercia de ce que elle lui avoit recouvré la vie, et luy dict : Tres illustre
et vertueuse princesse, je ne plaindray point la mort ores que … . Et, ne pouvant achever son
propos, sa maladie s'aygrissant et augmentant, rendit l'esprit entre les mains de la comtesse, qui
le feist mettre en riche et honorable sepulture de porphire, et luy feist engraver quelques vers en
langue arabesque […] » (LES VIES / DES PLVS / CELEBRES ET / ANCIENS POETES /
PROVENSAVX, QVI / ont floury du temps des / Comtes de Pro- / uence. // Recueillies des
Oeuures de diuers Autheurs nommez en la / page suyuante, qui les ont escrites, et redigees
premierement / en langue Prouensale, et depuis mises en langue Françoyse / par Iehan de
nostre Dame Procureur en la Cour de Par- / lement de Prouence. // Par lesquelles est
monstrée l'ancienneté de plusieurs / Nobles maisons tant de Prouence que d'Italie, / et
d'ailleurs. // A LYON / Pour Alexandre Marsillij. / M. D. LXXV. p. 23-24 (258 pages + 13
pages de table. Exemplaire consulté bibliothèque municipale de Marseille 8120). Le nom de
Jaufré Rudel dans un débat sur la nature de l'Amour aux XVI e et XVIIe siècles peut sembler
surprenant. Ruffi utilise au contraire tous les éléments qui sont à sa portée : éléments poétiques
qui figurent dans « le fonds commun” »de la littérature et éléments indigènes.
[13]
�v. 3-4 : cf. Ronsard : « Autheurs du mal, qui receusmes — Le trait qui nous a blessé; — Mais il
fut si tost passé, — Qu'à peine tiré le vismes — Que ja dans nous le sentismes. » (Ode xxviii,
op. cit., p. 569).
v. 5 : Nous nous référons à l'étymologie de ingrediens (lat. ingredior pour « entrer en ») pour
traduire ce vers. Il s'agit bien de ce que les yeux aperçoivent, ce qui « entre » par les yeux.
v. 7 : Cette harmonie propici n'est pas sans rapport avec l'allégorie des contraires qui tend à
s'affirmer. Si les yeux et le cœur, autrefois antagoniques, s'allient, ces contraires apparents
dévoileront la nature d'un Amour parfait et placeront l'homme en harmonie avec le monde qui
l'entoure. Relions évidemment cette idée avec le néoplatonisme dont les Contradictions sont
inspirées.
v. 13 : gaviteou est un terme de marine qui désigne une balise. Les yeux sont donc le fanal et
l'ancre qui servent à ficher l'Amour dans le cœur.
v. 14 : l'afaire entier signifie que l'alliance des yeux et du cœur conclut l'affaire amoureuse. Elle
ne peut qu'être heureuse dans le développement et la chute de ce sonnet. Nous gardons cette
idée d'achèvement heureux.
[14]
v. 3 : gantat, littéralement « ganté », « apprêté ».
v. 5 : imprenable qualifiant prince peut sembler étrange. Nous devons comprendre ce mot en
lien avec invincible ; il peut signifier que ce prince ne peut être capturé.
v. 11-14 : L'ensemble de ce sonnet est construit selon un procédé antithétique dont nous avons
déjà parlé. Relevons néanmoins l'emploi de deux registres lexicaux : physique avec doux / aigre,
jeune / vieux, petit / grand, gros / maigre, aveugle / voyant et purement abstrait avec bon /
mauvais et triste / joyeux.
�VIII
[fo 42 r°]
4
Hurouso foun l'estello e de tout fortunado
Que d'un bel hueil seren ma mestresso veguet,
Hurous fouguet lou brez e may qui lou faguet,
Huruso qui au malhot la metet quan foun nado.
8
Hurouso la pousseto au teton emmamado
Que d'un lach dous coulant son gousier enbuguet
E lou ventre hurous que alins la norriguet,296
Parangon de beoutat e de grans dons ornado.
11
Hurous tanben lou lueq treluzent d'esplendour
Vounte neisset adonc esto perlo d'honour
Qu'es de toutos vertus autan richo que bello.
14
Hurous de plus l'enfant dount grosso ella sara,
May encar plus hurous l'hymen que la fara
Devenir fremo e maire297 en luego de pioucello.298
Heureuse fut l'étoile et tout à fait fortunée — Que ma maîtresse vit d'un bel œil
serein, — Heureux fut le berceau et plus encore celui qui le fit, — (4) Heureuse celle qui
l'emmaillota quand elle fut née. —— Heureuse la petite bouche allaitée au téton, — Qui
s'abreuva d'un doux lait coulant dans sa gorge, — Et le ventre heureux qui en dedans la
nourrit, — (8) Parangon de beauté et ornée de grands dons. —— Heureux aussi le lieu
resplendissant de splendeur — Où naquit donc cette perle d'honneur — (11) Qui possède
toutes vertus, autant riche que belle. —— Plus heureux l'enfant dont elle sera grosse, —
Mais encore plus heureux l’hymen qui la fera — (14) Devenir femme et mère au lieu de
pucelle.
Ce sonnet ne comporte aucune dédicace. Nous ne pouvons savoir à quelle
occasion il fut écrit ni à qui il était destiné. On peut simplement émettre l'hypothèse que
ce poème célèbre une naissance. Est-ce celle des filles de Robert Ruffi et de Marthe de
Morineau (Claire née en 1566 et Anne née en 1579) ? Aucun renseignement précis ne
296 PV biffée illisible après alins. la rajouté au-dessus.
297 PV : Fremo per l'amor fojar (?) fremo biffée. Devenir fremo e maire rajouté en dessous.
298 En dessous ce poème figure un sonnet entièrement biffé s'intitulant : Aux Santz le premier novembre. Une
mention : est alibi figure à droite de ce sonnet qui est effectivement recopié au fo 76 v°. L'édition de cette dernière
pièce établit les variantes avec la PV.
�nous permet de confirmer cette hypothèse (remarquons cependant le mot mestresso au
vers 2).
Alexandrins et rimes des tercets ccd-eed.
v. 1-2 : estello est sans doute une référence à la naissance du Christ. Il semblerait donc que
chaque naissance soit annoncée par un tel présage.
fortunado doit être compris dans le sens de son étymon fortuna, destin. Cette naissance est donc
promise à un destin exceptionnel.
v. 3 : qui pour « celui qui ».
Le berceau reçoit l'enfant qui vient de naître. Celui qui l'a construit de ses mains est en quelque
sorte un architecte qui lui offre sa première demeure. Nous pouvons penser ici que ce berceau
symbolise la terre qui accueille l'enfant. Dieu serait alors ce grand architecte.
v. 5 : Mistral donne pour pousseto « petite bouche », tout en précisant que ce mot est d'origine
languedocienne (Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 630).
v. 9-10 : De quel lieu s'agit-il ? Dans le cas d'un poème écrit pour ses propres filles, ce lieu est
donc Marseille.
�IX
[fo 42 v°]
Au jour des saints a une damoyselle
4
Je ne puis impuissant pour les ames prier
Qui purgent leurs pechez a la moyenne flamme,
Car mon ame mouvant d'une souvereine ame,
Vray ange, me detient d'ame e1 corps prisonnier.
8
Puys doncque suis a toy par un destin si fier
Qui pour moy du ciel vins, o angelique dame,
Fais office pour moy et par ta vois enflamme
Le celeste donneur qui te sert de pilier.
11
Tu scais que les traic de ta flamme jumelle
A mon corps embasme de ta grace immortelle,
Y gravant sa grandeur par un doux pognant tret,
14
A tant que bienheure de toy mon angelete
Et veulx paroistre aymant une chose parfete,
Et vif et mort au cueur retenir ton pourtret.
Nous ne possédons aucun renseignement qui nous permette d'identifier cette
« demoiselle ». Ce sonnet a été écrit le jour des saints, c'est-à-dire le premier novembre.
La structure de ce sonnet (alexandrins et rimes des tercets ccd-eed) est traditionnelle. La
thématique de ce poème est semblable à celle exposée dans la plupart des pièces de la
lyrique amoureuse : beauté des yeux, flèches, amoureux prisonnier…
v. 2 : moyenne flamme, le purgatoire.
v. 5 : fier rime avec pilier.
v. 6 : angelique, comme angelete au vers 12, sont deux termes empruntés à l'italien. Ce registre
particulier (angelico, angelicato, angiolette…) est utilisé en premier par les poètes toscans
(cf. Bruno Migliorini, Storia della lingua italiana, Sansoni, Firenze, 1960, rééd. 1983, p. 143).
Dante parle de Béatrice comme d'une « donna angelicata ». « Angelette » est attesté (cf. Huguet,
Dictionnaire…, op. cit., tome 1, p. 212). Il semble que son premier emploi ait été dans la
traduction de Pétrarque par Vaisquin Philieul : « Contre l'assault d'une seule Angelette », sonnet
lxxvi, fo 52 r° (cf. LAVRE D'A- / VIGNON. // AV NOM ET AD- / ueu de la Royne
CATHARINE / DE MEDICIS Royne de / France. // EXTRAICT DV POETE FLO- / rentin
1 du biffé après e.
�Françoys Petrarque : Et mis en / Françoys par Vaisquin Philieul / de Carpentras. // AVEC
PRIVILEIGE / du Roy, pour cinq ans. // A PARIS. // De l'Imprimerie de Iaques Gazeau. / 1548.
(119 folii) [Reproduction photographique avec une introduction et un glossaire de Jacques
Roubaud et Pierre Lartigue, Actes Sud - Papiers, Paris, 1987]).
v. 8 : donneur, « généreux » suivant Huguet (Dictionnaire…, op. cit., tome 3, p. 250).
v. 9 : flamme jumelle, « les yeux ».
v. 11 : pognant, cf. « poignant ». Huguet ne donne pas cette forme, mais « pognard » pour
« poignard » (Dictionnaire…, op. cit., tome 6, p. 47).
v. 12 : bienheure, du verbe « bienheurer », favoriser, rendre heureux (cf. Huguet,
Dictionnaire…, op. cit., tome 1, p. 573).
�X
A[u]1 libro de Bellaud e Paul
4
Bellaud, ton dot 2 escrich s'anavo gitar pourre,
Ton imortau3 renom tanben restavo nec,4
Et lous dauras prepaus qu'an rajat de ton bec5
Sarion coumo bescuech brigat en macho mourre,
8
Sensso6 quet 7 Pierre Pau, abeourat8 de ton mourre,
Quan dau palay9 dentut lou lengagier rebec10
Fasie11 aprendre12 au savent13 e raubir un durbec,14
Ton obro fa endilhar tan luen15 que si pot courre.
11
Vive donc aquest Pau,16 lou veray preou d'amic,
Que revieudo Bellaud e lou mete17 en public
Per faire a18 tous vulgars poetos de ligueto.19
Pau donc20 a meritat un caffi21 de lauzour22
1 Ruffi a écrit a que nous corrigeons. Nous pouvons cependant nous demander si la vocalisation du l final est ici
accomplie. Dans le cas contraire, le l de « al » se confondrait avec le l de libro.
Ce poème ne comporte pas de ratures. Nous établissons des variantes avec la publication de ce sonnet dans
les pièces liminaires de l'édition de 1595. Les deux quatrains de ce sonnet sont réunis en une seule strophe. Un seul
espace sépare les quatrains des tercets.
2 Ed : "doct".
3 Ed : "immortau".
4 Ed : "nèc".
5 Ed : "bèc".
6 Ed : "Senso".
7 Ed : "que".
8 Ed : "abeurat".
9 Ed : "Palais".
10 Ed : "rebèc".
11 Ed : "Fazie".
12 Ed : "apprendre".
13 Ed : "sçavent".
14 Ed : "durbèc".
15 Ed : "luench".
16 Ed : "Vivo aquest noble Pau".
17 Ed : "mette".
18 Ed : "à".
19 Ed : "Poëtos deliguetos".
20 Ed : "Eou donq".
21 Ed : "caffy".
22 Ed : "Lauzour".
�Quan lou provenssales23 tramet24 en sa luzour,25
A l'esco de Bellaud, Pau sierve de broqueto.26
14
Bellaud, si ton docte style était abandonné, — Ton immortel renom était aussi
inconnu, — Les propos dorés qui ont jailli de ta bouche — (4) Seraient comme biscuit
brisé semblable au mâchemoure, —— Sans ce Pierre Paul, abreuvé à ton visage, —
Quand le langage vif du palais denté — Faisait apprendre au savant et ravir un idiot, —
(8) Il fait retentir ton œuvre aussi loin que l'on peut courir. —— Vive donc ce Paul, le
vrai prieur des amis, — Qui ressuscite Bellaud et le livre au public — (11) Pour exciter
l'envie de tous poètes vulgaires. —— Paul a donc mérité des brassées de louanges, —
Quand il mit le provençal en sa lumière, — (14) Paul sert d'allumette pour l'amadou de
Bellaud.
Ce poème est l'un des deux sonnets qui ont été publiés dans les pièces liminaires
de l'édition des œuvres de Louis Bellaud de la Bellaudière en 1595. Il porte dans la publication un titre plus long : ROVBERT RVFFY / A LAS RICHOS RIMOS DE / Lovys de
Bellavd, relv- / mados per P. Pau, Escuyer de / Marseille. // SOVNET. (Obros et
rimos…, op. cit., p. 32). Les variantes établies entre le manuscrit et cette publication
sont peu nombreuses. Toutefois, la version du manuscrit apparaît plus claire, même si
quelques points demeurent obscurs. Il est vraisemblable que Ruffi a confié ce poème à
Pierre Paul. La lecture qu'en ont fait Paul ou l'imprimeur Mascaron est parfois fautive
dans la mesure où elle ne restitue pas la cohérence de chaque mot. Il est vrai que des
mots abusivement coupés ou au contraire collés à l'article ou à la préposition qui les
précède sont fréquents dans l'ensemble de l'édition.
La thématique de ce sonnet est semblable à celle développée dans les pièces
liminaires. Pierre Paul y est autant célébré que son illustre « neveu ». Nous ne
reviendrons pas sur les tenants et aboutissants de cette entreprise éditoriale.
La versification est dans l'ensemble correcte, semblable à celle des autres
œuvres. Les rimes des tercets (ccd-eed) sont traditionnelles et conformes à l'usage français.
v. 1 : gitar pourre, Mistral donne pour cette expression « jeter à l'écart », « négliger » et pour
« l'an jita à pourre » : « on l'a abandonné » (Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2,
p. 625).
v. 2 : Mistral donne pour « resta nè » : « rester capot ». nec a aussi le sens de « confus », ici
« oublié » (lou Tresor dóu Felirbige, op. cit., tome 2, p. 399).
v. 4 : macho mourre, le mâchemoure, c'est-à-dire les miettes de biscuit que l'on conservait à
bord des navires. brigat signifie déjà brisé, émietté ; pour rendre correctement cette image, nous
établissons une comparaison qui accentue cette idée.
v. 5 : abeourat de ton mourre est quelque peu obscur. Nous traduisons littéralement. Il se
pourrait que cette image reprenne l'idée du charisme de Bellaud, charisme certainement créé par
Pierre Paul et par l'édition de 1595. Nous ne comprenons pas totalement le sens de abeourat. Le
23
24
25
26
Ed : "prouvenssales".
Ed : "trametté".
Ed : "louzour".
Ed : "brouqueto".
�visage de Bellaud, symbolisant sa force vitale et littéraire, donnerait à Pierre Paul, qui était très
proche de Bellaud, les moyens d'assurer telle édition, le plaçant dans une filiation littéraire qu'il
revendique par ailleurs.
v. 6 : rebec, cf. « rebecar », répliquer, se rebiffer. Nous traduisons par « vif », qualifiant un
langage qui n'est pas dénué d'une certaine force. Ruffi fait allusion ici au niveau de langue
choisi par Bellaud. Nous voyons se dessiner, beaucoup plus qu'un registre populaire qui n'est
pas à négliger, une référence aux nombreux poèmes qui s'adressent sans détour et sans
ménagement au Grand-Prieur ou à sa suite. Le rôle de Bellaud était celui d'un « bouffon »
littéraire pouvant dire ce qui ne doit pas être dit, jouant en cela sur l'utilisation de l'occitan et les
niveaux linguistiques choisis.
v. 7 : raubir : nous pensons au français « ravir », non dans le sens de « dérober », mais dans
celui de « transporter », « enthousiasmer ».
durbec désigne un oiseau et puis certainement par extension un nigaud et un imbécile (Mistral,
Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 832). Ce mot est attestée dans la langue du XVI e
siècle, toujoursdans le même sens, chez Pierre Paul : « My permettres de dire de mon bec — So
qu'you saupray d'aquest mestre durbec. » (Pierre Paul, L'Autounado, op. cit., p. 43, fo xviii v°),
chez Michel Tronc : « Son aquy coumo de durbec : — Non an ny pardut ny gagnat. » (Michel
Tronc, Las Humours…, op. cit., tome 1, p. 123, tome 2, p. 562).
v. 8 : endilhar, littéralement « hennir », traduit ici par « retentir ».
v. 9 : preou, désigne le prieur. Ce mot n'est pas employé au sens religieux, mais plutôt au sens
de dignitaire de confrérie (cf. Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, tome 2, op. cit., p. 647).
L'assemblée désignée ici est certainement celle des Arquins célébrés par Bellaud. Il est évident
que le terme preou subit ici l'influence de Prieur (Grand-Prieur de l'ordre de Malte), fonction
occupée par Henri d'Angoulême. La configuration au mécène est totale et savoureuse; il y aurait
donc un Grand-Prieur qui préside aux destinées de la Provence et, par un effet mimétique, un
prieur qui joue un rôle similaire chez les amis de Bellaud.
v. 11 : de ligueto, cf. « faire ligueto » que Mistral donne pour « exciter d'envie » (Mistral, Lou
Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 212).
v. 12 : caffi, qui était une mesure utilisé autrefois à Marseille. Ruffi utilise ce mot dans les
Contradictions d'Amour (VII, v. 4, sonnet [10]).
v. 13 : Nous pouvons nous demander si provenssales désigne Bellaud lui-même ou la langue
qu'il emploie. Nous penchons pour la deuxième explication ; Bellaud est toujours nommé par
son nom dans les pièces encomiastiques et le terme luzour s'applique bien à la langue. Nous
savons par ailleurs que Ruffi emploiera une argumentation similaire dans l'Odo a Pierre Paul.
tramet dans le sens de « tramer », « construire ». Nous avons traduit par « mettre » qui
s'applique particulièrement à « lumière ».
v . 14 : sierve est la forme marseillaise de « servís ».
�XI
[fo 43 r°]
Sur la mort de Monsieur le lieutenant Catin
1579
4
Benurous siege au ceou Monsur lou lutenent,
Aqueou bon justicier prudent e equitable,
Louqual en son saber non trobavo semblable,
Tout lou monde lou plouro e richo e pauro gent.
8
Helas crudelo mort! Un tant home excellent
E estimat de son tems lou premier, remarcable,
Subre tous magistras en sciensso admirable,
Avie-t-il meritat ton dart sanguinolent?
11
Regreten donquo tous tau persouno d'honour,
Cadun mious que pourra li doune sa lauzour
Affin que a tout jamay n'en reste la memori.
14
Tout anssin qu'era vivent a l'amour aquistat
Justoment de chacun, de plus a meritat
Non estre separat de l'eternalo glori.
Bienheureux soit au ciel Monsieur le lieutenant, — Ce bon justicier prudent et
équitable, — Lequel, pour son savoir, on ne trouvait de semblable, — (4) Tout le monde
le pleure et riches et pauvres gens. —— Hélas cruelle mort! Un homme si excellent —
Et de son temps estimé comme premier, remarquable, — Parmi tous les magistrats de
science admirable, — (8) Avait-il mérité ton dard sanguinolant? —— Donc nous regrettons tous telle personne d'honneur, — Chacun, le mieux qu'il pourra, lui adresse sa
louange — (11) Afin qu'à tout jamais il en reste la mémoire. —— Tant qu'il était vivant
il a justement acquis — L'amour de chacun, il a en plus mérité — (14) De ne pas être séparé de l'éternelle gloire.
Balthasar Catin, dit « Vassal » reçut l'office de lieutenant du sénéchal que
détenait son beau-père Jean de Vega et ceci par l'intermédiaire de sa femme Anne de
Vega. Catin était seigneur de Saint-Savournin et eut comme héritière Théodor-Lucrèce
Catin, mariée à Julien Beissan. Balthasar Catin fut accusé lors des troubles de 1560
d'être réformé sous prétexte qu'il avait placé des huguenots en prison et ceci pour les
�soustraire à la vindicte des catholiques. Balthasar Catin était aussi le beau-frère de l'un
des dirigeants des huguenots marseillais, Jean de Vega (cf. Wolfgang Kaiser, Marseille
au temps des troubles…, op. cit., p. 117, 205, 212). Antoine de Ruffi précise dans son
Histoire de Marseille que Balthazar Catin soutint activement la construction du nouveau
palais de justice en 1565 (Histoire de Marseille…, op. cit., tome 2, p. 302). Robert Ruffi
écrit ce sonnet en 1579, à l'occasion de la mort de Catin. Nous savons que c'est ce même
Balthasar Catin, ami de son père Barthélemy, qui assiste en tant que témoin à
l'inventaire des biens familiaux le 4 octobre 1567 (MQ 107, Inventaires &
Reconnaissances de la famille De Ruffi, bibliothèque du musée Paul Arbaud :
�« Benefice d'inventaire des biens et heritaige de feu mestre Barthelemy Ruffi, luy vivant
docteur ez droictz de la ville de Marseille »).
Ruffi insiste dans le manuscrit sur les premières lettres des vers qui forment ce
sonnet acrostiche (l'écriture est plus appuyée). Alexandrins et rimes des tercets ccd-eed.
�XII
Carmen numerale de Monsieur Germain Salomon
advocat, de l'an, mois et heure de la mort
du dict Sieur lieutenant 19 septembre 1579 au signe Libra
En legis rigidus custos ius contulit alte
Bis terno libræ sole oriente cadit.
Voilà que ce gardien sévère de la loi a apporté la justice d'en haut — Il tombe
par deux fois au troisième jour du signe de la balance.
Germain Salomon (1541-1609) était avocat, docteur en droit, noble et d'une
grande fortune. Il occupa les fonctions d'assesseur de la ville en 1571, 1578 et 1596 et
était avocat de l'évêque, plus spécialement chargé des biens religieux (cf. Wolfgang
Kaiser, Marseille au temps des troubles…, op. cit., p. 69, 71, 175). Le 19 juillet 1601,
Germain Salomon dicte son testament ; Ruffi est alors son notaire. Ruffi envoie à
Germain Salomon le sonnet suivant à l'occasion de la naissance de son fils Pierre.
Titre : signe libra, le signe de la Balance.
�XIII
[fo 43 v°]
Sur la naissance de Pierre Salomon
ne a Aubagne 1580 le 2 decembre
Sonet envoye au pere encores retenu
la à cause de la contagion
4
Galhard fouguet lo cop que descubret la veno
E lou germe vitau en masculin fecond,
Rendent per grand vertut un pitot beou e blond,
Monsur, quand bourravas dins lou secret d'Eleno.
8
Autanben lou bon diou poderous sensso peno
Y metet son decret eternau e perfond,
Non voulent denembrar Salomon, sagi, rond,
Surtout per heretar de sa sagesso pleno.
11
Ajas donquo grand gauch d'aver agut tau fiou,
Louqual vous es donat per lo voler de Diou,
Oubrant a l'enfant et uno reys salomouno.
14
Ma Muso pregara que vou lou vegues grand,
Ome de ben surtout uno raro persouno,
Non mens paire savent que valhent segni grand.
Le coup qui découvrit le filon fut gaillard, — Et le germe vital, fécond pour les
mâles, — Rendant par grande vertu un petit beau et blond, — (4) Monsieur, quand vous
bourriez le secret d'Hélène. —— Aussi bien le bon dieu puissant y mit — Sans peine
son décret éternel et profond, — Ne voulant pas oublier Salomon, sage, franc, — (8)
Surtout pour hériter de sa pleine sagesse. —— Ayez donc grande joie d'avoir eu tel fils,
— Lequel vous est donné par la volonté de Dieu, — (11) Œuvrant pour l'enfant et une
lignée salomone. —— Ma Muse priera pour que vous le voyiez grand, — Homme de
bien, surtout une personne rare, — (14) Non moins père savant que vaillant grand-père.
Germain Salomon s'était retiré à Aubagne en 1580 pour éviter la peste qui sévissait alors à Marseille (cf. les poèmes de Ruffi Chanson sur la grande peste de l'an 1580
et Aultre Chanson au retour de la contagion (XXX). Les bourgeois et nobles marseillais
se retiraient dans leurs bastides pour éviter la contagion le plus souvent limitée à la ville.
�Aubagne est situé à vingt kilomètres de Marseille ; Germain Salomon devait y posséder
une propriété.
Ce sonnet acrostiche date donc de 1580. Il présente un curieux mélange :
allusions érotiques précises et volonté divine voisinent, dans un registre différent. Ruffi
semble insister sur l'importance de la filiation. La famille Salomon était une des plus
riches de Marseille, très proche du pouvoir religieux. Un descendant mâle qui puisse
reprendre les affaires paternelles est donc primordial.
La structure de ce sonnet est traditionnelle. Les rimes des tercets sont cependant
quelque peu différentes des sonnets précédents (ccd-ede), schéma que nous retrouvons
parfois dans les Contradictions d'Amour.
v. 1 : Ce coup gaillard qui découvre un filon est une allusion érotique. veno est traduit ici par
filon, rendant l'idée d'une conséquence inéluctable : la naissance d'un enfant.
v. 2 : masculin rend ici l'idée d'une descendance mâle. Le germe vital est donc fécond pour les
mâles. Ruffi rappelle l'importance d'une descendance masculine dans les familles provençales.
v. 3 : Allusion érotique, qui reprend l'idée exprimée au vers 1. Le secret désigne le sexe féminin.
Eleno est certainement le prénom de la femme de Germain Salomon.
v. 7 : rond, dans le sens de « franc » (cf. Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2,
p. 812).
v. 11 : reys signifie « racine », ici « lignée » (cf. Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit.
tome 2, p. 684). Mistral donne cette forme comme « niçoise ». Dieu a donc œuvrer pour que
Germain Salomon ait un garçon et ainsi asseoir sa descendance. Nous pouvons comprendre qu'il
s'agit de son premier enfant mâle. C'est dans ce sens que l'on doit comprendre l'adjectif
salomouno que nous traduisons littéralement.
v. 14 : segni grand, grand-père est un rappel de la descendance future de Germain Salomon.
�XIV
Sonnet
4
Belau prenent huroux de Minerve naissance,1
E de son lac2 divin, avalant doucement,3
S'embuguet lou cerveu de science plenement,4
Tirant d'aqueu5 nectar sa divine eloquence.6
8
E Pandore7 tanben, plene en dons d'excellence,8
Sas charites9 donnant a10 Belau largament,
L'a rendut accomplit troubadour dignament,
Lou premie de son temps au pais de Provence.11
11
Testimoni verai,12 sas obros l'an rendut,
Au monde curioux13 dau fruc14 de sa vertut,
D'une sante15 furour sortent 16 de sa peitrine.17
14
Son escrich es18 gauchous, grave, fort19 familiau,
Tout plen20 de sens moral per monstrar au badau
Qu'ere lou parangon provensau de doctrine.21
1 Nous établissons ici les variantes avec l'édition de ce sonnet.
Ed : "hurous de Minervo neissenso".
2 Ed : "lach".
3 Ed : "doussament".
4 Ed : "lou cerveou de sciensso plenament".
5 Ed : "aqueou".
6 Ed : "divino elouquensso".
7 Ed : "Epandoro".
8 Ed : "pleno en dons d'excellensso".
9 Ed : "charitos".
10 Ed : "à".
11 Ed : "Lou premier de son tems au pays de Prouvensso".
12 Ed : "verais".
13 Ed : "curious".
14 Ed : "fruq".
15 Ed : "santo".
16 Ed : "sourtent".
17 Ed : "peitrino".
18 Ed : "ez".
19 Ed : "fouort".
20 Ed : "plem".
21 Ed : "Qu'ero lou parangon Prouvenssau de doutrino".
�Heureux Bellaud, prenant naissance de Minerve, — Et avalant doucement son
lait divin, — S'imbiba le cerveau de science pleinement, — (4) Tirant de ce nectar son
éloquence divine. —— Et Pandore aussi, comblée de dons d'excellence, — Donnant
largement ses charités à Bellaud, — L'a rendu dignement troubadour accompli, — (8)
Le premier de son temps au pays de Provence. —— Vrai témoin, ses œuvres l'ont rendu
— Au monde curieux du fruit de sa vertut, — (11) D'une sainte fureur sortant de sa
poitrine. —— Son écrit est joyeux, grave, très familial, — Plein de sens moral pour
montrer au badaud — (14) Qu'il était le parangon provençal de doctrine.
Ce sonnet n'est pas écrit de la main de Robert Ruffi. Cette écriture est
postérieure au XVIe siècle : ronde, allongée, elle paraît être caractéristique des pratiques
cursives du XVIIIe siècle (elle est fort semblable à celle de la pièce XLI). Il est probable
que Ruffi n'a pas recopié ce poème et que celui-ci a été rajouté par ses descendants,
certainement Anne de Ruffi, Antoine de Ruffi ou un de leurs proches. Ce sonnet fait
partie des pièces liminaires adressées à Louis Bellaud de la Bellaudière dans l'édition de
ses œuvres en 1595 (Obros et rimos…, op. cit., p. 41). Ruffi y publie deux sonnets.
Nous pensons que ce poème a été recopié sur un exemplaire de l'édition de
1595. Les variantes que nous avons relevées nous indique quelques changements
orthographiques sans conséquence sur le sens de ce poème. Il est vraisemblable qu'une
copie originale aurait été quelque peu différente, révélant des variantes d'écriture
comme nous avons pu l'observer dans le premier sonnet publié dans le même ouvrage
(cf. pièce X). Les variantes observées ici sont néanmoins significatives. Elles
concernent des pratiques graphiques dont le provençal subit l'effet. La graphie de Ruffi,
comme certainement celle de ses contemporains, ne semble pas être comprise par le
scripteur qui, sous influence française, transcrit et francise certains faits linguistiques
(comme par exemple la voyelle féminine atone finale corrigée en e, mais relevons sa
maintenance en os dans le pluriel au vers 9). Nous sommes là à une époque de perte de
conscience linguistique chez un scripteur qui a perdu tout usage écrit de l'occitan et se
réfère au français pour le transcrire, corrigeant même certains traits communs à toute
l'écriture du provençal au XVIe siècle.
Ce sonnet est de facture classique (alexandrins et rimes des tercets ccd-eed, les
changements orthographiques ne bouleversent pas la versification ; nous savons que
celle-ci se réfère chez Robert Ruffi aux modèles français). La thématique du poème est
semblable à celle observée dans les autres pièces encomiastiques.
v. 1-4 : Minerve, déesse guerrière, personnifie la sagesse, la raison et la chasteté. Bellaud est
ainsi présenté dans une filiation avantageuse qui n'a bien sûr rien à voir avec le contenu de son
œuvre (surtout pour la chasteté !). La configuration à la mythologie est classique, mais témoigne
déjà, chez un poète de cinquante trois ans, de modèles littéraires qui seront combattus par la
réforme malherbienne.
v. 5-8 : Pandore, forgée par Héphaïstos, était une créature fort belle et dotée par les dieux
(particulièrement par Athéna). Son nom signifie en grec « don de tout ». C'est en ouvrant une
boîte confiée par les dieux que Pandore répandit sur la terre tous les maux.C'est donc Pandore
qui donne à Bellaud tous ces dons, principalement celui d'écrire les vers qui furent les siens.
Relevons aux vers 7 et 8 les mots troubadour et Prouvensso qui placent Bellaud dans une
filiation littéraire occitane.
�v. 9 : Ce vers est difficile à comprendre. Nous pensons que les œuvres de Bellaud ont été les
témoins de cette sainte fureur dont il est question au vers 11.
v. 12 : Que veut dire Ruffi quand il écrit fort familiau ? Est-ce une allusion au style de Bellaud
et plus particulièrement au registre érotique ? Nous pouvons également comprendre que Ruffi
établit un sens de familiarité qui concerne l'ensemble de la communauté provençale et ceci
grâce à la langue employée. Cette argumentation sera reprise dans l'Odo a Pierre Paul.
v. 13 : plen de sens moral est une interprétation personnelle de Ruffi que l'on sait très attaché à
l'ordre moral. On ne peut pas dire que l'œuvre de Bellaud reflète particulièrement le sens moral
de son auteur ! Nous sommes ici dans le domaine des pièces encomiastiques qui ne se
préoccupent pas de lecture critique, mais seulement de restituer une œuvre à des fins laudatives.
�XV
[POEMES ADRESSES A HENRI D'ANGOULEME]
Henri d'Angoulême arrive en Provence en 1576. Il hérite d'une situation délicate.
Les Guerres de Religion ont dévasté le pays divisé entre « razats » et « carcistes »,
catholiques modérés et intransigeants. La communauté protestante de Marseille n'est pas
nombreuse, mais très active, et compte surtout dans ses rangs des bourgeois et des négociants fortunés.1 La ville est agitée, non seulement par les Guerres de Religion, mais
aussi par une série de luttes intestines ; les principales familles s'organisent et se regroupent en « clans » divers qui recoupent, il est vrai, bien souvent les croyances religieuses,
mais qui visent à la prise du pouvoir communal. Marseille est alors une ville qui hésite :
profondément catholique, elle ne rejoint pas complètement le camp de la Ligue, mais
refuse toute compromission avec les Réformés. L'accession au trône de Henri IV mettra
définitivement le feu aux poudres, laissant éclater les divisions et facilitant la prise du
pouvoir de Charles de Casaulx.
Henri d'Angoulême, comme gouverneur, est installé à Aix-en-Provence. C'est
d'ailleurs dans cette ville qu'il anime la brillante société littéraire que fréquente Bellaud
de la Bellaudière. Le pouvoir du gouverneur est en réalité fragile. Il est d'un côté en
conflit avec le Parlement qui est toujours fortement divisé, et avec les différentes
factions qui composent le paysage politique provençal. Il est l'homme de la politique
royale, celle d'Henri III (qui n'est pas toujours claire) et celle qu'il improvise en
Provence au contact d'une situation parfois complexe.
Dans ce contexte, Marseille connaît plusieurs soubresauts. En 1583, des
premières émeutes se déclarent en ville et la seule présence du Grand Prieur suffit à
ramener le calme. Ruffi consacre deux poèmes à ces faits (le sonnet [1] et le poème [5]
de cet ensemble XV). Ces événements ainsi que ceux d'avril 1585 apparaissent comme
un prélude à la dictature ligueuse de Charles de Casaulx ; ils constituent les prémices
d'une rebellion mieux organisée, nourrie par des rancœurs personnelles et des
sentiments particularistes qui animent la cité phocéenne. La situation qui permet à
Casaulx et à ses partisans de prendre le pouvoir au nom de la Ligue est le fruit d'une
longue évolution historique ; elle prend en compte des faits nationaux, principalement la
constitution de la Ligue et l'hostilité à Henri de Navarre et des aspects locaux,
essentiellement les structures sociales marseillaises, les luttes pour le pouvoir communal
des diverses factions et l'ambition personnelle de quelques-uns.
Dans la nuit du 9 avril 1585, Louis de La Motte-Dariès, en l'absence du premier
consul Antoine Arène, fait occuper le fort de Notre Dame de la Garde, gardant Marseille
1 La meilleure synthèse est à ce jour celle de Wolfgang Kaiser (Marseille au temps des troubles…, op. cit., p. 261283). Ruffi consacre dans ses Mémoires un chapitre à ces événements : Ce qu'est advenu en ceste annee 1585 a
Marseille du faict de Loys Daries.
�sous le feu de ses canons.2 Les Huguenots sont pourchassés et certains d'entre eux
assassinés. Les catholiques fidèles à Dariès arborent sur leur chapeau une croix blanche
et signalent les maisons des Réformés. Les conjurés s'adressent à Hubert de Vins, chef
de la Ligue, pour le prier de se rendre à Marseille, mais les bourgeois de Marseille,
assemblés à Saint Victor sous la conduite de François Bouquier, premier consul en
1581-1582, ne se rallient pas à Dariès et font échouer sa tentative. Les Marseillais en
appellent au gouverneur de Provence et le 13 avril Henri d'Angoulême peut entrer dans
Marseille. Louis de la Motte-Dariès et plusieurs de ses complices sont pendus le
lendemain (seuls quelques-uns, dont Charles de Casaulx, purent s'enfuir).
À la suite de ce coup de main manqué, Henri d'Angoulême impose un nouveau
règlement municipal que Ruffi assimile aux Chapitres de Paix signés par Charles
d'Anjou en 1257. Les vingt-quatre nouveaux membres du Conseil, les consuls,
assesseurs et capitaines sont élus selon une procédure compliquée qui permet d'écarter
les personnes indésirables. Ce règlement fait ainsi la part belle aux royalistes et aux
propriétaires terriens ce qui, on le sait, ne mécontente pas Robert Ruffi.3
Ruffi n'est pas un partisan de Dariès. Il salue dans ses poèmes l'action du GrandPrieur. Pendant ces journées, celles de 1583 et de 1585, il ne semble pas avoir pris une
grande part aux événements (contrairement, nous le verrons, en 1596). Il relate
cependant ces faits et d'une manière assez précise dans le manuscrit de son histoire de
Marseille et y recopie le quatrain [4]. Il n'est pas étonnant que ces poèmes soient
adressés à Henri d'Angoulême. Ils font partie d'un texte d'allégeance politique assez
classique pour ce siècle ; ils constituent, avec l'ensemble suivant sur la réduction de
Marseille en 1596, un corpus politique assez étendu. Deux de ces sonnets sont
acrostiches (alexandrins et rimes des tercets ccd-eed), répondant en cela à un style que
Ruffi affectionne.
[fo 44 r°]
[1]
A Monsieur le Grand Prieur de France
gouverneur en Provence 1583 ou y eust
un dict trouble
4
Henric de lieli, grand prince qu'as fach intrado
En aquesto cieutat alcedonicoment,
Nautres si non t'aven hondrat pron dignoment,
Recebe a tout lo mens lo cor de ta meynado.
Yeu dic d'aquello gent de perin encertado,
Douno li segound rey tas favours largoment,
2 Sur ces événements voir plus particulièrement l'article de Pierre Bertas : « Un Episode de la Ligue à Marseille. Une
relation inédite des journées d'avril 1585 », Congrès de Marseille, 4-7 avril 1929, Institut Historique de Provence,
Marseille, 1930, p. 80-86 ainsi qu'une relation imprimée de ces événements : LETTRES ES- / CRITTES DE
MARSEIL- / LE CONTENANT AV / vray les choses qui s'y sont / passées les 8. 9. & 10. du / moys d'Avril dernier /
1585/ Auec vn aduertissement sur icelle. // M.D.LXXXV. (24 p., exemplaire consulté bibliothèque municipale de
Marseille 200 012). Voir également ce qui en est dit dans l'Histoire de Marseille d'Antoine de Ruffi (op. cit.,
livre viii, ch. iii, p. 355-367).
3 Ces Chapitres d'Angoulême sont publiés par Antoine de Ruffi (Histoire de Marseille…, op. cit., tome 2, p. 255262) (Archives Communales de Marseille, AA 5, fo 270-276 v°).
�8
Aro qu'as enchassat la pas entieroment,
Non desiro qu'aver ton amour continuado.
11
Glori dau sang vales qu'as parturit la pas,
O paire das Foussencs, fay tornar se ti plas
La villo en tous1 sous drechs, libertas e franquesos,
14
Emplegant ton poder vers lou rey lylian,
Marselho pregara que vives nestorian,
E qu'en bon astre sion toutos tas entrepresos.
[1]
Henri aux fleurs de lys, grand prince, toi qui as fait ton entrée — Comme un alcyon
dans cette cité, — Si nous autres ne t'avons pas assez honoré dignement, — (4) Reçois
pour le moins le cœur de tes enfants. —— Je parle de ces gens revigorés par le péril, —
Donne leur, second roi, largement tes faveurs, — Maintenant que tu as entièrement
enchâssé la paix, — (8) Ils ne désirent qu'avoir ton amour ininterrompu. —— Gloire du
sang valois, toi qui as engendré la paix, — Ô père des Phocéens, remets s'il te plaît —
(11) La ville en tous ses droits, libertés et franchises, —— Employant ton pouvoir auprès
du roi aux fleurs de lys, — Marseille priera pour que tu vives comme Nestor, — (14) Et
que toutes tes entreprises soient heureuses.)
[1]
Titre : Ruffi consacre un autre poème à ces troubles (poème [5]). Nous publions cette dernière
pièce avec ces poèmes. Elle est située plus loin dans le manuscrit (fo 55 r°) et aucun signe ne la
rattache à ces textes. Nous faisons ici une exception à notre respect de l'ordre du manuscrit.
v. 1 : Les fleurs de lys étaient l'emblème de la royauté. Bien que bâtard du roi, Henri
d'Angoulême bénéficie des attributs de la royauté. Henri d'Angoulême était le fils de Henri II et
d'une dame d'honneur de Marie Stuart.
v. 2 : alcedonicoment, adverbe formé sur alcyon. L'alcyon était un oiseau de mer fabuleux,
regardé comme un heureux présage. On croyait qu'il ne faisait son nid que sur une mer calme.
Le Grand-Prieur ramène le calme et la paix à Marseille comme un alcyon. Ruffi emploie à
nouveau cette image dans un sonnet adressé au duc de Guise (XVI, [3]). Cette forme adverbiale
n'est pas attestée chez Huguet (sous la forme « alcyoniquement »). Seuls figurent dans le
dictionnaire « alcyon » et « alcine » (Dictionnaire…, op. cit., tome 1, p. 153 et 154).
v. 3 : hondrat, « honoré » (cf. Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 440).
v. 4 : meynado, dans le sens de « enfants ». Les Marseillais ne sont pas que les sujets du roi et
de Henri d'Angoulême, mais sont aussi ses « enfants ». Cette image accentue le caractère
protecteur de Henri d'Angoulême face à des Marseillais qui ne sont pas dotés d'un jugement
adulte.
v. 5 : dic, forme que l'on retrouve dans les Contradictions d'Amour (sonnets [7] et [13]).
de perin nous paraît énigmatique. Nous verrions pour notre part une erreur pour « periu » (que
l'on retrouve ailleurs) (cf. « perilh »). La lecture du n ne peut pourtant pas être ici confondue
avec u. Nous conformons notre traduction à cette interprétation.
encertado cf. « encertar » qui signifie « greffer ». Cette image exprime l'idée d'une nouvelle
race marseillaise, différente des précédentes, qui se comporterait mieux, fidèle à son roi et qui
donc pourrait recevoir les faveurs du Grand-Prieur. Face au danger, les Marseillais retrouvent
1 Rajouté au-dessus.
�leurs esprits, se reprennent et font échec à cette tentative. Nous avons traduit par « revigorés »,
nous éloignant du champ lexical de « greffer », mais conservant cette idée.
v. 6 : segound rey est à remarquer. Le gouverneur de Provence ne portait pas le titre de vice-roi.
Il possédait cependant de grands pouvoirs.
v. 9 : parturit, littéralement « accouché ». Henri d'Angoulême a « accouché la paix ». Nous
préférons en français « engendré » qui implique non seulement l'idée de naissance, mais aussi
celle de la conception.
v. 11 : Ruffi, tout en étant fidèle au roi, n'en est pas moins ce que l'on pourrait appeler un
« autonomiste marseillais ». Il rappelle dans ce vers à Henri d'Angoulême les libertés et
franchises marseillaises.
v. 13 : nestorian, de Nestor, roi de Pylos qui participa au siège de Troie et mourut très vieux.
Nous n'employons pas l'adjectif « nestorien » pour éviter toute confusion avec l'hérésie des
Nestoriens.
v. 14 : bon astre : Mistral donne « heureusement » pour « à bon astre » (cf. Mistral, Lou Tresor
dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 159).
[fo 44 v°]
[2]
Au dict seigneur ayant dresse les
chapitres d'Angoulesme a la grand
instance de quelques ungs en l'annee
15851 de peu de duree
4
Henric, prince vales, que de ta man rialo
En aquesto cieutat as donat regloment
Net, pur, per lo public ordenat sanctoment,
Restaurat tu nous as l'antiquo tymouchialo.
8
Yeu dich d'aquello gent foussenco tan lialo
D'ount toutos nations prenion ensegnoment,
A vieure vertuous e parlar doctoment,
Non re mens generous en l'obro martialo.
11
Glorious foun l'estat d'aquel ancian repaus,
O prince, may lo tems revelhaire de maus,
L'avie rendut decat, plen de malici extremo,
14
E tu, car d'un tan grand fallie l'autoritat,
Marselho n'as remes a son premier estat,
En ello florissent capitous d'Angoulemo.
[2]
Henri, prince valois, qui de ta main royale, — As donné règlement à cette cité, — Net,
pur, ordonné saintement pour la communauté, — (4) Tu nous as restauré l'antique
1 PV biffée : 1586.
�timouque. —— Je parle de cette gent phocéenne si loyale — De laquelle toutes nations
prenaient enseignement, — Pour vivre vertueux et parler doctement, — (8) Pas moins
généreux en l'œuvre martiale. —— Glorieux fut l'état de cet ancien repos, — Ô prince,
mais le temps réveilleur de maux, — (11) L'avait rendu vicié, plein de malice extrême.
—— Et toi, car il fallait l'autorité d'un si grand, — Tu as remis Marseille en son premier
état, — (14) Fleurissant pour elle les chapitres d'Angoulême.)
[2]
v. 4 : tymouchialo, la timouque, nom que portaient les Six-Cents, les députés de la république
marseillaise (cf. Monique Clavel-Levêque, Marseille grecque, Jeanne Laffitte, Marseille, 1977,
rééd. 1985, p. 120). Cette appellation ne se trouve que chez Strabon que Ruffi a certainement lu
(cf. Michel Clerc, Massalia. Histoire de Marseille dans l'Antiquité des origines à la fin de
l'Empire romain d'occident (476 après J.-C.), 2 vol., Laffitte, Marseille, 1971, p. 427).
v. 5 : Yeu dich, « ce que je dis, « ce dont je parle » (remarquons encore une fois la forme dich).
v. 6 : nations compte pour trois syllabes.
v. 8 : Ruffi a écrit non remens ce qui apparaît, dans cette découpe morphologique, difficile à
comprendre. Nous pouvons lire non re mens, re étant peut-être une forme semblable à « ren »
(de nos jours, en Provence, cette dernière forme est généralisée, mais on trouve fréquemment
dans d'autres domaines ren prononcé [re]).
Nous pouvons cependant nous demander si remens n'est pas une forme issue de remetior,
remensus qui signifie « mesurer de nouveau ». La traduction serait alors : « Ne pouvant se
mesurer ». Cette dernière explication nous paraît toutefois peu probable.
Le sens de ce vers indique que les Massaliotes, réputés comme commerçants, n'étaient pas
moins d'excellents guerriers.
v. 11 : decat, issu de deca qui signifie « faute ». Nous employons ici « vicié » qui rend compte
de l'usure du temps sur les institutions marseillaises et qui répond à malici dans le même vers.
[fo 45 r°]
[3]
Au dict seigneur Grand Prieur 1585
4
Per tu prince vales, segond yeli de Fransso,
Lou comun marsilhes si trobo decorat
D'un pur sant regloment, de ton nom illustrat
Que as bons douno repaus e touto asseguransso.
8
Coumo aussi lou catiou de contrari esperansso,
Fourrat d'ambition, d'avarici abeurat,
Restara nec e luen coumo pestiferat,
Mostrant que la vertut au sort aura puissansso.
11
Car anssin la comuno aura son revengut,
Tan riche que pauret,1 l'honour que li es degut
E au gouvert public aura glori supremo.
Marselho tendra dounc, o prince generous,
1 PV biffée : avancent (?), pauret rajouté au-dessus.
�14
De ta man aquest ben e gagi precious,
Que nomaran tousten capitous d'Angolemo.
[3]
Par toi prince valois, second lys de France, — La communauté marseillaise se trouve
décorée, — D'un pur saint règlement illustré de ton nom, — (4) Qui donne repos et toute
assurance aux bons. —— Comme aussi le méchant d'une espérance contraire, — Habité
d'ambition, abreuvé d'avarice, — Restera interdit et loin comme pestiféré, — (8)
Montrant que la vertu aura puissance sur le sort. —— Car ainsi la commune aura son
revenu, — Aussi bien riche que pauvre, l'honneur qui lui est dû, — (11) Et au gouvernement public, elle aura gloire suprême. —— Marseille tiendra donc, ô prince généreux,
— De ta main ce bien et gage précieux, — (14) Qu'ils nommeront tout le temps chapitres
d'Angoulême.
[3]
v. 1 : segond yeli est à rapprocher de segound rey dans le sonnet [1].
v. 2 : Le mot comun pour désigner la communauté est d'un usage courant au XVI e siècle. On le
trouve dans le Carrateyron et plus avant dans le manuscrit de Ruffi dans les Quatrains (II,
[76]).
v. 5 : catiou compte pour deux syllabes.
v. 7 : Le mot pestiferat n'est pas neutre sous la plume de Ruffi. Nous savons que cinq ans
auparavant la ville connut une grave épidémie de peste (Ruffi consacre plusieurs poèmes à cette
maladie). Les pestiférés étaient le plus souvent tenus à l'écart, soit sur leurs navires (quand la
peste y était signalée), soit emmurés dans leurs maisons.
v. 9-10 : Même dans les temps les plus troublés, les négociants marseillais ne perdront pas le
sens des affaires. Ruffi témoigne ici de cette mentalité.
v. 13 : precious compte pour trois syllabes.
[4]
Quatrein faict le 10 avril 1585 sur la
trahison de Louys Daries second consul
condamne et pendu
Aqueou tiran treydour de sa terro foucido,
Que d'un signe celest avie lou subrenom,
Enssious d'exterminar lou marselhes renom,
L'a rendut immortau, perdent pendut la vido.
[4]
Ce tyran traitre de sa terre phocéenne, — Qui portait le surnom d'un signe céleste, —
Anxieux d'exterminer le renom marseillais, — L'a rendu immortel, perdant pendu la vie.
�[4]
v. 2 : Allusion à aries qui signifie « bélier » en latin, un des signes du zodiaque.
[fo 55 r°]
[5]
A Monsegneur le Grand Prieur 1583 ayant
apaise un tumulte en la ville
5
10
15
Alegres, te vezen vengut en esto villo,
O prince generous qu'en tas armos d'estillo
Lou lys triple conjonch au lyon escosses,
O glori de la reyx das princes de Vales,
Enfin Marselho ves ta caro desirado
Qu'avie pron esperat de li estre apeisado.
D'aqui ven que gauchous, batent cadun las mans,
E d'uno alegro vous de tous lous habitans
Per la pas recobrado, esto rasso foucido
Ti noumo son segnour e son paire e sa vido,
Fasent per ton salut grans vots publicoment.
Donquos, o grand Henric, anssin hurosament
As produch lou repaus jonch a la ley divino,
Cassant lou tenebrous per la pas que domino,
Enfin tu as rendut per ton autoritat
Touto la Republico en son premier estat.
Joyeux, nous te voyons venu en cette ville, — Ô prince généreux qui rassemble
en tes armes de style — Le triple lys et le lion écossais, — Ô gloire de la lignée des
princes de Valois, — Enfin Marseille voit ta face désirée, — Car elle avait assez attendu
pour être apaisée. — De cela vient que contents, battant chacun dans les mains, — Et
d'une voix joyeuse de tous les habitants, — Pour la paix recouvrée, cette race phocéenne
— Te nomme son seigneur et son père et sa vie, — Faisant publiquement de grands
vœux pour ton salut. — Donc, Ô grand Henri, ainsi heureusement — Tu as procuré le
repos avec à la loi divine, — Chassant le ténébreux par la paix qui domine, — Enfin tu
as rendu par ton autorité — Toute la République en son premier état.)
v. 2-3 : Les lys, emblème de la royauté et le lion écossais, emblème des Guise. Henri
d'Angoulême réunit donc la maison de France et les Guise, les principaux dirigeants de la Ligue.
On peut se demander si ce poème n'a pas été écrit (ou réécrit) quelques années après cet
événement, notamment lors de la présence de Charles de Guise en Provence.
v. 4 : reyx, racine selon Mistral (Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 689). Il s'agit ici
de la lignée nobiliaire.
v. 9 : rasso foucido, la race phocéenne, c'est-à-dire les Marseillais. Ruffi emploie cet adjectif à
propos de la terro dans le quatrain précédent.
�v. 14 : tenebrous désigne plus un état collectif qu'une personne particulière. Il s'agit des ténèbres
de l'histoires, métaphore évidente de l'enfer. Henri d'Angoulême apporte la paix et la lumière.
v. 16 : Republico fait ici référence à l'antique Massalia. Ruffi place donc la cité du XVI e siècle
dans une filiation historique. Bien qu'appartenant au royaume de France, Marseille est toujours
une République possédant ses propres privilèges. Nous sommes au cœur d'une articulation
identitaire qui tente de concilier la royauté et la cité. Cet emploi n'est pas isolé, remarquons
également « esto pauro Republico » dans la Chanson au retour de la contagion (XXXI).
�XVI
[POEMES SUR LA REDUCTION DE MARSEILLE]
Les troubles de la Ligue ont de graves répercussions sur la cité phocéenne.
Marseille n'est pas indifférente à l'action menée par la Ligue provençale, que ce soit les
entreprises d'Hubert de Vins ou celles de la comtesse de Sault.299 Les événements de
1583 et de 1585, réprimés par Henri d'Angoulême et condamnés par Robert Ruffi,
montrent à quel point le pouvoir communal et l'équilibre entre « bigarrats » et
« ligueurs » sont précaires. Dès la mort de Henri III, la ville refuse de reconnaître Henri
de Navarre comme nouveau souverain. En 1591, elle ne se livre pas totalement au duc
de Savoie entré en Provence. Il semble que les Ligueurs marseillais, guidés par leurs
sentiments « autonomistes3, essaient de jouer une carte personnelle, ultra-catholique,
mais essentiellement marseillaise. La prise du pouvoir par Charles de Casaulx en 1591
fait de Marseille une cité qui tente de réaliser un vieux rêve d'indépendance : une
monnaie particulière, une gestion autonome, une imprimerie, des alliances avec
l'Espagne, tout concourt à faire de la ville une « république ligueuse » fascinée par les
modèles italiens Gênes et Venise.300
Ce rêve s'écroule en 1596. Dès 1594, la Ligue commence à se dissoudre. Elle
n'avait plus, depuis la conversion d'Henri IV et sa politique de pacification, de raisons
d'être majeures. Cependant, Marseille continue à résister et le 5 janvier 1596 rejette
toutes les propositions du roi. La paix entre Mayenne et Henri IV quelques jours plus
tard place les Ligueurs marseillais dans une situation embarrassante. Nous ne pensons
pas que la volonté de Casaulx ait été de livrer Marseille à l'Espagne, mais plutôt de
s'assurer l'aide de Philippe II, seul allié de la Ligue, et de construire une cité « libre »
jusqu'à l'accession au trône d'un souverain catholique. Les Ligueurs marseillais
apparaissent donc comme des jusqu'au boutistes. Mais en réalité, on ne peut comprendre
cette attitude politique sans considérer le jeu des influences et la personnalité de Charles
de Casaulx qui se comporte, de 1591 à 1596, comme un véritable dictateur. Les
Marseillais, qui l'avaient soutenu en 1591, se détachent de sa politique, principalement
les négociants qui ne voyaient pas d'un bon œil Marseille séparée du reste du royaume
299 La synthèse la plus récente sur ces troubles est celle de Wolfgang Kaiser : Marseille au temps des troubles…,
op. cit., p. 301-346. Les études sur ce sujet sont nombreuses, parfois anciennes, mais toujours intéressantes. Citons
entre autres les nombreux articles et notes manuscrites de Pierre Bertas conservés dans un fonds spécifique aux
Archives communales de Marseille. Quelques renseignements se trouvent également dans un article de Claude
Barsotti, « Lo Ròtle politic de l'estampariá a Marselha dau tèmps de Casaulx e de Loïs d'Ais », Louis Bellaud de la
Bellaudière (1543?-1588), Actes du colloque de Grasse (8-9 octobre 1988), Section Française de l'Association
Internationale d'Etudes Occitanes, Montpellier, 1993, p. 9-16.
300 Il s'agit ici d'une constante historique. Marseille rêve d'une indépendance politique et économique, interroge sa
grandeur passée. Les souverains provençaux respectaient certains privilèges supprimés par les rois de France. Le
sentiment communautaire marseillais se fonde sur l'histoire, tourne parfois le dos à la Provence et traverse toutes les
catégories, les classes sociales et les croyances religieuses.
�et de ses débouchés économiques. Les impositions successives décidés par Casaulx et
D'Aix sont très impopulaires, néfastes à l'expansion du commerce. La classe moyenne,
elle aussi ruinée par le blocus imposé par les troupes du duc de Guise, se rallie à la
politique royale. Dès lors Casaulx ne peut compter que sur une poignée de fidèles et se
maintient à son poste au prix d'une dictature sans merci. C'est finalement son assassinat
qui livre Marseille aux troupes royales.
Les tentatives de conciliation avaient été pourtant nombreuses. En novembre
1595, Mayenne nomme Estienne Bernard, président du Parlement de Dijon, à la
Chambre de Justice souveraine.301 Sa mission est de faire céder Casaulx et Louis D'Aix
et de les amener à négocier une alliance avec Henri IV. Les deux hommes refusent et
font même brûler des portraits du roi et de Gabrielle d'Estrées. 302 Les dictateurs
marseillais refusent toute conciliation et se placent sous la protection de l'Espagne : en
décembre 1595 et janvier 1596, les galères espagnoles font leur apparition dans le port
de Marseille.303 Robert Ruffi relate dans ses Mémoires une dernière entrevue entre le
Président Bernard et les dictateurs qui ne modifient pas leur position : « Mais aussi tost
que le dict Sieur Bernard eust dict, car a peyne avoyent la patience, le dict d'Aix d'une
ardente collere jeta son chapeau par terre y mettant les piedz dessus en jurant et blasphemant qu'ilz n'en feroient rien. »
Nous savons que pendant cette période Robert Ruffi, d'abord partisan de
Casaulx, se range auprès des modérés. Il essaie d'influencer Casaulx et D'Aix et est
même quelque temps inquiété avec le président Bernard, assigné à résidence. 304 Nous ne
reviendrons pas sur son attitude. Remarquons simplement que par l'écriture et la
publication en 1596 de ces poèmes, Ruffi se démarque de ses anciennes opinions et
prend parti, intervenant publiquement et en son nom dans le combat politique. Cruelle
ironie du sort ou ingratitude des représentants du roi : ses prises de position pro-Savoie
et pro-Casaulx lui vaudront d'être quelque peu inquiété. En 1611, on lui reprochera
encore son attitude passée.
Toute tentative de conciliation étant vouée à l'échec, le nouveau gouverneur de
Provence, Charles de Guise, se résout à tenter un coup de force. Pour cela, il faut
procéder à l'assassinat de Charles de Casaulx. Estienne Bernard et deux avocats restés
dans la ville, Geoffroy Dupré et Nicolas de Bausset, traitent alors avec un capitaine
corse, Pierre de Libertat. Un accord secret qui lui octroie la charge de viguier et une
pension princière est conclu. Le 17 février 1596 les troupes du duc de Guise
s'approchent de la porte Réale gardée par Libertat. Casaulx alerté s'y rend et c'est là que
Libertat le transperçe de son épée. Les troupes du duc de Guise peuvent alors entrer
dans Marseille. Les soldats espagnols s'enfuient sur les galères ancrées dans le port qui,
sous le feu des royalistes, gagnent le large. La ville est livrée au roi.
301 Sur la Chambre de Justice souveraine cf. Raoul Busquet, La Justice souveraine (1593-1596), Institut Historique
de Provence, Marseille, 1925.
302 Ces portraits avaient été retrouvés sur un italien, peut-être Niccolò Pesciolini, agent du grand-duc de Toscane.
C'est certainement ce même italien qui est l'auteur d'un sonnet recopié par Ruffi dans le manuscrit de son histoire de
Marseille (publiés en Annexe I) (cf. Wolfgang Kaiser, Marseille au temps des troubles…, op. cit., p. 338).
303 Carlo Doria arriva le 28 décembre 1595 avec quatre galères et quatre cents soldats. Sept galères et mille cinq
cents soldats les rejoignirent en janvier. La garnison espagnole ne devait pas excéder deux mille soldats ce qui n'était
pas négligeable. Les Espagnols ne livrèrent pas combat et se retirèrent sur leurs galères. En novembre 1595, une
délégation marseillaise s'était rendue à Madrid. Les propositions faites à Philippe II visaient à faire de Marseille une
étape entre l'Espagne et l'Italie. En contrepartie, les Marseillais sollicitaient l'installation d'une garnison et le libre
accès des marchés espagnols.
304 cf. Manuscrit de l'histoire de Marseille de Ruffi, p. 108.
�Il existe six relations publiées en 1596 qui entendent décrire la réduction de la
ville. C'est une de ses éditions, le Vray Discours, qui comporte quatre sonnets de
Robert Ruffi. Il semble qu'il y ait eu deux éditions simultanées du Vray Discours en
1596. Elles sont toutes les deux imprimées à Marseille, sans aucune marque particulière,
certainement sur les presses de Pierre Mascaron qui, malgré la fuite de leur propriétaire,
devaient encore être en état de marche. Deux éditions donc : la première, dont nous ne
connaissons qu'une copie manuscrite et qui renferme quatre sonnets de Ruffi (pièces [2],
[4], [5] et [6]) et la seconde avec laquelle se trouvent un sonnet de Ruffi (pièce [5]) des
distiques latins, un quatrain anonyme en occitan (pièce [1] de l'Annexe I) et une
épigramme latine de Balthazar de Cabannes.306 L'engagement de Ruffi pose problème.
Nous ne reviendrons pas sur son attitude politique. Contentons-nous d'observer
l'argument de ce Vray Discours : la réduction de la ville y est bien décrite, le geste de
Libertat y est glorifié. L'auteur de cet opuscule semble accorder toute la préméditation
de l'assassinat de Casaulx à Pierre de Libertat. Le président Bernard y est également
nommé, son action et son courage vantés.
Nous savons que Robert Ruffi rédige lui-même la lettre que Libertat envoie au
roi après la réduction de la ville. Le notaire marseillais est donc un proche de l'assassin
de Casaulx, un proche également du président Bernard qu'il soutient dans ses efforts de
paix. Le Vray Discours présente, fait plus troublant, des similitudes textuelles avec les
poèmes de Ruffi. Les Marseillais n'ont « jamais eu au cœur que la fleur de lys », image
que nous pouvons rapporcher de celle du sonnet [4] : « Car aven nostre cor per tout
flordelisat »307 L'action du président Bernard est décrite avec des termes semblables à
ceux du sonnet [6] : « En ceste incertitude, ledict Sieur President Bernard sort de son
logis et, assisté seulement de cinq ou six habitans, se jette en la place du Palais et là
criant (Vive le Roy, Vive France) fut en un moment suivy de plusieurs »308 Enfin, il est
souvent question de « l'augure et fatalite de son Nom de Libertat » et des conseils des
sieurs Valegrand et Péricard, personnalités à qui Ruffi adresse un sonnet et dont l'action,
au moment de la réduction, ne fut pas des plus remarquables. 309 De tous les discours
305
305 Discours de ce qui s'est passé en la prise de la ville de Marseille pour le service du Roy par Monseigneur le duc
de Guise son lieutenant général en Provence selon l'advis donné par un de la ville mesme du 18 février 1596, Lyon,
1596 (deux éditions à Paris à la même date).
Discours véritable des particularitez qui se sont passées en la réduction de la ville de Marseille en
l'obeyssance du Roy, Avignon, 1596.
Discours véritable de la réduction de la ville de Marseille en l'obeyssance du Roy, le samedy dix-septiesme
février 1596, Paris, 1596 (une autre édition à Lyon la même année). Raoul Busquet, La Justice…, op. cit., attribue la
paternité de cet ouvrage au président Estienne Bernard.
Bref récit de la réduction de la ville de Marseille en l'obeyssance du Roy le dix-septiesme février 1596, Aix,
1596.
Marslianische Historia./ Summarischer bericht, dessen so sich mit und von wegen der Statt/ Marsilia, inn
disem noch wehrenden Krieg zwuschen Heinrico III, dises namens, Konig inn Franckreich und Navarra,, auch
Philippo dem Konig in Hispania zugetragen, wie auch endtlich ange/regte Stat auf den 17. tag. des monats
Februarii/ in namen der Cron Franckreich durch den Hertzo/gen von Guysa angenommen, Ir Consul oder Obri/ster,
Casaukt genandt, sampt dem andern Span:nischen anhang umbgebracht, der Prin/cipe Doria widerumb nach
Genova abgeseglet, und dieselbige/ Statt verlassen/ habe, Beschriben und zu Augspurg inn den Truckh verordnet
durch Samuelem Dilbaum. Burgern daselbsten. Anno 1596.
306 VRAY / DISCOVRS DE / LA REDVCTION DE / la ville de Marseille / en l'obeissance du Roy, le / Samedy 17
feuurier / 1596. // [vignette] // A MARSEILLE / Par Commandement de Messieurs / 1596. Reproduction
photographique par Henri Chevreuil, Paris, 1884. Il s'agit ici de la deuxième édition. Une version manuscrite de la
première édition est conservée à la bibliothèque municipale de Marseille (ms 1780, don de G. D. Zafiropoulo).
307 Vray Discours…, op. cit., p. 12.
308 Ibid., p. 18.
Dans son Histoire de Marseille, Antoine de Ruffi reprend les faits décrits par son grand-père, notamment
ceux relatifs à la préméditation de Libertat et à l'action du président Bernard (Anoine de Ruffi, Histoire de
Marseille…, op. cit., livre ix, ch. iv, p. 417-418 et 426-427).
309 Ibid., p. 23 et 10.
�publiés quelque temps après cette réduction, le Vray Discours est le seul qui insiste sur
le geste de Libertat et sa préméditation, le seul également qui comporte des poèmes en
occitan. Estienne Bernard est selon Raoul Busquet l'auteur de l'une de ces relation s; ce
n'est donc pas l'envoyé de Mayenne qui rédige le Vray Discours et permet ainsi à Ruffi
d'y publier quatre sonnets.310
Pierre Bertas attribue la paternité du Vray Discours à Robert Ruffi.311 Nous
faisons nôtre cette hypothèse. Ruffi n'est peut-être pas à Marseille lors de l'assassinat de
Casaulx, mais nous savons que sa famille participe à la réduction et fait même
occasionnellement le coup de feu (cf. commentaires du sonnet [6]). Il est probable qu'il
soit rentré très tôt à Marseille (peut-être y était-il caché sous le coup d'une mesure
d'expulsion décidée par Casaulx), assez tôt pour participer à la première assemblée des
notables réunie par Libertat le 20 février. Il est également probable que la volte face des
derniers jours n'a pas suffi et que l'archivaire conserve des « amis » qui n'ont pas oublié
ses prises de position en faveur des dictateurs et sa nomination en 1593. Quoi de mieux
pour faire taire ces détracteurs que de rédiger une relation des derniers événements et de
publier des poèmes d'allégeance aux nouveaux maîtres de Marseille ? Entreprise
politique et littéraire, le Vray Discours entend assumer la relation historique et la
glorification littéraire. Quelle personnalité marseillaise, rompue à l'écriture, aurait-elle
pu demander à Ruffi des poèmes afin de les insérer dans une publication ? Notons
toutefois que la signature de Ruffi est assurée pour les poèmes. Le Vray Discours reste
bien sûr anonyme. L'inscription historique est donc en partie masquée; une présence
trop évidente de l'ex-archivaire ne l'aurait-elle pas desservi ? Ruffi compte quelques
ennemis qui pourraient lui reprocher ses activités passées et sa récente palinodie n'en
serait que plus suspecte. Similitudes textuelles et hypothèses historiques concordent :
nous pouvons prendre en compte l'attribution de Pierre Bertas sans preuves formelles,
mais en considérant les quelques éléments qui nous permettent, fortement, de maintenir
cette affirmation.
Ruffi recopie dans le manuscrit de ses œuvres poétiques huit poèmes relatifs à
cette réduction et dans le manuscrit de son histoire de Marseille dix poèmes (il n'est pas
l'auteur de sept d'entre eux). Quatre sonnets ont été édités dans le Vray Discours ainsi
qu'un quatrain anonyme. Voici la numérotation de ces pièces telles que nous les publions :
Poèmes de Robert Ruffi
n° des pièces
[1]
[2]
Destinataire
Est. Bernard
P. de Libertat
Incipit
« En toy toutes vertus”
« Ton nom s'es paregut”
[3]
(Quatrain sans
destinataire)
C. de Guise
« Marselho es d'onour”
[4]
« O prince guisian”
Localisation
ms 1
ms 1
ms 2
VD
ms 1
ms 2
ms 1
ms 2
VD
fo ou p.
fo 45 v°
fo 46 r°
n. fo
p. 41
fo 46 r°
n. fo
fo 46 v°
n. fo
p. 42-43
310 Cf. note 7.
311 Pierre Bertas, « Qui arma le bras de l'assassin de Casaulx? », Provincia, n°14, Marseille, 1934, p. 201-236.
�[5]
Henri IV
« Siro, lous dous tyrans”
[6]
Est. Bernard
« Quand libertat fouguet”
[7]
Mr de
Valegrand
Mr de Pericard
[8]
« A bon drech nostre rey”
ms 1
ms 2
VD
ms 1
VD
ms 1
fo 47 r°
n. fo
p. 32*
fo 47 v°
p. 46-45
fo 48 r°
« Tout ce que la naturo”
ms 1
fo 48 v°
Poèmes recopiés par Robert Ruffi
n° des pièces
[1]
Auteur
Anonyme
[2]
[3]
[4]
[5]
[6]
Eyguesier
Dubray
N. Pesciolini
N. Pesciolini
B. de Cabanes
Incipit
« Ley dous tyrans treydours”
« Pierre de Libertat qui”
« De Libertat c'est Dieu”
« Coclite Orazio nel ponte”
« Si posso aver segnor”
« Certa salus, nunc parta”
Localisation fo ou p.
VD
n. nm*
ms 2
ms 2
ms 2
ms 2
ms 2
VD
ms 2
n. fo
n. fo
n. fo
n. fo
n. fo
p. 30*
n. fo
[7]
C. de Cabanes
ms 1 : manuscrit des œuvres poétiques de Ruffi (MQ 111)
ms 2 : manuscrit de l'histoire de Marseille de Ruffi (MQ 112)
VD : Vray Discours. (la numérotation des pages qui comporte un * est celle de la
deuxième édition, sans *, le nombre renvoie au manuscrit).
Nous publions les poèmes recopiés par Ruffi dans le manuscrit de son histoire de
Marseille en « Annexe I”. Nous donnons en note les différentes versions de ces poèmes.
Ruffi témoigne d'une attitude empressée devant l'établissement définitif de la
politique royale. Les écrivains marseillais concernés par l'édition de 1595 avaient bien
besoin de se refaire une virginité politique : Pierre Paul est inquiété, doit s'exiler et écrit
un Repenty de la Bourbouillado, Ruffi n'exerce plus ses fonctions d'archivaire et
Mascaron, l'imprimeur des Obros et Rimos doit s'enfuir.312
Ces poèmes reflètent les sentiments d'allégeance classique au XVI e siècle. Ils
s'adressent notamment aux principales personnalités provençales : Pierre de Libertat
(qui profita très peu de ses avantages, car il mourut en 1597), Charles de Guise,
gouverneur de Provence, Estienne Bernard, envoyé de Mayenne qui paraît être un
proche de Ruffi. Ils intéressent autant l'histoire que la littérature, faisant partie d'un vaste
corpus politique auquel la littérature d'oc n'est pas étrangère.313
(Alexandrins et rimes des tercets ccd-eed).
312 Pierre Paul, L'Autounado, op. cit., p. 9-10, fo xi r°-v°. Estienne d'Auzier adresse quelques vers à Pierre Paul qui
témoignent de cet exil involontaire : « Vous sias ja luench de vouostre houstau, — Cassat per la bigarraduro »,
fo c v°.
�[fo 45 v°]
[1]
Du temps de Casaux sonet a Monsieur
Estienne Bernard president de la justice
a Marseille envoye par Monsegneur
de Mayenne
4
En toy toutes vertus sont dignement diffuses,
Sur ton chef coronne, plein de grace et bonh[e]ur,
Tu portes le laurier et trophee d'honneur,
Ia de long temps acquis par tes euvres fameuses.
8
Es-tu pas ce Bernard qu'aux charges serieuses
Ne crains y demonstrer ce que le vil dormeur
En toy de rare a mis et plante dans le cueur,
Bannissant de ton œil les ames vicieuses.
11
En tous lieux on te tient soleil papinien,
Recreu d'integrite et vray homme de bien,
Notè tres catholique et d'une ame tres pure.
14
A toy mon Mecenas, me consacrer me veux,
Retien moy s'il te plait, puys que tout bienhureux
Dieu te fait publier admirable en nature.
Titre : Nous savons qu'Estienne Bernard fut envoyé par le duc de Mayenne en remplacement de
Pierre de Masparraute comme président de la Chambre de Justice souveraine. Il arriva à
Marseille en décembre 1595. Il semble cependant que sa mission officieuse ait été de faire
revenir les Ligueurs marseillais à de meilleurs sentiments et de négocier, en douceur, la
réduction de la ville. Casaulx et D'Aix se méfièrent de Bernard et lui interdirent tout contact
avec l'extérieur. Il fut consigné chez lui et quatre jours avant la réduction fut sommé de quitter
la ville. Ruffi semble avoir été lié à Estienne Bernard. Il lui adresse deux sonnets. Nous savons
que l'archivaire marseillais intercéda en vain auprès des dictateurs marseillais et fut également
sommé de quitter la ville.
v. 1-4 : L'ambivalence de la notation de [y] entre u et eu, fréquente à la Renaissance, est
responsable de ce type de rimes que l'on trouve au début du siècle chez Marot (au vers 10 Ruffi
écrit Recreu pour « recrue ») (cf. sur ce sujet Mireille Huchon, Le Français de la Renaissance,
« Que sais-je ? » n°2389, Presses Universitaires de France, Paris, 1988, p. 86-88).
v. 9 : papinien certainement pour « papiste » ; « papisme », « papisterie » et « papistique » sont
attestés (cf. Huguet, Dictionnaire…, op. cit., tome 5, p. 609-610).
313 Sur ce sujet nous nous permettons de renvoyer à deux de nos articles : « Allégeance diglossique au XVIe siècle.
Texte politique et langue occitane en Provence (1583-1610) », op. cit; et « Inscription politique de la littérature
occitane en Provence (fin XVIe-début XVIIe) : la Canson provençalle de 1564, les sonnets recueillis par Peiresc et
autres pièces inédites », Lengas, revue de sociolinguistique, n° 32, Montpellier, 1992, p. 49-85.
�[fo 46 r°]
Sonnets
sur la reduction de Marseille le XVII
febvrier 15961
[2]
A Pierre de Libertat qui a
vaillament tue Casaux2
4
Ton nom s'es paregut plen de sens mysticat,
Pierre de Libertat, o enfant de Marselho,
Ta maire deliourant per grando merevelho
De la man das crudeous tyrans duunvirat.
8
Sant Pierre lou pielon de la gleyo es ystat,
E Marselho chrestiano au monde non parelho,
Pierre son sioutadin3 e fort pielon revelho
Per d'un cop tout celest gardar la fe e l'estat.
11
Vives dounc Libertat qu'as libertat donado
Embe ta drecho man dau ceou fortificado,
Fazent o Libertat miracle de ton nom.
14
Aussi Diou t'a gardat per un acte tan beou
Coumo a Judith un lueq tout glorious au ceou,
E viou e mort auras un immortau renom.a
[2]
Ton nom s'est révélé plein de sens mystique, — Pierre de Libertat, ô enfant de
Marseille, — Délivrant ta mère par grande merveille — (4) De la main des cruels tyrans
duumvirat. —— Saint Pierre est resté le pilier de l'Eglise — Et Marseille chrétienne
sans pareille au monde, — Pierre son citoyen et fort soutien la réveille — (8) Pour d'un
coup tout céleste garder la foi et l'État. —— Que tu vives donc Libertat, qui as donné la
liberté — Avec ta main droite fortifiée par le ciel, — (11) Faisant ô Libertat miracle de
1 Titre dans ms 2 : Ensuyvent les sonnetz e quatreins en francois, latin, grecse ytalien que furent presentes au dict
Libertat.
2 ms 2 : « A Monsur Pierre de Libertat— viguier de Marselho. — Ton nom s'es paregut plen de sens mysthicat, —
Pierre de Libertat, o enfant de Marselho, — Ta maire delieurant per grando merevelho, — De la man das tyrans
treydour duomvirat. —— Sant Pierre, lou pielon de la gleyo es ystat, — E Marselho chrestiano au monde
nomparelho, — Pierre son cioutadin e fort pielon revelho, — Per d'un cop tout celest garda la fe e l'estat. —— Vives
donc Pierre donc qu'as libertat donado — Embe ta drecho man dau ceou fortificado, — Fazent, o Libertat, miracle de
ton nom. —— Aussi Diou t'a gardat per ung acte tan beou, — Coumo a Judith un luec tout glouriuous au ceou, — E
viou e mort auras ung immortau renom. »
3 revelho biffé à la suite.
a La copie manuscrite du Vray Discours ne révèle que des variantes orthographiques sans importance. Elles peuvent
être le fait du copiste. Nous ne les établierons pas. Nous ne donnerons que les variantes de la publication. Titre dans
la copie manuscrite : á Monsieur / Monsieur de Libertat, viguier / pour le Roy, á Marseille.
�ton nom. —— Aussi dieu t'a gardé pour un acte si beau, — Comme à Judith un lieu tout
glorieux au ciel — (14) Et vivant et mort tu auras un immortel renom.)
Titre : Ruffi dédie ce sonnet à Pierre de Libertat qui tua Casaulx le 17 février 1596. De
nombreux poèmes font allusion à son geste. Pierre Paul adresse dans son Autounado sept
poèmes à Pierre de Libertat et un à sa femme. Ce recueil renferme également un quatrain de
Libertat adressé à Pierre Paul : « Au Capitaine Pierre Paul — Sarie pecat de tuar lou Diou
vinous — Sensso apointar sa mouort et sa querelle, — Et per enssin parlen sy en pau toy dous
— Per avyzar quan fau de pinatelle. — Votre affectionne amy — PIERRE DE LIBERTAT »
(cf. Pierre Paul, L'Autounado, op. cit., p. 13-17, fo xxii r°-xxii v°, cix r°, cxxiv r°).
v. 1 : Mettons en parrallèle dans ce vers paregut et mysticat que nous traduisons par « révélé »
et « mystique ». Ruffi fait évidemment allusion au surnom de Libertat. Nous savons que
Libertat s'appelait en réalité Pierre de Bayon. Ruffi joue sur Libertat et libertat dans l'ensemble
de ses poèmes.
v. 2 : Pierre de Libertat était en réalité d'origine corse, d'une famille originaire de Calvi et
installée à Marseille au début du siècle.
v. 4 : duunvirat désigne le mode de gouvernement de Charles de Casaulx et de Louis d'Aix.
v. 8 : Ce vers compterait une syllabe de trop sans une synérèse entre fe et e.
v. 13 : Judith, héroïne biblique, tua Holopherne, général de Nabuchodonosor, lors du siège de
Béthulie.
[3]
Quatrein
Marselho ero d'onour e libertat privado
Per dous tyrans, treydours, mestres de libertat,
E puis De Libertat en sa fatalitat
A remes libertat perdudo e desirado.4
[3]
Marseille était d'honneur et liberté privée — Par deux tyrans, traitres, maîtres de liberté,
— Et puis Libertat par sa fatalité — A remis liberté perdue et désirée.
[fo 46 v°]
[4]
A Monseigneur de Guise gouverneur
en Provence qui aussi tost faict
le coup par Libertat entra dans
Marseille
O prince guisian, sagrat sang de Lorreno,
Souco das protectours de la gleyo e l'estat,
4 ms 2 : Quatrein ———Marselho ero d'honour e libertat privado, — Per dous tyrans treydours mestres de libertat,
— De Libertat a puys en sa fatalitat, — Remes la libertat perdudo e desirado.
�4
Tu sies lou ben vengut en aquesto cieutat,
De tous avis seguent la valour cor e veno.
8
Marselho ti sara de fidelitat pleno
Coumo lou vice rey dau rey autorisat,
Car aven nostre cor per tout flordelisat
En despiech das tyrans que nous tenion en peno.
11
Or prince, tu lous as exterminat toy dous,
E may lous Espagnous vengus a lur secours,
Dountant per tout jamay l'espagnolo arrogansso.
14
Puis coumo vencedour, alcyon porto pas,
En pas Marselho as mes, cridant per tout coustas :
Vivo lou rey Henric! Vivo lou rey de Fransso!5 b
[4]
Ô prince guisien, sang sacré de Lorraine, — Souche des protecteurs de l'Église et de
l'État, — Tu es le bienvenu dans cette cité, — (4) Suivant de tes ancêtres la valeur, cœur
et veine. —— Marseille te sera d'entière fidélité, — Comme le vice-roi autorisé par le
roi, — Car nous avons notre cœur tout fleurdelysé — (8) En dépit des tyrans qui nous
gardaient en peine. —— Or prince, tu les as tous les deux exterminés, — Et en plus les
Espagnols venus à leur secours, — (11) Domptant à jamais l'arrogance espagnole. ——
Puis comme vainqueur, alcyon porteur de paix, — En paix tu as rendu Marseille criant
de tous côtés : —— (14) Vive le roi Henri, vive le roi de France !
v. 2 : Cet argument est remarquable : il efface le comportement des Guise lors de la Ligue en
faisant de Charles un protecteur de l'État. De la même manière, le vers 4 reprend cet argument
en plaçant le duc de Guise dans une illustre filiation. Ruffi, « bigarrat », est ici totalement dans
le camp de la réconciliation.
v. 12 : alcyon porto pas, l'alcyon est un oiseau mythique. Ruffi, dans le sonnet [1] de l'ensemble
XV, emploie alcedonicoment à propos d'Henri d'Angoulême (voir note du vers 2).
[fo 47 r°]
[5]
Au Rey
Siro, lous dous tyrans, reyteles de Marselho,
5 ms 2 : « A Monsegnor lo duc de Guiso — governador per lo rey en Prouvensso —— O prince guisian, sagrat sang
de Lorreno, — Souquo das protectours de la gleyo e l'estat, — Tu siez lou ben vengut en aquesto cieutat, — De tous
avis seguent la valour cor e veno. —— Marselho ti sara de fidelitat pleno, — Coumo lo vice rey dau rey authorizat,
— Car aven nostre cor per tout flordelizat, — En despiech das tirans que nous tenion en peno. —— Or prince tu lous
as exterminat toy dous, — E may lous Espagnoux vengus a lur secours, — Dontant per tout jamay l'espagnolo
arrogansso. —— Puys, coumo vencedour alcyon porto pas, — En pas Marselho as mes cridant de tous costas, —
Vivo lou rey HENRIC, vivo lo rey de Fransso. »
b Titre dans la copie manuscrite : á Monseigneur / Monseigneur le duc de Guise, / Prince de Joinville, Pair de
France, / Gouverneur, & Lieutenant General / Pour le Roy en Provence, & Admiral / des Mers du Levant.
�4
Usurpans vostro honour, cinq ans an dominat
E tous lous habitans, destruch e ruynat,
Per tenir lur grandour de princes nom parelho.6
8
May Diou que per punir taus monstres si revelho,
E lous fa trabucar quouro v'a destinat,
Lous a per un matin de glari enforminat,
E reduch tous en fun per grando merevelho.
11
Adonc lous Marselhes de gran gauch an cridat :
Vivo lou rey HENRIC e vivo Libertat!
Si vesent deliouras de touto esclavitudo.
14
E vous, Siro, entendent lou succez tant hurous
Coumo si en batalhant la jornado ero a vous,
Alegre, lauzares Diou que per tout v'ajudo.7 c
[5]
Sire, les deux tyrans, petits rois de Marseille, — Usurpant votre honneur, ont dominé
cinq ans, — Et tous les habitans détruit et ruiné, — (4) Pour tenir leur grandeur de
princes sans pareille. —— Mais Dieu qui se réveille pour punir de tels monstres, — Et
les fait trébucher quand il l'a destiné, — Les a par un matin d'effroi pulvérisés, — (8) Et
réduits tous en fumée par grande merveille. —— De grande joie les Marseillais ont
donc crié : — Vive le roi HENRI et vive Libertat, — (11) Se voyant délivrés de tout
esclavage. —— Et vous, Sire, entendant le succès si heureux, — Comme si en bataillant
la journée était la vôtre, — (14) Joyeux, vous louerez Dieu qui pour tout vous aide.
v. 4 : Il faut comprendre ici que les dictateurs marseillais entendaient se comparer aux princes
dont la grandeur est sans égal.
v. 7 : enforminat, cf. « enfroumina » que Mistral donne pour « pulvériser » (Lou Tresor dóu
Felibrige, op. cit., tome 1, p. 913). Il est possible qu'une analogie puisse exister avec « forma ».
Dans ce cas, nous verrions une référence à la punition divine : Dieu donne forme à toutes choses
et peut rendre les hommes « sans forme ». Pierre Paul nomme Dieu le fourmaire de tout : « Et
per mas devossions tousjours n'en pregaray — Lou fourmaire de tout vous dounar longo vido »
(cf. L'Autounado, op. cit., foxxiv r°).
6 merevelho biffé, nom parelho écrit en dessous.
7 « Au Rey —— Siro, ley dous tyrans reyteletz de Marselho, — Usurpans vostro honour cinq ans an dominat, — Et
tous lous habitans destruch et rouynat, — Per tenir lur grandour de princes nom parelho. —— May Diou que per
punir taux monstres si revelho, — E lous fa trabucar quouro v'a destinat, — Lous a per ung matin de glari
enfourminat, — E reduch tous en fun per grando merevelho. —— Adonc lous Marselhes de grand gauch an cridat :
— Vivo lo rey Henric e vivo Libertat! — Si vezent delieuras de touto esclavitudo. —— Et vous, Siro, entendent lou
succez tant hurous, — Coumo s'en batalhant la jornado ero a vous, — Alegre lauzares Diou que per tout v'ajudo. »
c Variantes avec la publication du Vray Discours : v. 4 : « non parelho », v. 5 : « mouastre », v. 6 : « trabuchar »,
v. 9 : « Marseillez », v. 11 : « delieuras ». Le titre est identique.
�[fo 47 v°]
[6]
Sounet a Monsieur le president
Bernard qui ayant este congedie
par Casaulx et D'Aix de s'en aller,
il se trouva encores a Marseille
pendant qu'il s'aprestoit pour
deloger et sauta aux champs
bien acompagne aussi tost
qu'il entendit la mort de Casaulx
4
Quand libertat fouguet per Libertat donado,
Cassant lous dous tyrans de son gouvernament,
Lou president Bernard s'es mostrat dignoment
Per remetre Marselho au rey de tout gantado.8
8
Eou seguit dau public, cadun la man armado,
Per la villo pareys fort courajosament,
La raco das pendars s'en fujon9 vitoment,
L'Espagnou va rasclant en galero ysserpado.
11
Quant e quant si fa crido au nom dau rey Henric,
Et si mete un bon ordre a10 la vilo e au public,
Si ben qu'en touto pas Marselho fon remesso.
14
Vives donc o Bernard, excellent coronat!
Rare en toutos vertus, car Diou t'a ordenat
Glori immortalo au ceou d'uno eternau promesso.d
[6]
Quand liberté fut par Libertat donnée, — Chassant les deux tyrans de leur
gouvernement, — Le président Bernard s'est dignement montré — (4) Pour remettre
Marseille entièrement apprêtée au roi. —— Lui, suivi par la communauté, chacun la
main armée, — Paraît par la ville très courageusement, — La race des pendards s'enfuie
rapidement, — (8) L'Espagnol déguerpit sur leurs galères fauchées. —— Tout de suite
8 affectionado biffé, de tout gantado rajouté en dessous.
9 fugent biffé, fujon rajouté au-dessus.
10 et biffé avant a.
d Le dernier tercet de ce sonnet est quelque peu différent dans la publication du Vray Discours : « Monsieur Bernard,
Président en la justice souveraine de Marseille. — Quand libertat fouguet per Libertat dounado, — Cassant ley dous
tyrans de son gouvernament, — Lou president Bernard s'es monstrat dignoment, — Per remttre Marselho au Rey
assegurado. —— D'un grand pople seguit, cadun la man armado, — Per la villo s'en va fouort courajousament, — La
resto d'enemics s'en fuge vitament, — L'Espagnou a rasclat en galero ysserpado. —— Quant & quant s'y fa la crido
au nom dau Rey Henric, — Mettent bon ordre en tout, per lou ben d'au public, — Et ben qu'en touto pas Marselho
fou remesso. —— Vives dounc, ô Bernard exellent couronat, — Rare en toutos vertuz : car coumo as meritat —
Glory immortalo au ceou, lou bon Diou t'a promesso. »
�on publie des appels au nom du roi Henri, — Et un bon ordre s'installe en ville et à la
communauté, — (11) Si bien qu'en toute paix Marseille fut remise. —— Que tu vives
donc, ô Bernard, excellent couronné, — Rare en toutes vertus, car Dieu t'a ordonné —
(14) Gloire immortelle au ciel d'une promesse éternelle.)
Titre : Nous savons que Bernard, dont l'action n'était pas tout à fait favorable à Casaulx, était
sous une mesure d'expulsion au moment de la réduction. Les faits dont il est question dans le
titre sont relatés par Antoine de Ruffi qui signale que le propre fils de l'archivaire, Pierre de
Ruffi, accompagnait le président Bernard : « Il fut suivi de Bourgogne, François de Cabre,
Pierre de Ruffi mon père, de Boyer, de Guillaume de Saint Jacques, de Gaspar Bellerot & de
quelques autres bons serviteurs du Roi, qui l'accompagnerent à la Place du Palais, criant : Vive
le Roi, Vive la France. » (Histoire de Marseille…, op. cit., livre ix, ch. iv, p. 427).
v. 4 : gantado, littéralement « gantée », « allée comme un gant », que nous traduisons par
« apprêtée ».
v. 8 : rasclant que nous traduisons par « déguerpit » (cf. faran Mousu Rasclet, XLI, v. 14).
ysserpado, cf. « eisserbada », c'est-à-dire « fauchée », employé généralement pour les
mauvaises herbes. Les Espagnols ne s'affrontèrent pas aux troupes du duc de Guise et se
rembarquèrent sur leurs galères. Celles-ci essuyèrent le feu des canons et des arquebuses
marseillaises. Ces faits sont relatés dans le Vray Discours : « […] la peur saisit tellement ledict
Prince Doria, ses troupes et Galeres, qu'elles sortirent du port avec un extresme desordre :
c'estoit à qui sortiroit la premiere, sans attendre la Generalle. L'on n'entendoit autres clameurs
que Coupe le cap, Vague, Sye, somos perdidos. » (op. cit., p. 20). Antoine de Ruffi précise que
Claire de Ruffi, fille de Robert, faisait partie de ceux qui tirèrent sur les bateaux espagnols :
« En effet elles [les galères] sarperent en même-tems dans une si grande confusion que la Réale
sortit la dernière, & comme elles se sauvoient à force de rames, on leur fit essuïer quantité de
mousquetades, qui leur furent tirées des fenêtres des maisons qui regardent le port. Et je puis
dire pour la rareté du fait, que Claire de Ruffi, épouse de Capitaine Pierre de Crouset eût le
courage de leur lâcher un coup de mousquet. » (Histoire de Marseille…, op. cit., livre ix, ch. iv,
p. 427).
v. 10 : Ruffi semble distinguer la vilo du public. L'ordre est donc total : il touche l'organisation
institutionnelle de la cité et la communauté humaine.
v. 14 : eternau, adjectif masculin se rapportant à un nom féminin, construction analogique de
« grand » (cf. Ronjat, Grammaire…, op. cit., tome 3, p. 27).
[fo 48 r°]
[7]
A Monsieur de Valegrand esleu
arcevesque d'Aix, neveu de feu
Monseigneur de l'Ospital, jadis chancellier
de France, acistant le dict Sieur Valegrand
a Monseigneur de Guise venant a l'effect
de la dicte reduction
4
A bon drech nostre rey t'a mandat en Provensso,
De l'Ospital, Nestor plen de consseou madur
Per faire tempererar so que restavo dur
Entre las gens d'Estat e la jurisprudensso.
�8
Car dau grand chancelier ton avi la sciensso
A regrilhat en tu que autant espero d'hur,
Coumo aussi Monseignour de Guiso pren segur
De ton prudent advis e grando experiensso.
11
Enfin per remendar lou marselhes estat
Que per dous tyraneous ero agut tout gastat,
Ton integre consseou a portat grand ajudo,
14
Tant qu'au nis de la serp son confinas toy dous;
E Marselho a cridat : Vivo lou rey hurous!
Donant de l'Ospital grand fruq per sa vengudo.
[7]
À bon droit, notre roi t'a envoyé en Provence, — De l'Hôpital, Nestor plein de sens
avisé — Pour modérer ce qui restait inconciliable — (4) Entre les gens d'État et la
jurisprudence. —— Car la science de ton aïeul le grand chancelier — A ressuscité en toi
dont on attend un destin semblable, — Comme aussi Monseigneur de Guise prend sûr
— (8) Ton avis prudent et ta grande expérience. —— Enfin pour restituer l'État marseillais — Qui par deux tyranneaux avait été entièrement détruit, — (11)Ton conseil intègre
a apporté une grande aide, —— Si bien que tous les deux sont réduits à la misère et à la
mort, — Et Marseille a crié vive le roi heureux, — (14) Tirant grand fruit de la venue de
L'Hôpital.
Titre : Pierre Hurault de l'Hôpital, seigneur de Valegrand, fut nommé grand vicaire d'Aix-enProvence en remplacement de Gilbert Genebrard, archevêque ligueur réfugié à Marseille. Il ne
fut archevêque qu'à la mort de Genebrard le 14 mars 1597. Il fit son entrée solennelle le 23
décembre 1597. Il était le fils de Robert Hurault et de Madeleine de l'Hôpital, la fille de Michel
de l'Hôpital.
Louis de Galaup de Chasteuil est l'auteur d'un poème sur la réduction de Marseille. Ce texte a
été publié dans une édition tardive d'une relation écrite par Pierre de Deimier (La Roiale liberté
de Marseille dédiée au Roy par le Sr D. D. [Pierre De Deimier], A Anvers par les heretiers de
Iehan 16 Moret 15, publication l'année suivante chez le même imprimeur sous le titre : Histoire
veritable de la Reduction de la ville de Marseille A l'obeyssance du Roy. Dediee au Roy). Nous
en avons une copie dans le manuscrit 1780 de la bibliothèque de Marseille avec le Vray
Discours. Galaup de Chasteuil y cite Valegrand : « Luy donne VALLEGRAND surgeon des
chancelliers, — Surgeon de ces huraux, de ces preux chevaliers — qui depuis trois cens ans ont
quitté la Bretagne — et remply de soleils la gauloise campagne : — Son conseil
VALLEGRAND, grand d'esprit & de cœur, — accompagne les pas de ce jeune vainqueur. »
(p. 321) Ce poème a été écrit avant 1598, date de la mort de Louis de Galaup de Chasteuil et
publié également à la suite de son Imitation des pseaumes à la p. 39-46 (cf. IMITATION / DES
PSEAUMES / DE LA PENITENCE / ROYALLE. / A TRES CHRESTIEN ROY / DE FRANCE ET
DE NAVARRE / HENRI IIII. // Par Louys de Gallaup, / Sieur de Chasteuil. // A Paris, / chez
Abel L'Angelier au premier Pillier de la / grand' salle du Palais/ MDXCVII (53 p., exemplaire
consulté bibliothèque municipale de Marseille 2733). C'est dans ce recueil que se trouve un
poème de Paul Hurault de l'Hôpital (à la p. 30). Le manuscrit autographe 386 (L 382) de la
bibliothèque inguimbertine de Carpentras renferme les œuvres poétiques de Louis de Galaup.
On y trouve au fo 28 r° : Sur les vers du Sr de Vallegran donnés au Sr de Nostredame et les
�portrais du Sr de Nostredame donnés au Sr de Vallegran. Tetrastiche (pour Paul de
Vallegran) : « Quelz seront de ce Pol et Cesar les accors? — Les trais de leur parlante et muette
peinture? — L'un souspire l'esprit, l'aultre forme le cors, — N'est-ce pas dans le Monde estre
Ciel et Nature? — N'est-ce Pol estre Ciel, Cesar estre Nature? ». On voit se dessiner ici, à la fin
du siècle, un réseau amical qui n'est pas que politique, mais également littéraire et religieux. Il
est probable que Ruffi n'a pas été, de son côté, insensible à certains aspects religieux ou
littéraires exprimés par ces chassés-croisés poétiques.
v. 2 : Valegrand est comparé à Nestor, roi grec qui mourut fort âgé.
v. 3-4 : Valegrand restaure un État de droit en mettant fin à une situation anarchique. Le pouvoir
des duumvirs marseillais n'était fondé sur aucune légalité.
v. 7-8 : Valegrand était attaché au service du duc de Guise. Il est question de ses conseils
éclairés dans le Vray Discours (op. cit., p. 10).
v. 11 : Valegrand fut chargé par le duc de Guise de pacifier la ville. Il prit peu de temps après la
réduction une ordonnance qui entendait surseoir aux poursuites en attendant les premières
mesures royales. Les Marseillais s'étaient livrés à des scènes de pillages et à des règlements de
compte (cf. Antoine de Ruffi, Histoire de Marseille…, op. cit, livre ix; ch. iv, p. 432).
v. 12 : au nis de la serp que Mistral traduit par « être aux abois » ou « dans la misère » (Lou
Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 883). Nous renforçons cette idée. Charles de Casaulx a
été assassiné et Louis d'Aix est en fuite.
[fo 48 v°]
[8]
A Monsieur de Pericard intendant
de l'estat et afferes de Monseigneur
de Guize
4
Tout ce que la naturo e lo seou favorable
Poudion per rendre un home hurous e vertuous,
Digne de possedar princes e grans segnours,
Tu v'as, o Pericart, sens par inimitable.
8
A bon drech donc ti sies rendut recomandable
As grans princes de Guiso e plen de sas favours
Coumo d'Henric sabies lous plus secretz discours,
Charles resolve tout per ton sens admirable.
11
Aussi per ben finir lou haut cas entrepres,
De cassar dous treidours e11 tyrans marselhes,
D'ableigar l'Espagnou de sa vano arrogansso,
14
Ta prudensso e consseou a fort12 ben13 proffitat,
Si ben que de ta part beaucop as meritat
Envers nostre14 grand rey tres-chrestian de Fransso.
11
12
13
14
enfan biffé à la suite.
Rajouté au-dessus.
proun biffé après ben.
bon biffé après nostre.
�[8]
Tout ce que la nature et le ciel favorable — Pouvaient pour rendre un homme heureux et
vertueux, — Digne de ce que possèdent princes et grands seigneurs, — (4) Tu l'as, ô
Pericart, sans égal inimitable. —— À bon droit tu t'es donc rendu recommandable —
Aux grands princes De Guise et rempli de leurs faveurs, — Comme tu connaissais les
plus secrets discours d'Henri, — (8) Charles résout tout par ton bon sens admirable. ——
Aussi pour bien terminer la haute affaire entreprise, — De chasser deux traitres et tyrans
marseillais, — (11) D'éreinter l'Espagnol de sa vaine arrogance, —— Ta prudence et
conseil ont fort bien profité, — Si bien qu'en ce qui te concerne tu as beaucoup mérité
— (14) Envers notre grand roi très-chrétien de France.)
Titre : Monsieur de Péricard, intendant du gouverneur, est cité dans le Vray Discours (cf. sonnet
[7] note des vers 7-8).
v. 8 : On peut se demander si resolve est un prétérit ou un présent (les verbes précédents sont au
passé). Ruffi graphie la désinence de la troisième personne du singulier du prétérit en -et, mais
une erreur, un oubli ou un changement graphique sont toujours possibles. Le présent se
comprend toutefois dans le temps de l'écriture du poème : Péricart est en effet attaché en 1596
au duc de Guise.
�XVII
[fo 49 r°]
Sonet sur le different entre Messieurs
Champorcin et D'Olliolis greffiers du
palais 1583
4
« Tire donc qui pourra » dau greffe dau palais
D'Oliolis va cridant a Porcin son collego,
Porcin respond tout court : « aquo non faray ego,
Car tu li sies mious fach que non sariou jamais. »
8
D'Oliolis qu'es viel rost, fasent trougno de niays,
Pren tous lous bons papiers, pren l'argent puy va nego,
Porcin que ten las coues, fachat vou quitar luego,
Car « tire qui pourra » li es un cas fort mauvais.
11
Or per los apointar, non si trobo persouno,
Nom pas meme la cour qu'en darnier luec ordouno,
Tant son los dous grefiers contraris314 de vouler.
14
Si per finir debat volion quitar la plasso,
As grefiers de l'autre an dirion : « bon pron li fas[s]o »,315
May « tire que pourra » non prendrie pas plaser.
La rivalité du greffe du palais — D'Olliolis se plaignant à Porcin son collègue,
— Porcin répond tout court : « Moi, je ne quitterai pas cette fonction, — (4) Car tu es
plus dépensier dans cette fonction que jamais je ne le serais. » —— D'Olliolis, qui est
un vieux rigide, faisant une trogne d'idiot, — Prend tous les bons papiers, prend l'argent
puis nie cela, — Porcin, qui est garant des lois, fâché, veut quitter la place, — (8) Car
cette rivalité est pour lui une mauvaise situation. —— Or, on ne trouve personne pour
les accorder, — Pas même la Cour qui en dernier lieu ordonne, — (11) Tant les deux
greffiers sont de volonté contradictoire. —— Si pour finir la dispute, ils voulaient
laisser la place, — Ils diraient aux greffiers de l'année prochaine : « Grand bien leur
fasse », — (14) Mais on ne prendrait aucun plaisir à une telle rivalité.
Ce sonnet est un des plus énigmatiques et des plus difficiles contenus dans ce
manuscrit. Sa difficulté provient de l'argument exposé dont nous ne savons rien (tout ce
314 de vouler biffé après grefiers.
315 PV : embe un bon pron vous faso. embe un et vous biffés, dirion et li rajoutés au-dessus. Nous rétablissons un
deuxième s à faso.
�que nous apprenons nous est révélé par ce poème) et de la langue employée qui dénote
des formes quasi inconnues ou très locales. Nous avons dû parfois interpréter tel ou tel
trait linguistique sans être totalement sûr du sens proposé. Nous exposons d'ailleurs dans
le commentaire nos hésitations.
Les deux personnages dont il est question dans ce sonnet ont réellement existé :
Aymar Champorcin est notaire, greffier du Palais, exerçant encore sa profession en
1598, Jean D'Olliolis (1549-1589) est également notaire, membre d'une famille de
juristes (cf. le fonds Pierre Bertas des Archives Communales de Marseille, 20 II 181 et
20 II 232). Ce sonnet nous apprend que ces deux notaires sont attachés au greffe du
Palais (le nouveau palais de justice installé dans un bâtiment près du port). Le différend
semble porter sur des questions d'argent et de partage du pouvoir. La justice était rendue
à Marseille en trois lieux : Les tribunaux de Saint-Louis et de Saint-Lazare et le palais
de justice proprement dit (qui quitte l'hôpital du Saint-Esprit en 1576 pour un nouveau
bâtiment aux Accoules). Ruffi était greffier du tribunal de Saint-Louis. L'organisation
judiciaire marseillaise était « indépendante (privilège de non extrahendo) jusqu'à l'édit
de Crémieux de février 1536.
(alexandrins et rimes des tercets ccd-eed)
v. 1 : Tire donc qui pourra est assez difficile à traduire. Mistral note cette locution sous la forme
« Tiro-qu-pòu (à), al tiro-qui-pot » dont la traduction est « à l'envi » ou « à qui mieux mieux »
(lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 996). Cette expression indique donc la rivalité
entre deux personnes et les conséquences qui s'ensuivent sur leur comportement. Traduire
littéralement serait incompréhensible. La difficulté provient de la conjugaison à la première
personne de tire et du futur pourra. Les conséquences de cette rivalité sont donc présentes et
futures. Il semble que Ruffi ait écrit ce sonnet « en pleine bataille juridique ». Nous préférons
restituer l'idée générale du texte. Tire qui pourra indique donc une rivalité et c'est par ce nom
que nous traduisons cette idée. Il est parfois rehaussé d'un démonstratif pour les besoins d'une
lecture plus harmonieuse.
v. 2 : cridant, dans le sens de plaindre.
Porcin, aphérèse de Champorcin, est également attestée dans les archives.
collego est à comprendre ici dans son contexte professionnel.
v. 3 : non faray ego est énigmatique. Nous ne pensons pas qu'il s'agit du pronom personnel latin.
Nous y voyons plutôt une expression marseillaise qui serait à rapprocher de « leva l'ègo » ou
« l'Ego toco » que Mistral note en précisant : « se reposer en parlant des travailleurs qui se
reposent » et pour « l'Ego toco » : « expression usitée parmi les paysans des environs de
Marseille, pour dire que l'ombre d'un rocher nommé l'Ego indique l'heure de quitter le travail »
(Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 838). non faray ego signifierait donc
littéralement « je ne quitterai pas mon travail ». Nous préférons le mot « fonction » à celui de
« travail » ; il nous paraît plus adapté à la charge de greffier.
v. 4 : L'ensemble du vers est obscur. Nous comprenons l'association sies-fach en l'assimilant à
« quant te n'en sies fa ? » que Mistral traduit par : « combien as-tu dépensé ? » (Lou Tresor dóu
Felibrige, op. cit., tome 1, p. 1092). D'Olliolis aurait-il dépensé illegalement une somme
d'argent ? Il est d'ailleurs question de papiers et d'argent au vers 6. Champorcin semblerait donc
reprocher à D'Olliolis sa mauvaise gestion. Ce vers compare donc le comportement des deux
greffiers.
li représente la fonction, le lieu où sont effectuées ces dépenses frauduleuses.
v. 5 : rost indique une rigidité intellectuelle. Mistral donne ce terme comme gascon (Lou Tresor
dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 800). D'Olliolis apparaît dans ce vers comme particulièrement
antipathique : rigidité intellectuelle et sans doute refus de reconnaître ses torts, tête d'idiot. Ruffi
semble nettement prendre parti.
�v. 6 : Nous ne savons pas ce que sont ces bons papiers. On peut penser qu'il s'agit de preuves
compromettantes que D'Olliolis fait disparaître. Il nie également les faits qui lui sont reprochés.
v. 7 : las coues est particulièrement énigmatique. Il s'agit peut-être d'une forme spécifiquement
marseillaise de « coa » (« queue »), « còr » (« cœur ») ou « còrs/còs » (« corps »).
Nous ne voyons pas ce que signifierait dans ce contexte « queue » : quelles queues Champorcin
pourrait-il tenir ? Nous avons pensé un temps qu'il pourrait s'agir d'une métaphore du
vocabulaire culinaire pour désigner le pouvoir du greffier (« tenir les queues des casseroles »),
mais l'explication nous paraît trop fantaisiste.
Mistral donne à « cor » la forme « coues » spécifique à Marseille. Nous trouvons également
l'expression « tèn-ié lou cor » pour « veiller » (Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1,
p. 582-583). Champorcin veillerait donc à la bonne marche des institutions judiciaires et se
garderait des malversations de son collègue.
Le Tresor dóu Felibrige donne également la forme « coues » pour « cors » (op. cit., tome 1,
p. 585). Il pourrait s'agir alors du corps de métier, les greffiers. Champorcin serait le garant de
leur intégrité morale.
Ces deux dernières formes posent problème quant à leur genre. coues est dans le texte féminin,
« còr » et « còrs » sont masculins. Comment comprendre un changement de genre ? Comment
envisager une erreur de Ruffi (ces deux termes sont très usités en provençal) ?
Une dernière explication pourrait être la bonne : coues serait une altération de « còdes » par
diphtongaison en [we] du o tonique ([cɔde] >[cwede]). Cette explication nécessite également
une disparition du d intervocalique, sans doute sur le modèle analogique de fidem > fe ou sous
l'influence du pluriel en s (assimilation avec le x de l'étymon codex ?). Le genre de coues pose
également un problème ; il faudrait concevoir une analogie avec celui de « loi ». Nous avouons
ici notre perplexité philologique, beaucoup d'hypothèses, peu de certitudes. Néanmoins, cette
forme correspond au sens : Champorcin « tiendrait les lois », serait garant de leur application et
de leur respect.
v. 10 : Il semble donc que la Cour n'a pas tranché ce différend. Il est probable que les deux
greffiers devaient posséder des appuis respectifs dans leur corporation.
v. 12 : Ruffi indique que la solution serait un départ des deux greffiers. Ce ne semble pas être
envisagé par les deux protagonistes à cet instant de l'écriture du sonnet.
v. 13 : La succession de Champorcin et de D'Olliolis ne semblerait pas facile. On ima gine
volontiers le désordre laissé par les deux greffiers.
�XVIII
Sonet as deputas das deutes vengus de la Cour
4
Messurs los deputas, Diou vous doun longo vido,
Qu'en Court, das creditours rebutant los assaus,
Aves fa caponar lous deoutes de Casaus
E das autres seuclat la substanci marrido.
8
Lo poble es tout gauchous de tan bello assovido,
Hormis taus qu'an agut sous deoutes trop malaus,
May la reyno e lo rey que jujon das cas haus
V'an dich e son arrest de pagar nous convido.
11
Aro lo mau suget que troublavo es finit,
Non fau que vieure en pas, de mesme cor unit,
Au servici dau rey e puy en quatre annados
14
Paguen, meten d'impos sensso fraud manejas,
Donant as creanciers lous deoutes ben jujas,
E qu'eisso sie la fin de nostros bastonados.
Sonnet aux députés des dettes revenus de la Cour —— Messieurs les députés,
Dieu vous donne longue vie, — Car à la Cour, repoussant les assauts des créanciers, —
Vous avez fait effacer les dettes de Casaulx, — (4) Et ôter la mauvaise substance des
autres. —— Le peuple est tout joyeux de si bel assouvissement, — Hormis ceux dont
les dettes étaient trop malsaines, — Mais la reine et le roi qui jugent de hautes affaires,
— (8) L'ont dit et leur arrêt nous invite à payer. —— Maintenant le mauvais sujet qui
troublait est réglé, — Il ne faut que vivre en paix, unis d'un même cœur, — (11) Au service du roi et puis en quatre années, —— Payons, imposons sans fraudes et sans se
remplir les poches, — Donnant aux créanciers les dettes bien étudiées, — (14) Et que
cela soit la fin de nos émeutes.
Le problème des dettes contractées sous la dictature de Casaulx empoisonne la
vie politique marseillaise de 1598 à 1610. 1 Les Ligueurs avaient procédé à de massifs
achats de blé à l'étranger et contracté de nombreux emprunts pour financer leur
politique. Après la réduction de la ville, le problème financier devient crucial. Marseille
est exsangue et une épidémie en 1598 occasionne de nouvelles dépenses. Le premier
1 Nous nous référons essentiellement à l'ouvrage de René Pillorget, Les Mouvements insurrectionnels de Provence
entre 1596 et 1715, Dedone, Paris, 1975, p. 206-236.
�consul, Honoré de Montolieu, propose en décembre 1598 un plan financier que le
Conseil accepte. Il vise à épurer les dettes de la ville par trois impositions séparées : une
taxe de 5% sur la valeur des biens fonciers et immobiliers, un prélèvement sur le
commerce déterminé par les marchands eux-mêmes et un certain nombre de taxes
indirectes sur la viande et la farine. Ce plan est contesté : il semble d'une part inégal,
taxant les consommateurs et les propriétaires plus que les négociants, et d'autre part le
fondement même des dettes apparaît contestable, certaines ne seraient que des artifices
de comptabilité. En réalité, ce plan dresse deux factions l'une contre l'autre. La première
regroupe essentiellement les propriétaires terriens et les paysans du terroir qui se
voyaient lourdement imposés ; elle est favorable à l'effacement des dettes. La seconde,
celle des négociants et des instances municipales au pouvoir en 1598, tente d'échelonner
les paiements. Louis de Cabre de Roquevaire prend la tête du parti des mécontents.
Roquevaire, élu consul en 1602, fait voter le 12 janvier 1603 l'abolition du « piquet », la
taxe sur la farine. Les créanciers tentent d'empêcher le vote, Roquevaire les fait alors
chasser de l'Hôtel de Ville au cri de « fòra farina ! » par une foule de paysans. En
décembre 1606, les adversaires de Roquevaire lancent une offensive contre l'Hôtel de
Ville en vue d'obtenir la démission des consuls, offensive qui tourne à l'émeute, mais
qui n'aboutit pas. Guillaume du Vair est assiégé en l'Hôtel de Ville en octobre 1607 et la
foule lui impose l'élection de consuls fidèles à Roquevaire. Ce dernier a commis une
grave faute : il s'est opposé au roi. Le Conseil du Roi prend les choses en mains, casse
l'élection et Roquevaire est arrêté. Le roi tient à ce que la ville paie ses dettes.
Barthélémy de Valbelle, successeur de Roquevaire, parvient à gagner la confiance de
Guillaume du Vair et la ville s'apaise. Le roi a tranché : la ville paiera la plus grande
partie de ses dettes.
Ruffi illustre ici un nouvel aspect des luttes marseillaises : luttes entre factions
rivales qui recoupent des intérêts différents et lutte avec le pouvoir central. Marseille
connaît au début de ce siècle une situation troublée, une désorganisation profonde et la
crainte d'une intervention étrangère. Les complots de Maurice de l'Isle, ancien ligueur,
en 1601 et de Louis d'Allagonia en 1605 (qui veut livrer la ville aux Espagnols)
n'apaisent pas les esprits. En réalité, Marseille n'a pas fini de régler ses comptes et
l'opposition au pouvoir central ira en augmentant jusqu'à la rébellion de Niozelles en
1660 et la soumission à Louis XIV.2
(alexandrins et rimes des tercets ccd-eed)
v. 1 : doun, sans voyelle finale, qui compte que pour une seule syllabe pour la justesse du vers.
Ruffi assimile le e [e] du subjonctif au e muet français.
Les députés dont il est question négocièrent avec le Conseil du roi l'étalement des dettes. Ce
poème a donc été écrit entre 1607 et 1610.
v. 3 : caponar, dans le sens de châtrer, chaponner. Nous traduisons en nous référant au
vocabulaire de la finance.
v. 4 : seuclat cf. « sarclat », enlever les mauvaises herbes.
v. 5 : Notons poble et assovido qui chacun dans leur registre notent l'empressement de
l'ensemble des Marseillais à conclure cette affaire. Il est vrai que l'impôt sur la farine était
2 On sait que cette rébellion prend nettement un aspect séparatiste. La répression de Louis XIV fut sévère. Il refusa
les clefs de la ville, y pénétra par une brèche creusée dans les remparts, fit construire le fort Saint-Nicolas à l'entrée
du port, fort dont les canons étaient dirigés vers la ville. L'Hôtel de Ville, construit sous son règne, ne comporte pas
sur sa façade les armes de la ville, mais celles du roi. Elles ne sont visibles que sur le côté du bâtiment. La reprise en
mains royale est totale.
�particulièrement impopulaire chez les plus pauvres. Ruffi efface pourtant les luttes de parti pour
laisser transparaître un unanimisme populaire qui ne correspond pas aux événements.
v. 6 : Nous comprenons malaus par rapport à son étymon male habitus. Il s'agit dans ce vers des
dettes qui devaient revêtir une apparence malsaine, soit par leur importance, soit par leur
contenu. Le Conseil du roi a dû alléger ces dettes, ce qui mécontente les créanciers. Ruffi plaide
donc pour un assainissement de la situation qui n'épure pas totalement les créances, mais qui
distingue bonnes et mauvaises dettes.
v. 11 : L'échelonnement des dettes fut en réalité calculé sur plusieurs années.
v. 12 : Le plan présenté par le Conseil du roi était semblable à celui de Montolieu en 1598. Il
n'établissait cependant pas d'impôts sur la farine, le célèbre « piquet ».
manejas indique l'idée de se remplir les mains. C'est par d'éventuelles fraudes sur les impôts que
les fraudeurs pourraient s'enrichir, donc, en français, se remplir les poches.
v. 14 : bastonados a un sens plus fort que conflit, car ce mot évoque des mouvements et des
bagarres de rue, ce qui se passa effectivement à plusieurs reprises. Le sens correct est donc
« émeutes ». Le pronom nostros est à relever ; Ruffi considère ces troubles comme une affaire
spécifiquement marseillaise.
�XIX
[fo 49 v°]
Monseigneur le Marechal d'Esdiguieres fut a
Marseille 1619 et fit bailler ung sonet
a Messieur les consulz en francois de la louange
de Marseille lequel avoit par luy perdu
luy ayant este toutesfois respondu en
provenssal comme cy aprez1
Francois de Bone en letres capitales
4
Forsso honour ay agut, yeu villo de Marselho,
Recebent dins mon sen tau segnour valerous,
Aqueou que de son bras a rendut Mars paurous,
Non cregnent surmontar tout hazard per mervelho.
8
Car de guerro e de sciensso au grand Cesar parelho,
Obro de tous costas d'un esfort pouderous,
Jougnent Pallas e Mars a son sort glorious,
Sirvent 2 fideou lou rey, car aqui son cor velho.
11
Donq nautres Marselhes, a tau hÉros semblable,
En gestes excellent, per tout inimitable,
Bessay non aven pas fach honour meritat.
14
Orymay s'eou compren nostro volontat bono,
Nous en garentira coumo segnour de Bono
E lou serviren tous souto sa majestat.
J'ai eu beaucoup d'honneur, moi ville de Marseille, — Recevant dans mon sein
tel valeureux seigneur, — Celui qui de son bras a rendu Mars peureux, — (4) Ne craignant pas de surmonter tout hasard par merveille. —— Car de guerre et de science
semblables à celles du grand César, — Il œuvre de tous côtés d'un puissant effort, —
Joignant Pallas et Mars à son sort glorieux, — (8) Servant fidèle le roi, car là son cœur
1 Il semble que cette introduction et la phrase suivante aient été rajoutées après l'écriture du sonnet. En marge à
gauche, Ruffi a écrit : « Fault inserer celle de Monsieur D'Esdeguiere ». Cette phrase est sans doute relative au poème
suivant recopié dans l'espace laissé libre et au bas du fo 50 r°. Il s'agit d'un poème en guise de remerciement de
François de Bone.
2 sierve biffé (sauf le s), irvent rajouté au-dessus.
�veille. —— Donc nous Marseillais, à tel héros semblable, — Excellent par ses gestes,
partout inimitable, — (11) Nous n'avons peut-être pas fait l'honneur mérité. ——
Désormais s'il comprend notre bonne volonté, — Il nous protégera comme seigneur de
Bone, — (14) Et nous le servirons tous sous sa majesté.)
François de Bone, duc de Lesdiguières, fut un des principaux chefs réformés.
Basé dans le Dauphiné, il fit au cours des Guerres de Religion, de nombreuses
incursions en Provence et se heurta aux troupes de la Ligue. Henri IV lui décerna le titre
de lieutenant-général en Savoie, Piémont et Dauphiné. Lesdiguières abjura le calvinisme
à Grenoble en 1622.
Ruffi a sans doute été sollicité par les consuls marseillais pour écrire ce sonnet
offert à Lesdiguières, en réponse à une pièce égarée comme le précise la note placée
avant le poème. Lesdiguières composa (ou fit composer) la pièce suivante afin de
répondre au sonnet de Ruffi.
(alexandrins et rimes des tercets ccd-eed).
v. 7 : Il s'agit certainement de Pallas Athéna et non du géant Pallas.
�XX
Remerciement de Monsieur le Marechal D'Esdiguieres
2
4
6
8
10
12
Marseille, amour du ciel, du sort et de Neptune
Dont les dieux a l'envy de ta bonne fortune
Ont comble le sejour de cest prosperitez,
Le ciel donne a tes vœus de graces nom pareilles,
Tu possedes le pris des plus rares merveilles,
Et merites celluy des plus rares beautez.
Mais parmy les faveurs dont les dieux t'ont ornee,
Celle que tu nous fis la premiere journee,
D'aussi juste lien nous tiennent atachez
Que pour ton pouvoir rendre une recognoissance,
Nous dirons franchement n'en avoir la puissance
D'en estre quelque jour dignement revenchez.1
[fo 50 r°]
14
16
18
Ainsy de tes bienfaits sans estre recogneus,
Les graces par nos vœus seront toujour cogneus,
La memoire en sera compagne de nos pas,
et puis que le pouvoir default a nos envies
Elles vivront en nous a l'esgal de nos vies,
Et n'auront point de fin que par nostre trespas.
v. 9 : lien est ici un sujet collectif, ce qui explique le pluriel de tiennent.
v. 12 : revenchez, vengé.
1 Ce poème, rajouté après la pièce XIX, sans doute recopié par la suite, est écrit sur l'espace vide du fo 49 v° et au
bas du fo 50 r°. Après revenchez une + figure et sous le mot cette mention : « cy contre ». Une + se trouve à la droite
de « ainsy » (début du vers 13) rappelant le rajout. Un trait sépare cette dernière strophe du sonnet intitulé Barriere
(pièce XXI).
�XXI
Barrierea
4
A tout jamay saresb mon grand amyc Barriere,
Nomat das Provenssaus lo poeto parangon,
Tous vers d'un esperit de doctrino pregound
Per tout vont sies ti fan faire pleno carriero.e
8
Yeou sabi que tous vers non son de poueriero,f
Non car quouro ti plas, tu ley fas de clugong
Per estre ton cerveouh de sciensso un botigon
Que porto subre1 tousi das poetos la bandiero.
11
14
Tu das princes e reis fas florir lo renom,j
Renomant sas vertus en renommantk ton nom
E per tas obros sies prezat per merevelho.l
E puy que diray yeu de tous dauras prepaus,
Rimassant a tous copsm e tout miezn a prepaus,
Enfin poeto tu siezo lo premier de Marselho.
Per yroniamp
À tout jamais vous serez mon grand ami Barriere, — Nommé le poète parangon
des Provençaux, — Tes vers d'un esprit profond de doctrine, — (4) Partout où tu es te
font faire grande carrière. —— Je sais que tes vers ne sont pas de la pourriture, — Non
car quand il te plaît, tu les fais en fermant les yeux, — Car ton cerveau est une grosse
a Ce poème figure également au fo 75 v°. Il s'agit d'une version légèrement différente que Ruffi a biffée. La mention
« est ailleurs » prouve l'établissement de la version que nous proposons. Nous donnons en note (référence par lettres
minuscules) les variantes.
Titre fo 75 v° : "A Monsur Barriero / poeto de carriero".
b fo 75 v° : "seras".
c Ibid. : "amic".
d Ibid. : "pregon".
e Ibid. : "Honte que sies ty fan per tout faire carriero".
f Ibid. : "pouveriero".
g Ibid. : "Non, non car tu ley fas quan ti plas de clugon".
h Ibid. : "Estent ton bon cerveou".
1 surmonto per biffé, porto subre rajouté au-dessus. À la suite, le t original de tous est changé en s.
i fo 75 v° : "Que ti fara portar".
j Ibid. : "Das princes e das reys tu enfles lo renom".
k Ibid. : "tu renomes".
l Ibid. : "Car tas obros ti fan grand lauzour nomparelho".
m Ibid. : "promptament".
n Ibid. : "mious".
o Ibid. : "ti fau".
p Ibid. : Cette expression latine ne figure pas au fo 75 v°.
�boutique de science — (8) Qui porte au-dessus de tous la bandière des poètes. —— Tu
fais fleurir le renom des princes et des rois, — Renommant leurs vertus en renommant
ton nom — (11) Et tu es merveilleusement en haut prix pour tes œuvres. —— Et puis
que dirai-je de tes propos dorés, — Rimaillant à tous les coups et mieux à propos, —
(14) Enfin, poète, tu es le premier de Marseille. — Par ironie.
Les archives attestent la présence d'une famille Barrière à Marseille, une famille
qui n'occupe pas une place importante et dont les membres ne sont pas appelés à des
fonctions remarquables (fonds Bertas des Archives Communales de Marseille,
20 II 152). Nous ne savons donc rien sur ce « poète ». La mention latine nous indique le
registre utilisé par Ruffi, registre marginal dans son œuvre. Ce poète de circonstance,
raillé par l'archivaire marseillais, ne nous a rien laissé pour que nous puissions juger son
œuvre. Ecrivait-il en occitan ou en français ? Enfin, aucun contemporain de Ruffi ne
parle de ce Barrière, ni Pierre Paul, ni Bellaud de la Bellaudière. Il semble par ailleurs
que ce poème a été réécrit, du moins travaillé, car il figure en deux endroits différents
du manuscrit. La version la plus ancienne (celle du fo 75 v°) ne comporte pas
l'expression latine qui guide la lecture.
Le registre lexical n'est pas celui de la louange, mais bien celui de la satire :
poueriero, botigon comparés aux vers et au cerveau de ce poète indiquent les intentions
de Ruffi. Nous pouvons cependant nous demander quelle est la part de « jeu » littéraire
dans ce sonnet dont l'explication et l'analyse demeurent empêchées par notre manque
d'information.
(alexandrins et rimes des tercets ccd-eed)
�XXII
[fo 51 r°]
A un amic que m'avie envidat d'ung
viagi sur mar
4
8
12
16
20
24
28
Non poudent estre enssens de la partido,
D'anar sur mar a la tiou despartido,
T'ay dich adiou, car cregne fort la mar
Vo ben la mort qu'es un passage amar,
May voudriou ben a ton retour dau viagi
Saber l'amic si fouri fol vo sagi.
E cepandant per t'en ben souvenir,
Liege est escrich qu'en man ti fau venir,
Hounte veiras tout lou sens de ma testo,
Contrari au tiou que n'en fas tan gran festo,
Car quant a my, jamay non anariou
Sur de la mar tan pleno de periou,
Subre que tout quan podi anar per terro,
Quan non sarie que d'anar d'eissi a Berro.
Per gasagnar proun de gens1 s'en van per mar,
En quu dis ben aqueou la pot amar,
May qui voudra degremenar la faire,
Conoissera que la mar fa mautraire,
Car digo-mi, l'y a-t-il ren de plus car
Que nostro vido? E aquot es cercar
De leou morir baudoment davant houro,
E cors e bens perdre en un moment d'houro,
D'un cop de mar embe vent borrascous
Que lou veisseou metra dessus dessous.
E vous diray vounte que l'on si boute
Dins lou veisseou vostro vido es en doubte,
Car de tres, d'esqua, d'espes au plus fort,
Anas tres des tout just pres de la mort.
E d'autro part la mar, vent e tempesto
Fan courre hazard d'uno terrour funesto
[fo 51 v°]
32
E quan si trobo uno falho a la nau,
L'y a grosso alarmo e ben souvent va mau,
Que diren may lou dangier das courssaris
Que prenon, tuon e fan millo contraris.
1 "per mar" biffé après "gens".
�36
40
44
48
52
56
Lou piegi avez quouro un naufragi ven,
Car plus souvent de morir vous conven,
Cadun en terro adounc voudrie ben estre
Per si gardar dau couyent escaufestre.
Et ho que l'en a per l'houro repentens
Ben que trop tard non siege plus lo tems,
Quan son recours de faire grand promesso
D'un pelegrin si d'aquello escapesso,
D'anar pet nus, revestit2 en romiou,
En un lueq sant per regraciar a Diou
Vo visitar Nostro-Damo de Grassi,
Quouro saran franquis de la desgrassi.
May se forsso es d'enfin passar lou pas,
Lous plus valhens li si vezon trompas,
L'or ny l'argent non siervon de refugi,
Car fau patir de l'aigo lou delugi
Sensso notari e ges de capelan
Que li pourrion servir en tau malan
Per dispausar tan dau corps que3 de l'armo
Como chrestian e catholiq gen d'armo.
O que malhur si negant, tant patir
E gloglotant sentir l'armo partir,
Puys per malhur dau peys estre pasturo
E coumo un can privas de sepulturo.
[fo 52 r°]
60
64
68
72
76
Quantous l'en a qu'an vogut reclamar
De cambiar terro estent pregoun en mar,
Coumo en cas apres Troyo ruynado,
Fugent per mar li foun mau fortunado,
Car si vezent au periou de la mort
Per catiou tems sens pouder prendre port,
« Helas », cridet, « paure privat de joyo
Quan non sieu mort a la guerro de Troyo
En batalhant de furi e de calour4
E signalant as dangiers ma valour,
Car me sarie agut mort honorablo
E mantenent mi sarie reprochablo! »
Encar plus fort, d'uno plagnento vous,
Cridet tout haut : « O que sias benhurous
Vautres qu'avez a la guerro troyano,
En guerrejant vount l'honour si moyano
Vist vostro fin combatent bravoment
Quan Achilles vous tuet valhentoment! »
D'autres, l'amic, penssant l'ave escapado
Qu'estre embarcas dessus l'aigo salado,
Si son trompas, car sensso mau ny dan,
2 PV biffée : "enbe cire" (?), "revestit" rajouté au-dessus.
3 "e" biffé, "que" rajouté au-dessus.
4 "valour" biffé, "calour" rajouté à la suite.
�80
84
Tout en un cop per tempesto en rodan,5
An fach un trauc sensso segnau dins l'aigo,
Aqui6 mourent de mort crudello e aigro.
Que diray plus, Pirrus,7 como l'on sau,
En navegant sur l'aigo de la sau
Embe un fort temps, a ponch de far naufragi,
Eou que de luen ves un porc au ribagi
[fo 52 v°]
88
92
96
100
104
108
112
Manjant de segle a son contentoment,
Briffant goulut, aqui seguroment
S'escridet haut : « O besti fort hurouso,
Tu qu'as la viando e terro planturouzo
Sensso dangier, tant pacificoment,
Envejous siou de ton allojament! »
Penssas tanben coumo aquellous d'Egipte
Au negadis moreron leou e vite.
Ajusten-li das apostous la pou
Quan dins la nau penssant de faire bou,
Un catiou tems de la mar lous estouno,
Cridant : « Jesus, sauvas nostro persouno
Car perissen en aquest gros torment! »
May lou segnour li ajudet prestoment,
Car sensso aquo nonobstant que cridavon,
Aurien begut may que n'en demandavon.
Aussi la nau vount si troubet sant Pau
Embe proun gens, o que s'en manquet pau
Que tout n'en fousso en aquello vegado
Mort estoufat d'uno rialo negado,
Car lou vaisseou souloment si perdet
E a travers en pessos si fondet,
May lou bon sant dotour en l'Evangeli
Lous gardet tous d'anar a Quandoceli
Per sa preguiero a Diou lur ajudant,
Fouron sauvas la pluspart en nedant,
[fo 53 r°]
116
Car quu mious per prest8 un taulan afferro
En tau periou per s'aflatar de terro.9
Pensso l'amic que dangier foun aqueou,
Soul de v'auzir vou fa drissar10 lou peou
E perque tant horrible, espavantable,
Es lou negar de tout insuportable.
5 PV : "Per la tempesto de la mar en roudan". "la", "de la mar en roudan" biffés. Tout en un cop rajouté en début
de vers, "rodan" en fin de vers.
6 "En li" biffé, "aqui" rajouté en début de vers.
7 "Pirron" biffé, "Pirrus" rajouté au-dessus.
8 PV : "D'autres adounc qui" biffé. "Adonq cauqun prest" rajouté au-dessus et également biffé. "Car quu mious per"
rajouté au-dessus de la deuxième version biffée.
9 PV : "Per dau periou s'aflatar de la terro". "Per dau", "la" biffé. "quau" rajouté au-dessus de "Per" biffé. "En
tau", "per" rajoutés au-dessus.
10 "gitar" biffé, "drissar" rajouté au-dessus.
�120
124
128
Diou tout pietous d'aquello estrani mort
Embe Noe faguet un sant accord
De lou sauvar e dins l'Archo s'esconde,
Eou, moulhe, enfans per recrear lo monde,
Disent que plus non li aurie negadis
Coumo fouguet au delugi jadis.
Enfin l'amic, la mar ren non m'agrado,
Car fa morir d'uno mort eiglariado
E se aquest cop t'en veiras escapat,
Se li vas may, pourries estre atrapat,
May quant a yeu, siege en pas vo a la guerro,
Lauzi la mar e mi teni a la terro.
À un ami qui m'avait invité à un voyage sur mer. —— Ne pouvant pas être
ensemble pour la partie, — Pour aller sur mer à ton départ, — Je t'ai dit adieu, car je
crains beaucoup la mer — (4) Ou bien la mort qui est un passage amer, — Mais je
voudrais bien à ton retour de voyage, — Savoir l'ami si je fus fou ou sage. — Et
cependant pour bien t'en souvenir, — (8) Lis cet écrit que je t'adresse en mains propres
— Où tu verras tout le sens de ma tête — Contraire au tien, car tu en fais une si grande
fête. — Car quant à moi je n'irai jamais — (12) Sur la mer si pleine de périls, — Surtout
quand je peux aller par la terre, — Quand il ne s'agirait que d'aller d'ici jusqu'à Berre. —
Assez de gens s'en vont sur mer pour gagner leur vie, — (16) Celui qui la considère bien
peut l'aimer, — Mais celui qui voudra l'exploiter, — Se rendra compte que la mer met
en peine, — Car, dis-moi, qu'y a-t-il de plus cher — (20) Que notre vie? Et cela est
chercher — À vite mourir gaillardement avant l'heure, — Et perdre corps et biens en
peu de temps, — D'un coup de mer avec un vent tempétueux — (24) Qui mettra le
vaisseau sans dessus dessous. — Et je vous dirai qu'en quelque endroit où l'on se mette
— Dans le vaisseau, votre vie est en question, — Car tous trois, du maigre, de l'épais au
plus fort, — (28) Vous êtes à deux doigts de la mort. — Et d'autre part la mer, le vent et
la tempête — Chassent le hasard d'une terreur funeste — Et quand on trouve une voie
d'eau sur le navire, — (32) Il y a une grande alarme et ça va bien souvent mal, — Et nous
parlerons encore du danger des corsaires, — Qui ravissent, tuent et font mille
préjudices. — Vous connaissez le pire quand un naufrage survient, — (36) Car le plus
souvent mourir vous convient, — Alors chacun voudrait bien être à terre, — Pour se
garder de la cuisante frayeur. — Et ô qu'à cette heure on a des repentants , — (40) Bien
que trop tard ce ne soit plus le moment, — Quand ils recourent à une grande promesse :
— Etre pèlerin s'ils échappent à telle chose, — D'aller pieds nus, vêtus en pèlerin, —
(44) En un lieu saint pour rendre grâce à Dieu — Ou visiter notre Dame de Grâce, —
Quand ils seront affranchis de la disgrâce. — Mais s'ils viennent enfin à passer le cap,
— (48) Les plus vaillants s'y sont trompés, — L'or et l'argent ne servent pas de refuge, —
Car il faut souffrir le déluge de l'eau — Sans notaire et sans aucun prêtre — (52) Qui
pourraient servir en tel trouble — Pour disposer aussi bien du corps que de l'âme —
Comme chrétien et catholique, pourvus d'une âme. — Ô quel malheur en se noyant,
souffrir autant — (56) Et glougloutant sentir l'âme partir, — Puis par malheur être la
pâture des poissons — Et comme un chien, privés de sépulture. — Combien y en a-t-il
qui ont voulu réclamer — (60) De changer de lieu, étant au loin sur la mer, — Comme
dans ce cas après Troie ruinée, — Fuyant par la mer, elle ne leur fut pas favorable, —
�Car se voyant au péril de la mort, — (64) Par mauvais temps sans pouvoir rejoindre un
port, — « Hélas », cria-t-il, « pauvre privé de joie, — Pourquoi ne suis-je pas mort à la
guerre de Troie — En bataillant avec furie et chaleur, — (68) Et exposant aux dangers
ma valeur, — Car il me serait advenu une mort honorable — Et maintenant elle me
causerait du tort! ». — Encore plus fort, d'une voix plaintive, — (72) Il cria tout haut :
« Ô que vous êtes bienheureux — Vous autres qui avez à la guerre troyenne, — En
guerroyant où l'honneur se moyenne, — Vu votre fin combattant bravement — (76)
Quand Achilles vous tua vaillament! » — D'autres, l'ami, pensant y avoir échappé —
Pour être embarqués sur l'eau salée, — Se sont trompés, car sans mal ni souffrance, —
(80) Tout d'un coup, traversant une tempête, — Ils ont fait un trou sans repère dans l'eau,
— Là mourant de mort cruelle et aigre. — Et je dirai plus, Pyrrhus, comme l'on sait, —
(84) En navigant sur l'eau et le sel — Avec un mauvais temps, au moment de faire
naufrage, — Lui qui voit au loin sur le rivage un porc — Mangeant du seigle à sa
grande satisfaction, — (88) Se bâfrant, goulu, là il s'écria — Sûrement et tout haut : « Ô
animal très heureux, — Toi qui as la nourriture et la terre plantureuse — Sans danger, si
pacifiquement, — (92) Je suis envieux de ton logement! » — Pensez aussi comment ceux
d'Egypte — Moururent très vite noyés. — Ajoutons-leur la peur des apôtres — (96)
Quand dans le navire, pensant faire bonne pêche, — Un mauvais temps de mer les
stupéfait, — Criant : « Jésus, sauvez notre personne — Car nous périssons par ce gros
tourment! » — (100) Mais le seigneur les aida rapidement, — Car sans cela, nonobstant
qu'ils criaient, — Ils auraient bu plus qu'ils n'en demandaient. — Aussi le navire où se
trouvait saint Paul — (104) Avec beaucoup de gens, ô qu'il s'en fallut de peu — Que tout
fut cette fois — Mort étouffé d'une royale noyade, — Car le vaisseau s'était depuis peu
perdu, — (108) Et se brisa par le travers, — Mais le bon saint docteur en l'Évangile —
Les garda de tous aller à Candie —Par sa prière à Dieu, leur aide, — (112) Ils furent pour
la plupart sauvés en nageant, — Car en tel péril, celui qui s'empresse — Auprès d'un
radeau, se rapproche un peu plus de la terre. — Pense l'ami que le danger fut celui-là, —
(116) De l'entendre seulement vous fait dresser le poil — Et parce que si horrible,
épouvantable, — Se noyer est tout à fait insupportable. — Dieu tout compatissant de
cette étrange mort — (120) Fit avec Noé une sainte alliance — Pour le sauver et il se
cache dans l'Arche, — Lui, femme, enfants pour recréer le monde, — Disant qu'il n'y
aurait plus de noyés — (124) Comme il y en eut jadis au déluge. — Enfin l'ami, la mer ne
me plaît en rien, — Car elle fait mourir d'une mort effrayante, — Et si cette fois tu te
verras sauf, — (128) Si tu y vas encore, tu pourrais être attrapé, — Mais, quant à moi,
que ce soit en paix ou en temps de guerre, — Je loue la mer et me tiens à terre.)
Ce poème expose, sur un ton parfois léger, les dangers de la navigation. Il s'agit
là d'un témoignage qui s'ajoute à beaucoup d'autres : Hésiode dans Les Travaux et les
Jours donne des conseils relatifs à la navigation qui témoignent de la difficulté de
naviguer en Méditerranée, une mer particulièrement difficile en hiver (Hésiode, Les
Travaux et les Jours, op. cit., v. 618-694, p. 108-111). La navigation y était
généralement limitée, pour ne pas dire interdite par les règlements commerciaux
d'octobre à mars. Il est vrai que la situation géographique marseillaise ne facilite pas la
navigation en hiver : la présence du Mistral (qui n'est pas nommé par Ruffi) est cause de
bien de naufrages et de détournements spectaculaires comme celui de Cesare
Giustiniano qui en janvier 1597, pris dans la tempête au large de Marseille, se retrouva
�quatre jours plus tard sur les côtes d'Afrique du nord ! 1 Pierre Paul témoigne également
de la méfiance des Marseillais envers la mer; pour se rendre à Cassis, il emprunte un
chemin côtier pourtant particulièrement escarpé : « Tournar per mar a l'Arenier, —
Auriou pou de faire naufragy, — Et per estre reputat sagy, — Prendray lou coustat
montagnier. »2 Il est vrai que le même Pierre Paul n'a pas de chance avec les plaisirs de
la mer : Bellaud raconte dans une des lettres adressées à son « oncle » que le 10 octobre
1585 celui-ci avait pris place sur une galère pour une « promenade jusques aux Isles
prochaine de Marseille » et fut surpris (c'est le moins que l'on puisse dire) par une
révolte des forçats.3 Ruffi n'est donc pas le seul Marseillais à redouter la mer ; si ceuxci s'avèrent être au cours des siècles de bons navigateurs, ils savent également se méfier
d'une mer réputée pour son imprévisibilité.
Cette évocation maritime permet à Ruffi de se référer aux récits de naufrages.
Retenons principalement une référence à L'Enéide et aux voyages de saint Paul qui
rejoignent les sources littéraires déjà observées dans Lous Plazers ou L'Amour de Diou.
En parfait humaniste, Ruffi tente un rapprochement entre les grands textes de l'Antiquité
et le Nouveau Testament, fidèle à sa formation intellectuelle et à sa foi.
Les vers de ce poème sont des décasyllabes (4+6), vers par excellence de
l'épopée, choisis par Ronsard pour La Franciade. La comparaison s'arrête là : en aucun
cas ce poème ne dépasse la relation empruntée des bons préceptes et de la leçon de
morale. Les rimes plates, parfois hésitantes, ne semblent pas participer à un souffle
poétique qui conduirait le texte vers un autre style et un autre registre.
v. 1-2 : Le pré/texte de ce poème est constitué par une invitation que Ruffi refuse. Elle sert alors
de guide pour le texte ; plusieurs fois Ruffi reviendra sur ce fait par des adresses directes (par
exemple v. 115 avec Pensso l'amic) qui permettent au poème de « rebondir » et dans le même
temps de ne pas perdre les sujets écrivants et dédicatoires.
partido traduit par « partie » dans un sens proche de celui d'une « partie de campagne » par
exemple.
v. 5 : fouri cf. « foguèri ».
v. 8 : Il semble que ce poème soit une lettre adressée en guise d'excuse ; venir et mans
constituent alors les garants de cet envoi qui n'est pas différé dans le temps et que Ruffi écrit
véritablement avant le voyage. Pour insister sur cette adresse directe, nous avons traduit par « en
mains propres ».
v. 10 : n'en fas gran festo ne peut se rapporter qu'au voyage prévu. Cet ami inconnu se ferait une
grande joie d'effectuer cette navigation et ignorerait les dangers d'une telle entreprise.
v. 12 : Remarquons la vocalisation du l final dans periou qui est notée dans la graphie et semble
être réalisée à Marseille. Mistral s'en tient à la forme « peril » (Lou Tresor dóu Felibrige,
op. cit., tome 2, p. 545).
v. 14 : Berro, Berre, localité à trente kilomètres au nord de Marseille, sur l'étang qui porte son
nom. Pour y aller par la mer, il faut contourner le rivage ouest (la chaîne de l'Estaque) et
pénétrer dans l'Étang de Berre par Martigues. Pour s'y rendre par terre, il faut emprunter le
chemin de Salon.
v. 15-18 : C'est une allusion aux métiers de la mer, pêcheurs et marins, importants à Marseille.
Ruffi se conduit ici en homme de terroir qui ne semble pas prendre goût au travail de la mer.
v. 16 : dis plus dans le sens de « considérer » que dans celui de « parler ».
1 Sur ce fait et plus généralement sur les problèmes de navigation cf. Fernand Braudel, La Mediterranée et le monde
méditerranéen à l'époque de Philippe II, Armand Colin, Paris, 1949, rééd. 1987, tome 1, p. 227-232.
2 Pierre Paul, L'Autounado, op. cit., fo lxvii v°.
3 Obros et Rimos…, op. cit., p. 31-34 (Lous Passatens).
�v. 17 : degremenar se rapproche peut-être de « gramenar », germer comme le chiendent « (lo
gram »). Cette substitution de la terre à la mer indique donc une marque d'exploitation ; il s'agit
bien de vivre de la mer, de lui ôter tout le chiendent qui la recouvrerait. Les pêcheurs et les
navigateurs sont donc les cultivateurs de la mer. Nous pouvons établir une comparaison avec la
dureté des travaux des champs telle qu'elle est exposée dans Lous Plazers. La mer porte en elle
cette dureté laborieuse, mais, fait notable, le travail de la terre est provoqué par le péché originel
alors que la mer semble échapper aux domaines de Dieu, éloignée du jardin d'Eden.
v. 20 : le t de aquot empêche la synérèse avec es.
v. 21 : baudoment rehausse l'idée d'une mort inutile et aventureuse, qui aurait pu être évitée et
que l'impétuosité et la folie d'une telle entreprise déterminent.
v. 27-28 : Ces deux vers sont obscurs. La réalisation d'écriture de Ruffi n'organise pas la phrase
comme nous la comprenons : « Car de tres des qua despes au plus fort — Anas tres des tout just
pres de la mort ». Nous pensons que Ruffi joue ici sur le mot tres qui désigne dans le vers 27
trois personnes (maigre, épais et fort) et dans le suivant accompagne des. C'est ce jeu qui est
cause de la coupure entre des et qua dans le vers 27. Nous comprenons qu'il s'agit de trois types
humains qui seraient à « trois » doigts de la mort.
v. 33-34 : Ruffi évoque dans ces deux vers le danger des corsaires ou des pirates barbaresques
qui écumaient les mers et faisaient des prisonniers revendus comme esclaves. De nombreux
européens étaient ainsi capturés et vendus en Afrique du nord.
v. 36 : vous conven est difficile à comprendre. Il semble que Ruffi souhaite la mort au moment
du naufrage et non pas celle des hommes perdus en mer sur une quelconque embarcation et
livrés à eux-mêmes.
v. 39-46 : Ruffi parle des repentants de la dernière heure, ceux qui pressés par la mort
redécouvrent les voies de la religion et implorent leur Dieu. Le poète moralisateur retrouve sa
force pour condamner de tels comportements. La principale promesse est évidemment celle des
pèlerinages effectués le plus souvent pieds nus. Ruffi n'évoque pas les ex-voto qui se
développeront plus tard en Provence (parmi ceux-ci les ex-voto marins étaient très nombreux).
v. 43 : Ruffi emploie pelegrin et non « pelegrinatge » ou « romavatge ». Nous en concluons
qu'il s'agit déjà de la promesse d'un futur pèlerin.
v. 47 : C'est-à-dire : s'il faut affronter la tempête. L'or et l'argent des riches ne sert évidemment
pas dans une telle situation. Ruffi semble donc condamner cette propension des plus riches à
vouloir tout acheter. Il leur rappelle ainsi que la puissance de leur argent connaît des limites. De
même au vers 51, la présence habituelle des notaires dans toutes transactions ne pourrait servir,
ni même celle du prêtre qui assiste l'homme au moment de mourir. C'est donc seul avec ses
péchés que l'homme se présente devant Dieu.
v. 54 : gen d'armo ne doit pas être confondu avec le gendarme. Ruffi ne semble pas bien
distinguer les deux orthographes (il écrit gendarmo sans coupure). Il s'agit là de tous les
catholiques qui disposent d'une âme. Relevons au passage qu'il n'est question que des
catholiques.
v. 56 : gloglotant indique, avec un certain réalisme, les bruits de la noyade. Nous trouvons chez
Bellaud de la Bellaudière une idée similaire pour évoquer un passage difficile de la Durance :
« Tan-leou que mon bidet à revist la Durensso, — L'y a prez un tremollun d'uno mourtallo pou,
— Disent entre sas dens, Bellaud sarié tant fou, — De faire mays glou-glou, per laissar la
Prouvensso ? » (Obros et Rimos…, op. cit., p. 68, sonnet lxxxix des Passatens). Nous avons
traduit par le verbe « glouglouter » qui appartient au même registre et restitue littéralement
l'effet du verbe occitan.
v. 58 : Ruffi reviendra plusieurs fois sur l'absence de sépulture qu'il souhaite regretter. Il est
fidèle aux principes chrétiens et rappelle la mort horrible de la noyade qui prive les corps de leur
ensevelissement. N'oublions pas qu'au jour de la résurrection, les corps ressuscitent comme les
âmes. Les hommes morts en mer, sans sépulture, sont donc des chiens que l'on enterre pas,
privés de leur dignité humaine dans la mort.
�v. 60 : cambiar terro que nous traduisons par « changer de lieu » s'applique à ceux qui sont au
loin sur la mer. pregoun indique donc une profondeur liée à l'espace et non pas celle des abysses
marins.
Nous ne pensons pas que les vers 59 et 60 soient liés au vers 57. Les morts crieraient-ils pour
avoir une sépulture ? Dans ce cas, comment comprendre terro et coumo qui lient les vers 60 et
61. Nous pensons que ce sont plutôt les Troyens errant sur la mer qui voudraient retrouver une
terre.
v. 61-76 : Ruffi évoque dans ces vers la fuite d'Énée après la prise de Troie. Il se réfère
évidemment à L'Énéide et plus particulièrement à la tempête rencontrée lors de la fuite des
Troyens et relatée au livre troisième. Les paroles prononcées par Énée ne sont pas empruntées à
L'Énéide, mais paraissent constituer un prolongement du récit de la tempête au livre III.
v. 65 : Remarquons le glissement du collectif au particulier. Il est question aux vers 61-64 des
Troyens et au vers 64 d'Énée, ce qui explique cridet.
v. 74 : moyano, littéralement « moyenne ». C'est à la guerre que les hommes dévoilent leur
courage et montrent aux yeux de tous leur honneur. « Moyenner » doit donc être pris dans ce
sens, c'est à la guerre que l'honneur se fait jour.
v. 81 : Il s'agit ici d'un trou qui ne peut être remarqué, repéré comme une sépulture de chrétien.
Ruffi, comme au vers 57, revient sur l'absence de sépulture des noyés. Dans ce vers, il semble
regretter que l'emplacement de la tombe marine ne puisse être repéré.
v. 81-82 : La rime entre aigo et aigro paraît pour le moins hésitante et incertaine.
v. 83-92 : Pyrrhus, en portant secours aux Tarentins, connut une mer démontée qui provoqua le
naufrage de son navire. Le roi d'Épire se jetta à l'eau afin d'éviter la mort. L'essentiel de cet
argument est inspiré de Plutarque (Les Vies…, op. cit. tome 1, p. 884-885).
v. 87 : Cette anecdote n'est pas rapportée par Plutarque. C'est donc la vision de ce porc
mangeant du seigle qui inspire à Pyrrhus cette réflexion sur la nature humaine et les dangers de
la navigation.
v. 93-94 : Allusion aux Égyptiens poursuivant les hébreux qui moururent noyés lorsque les eaux
de la mer rouge se refermèrent sur eux.
v. 94-102 : Cet épisode est contenu dans Les Évangiles de Marc (4) et de Luc (8).
v. 96 : faire bou, faire une bonne pêche selon Mistral (Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit.,
tome 1, p. 309).
v. 100 : li pour « leys » ou « lous ». Il peut également s'agir de « li » adverbe de lieu, mais dans
ce cas, son emploi paraît difficile à expliquer (la traduction serait : « Mais le seigneur y aida
rapidement »). li est peut-être une erreur de Ruffi. En effet, il nous semble peu probable qu'il
s'agisse de la contraction « li », article défini, que l'on rencontre en provençal rhodanien et que
la norme mistralienne a proposé. Cette évolution de [lej] > [li] est postérieure au XVI e siècle. Il
manquerait en outre un s de liaison, marque du pluriel indispensable à la prononciation de « li »
devant voyelle. Nous traduisons par « les ».
v. 101 : nonobstant employé ici pour « cependant ».
v. 103-112 : Ruffi évoque dans ces vers un épisode des voyages de saint Paul contenu dans les
Actes des Apôtres. Saint Paul et ses compagnons se réfugient dans un port de la Crète, mais son
bateau est emporté par une tempête et les naufragés, après être désespérés, sont réconfortés par
saint Paul et échouent sur une plage maltaise (Actes des Apôtres, 27).
v. 107 : souloment, dans le sens de « depuis peu » que Mistral donne également (Lou Tresor
dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 910). Cet adverbe marque la rapidité du naufrage.
v. 109 : Quandoceli, sans doute Candie, port de Crète, qui donna quelque temps son nom à l'île.
Saint Paul réconforte ses compagnons et les exhorte à ne pas rebrousser chemin vers la Crète.
v. 113-114 : Ces deux vers sont quelque peu obscurs. Ils ont été réécrits plusieurs fois et
l'établissement d'une ultime version est difficile. taulan désigne chez Mistral un assemblage de
planches, donc ici un radeau (Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 964). affero, cf.
« s'afairar », « s'empresser ».
�v. 118 : estrani possède une voyelle atone en i, formée sans doute sur le modèle du e de soutien
qui s'articule en [i] à Marseille. D'autres formes ont déjà été relevées (cf. VII, [2], vers 3).
�XXIII
[fo 54 r°]
Prosopee d'une femme mariee
nommee Marguerite qui fut estranglee
par [un] parent316la soubconnant
de son honneur pour estre fort belle 1570
4
8
12
16
20
A toy qui fus ainsy nommee Marguerite,
De qui on ne pouvoit satisfere au merite,
Qui sur toutes les fleurs et perles de hault pris
As este la supreme et emporte le pris.
A toy qui fus guerriere et n'avois point d'arnois,
Faisant par ton regard perdre a plusieurs la vois.
A toy qui Cupido317 a les traitz de tes yeux,
Compose de sa main ainsi que peult le mieux,
Tellement que ta face estoit comme318 estoilee
Comme si la pleyade y eust pris sa volee.319
A toy qui maintes gens pour te voir a l'envy,
De pasture320 souvent mille fois as servi.
A toy qui fus l'horreur des autres Marguerites,
Toy qui jeunes et vieulx as rendus hypochrites.
A toy qui en jeunesse ayant le poil follet,
Ton cueur soubsmis a un mesquin nomme Brunet.
A toy qui a plusieurs en remuant ta321 bouche
Tu attisois leurs cueurs pour les joindre a ta couche.
Toy belle qui tenois cy bas le premier lieu,
Qui merité avois d'estre a un demy dieu.
A toy pour qui plusieurs comme gracieuse et belle
Auroyent voulu soufrir toute peyne cruelle.
[fo 54 v°]
24
Helas et comment est-ce qu'on a oze toucher
Si violentement jusques a mort ta cher?
Toy322 qui as entrepris une chose si haute,
Regarde selon Dieu323 et recognois ta faute,
316 PV : "par un proche parent", biffé, "son pere" rajouté au-dessus puis biffé. "parent" rajouté au-dessus. Ruffi a
oublié de rajouter l'article. Nous le restituons.
317 "les" biffé à la suite.
318 "estoit reluisoit" biffé, "estoit comme" rajouté au-dessus.
319 Un vers biffé à la suite : "A toy qui fus horreur des autres Marguerites". Il s'agit du vers 13.
320 "Et" biffé à la suite.
321 "leur" biffé, "ta" rajouté au-dessus.
322 "Toy" écrit également dans la marge.
323 "malheureus" biffé, "selon Dieu" rajouté au-dessus.
�28
32
36
D'avoir force les jours de si grande beaute
Et luy fere sentir tant d'infilicite324
Que la terre luy soit en pasture et vermine,
Qui merite avoit une grace divine.
Si l'on pouvoit asseoir un jugement certein
A l'encontre de toy et ta meurtriere main,
Je croy que de tous maus, on choisiroit le pire
Pour te fere sentir grievement le martire.
Cependant prierons ce bon Dieu qui tout voit,
Qu'il te veuille punir comme icy l'on325 voudroit
Et que soyons aymez de Dieu326 d'amour eslite
Comme du monde fut la belle Marguerite.
Nous ne possédons aucun renseignement sur ce « crime ». Ruffi est désolé de la
mort de cette belle créature ; en d'autres lieux sa morale ne s'accommoderait pas de
telles incartades conjugales, mais ici le poète marseillais semble oublier les préceptes
divins. Il en appelle d'ailleurs à Dieu pour châtier le meurtrier que l'on devine être le
mari trompé. Une prosopopée est une figure de rhétorique qui fait parler et redonne vie
aux personnes absentes (Ruffi emploie ici Prosopee).
(alexandrins et rimes plates)
324 "Si l'on pouvoit asseoir" écrit en dessous, vers inachevé, identique au début du vers 31.
325 "chacun" biffé, "le droit" rajouté au-dessus puis biffé, "icy l'on" rajouté au-dessus.
326 PV : "Et qu'aymee de Dieu soit d'ame" . Tout est biffé sauf "de Dieu". "vous aymez" rajouté au-dessus ("vous"
biffé), "soyons" rajouté au-dessus puis biffé. "Et que soyons" écrit à gauche dans la marge, puis rajouté en fin de
poème accompagné par un signe distinctif (V surmonté d'un trait horizontal).
�XXIV
[fo 55 v°]
Au duc de Savoye venu a
Marseille en febvrier 1591.
Tenant moy l'ombre, je fus requis d'ung
mien amy qui me garda d'envy de luy
fere ceste epigramme qui le luy presenta
en son nom et luy servit de beaucop
4
8
12
16
20
C'est a vous, o grand prince et vicaire en l'Empire,
Extrait des grands Othons empereurs qu'on admire,
Prince des Alobrocs, Savoysiens, Piemontois,
Uny et allie de nos princes francois
Catholiques, je di que ceste union saincte
Ont au chresme du cueur fidelement enpraincte,
Que la Provence doibt demeurer a toujours
Obligee du bien et signale secours,
Qui d'un bon cueur, zeelle, d'une ame pur1 et nette
Contre les cruautez du Sieur La Valete,
Des heretiques chef et leurs fauteurs madrez,
Nous aves aporte tres utile progrez.
Et qui est plus encor, d'un grand soin vostre altesse
En personne est venu pour mieulx servir d'adresse,
Grand pilier protecteur de l'Estat provenssal,
Salutere remede a guerir nostre mal,
Nous voyons clerement, prince, que la Provence
Se remet en vigueur despuis votre presence,
Ayant ja foudroye Salon et autres lieux
Qui sont desja reduitz et si encores mieux,
[fo 56 r°]
24
28
1 PV : "pure", le e est biffé.
Je vous eust succede sans la mortelle glace
Que constraint son temps quiter les champs et place,
Mais bien que l'enemy jusques autre temps dous
Demeure pour le froid comme le rat aux trous,
Si est-ce que bientost en reprenant vos erres
Sentiront des canons les esclatans tonnerres.
C'est beaucop, prince, donc de nous venir aider,
Delaissant vos pais, vos Estas en danger,
Danger que cessera par la saincte entreprise,
Dieu vous y benissant pour le bien de l'Eglise,
�32
36
40
44
Car c'est luy qui du bien, juste retributeur,
Au centuple nous rend ce qu'est fait de bon cueur.
Par la, vous faites voir, serenissime altesse,
Que voudres imiter vos majeurs de prouesse
Qui rien n'y ont obmis, soit contre prince ou roy,
Mesmes quand est question de nostre saincte foy,
Qu'il soit ainsy Beral d'Othon de Saxonie,
Le premier fondateur de vostre monarchie,
Prince tres magnanime, un roy nommé Bozon,
Rendit du tout paisible au regne borguignon,
Humbert second, qui fut pour aquerir sans crainte
Aveques Godefroy Bulhon la terre saincte,
Thomas ters, poursuivant Albigeois et Vaudois
Heretiques pour lors furent tous a la fois
[fo 56 v°]
48
52
56
60
64
68
Constrainctz se despartir de la secte damnable.
Ce grand Ame aussi de vaillance admirable,
Aydant les chevaliers hiÉrosolimitans,
Quand Rodhes sur le Turq conquirent combatans,
Par la mort du grand mestre, il prend sa cote d'armes,
Et tuant l'admiral du Turq aux grands alarmes,
La victoire il obtint. Lors de comune voix
Fut dict qu'il porteroit en ses armes la croix.
Amè, le comte verd, de valeur par trop rare,
L'empereur detenu par le roy de Bulgare,
Au pris des armes fit metre a sa liberte
Y contreignant ce roy contre sa volunte.
Remarquerons de plus Ame, sainct personnage,
Qui pape fut cree, tire de l'hermitage,
Ayant par saincte vie acquis le fruict des cieulx.
Plusieurs princes encor trouvons de vos ayeulx
Qui ont affectionne par volunte zeellee
De recourir tout prince et Provence affligee.
C'est un don peculier, prince, qui vient des cieulx,
Qui en vous tres fecond encores sera mieulx,
Mesmes en ce que git de la foy catholique
Qu'en vous augmenteres abismant l'heretique,
Symbolisant au roy et si grand empereur,
Charles le grand, rempli de tout heur et valeur,
[fo 57 r°]
72
Qui chassa entierement toute infidele secte,
Vous qui tenes du lis, feres mesme conqueste.
Marseille donc qui voit tant de felicite
Que le pays recoit par vostre authorite,
Et qu'elle se ressent de ce bien tres utile,
A bon droit vous requiert venant dedans leur ville,
O prince, de vouloir2 leur estre bienfacteur,
2 "d'envers eulx" biffé, "vouloir" rajouté au-dessus.
�76
Et de leurs enemis estre leur deffensseur,
Et qu'enfin vostre altesse en qui la valeur veille
Remete en toute pais la Provence et Marseille.
À la mort d'Henri III, le Parlement de Provence se scinda en deux groupes : celui
d'Aix reconnut comme roi le cardinal de Bourbon et celui de Pertuis Henri de Navarre.
La Ligue avait alors le champ libre en Provence. Menacée cependant au nord par les
armées de Lesdiguières et en Provence même par les troupes de La Valette, la position
militaire des Ligueurs n'était pas idéale. La comtesse de Sault, Ligueuse intransigeante
et ambitieuse, fit alors appel à Charles-Emmanuel de Savoie. Son armée entra en
Provence en juillet 1590 et battit les royalistes à Riez. Le duc fit son entrée à Aix le 17
novembre ; le parlement lui confia les pleins pouvoirs, mais ne le reconnut pas comme
comte de Provence. Dès le début de 1591, Charles-Emmanuel se rendit en Espagne pour
négocier un soutien financier. Le duc de Savoie séjourna à Marseille du 2 au 8 mars
1591 accompagné de la comtesse de Sault. Il y fut reçu en souverain, visita la ville et le
château d'If avant de s'embarquer pour l'Espagne (cf. Antoine de Ruffi, Histoire de
Marseille…, op. cit., livre ix, ch. i, p. 389-390). À son retour, il ne put se maintenir dans
la ville ; la brouille entre Casaulx et la comtesse de Sault étant accomplie, Marseille lui
resta hostile pendant la durée de son séjour provençal. Ses troupes connurent quelques
revers et le duc quitta la Provence en mars 1592. Son armée conserva la place de Berre.
Au-delà des faits militaires, l'entreprise du duc de Savoie est une ambitieuse
opération politique. Charles-Emmanuel, neveu d'Henri II, pouvait prétendre au trône de
France. La situation provençale, particulièrement troublée, aurait pu lui être favorable,
mais c'était sans compter sur les particularismes locaux (Marseille en premier) et
l'attachement du parlement aixois à la Ligue. Charles-Emmanuel n'eut que peu d'appuis
dans sa tentative ; une reconnaissance du parlement aixois, mais en aucune façon une
légitimation de son pouvoir.
Ruffi célèbre donc l'entrée du duc à Marseille en mars 1591. Il semble à cette
époque prendre totalement fait et cause pour la Ligue. C'est dans le même temps qu'il
soutient Charles de Casaulx et recueille les fruits de son action. Ce poème est quelque
peu gênant après 1596, ce qui pourrait expliquer la précaution d'écriture contenue dans
le titre. Ce texte est dans ses formes et son contenu semblable aux nombreuses pièces
laudatives adressées au duc de Savoie. Relevons également deux poèmes glorifiant
l'action du duc, notamment celui de César de Nostredame et celui de Jacques de la
Court (cf. F. Gabotto, « Un Poème inédit de César de Nostredame et quelques autres
documents littéraires sur l'histoire de France au XVI e siècle », Revue des Langues
Romanes, tome xxxviii, Montpellier, 1895, p. 289-315).
(alexandrins ordonnés en rimes plates)
Titre : Le duc de Savoie s'est rendu à Marseille dans les premiers jours de mars 1591. Ruffi
commet ici une erreur. Il est d'ailleurs possible que febvrier corresponde à la date d'écriture du
poème qui, si l'on en croit ce qui est dit dans ce titre, a été présenté au duc.
D'autre part, la précaution d'écriture apparaît être politique. Ruffi tenterait-il de se dégager de
ses anciennes opinions, quelque peu compromettantes après 1596 ? Il est cependant possible
que cette pièce ait été écrite pour un ami. Quoi qu'il en soit, Ruffi place ce poème dans le
manuscrit de ses œuvres (assez loin des poèmes sur la réduction de Marseille toutefois).
�v. 1 : Thomas Ier, prédécesseur de Charles-Emmanuel, fut institué vicaire impérial au Piémont
par Frédéric II.
v. 2 : Ruffi se réfère ici aux empereurs germaniques portant le nom d'Othon, issus d'une
dynastie saxonne. Othon Ier fut couronné roi d'Italie en 961. Les monarques savoyards sont
également issus d'une branche de la maison de Saxe.
v. 3 : Alobrocs, les Allobroges.
v. 6 : chresme « chrême » qui rappelle la liaison particulière qui unit les souverains français et
savoyards.
v. 9 : Ruffi a biffé le e de pure qui semblait gêner pour la versification. Ruffi est pourtant
coutumier des synérèses.
v. 10 : Bernard Nogaret de La Valette, chef royaliste qui fut tué le 11 février 1592 de vant
Roquebrune.
v. 11 : madrez, « rusé ».
v. 15 : pilier compte pour deux syllabes.
v. 19 : Les armées savoyardes ont connu quelques succès, notamment dans la vallée de la
Durance et en basse Provence. Les Savoyards tinrent Berre (distant de 20 kilomètres de Salon)
jusqu'en 1596.
v. 21-24 : Les guerres étaient souvent empêchées l'hiver par les rigueurs du climat. Ici, Ruffi
précise qu'il se serait joint aux armées de Charles-Emmanuel sans la glace qui devait nuire à
l'état des opérations. De même les ennemis paraissent se cacher en attendant des temps plus
cléments. Cette attitude est celle communément répandue au XVI e siècle.
v. 35-36 : Ruffi précise que les prédécesseurs de Charles-Emmanuel n'avaient pas omis de venir
en aide aux défenseurs de la foi.
v. 37-40 : Il s'agit de Bérald que l'on dit originaire de Saxe (d'où la référence à Othon) et qui fut
le fondateur de la maison de Savoie. C'est ce Bérald qui est proclamé roi de Provence en 870
sous le nom de Boson et qui possédait un territoire englobant la Savoie et la Bourgogne.
v. 41-42 : Humbert II qui régna de 1072 à 1103 et qui participa à la première croisade.
v. 43-45 : La confusion entre Vaudois et Albigeois est fréquente. Les Vaudois se retirèrent dans
les Alpes et en Italie du nord où ils furent pourchassés. Ce fut Bernard Gui qui fut chargé par
l'Inquisition de mener à bien ce « travail ». Il s'était préalablement distingué contre les
Albigeois. Ruffi a peut-être en mémoire le massacre des Vaudois du Lubéron survenu en 1545,
opération menée par Jean Maynier d'Oppède. Cette répression sanglante donna lieu à une
enquête royale.
v. 46-51 : Amédée VII, surnommé le comte vert, porta secours à l'empereur Jean Paléologue,
puis aida les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem à conquérir Rhodes. Ceux-ci s'y établirent
jusqu'au siège de 1522 et se retirèrent par la suite à Malte.
v. 47 : hiÉrosolimitans, de Jérusalem, référence aux chevaliers de Malte qui portaient le nom de
Saint-Jean de Jérusalem.
v. 52 : Ruffi fait dériver de ce fait militaire les armes de Savoie (de gueules à la croix d'argent).
v. 53-56 : Les Turcs envahirent la Thrace sous le règne de Jean Paléologue (1341-1391). Malgré
l'aide de quelques souverains chrétiens (dont Amédée VI), il fut obligé de traiter.
v. 57-59 : Amédée VIII, qui retiré au couvent de Ripaille près de Thonon, fut nommé pape sous
le nom de Félix V en 1439. Il renonça au duché de Savoie. En 1449, il abdiqua et se retira de
nouveau au couvent de Ripaille où il mourut en 1451.
v. 61 : zeellee compte ici pour deux syllabes.
v. 68 : Sans doute une allusion à Charlemagne et à ses campagnes contre les Sarrasins.
v. 75 : bienfacteur et non « bienfaicteur » que l'on pourrait attendre.
v. 78 : Remarquons que la Provence et Marseille constituent dans ce vers deux entités
clairement séparées.
�XXV
[fo 57 v°]
4
8
12
16
20
N'y a que courron la posto amont et en vallado,1
A ponch de si crebar vo tuar d'uno tombado,
D'autres courron per mar embe de catious tems,
En dangier de negar vo prendre mau toustens
Per aver de priouras, beneficis, prebendos
E foasso ben lo jour de Pasquos vo Calendos.
E qu'es piegi souvent quan los an impetras,
Ven un competitour, quauque sot et 2 matras
Que sierve de custode, un bridaire de mulo,
Louqual tan solament3 nomat dintre4 la bulo
Es favorit dey grans. E5 aprez6 long procez,
Lou premier courredour bouto7 de quatre pez,
May tu, Monsieur Rabier, secretari de villo,
Enterin que dormiez embe fremo non fillo,
Courrent la posto a l'ombro, a l'aise, sens dangier,
Alugnat de la mar e de plaid lengagier,
Un priourat t'es vengut tan bon e profitable
Qu'en Provensso non n'y a ges que sie tan rendable.
Yeou siou lo collatour sens bulo ny descrich,
Yeou meti en possession, basto que v'agi dich,
Tout aro yeu ti doni enbe uno que ti plaze,
Lou priourat devotious de Monsegni Sant Laze.
Il y en a qui courent en tous lieux, de haut en bas, — Au point de se crever ou de
se tuer d'une chute, — D'autres parcourent la mer avec du mauvais temps, — (4) Au
risque de se noyer ou de prendre mal tout le temps — Pour avoir des prieurés, bénéfices, prébendes, — Et bien que ce soit le jour de Pâques ou les Calendes. — Et c'est
souvent pire quand ils les ont obtenus — (8) Qu'un compétiteur se déclare, quelque sot et
maladroit — Qui sert de custode, qui bride les mules, — Lequel seulement nommé dans
la bulle — Est favori des grands. Et après un long procès, — (12) Le premier coureur
s'enfuit ventre à terre, — Mais toi, Monsieur Rabier, secrétaire de la ville, — Pendant
que tu dors avec une femme qui n'est plus fille, — Courant en tous lieux, à l'ombre, à
1 Le titre de ce poème a été biffé. Il était écrit sur cinq lignes. Il nous est impossible de déchiffrer ce qui est écrit en
dessous les ratures.
2 "vent de" biffé, "sot et" rajouté au-dessus.
3 "es" biffé à la suite.
4 "dins" écrit en premier. Ruffi a rajouté "tre" en barrant le "s" puis réécrit "dintre" au-dessus.
5 Rajouté au-dessus.
6 "un" biffé à la suite.
7 "bouto" biffé, "resso" rajouté puis biffé, "bouto" réécrit au-dessus.
�l'aise, sans danger, — (16) Eloigné de la mer et des procès et plaidoiries, — Un prieuré
t'a été octroyé, si bon et profitable, — Car en Provence, il n'y en a pas un qui ne soit
plus rentable. — Je suis le collecteur sans bulle ni description, — (20) J'octroie la possession, il suffit que je le dise, — Tout à l'heure, je te donne, avec une qui te plaît, — Le
prieuré dévot de Monsieur Sant Laze.
Ce poème est énigmatique. Ruffi a biffé le long titre qu'il avait précédemment
placé pour introduire ce texte. Nous ne pouvons pas lire sous les ratures une quelconque
indication, ce qui ne facilite pas la compréhension du poème. Nous pouvons deviner
qu'il s'agit d'une prébende octroyée à un certain Rabier qui devait faire office de
secrétaire de la communauté (Bertas identifie une famille Rabier à Marseille, Archives
Communales de Marseille, fonds Bertas, 20 II 243). Le lexique de ce poème est parfois
obscur. Nous n'avons pu établir le sens de façon certaine, nous résignant à indiquer des
pistes de lecture plutôt qu'une traduction.
(alexandrins ordonnés en rimes plates)
v. 1 : Le premier vers indique par courron la posto amont et en vallado que certaines personnes
s'affairent en courant en tous lieux et de tous côtés et ceci, les vers suivants nous le montrent,
afin de réaliser de bonnes affaires et récupérer des prébendes diverses.
v. 5 : priouras désigne le prieuré, mais aussi les revenus de ce dernier
v. 6 : foasso pour « foguèsse ». Ruffi est habitué de la forme « fousso », mais on trouve en autre
lieu une forme diphtonguée foan (VI, v. 80).
v. 7 : impetras, pour « empetra » selon Mistral, terme de droit qui signifie « impétrer »,
« obtenir » (cf. Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 879).
v. 8 : matras, « maladroit » et « lourdaud » (Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit. tome 2,
p. 297).
v. 9 : Ce vers est obscur. custode désigne ici un religieux qui fait office de provincial dans les
couvents de capucin. Il faudrait alors comprendre que l'homme dont il est question sert de ce
qu'aujourd'hui on appellerait une « doublure ».
Le bridaire de mulo est également difficile à comprendre. Cet homme n'exerce pas exactement
le métier d'écuyer ; la mule dont il s'occupe rabaisse sa condition.
Ces deux qualificatifs situent le personnage dont il est question dans une optique peu reluisante.
Ruffi a certainement voulu insister sur le caractère factice et sur la basse condition de ce
« compétiteur »
v. 10 : bulo désigne les provisions d'un bénéfice ecclésiastique. Ce personnage ne possède pas
les bénéfices dont il est question, mais est seulement cité dans les règlements qui régissent ces
prébendes.
v. 14 : dormiez, cf. « dòrmes »? Nous nous interrogeons sur la personne employée. Ruffi utilise
le tutoiement dans les autres vers, pourquoi ici une forme qui semble pourtant être de politesse ?
Cette femme non fillo désigne soit une femme d'un certain âge ou une femme qui n'est plus
vierge.
v. 16 : plaid désigne le procès qui est associé à lengagier. Ruffi fait ici la distinction entre les
procès qui donnaient lieu à une audience et ceux dont le jugement était rendu sans entendre les
protagonistes de l'affaire. Nous associons dans notre traduction « plaidoirie » à « procès » qui
accentue le caractère de prise de parole de la justice.
v. 19 : Ruffi a-t-il été directement le collecteur et le distributeur de ces prébendes ? N'oublions
pas qu'il fut notaire attaché à l'archevêché ; les diverses transactions et privilèges devaient
certainement être consignées dans son étude.
�v. 22 : De quel prieuré s'agit-il ? On peut se demander si Ruffi n'ironise pas : Sant Laze était en
effet l'hôpital des fous à Marseille.
�XXVI
L'ODO A PIERRE PAUL
L' Odo a Pierre Paul est un poème qui revêt une importance singulière dans la
littérature occitane. Les dernières strophes exposent les opinions de Ruffi concernant la
poésie et la langue occitanes et prennent l'apparence d'un véritable manifeste
linguistique. C'est à notre connaissance la seule prise de position nette et tranchée que
l'on puisse lire du XVIe au XVIIIe siècle en Provence ; il faut en effet attendre les
premières œuvres de la Renaissance félibréenne pour voir le débat de nouveau posé :
quelle place revendiquent les écrivains occitans et quels rapports ont-ils avec la
littérature française ?
C'est à l'occasion des pièces liminaires du recueil de Pierre Paul, L'Autounado,
que Ruffi expose ses arguments. Relevons d'abord que ce poème ne se présente pas
comme un manifeste linguistique ; 12 strophes sur 19 sont consacrées à un débat sur les
vertus réciproques de l'automne et du printemps dans lequel on reconnaît certains éléments présents dans Lous Plazers et qui, transversaux dans l'œuvre de Ruffi,
appartiennent au registre pastoral. Les sept dernières strophes s'adressent directement à
Pierre Paul et louent son Autounado.
L'éditeur de Bellaud avait publié à la suite des œuvres du poète grassois sa
propre Barbouillado. Inquiété quelque temps après la réduction de Marseille, Paul
semble rentrer en grâce et fréquente la société littéraire animée par Guillaume du Vair.
Il rassemble, semble-t-il vers 1611 si l'on en juge par les ultimes corrections, ses poésies
et prépare un manuscrit pour l'édition. C'est ce manuscrit qu'il intitule L'Autounado et
pour lequel Ruffi écrit cette ode.1
Il est vraisemblable que Ruffi a saisi l'occasion qui lui était présentée. Depuis
1595, date de l'édition de Bellaud de la Bellaudière, les éditeurs de l'œuvre bellaudine
sont réduits au silence. Ils ont été d'abord largement compromis par les « services »
rendus aux Ligueurs et s'exilent, se taisent ou font preuve d'une palinodie des plus
spectaculaires. Dans un deuxième temps, un corpus poétique nouveau, en français,
apparaît à la fin du siècle et dans les premières années du XVII e ; des écrivains nés vers
1550 arrivent à maturité poétique et écrivent des œuvres remarquées et remarquables :
César de Nostredame, Louis de Gallaup de Chasteuil et Jean de La Ceppède pour ne
citer que ces trois noms. Nous pouvons parler d'une « percée » littéraire française qui ne
va pas sans contrarier les desseins plus ou moins renaissantistes des promoteurs de
1 Auguste Brun n'a publié qu'une partie de ce manuscrit. Nous avons pour notre part assuré une édition critique.
L'Autounado est un manuscrit préparé pour la publication. Pierre Paul rajoute cependant après 1611 quelques poèmes
et corrige certaines versions antérieures. La reliure désordonnée augmente le caractère brouillon de ce texte et il faut
recourir à des recoupements divers pour tenter d'approcher le sens de cette « pré-édition ». Ruffi a écrit cette ode,
certainement à la demande de Pierre Paul. Elle est recopiée, par un copiste anonyme, du fo v r° au fo vi r°. Dans ce
même recueil, on trouve dans les pièces liminaires des poèmes de François D'Aix, P. D. Roure, Pompeo Barbarito,
Antoine Rouhaud et dans le corps du texte des poèmes de Faucherant de Montgaillard et de César de Nostredame.
�l'édition de 1595. L'Odo a Pierre Paul se situe donc dans ce contexte difficile, en cette
fin de siècle où le provençal qui a perdu toutes ses possibilités administratives voit peu à
peu sa condition culturelle « haute », telle qu'elle avait été inaugurée puis rejetée par
Jean de Nostredame, s'effriter et se désagréger. 2 La personnalité complexe de Robert
Ruffi subit certainement les effets d'une telle situation et d'une accélération des
processus diglossiques déjà bien en place. Cette complexité ne va pas sans
contradictions ; n'oublions pas que Ruffi est également un écrivain qui s'exprime en
français dans son œuvre historiographique et dans quelques poésies. Ce que nous
pourrions comprendre comme une contradiction ne constitue pas, en ces temps, un
empêchement quelconque à la prise de parole et à l'écriture d'un manifeste. Nous
sommes ici au cœur d'une articulation que nous pouvons avoir du mal à comprendre :
Ruffi, en apparence, ne vit pas son appartenance culturelle occitane en opposition avec
la culture française ni même (et surtout serions-nous tenté de dire) avec l'attachement à
la royauté. Pourtant, L'Odo a Pierre Paul témoigne d'une préoccupation linguistique qui
ne peut se définir que dans les cadres d'un sentiment d'infériorité et d'une dignité
clairement assumée. Ce poème exprime un malaise devant la difficulté identitaire et les
différentes « pulsions » marseillaises à la limite du séparatisme, différences
institutionnelles sanctionnées par l'histoire. Une infériorité structurelle toujours
croissante réduit la langue d'oc à un dialecte, à une expression linguistique minorisée en
voie d'éclatement et qui ne possède plus rien de sa grandeur passée. L'ode établit enfin
une dignité de parole que l'on souhaite promouvoir et qui se heurte aux jugements
historiques et politiques et surtout aux avancées indéniables de la littérature française,
miroir insoutenable renvoyant une image dénaturée face à l'instauration d'une littérature.
Nous pouvons ainsi voir se dessiner deux résistances littéraires. La première,
organisationnelle, est liée à l'édition de 1595 : elle entend promouvoir une littérature,
créer un réseau d'écriture et asseoir un chef-d'œuvre fondateur. La deuxième est
purement réactionnaire : elle se noue à l'échec patenté d'une tentative littéraire, à des
trajectoires marginales et mal assurées et apparaît assumer dans la crispation
revendicatrice l'existence d'une langue et d'une littérature. Quinze ans séparent ces deux
résistances, quinze ans qui ne laissent rien au hasard : échec politique d'un soutien qui
ne fut jamais réel, échec fonctionnel d'une poésie en quête de modernité et enfin échec
d'une exclusivité littéraire que Ruffi tente, vainement, de revendiquer.
L'argumentation de l'Odo a Pierre Paul est néanmoins fort logique. Elle calque
sur la situation provençale les arguments français qui ont permi à la langue du roi de
supplanter définitivement le latin. L'essentiel de ce manifeste est en effet emprunté aux
différents traités qui jalonnent l'histoire linguistique de la Renaissance, des œuvres
italiennes de Speroni aux démonstrations de La Deffence. En ce sens, Ruffi n'invente
rien ; il est largement tributaire des réflexions de ses prédécesseurs (comme d'ailleurs
les Français le furent des Italiens). L'argument essentiel, central, qui consiste à dénoncer
l'abandon de la « patrie » par ses propres écrivains s'exprimant dans une autre langue est
inspiré de Du Bellay. Cette idée était déjà en germe chez Geoffroy Tory : « Il me
semble soubz correction qu'il seroit plus beau à ung François escripre en François qu'en
autre langage, tant pour la seureté de son dict langage François, que pour decorer sa
nation & enrichir sa langue domestique, qui est aussi belle & bonne que une autre,
quand elle est bien couchee par escript. »3 L'exemple de Thémistocle est directement
inspiré de La Deffence qui l'avait emprunté au Dialogo delle Lingue, ouvrage de
2 Il s'agit ici d'une « voie haute » instituée puis abandonnée par Jean de Nostredame (sur ce sujet, nous renvoyons à
notre thèse de doctorat : Historiographie et Littérature en Provence au XVI e siècle : l’œuvre de Jean de Nostredame,
Turnhout, Association Internationale d’Études Occitanes, Brépols, 2012.
�Sperone Speroni écrit vers 1530 : « Ce prudent & vertueux Themistocle Athenien
montra bien que la mesme loy naturelle, qui commande à chacun defendre le lieu de sa
naissance, nous oblige aussi de garder la dignité de notre langue (…) se moquant de
l'ambicieuse curiosité de celuy qui aymoit mieulx escrire en une langue etrangere qu'en
la sienne. »4 Au-delà de l'exemple commun, la notion de « curiosité » linguistique est
également empruntée (cf. le « Voulent, per trop curiuous, — S'en autar d'autre lengagi »
de Ruffi), dénonçant l'artifice d'un langage qui n'est pas propre au lieu de naissance.
L'argumentation de Ruffi reprend donc les arguments de « naturalité » qui
traversent tous les écrits polémiques sur la langue. Il n'est pas question d'ailleurs que de
langue dans cette notion ; on sait que la conceptualisation de Nature est fondamentale
pour la pensée du XVIe siècle : origines et qualités de cette Nature, débat entre la
Nature et l'Art, le naturel et le factice, l'Estre et le Parestre définissent des cadres qui
permettent à la société baroque de questionner son existence. Il n'y a pas, pour Ruffi, de
débat : il existe une naturalité de la langue qui ne peut être mise en question, elle soustend toute expression et toute poésie, elle échappe à l'artifice et rencontre l'origine
première de la parole, celle des naissances et des instincts primaires. De la même
manière, l'Escholier limosin se débarrasse de toute artificialité devant la peur et la
menace et recourt au langage premier : « A ceste heure parle-tu naturellement » répond
donc Pantagruel, presque soulagé, tout au moins définitivement satisfait.5
Ruffi associe la « naturalité » de la langue à la « maternité » de la patrie. Ce sont
là deux images fortes dans la littérature occitane, nous serions même tenté de dire
exceptionnelles, car elles rejoignent à la fois les préoccupations philosophiques de la
Renaissance et les structures particulières d'une société diglossique. La nature
linguistique est liée à la maternité de la patrie, l'espace est irrémédiablement
« accroché » à la langue par un jeu d'artifice que nous savons, à l'instant de l'écriture de
ce poème, purement volontariste, ne s'appuyant pas sur une réalité exemplaire. Cette
argumentation entend couvrir d'un manteau idéologique la présence littéraire française,
organisée et conquérante, qui se veut d'ailleurs provençale, et à laquelle Ruffi participe.
Il semblerait donc que la longue restitution d'oc s'opère selon une qualité de Nature et
une réappropriation de l'espace. Quelques années plus tôt, un grand écrivain français,
Guillaume Salluste Du Bartas, accueille Henri de Navarre à Nérac et versifie en gascon
pour affirmer la toute puissance de la nymphe gasconne sur toutes les autres. Il déclare
que : « La nature toustem es més bere que l'art. »6 Tout en s'ignorant, les Renaissances
gasconnes et provençales trouvent sensiblement les mêmes arguments pour tenter
d'asseoir leur existence.
Un dernier aspect de l'argumentation de l'Odo a Pierre Paul doit retenir notre
attention. Ruffi se situe résolument dans une filiation littéraire occitane. Il connaît bien
les archives provençales, lit les Troubadours et utilise certainement Les Vies de Jean de
Nostredame publiées en 1575. La mise en perspective chronologique de la littérature
occitane transparaît déjà dans l'édition de 1595, dans la préface de César de Nostredame
3 Cité in Joachim Du Bellay, La Deffence et Illustration de la langue françoyse, édition de Henri Chamard, Paris,
1948, p. 29. La première édition est d'avril 1549, deux autres éditions en 1553, 1557 et 1561 et une encore en 1568.
La Deffence est un texte correctement diffusé, mais son efficacité sur le problème linguistique français est quasi nulle.
Cet ouvrage vient en effet après bien d'autres et son argumentation est essentiellement empruntée. Pourtant sa
diffusion en fera « le manifeste » en faveur de la primauté du français.
4 Du Bellay, La Deffence…, op. cit., p. 183, 187.
5 Rabelais, Pantagruel, op. cit., ch. vi, p. 193.
6 Ce Dialogue des Nymphes a été notamment publié par Jean-Baptiste Noulet, Essai sur l'histoire littéraire des
patois du Midi de la France aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, 1859 (cf. Philippe Grady, La Leçon de Nérac…, op. cit.
�ou dans quelques pièces liminaires.7 Ruffi précise la distance temporelle qui sépare les
Troubadours et l'Odo a Pierre Paul et dessine une filiation littéraire : la langue d'oc des
Troubadours et le toscan de Dante et Pétrarque sont les premières expressions poétiques
remarquables (notons l'effacement de l'école sicilienne que Ruffi ne connaît
certainement pas ; le toscan est ici la seule présence italienne). Placer l'occitan dans
cette filiation, c'est également prendre des distances avec le français. C'est aussi assurer
le caractère de modernité d'une langue, modernité indirecte puisque Pétrarque, grand
lecteur des Troubadours, est une des sources majeures de la Renaissance française.
Contournement littéraire donc, qui entend installer la littérature occitane à l'égal des
autres par office de primauté et de chef d'œuvre, restitution mémorique, inspirée
vraisemblablement de celle de Nostredame, qui décrit une chronologie littéraire et tente
de hausser la présence d'une langue et d'une littérature.
L'Odo a Pierre Paul est donc un poème important dans l'histoire de la littérature
d'oc. Il n'est cependant pas mis en valeur dans ce manuscrit, laissé pour compte derrière
de grands ensembles comme Lous Plazers ou les Quatrains. Ruffi semble nettement
jouer un temps une carte qu'il délaisse par la suite. Impossibilité de répondre à des
questions qui le dépasse ? Certainement, mais aussi effacement d'un problème latent
dans toute l'histoire de la littérature occitane : effacement personnel et collectif, car ni
les poésies de Ruffi ni L'Autounado ne sont publiées et le « manifeste » demeure enfoui
sous la poussière des mots.
(huitain composé avec des heptasyllabes (rimes ababcddc)).
[fo 58 r°]
Pierre Paul dict Panet devoit mettre
en lumiere diverses siennes compositions
qu'il nommoit son Autonado a cause
de quoy je luy fis l'ode suivantea
Odo a Pierre Paul
4
8
Quand lou printems e l'autoun
Debation lou primeiragi,
Yeou mi troubiou d'escoutoun,
Amagat souto un ramagi,
Auzent d'aqui la rezon
Que l'un a l'autre allegavo,
Car un cadun si donavo
Grand lauzour en sa sezon.
7 Nous renvoyons sur ce sujet à notre article : « La Réception du texte troubadouresque au XVIe siècle en
Provence », Actes du IVè Congrès de l’Associoation Internationale d’Études Occitanes, (Vitoria-Gasteiz, août 1993),
Vitoria, 1995, p. 61-78.
a Nous établissons à l'aide de ces renvois les variantes les plus importantes avec la copie de ce poème telle qu'elle
figure dans L'Autounado. Ces variantes sont généralement d'ordre orthographique. Nous ne les établissons pas, ne
pouvant pas savoir avec exactitude ce qui relève des erreurs de copie ou des corrections apportées par Pierre Paul.
Nous relevons les différences notoires qui concernent le sens du texte.
Titre : « Robert Ruffi de Marselho sur l'Autounado — du Sr Pierre Pau ».
�12
16
Dau printems la gayo vous
Dis qu'eou1 la glori merito
Coumo mascle gracious,
Que lou joventut incito
D'anar per lo terradour
Sus de la verdo campagno
Si jardinar sensso lagno
E aqui faire l'amour.b
Car son palais foun bastit
Per la nympheto joynesso,
[fo 58 v°]
20
24
28
32
36
40
Dins un prat tout revestit
De flours e d'aubrilho espesso
Vount lou gayc rossignolet
Gourgouto son beou ramagi
Prez d'un murmurant aigagi
Sortent dous d'un ruisselet.d
Puys la grand sentour das flours,
Sie rozos vo giroflados,
Autros de toutos colours
Per la naturo pintados
Que lo zephir porto au nas
Embe son haleno dousso
Quand l'aubeto chanjo rousso
E lous camps fa safranas.e
Tanben lo plus milhor fruq
Si ves toujour a la primo,f
L'agrioto dau bon suq,
L'abricot qu'es tan d'estimo,
Touto milhour frucho veng
Per l'apetit de naturo,
Adonc touto creaturo
S'alegro vielh e jouven.
[fo 59 r°]
Sorreh autoun non fasses pas
Embe yeou comparaduro,
Car si quauquo ren as,
1
b
c
d
e
f
g
h
"que" biffé, "qu'eou" rajouté au-dessus.
Aut : "As fillos faire l'amour"
Aut : "gent"
Aut : "Prez d'un cristalin aigagi, — Au dous brut d'un ruisselet"
Aut : "E lous camps son rayounas"
Aut : "Lou printens dis que lou fruq — S'atrobo dintre la primo"
Aut : "Touto frucho roujo ven"
Aut : "Fraire"
�44
48
52
56
60
64
Siege en flours vo ben verduro,i
Tu va m'as fort ben raubatj
T'en fazent uno corouno
E dau miou que t'envirouno
Rendes lou monde trompat.
Au contrari dis l'autoun,
Fraire, non fasses bravado,
Car tu sies nat enfantoun
Embe yeou d'uno ventrado
De naturo e dau soleou,
Enfantas de lur sustansso,k
Donant eigalo poissansso
A nostre besson pareou.
Tu ti vantes donc en van
De flours, de fruqs e verduro,
Car ma bono part de l'an
Yeu n'ay,2 si l'on va mesuro,l
Lous fruqs de milhor bontatm
Qu'en ges de terren abonde,
Aussi l'on ten que lo monde
A l'autoun foguet creat.
[fo 59 v°]
68
72
76
E lou plus beou tems de l'an
Es la sezon autonalo,
Car sie riche vo vielan,
Lo fruq de la bachanalo
Si recuelhe au terradour,
Talhant l'agi de la souquo
Qu'es tan saborous en bouquo
E vinous de gran odour.n
May d'uno odour e licour
Qu'a tout home douno vido
E d'uno dousso vigour
Ten souvent l'armo ravido;o
Ges de fruq tan excellent
Non li a en degun terrairep
i Aut : "Autant flour coumo verduro"
j Aut : "Sabes que va m'as raubat"
k Aut : "Enfantas a lur senblansso"
2 PV : "N'ay si l'on", "si l'on" biffé et réécrit à la suite, "Yeu" rajouté en début de vers.
l Aut : "N'ay autant sensso mezuro"
m Aut : "Surtout fruqs plens de bontat"
n Aut : "Que n'es l'aygo de l'entour"
o Aut : "E souvent per sa vigour — Fa venir l'armo ravido"
p Aut : "Non si recuelhe au terraire"
�80
84
88
Que tau suc fesson entraire
Coumo aquest de3 tant valent.q
L'autoun es encarr plus beou
Per lo plaser de la casso
De touto sorto d'ausseou :
De la calho a la tirasso,
Dau gras tordre razinat,
De la becofigo friando;
Enfin la rezon comando
Que l'honour mi sie donat.
[fo 60 r°]
92
96
100
104
108
112
Aquo dich, an avalit,
Menant grand tabus en l'ayre,
Adonc benleou siou talhits
De l'amagador repayre
E mi tenentt penssatiou
Sur la lauzour meritado,
La doneri a l'autonado
Coumo au tems louu plus gentiou.
De memes, o Pierre Pau,
Ton printems de Barbolhado
My semblo, vau quauque pau
Mancou que ton Autonado4
Que bronzis per l'univers,
Car d'un provenssau lengagi
Fara florir en tout eagi
Tous inimitables vers.
Ello fa bondir ben haut
L'honour antiq de Marselho
E das bravesv coumo faut
Lur vertut per merevelho,
Per contrari volontiers
Las cativetas descuebre
Dont l'escavissat si cuebre
Coumo son banquaroutiers.
[fo 60 v°]
3 Rajouté au-dessus. Après "tant" un "v" biffé.
q Aut : "Coumo dau razin valent"
r Aut : "Si trobo encaros"
s Aut : "sallit"
t Aut : "E coumo eri"
u Aut : "Car son tems m'es"
4 PV : "Mens que la tiou Autonado". " Mens" et "la tiou" biffés, "mancou" rajouté en début de vers et "ton" audessus.
v Aut : "hÉros"
�116
120
124
128
132
136
Grand estimo donc a Pau
De remetre en sa lumiero
Lous dots vers en provenssau
Qu'avien perdut sa tubiero
Despuis tres cens quasique an,
Car las muzos provenssalos
Reprendran sas fortos alosw
E tousten se prezaran.
Lou prouvensau, baudoment,
A lou drech de premier agi
D'aver tant antiquoment
Rimat en vulgar ramagi,5
Apres venguet lo tuscan
Coumo dioun Dante e Petrarquo,
Puis pron d'autres l'on remarquo
An seguit de man en man.
Qui non escrieu son saber
En sa lengo naturalo
Va dementent lo dever
De sa patri maternalo,
Voulent, per trop curiuous,
S'en autar d'autre lengagi,
Placant son propri gavagi
Que li profitarie mious.
[fo 61 r°]
140
144
148
152
Lous Grecs en odi tenion
D'auzir la lengo latino
E lous romans defendion
D'aprendre greco doctrino,
Temistocles, un legat,
Cambiant sa lengo perssico
Per s'avidar de l'attico,
Lou rendet mort ableigat.
Vivo ton prouvenssales
Pau! E may ton Autonado!
Car lou docte sens que l'es
D'un estil haut entonado
Eternisara ton nom,
Car fins a tant qu'es perdudo,
Vertut non es conegudo,
Viou e mort auras renom.
w Aut : "Per eou reprendran sas halos"
5 "lengagi" biffé, "ramagi" rajouté à la suite.
�Quand le printemps et l'automne — Débattaient de leur primauté, — Je me
trouvais à l'écoute, — (4) Caché sous un branchage, — Entendant de là la raison — Que
mutuellement ils alléguaient, — Car chacun donnait — (8) Grande louange à sa saison.
—— La gaie voix du printemps — Dit qu'il mérite la gloire — Comme mâle gracieux,
— (12) Car il incite la jeunesse — À aller par le terroir, — Par la verte campagne — Y
résider agréablement sans souci — (16) Et là faire l'amour. —— Car son palais fut bâti
— Par la petite nymphe jeunesse, — Dans un pré tout revêtu — (20) De fleurs et
d'arbustes épais — Où le gai rossignolet — Gazouille son beau chant — Près d'une
chute d'eau murmurante — (24) Sortant doucement d'un petit ruisseau. —— Puis la
grande senteur des fleurs, — Que ce soit roses ou giroflées, — Autres de toutes couleurs
— (28) Peintes par la nature — Que le zéphir porte au nez — Avec son souffle doux, —
Quand l'aube ténue devient rousse — (32) Et donne la couleur du safran aux champs.
—— Aussi le fruit le meilleur — Se rencontre toujours au printemps, — La griotte au
bon suc, — (36) L'abricot que l'on estime tant, —Tout meilleur fruit vient — Par l'appetit
de nature, — Donc toute créature — (40) Se réjouit, jeunes et vieux. —— Sœur automne,
ne fais donc aucune — Comparaison avec moi, — Car si tu possèdes quelque chose, —
(44) Que ce soit fleurs ou bien feuillage, — Tu me l'as fort bien volé, — T'en faisant une
couronne — Et avec ce qui est mien et qui te ceint, — (48) Tu trompes le monde. ——
Au contraire dit l'automne, — Frère, ne fais donc pas bravade, — Car tu es né petit enfant — (52) Avec moi d'une union — De nature et de soleil, — Enfantés de leur
substance, — Donnant égale puissance — (56) À notre paire jumelle. —— Tu te vantes
donc en vain — De fleurs, de fruits et feuillages, — Car j'en ai ma bonne part — (60)
Toute l'année, si on le mesure, — Les fruits de meilleure bonté — Qui abondent dans
nul terrain, — On pense aussi que le monde — (64) Fut créé à l'automne. —— Et le plus
beau temps de l'an — Est la saison automnale, — Car que l'on soit riche ou pauvre, —
(68) On recueille le fruit — De la bacchanale au terroir, — Coupant le raisin de la souche
— Qui est si savoureux en bouche — (72) Et d'une grande odeur de vin. —— Plus d'une
odeur et liqueur — Qui donne vie à tout homme — Et d'une douce vigueur, — (76) Il
tient souvent l'âme ravie, — Il n'existe pas un fruit — Si excellent en nul terroir, —
D'où l'on puisse tirer un tel suc — (80) Comme celui-là aussi vaillant. —— L'automne
est encore plus beau — Pour le plaisir de la chasse — De toutes sortes d'oiseaux : — (84)
De la caille attrapée au filet, — De la grive grasse pleine de raisins, — Du becf.igue
friand ; — Enfin la raison commande — (88) Que l'honneur me soit donné. —— Ceci
dit, ils se sont évanouis, — Faisant grand vacarme en l'air, — Je me suis donc bien vite
enfui — (92) De mon repaire caché — Et restant pensif — Sur la louange méritée, — Je
l'octroyai au temps de l'automne, — (96) Comme le temps le plus agréable. —— De
même, ô Pierre Paul, — Ton printemps de Barbolhado, — Il me semble, vaut un peu —
(100) Moins que ton Autonado — Qui retentit par l'univers, — Car par un langage
provençal — Elle fera fleurir en tout âge — (104) Tes inimitables vers. —— Elle fait
monter bien haut — L'honneur antique de Marseille — Et par merveille la vertu — (108)
Des braves comme il faut, — Au contraire, elle dévoile — Volontiers les méchancetés
— Dont le vaurien se couvre — (112) Comme les banqueroutiers. —— Grande estime
donc à Paul — De remettre en leur lumière — Les doctes vers en provençal — (116) Qui
avaient perdu leur renommée — Depuis presque trois cents ans, — Car les Muses
provençales — Reprendront leurs fortes ailes — (120) Et seront tout le temps prisées.
—— Le provençal, hardiment, — A le droit d'ainesse, — Pour avoir si antiquement —
�Rimé en vulgaire chant, — Après vint le toscan — Comme disent Dante et
Pétrarque, — Puis bien d'autres, on remarque, — (128) Ont suivi de main en main. ——
Celui qui n'écrit pas son savoir — Dans sa langue naturelle — Va démentir le devoir —
(132) De sa patrie maternelle, — Voulant, trop curieux, — S'élever en autre langage, —
Délaissant sa propre nourriture — (136) Qui lui profiterait mieux. —— Les Grecs
détestaient — D'entendre la langue latine — Et les Romains défendaient — (140)
D'apprendre la doctrine grecque, — Thémistocle, un légat, — Changeant sa langue
persique — Pour se nourrir de l'attique, — (144) Le rendit mort, détruit. —— Vive ton
provençal — Paul! Et plus encore ton Autonado! — Car le docte sens qui y réside —
(148) Entonnée par un haut style — Éternisera ton nom, — Car tant qu'elle est perdue, —
La vertu n'est pas connue, — (152) Vivant et mort tu auras renom.)
(124)
v. 1-8 : Remarquons que le poète saisit les propos énoncés par l'automne et le printemps cachés
sous le feuillage. Ces paroles revêtent donc un sens qui n'est pas donné, mais seulement
fortuitement dérobé. Le poète est donc l'intercesseur nécessaire à la délivrance du message.
v. 2 : primeiragi désigne en premier les primeurs, les fruits ou légumes précoces. Dans un
deuxième temps, ce terme prend le sens de « primauté » (cf. Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige,
op. cit., tome 2, p. 641).
v. 12 : On peut également comprendre que joventut est le sujet de incito, ce qui signifierait
alors : « Que la jeunesse incite — À aller par le terroir ».
v. 15 : jardinar, « se placer », « s'établir » selon Mistral (cf. Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit.,
tome 2, p. 155). Nous trouvons un emploi similaire chez Bellaud : « Mais coum' un agnelet
aupres d'uno Cibisso, — Au camp Ellisian mi sariou jardinat. » (Obros et Rimos…, op. cit.,
p. 72, sonnet xxxvi). Le sens de ce mot renvoie au Jardin d'Éden ; cette place dans ce jardin
(chez Ruffi comme chez Bellaud) se définit dans la douceur du locus amœnus. Nous insistons
sur ce fait dans notre traduction.
v. 30 : haleno, plutôt ici dans le sens de souffle pour qualifier le zéphir.
v. 31-32 : Ces deux vers évoquent les rayons du soleil à l'aube et la couleur jaune des champs.
L'emploi du « safran » est à remarquer et participe à un imaginaire plus conséquent dont
Philippe Gardy a tenté de cerner le sens et les origines (« Le Mois du safran », Louis Bellaud de
la Bellaudière (1543?-1588), Actes du colloque de Grasse (8-9 octobre 1988), Association
Historique du pays de Grasse, Section Française de l'Association Internationale d'Etudes
Occitanes, Montpellier, 1993, p. 17-28). Nous trouvons dans cet article des correspondances
avec plusieurs écrivains occitans, notamment avec Jean-Géraud D'Astros : « De safran jou
'mbernissi l'aubo (op. cit., p. 19). Nous pouvons bien sûr penser au célèbre « mez ensafranat »
de Bellaud de la Bellaudière (Obros et Rimos…, op. cit., p. 119, sonnet cxlix des Passatens).
Nous pensons toutefois que l'emploi du safran chez Ruffi n'induit pas un sens particulier
(contrairement au sonnet de Bellaud) et évoque simplement la couleur jaune doré des champs à
l'aube.
v. 35-36 : Il est également question de ces fruits, de leur beauté et de leur saveur dans Lous
Plazers (I, v. 107-108).
v. 40 : Nous inversons dans ce vers les deux adjectifs dans la version française pour rester au
plus près d'une séquence quasi proverbiale.
v. 41 : L'impératif à la forme négative est toujours traduit par le subjonctif. Nous pou vons
cependant nous demander si l'emploi d'un passé ne renforce pas ici le caractère affirmé de la
proposition. Nous insistons dans notre traduction avec « donc » (la même chose au v. 50).
v. 46-48 : Remarquons dans ces vers la dissimulation dont l'image est empruntée au feuillage.
Ce procédé se rapproche des métaphores végétales dont Yves Giraud a étudié les prolongements
littéraires (Yves Giraud, La Fable de Daphné. Essai sur un type de métamorphose végétale
dans la littérature et dans les arts jusqu'à la fin du XVIIe siècle, Droz, Genève, 1968).
�v. 47 : dau miou désigne ici l'appartenance. Le printemps dit que l'automne lui a volé ce qui ne
lui appartient pas (les fleurs et le feuillage).
v. 52 : ventrado désigne communément une portée. Il s'agit de l'union du soleil et de la nature.
Remarquons la disposition des éléments essentiels, mythologie païenne qui définit le rôle d'une
Nature et celui du soleil. Nous pouvons y retrouver les traces d'une veine hésiodique. Plus
simplement, il nous paraît évident de relier cette union à la définition de l'espace et des travaux
contenue dans Lous Plazers.
v. 67 : vielan, le paysan qui ne possède pas la terre qu'il travaille (cf. I, v. 28 et 100).
v. 67-69 : Il s'agit bien sûr du vin. Ruffi précise que cette boisson est offerte à tous. Il fait sans
doute référence aux nombreuses vignes qui couvraient le terroir de Marseille ; chaque
Marseillais possédait ainsi quelques arpents qui pouvaient donner du vin.
Remarquons bachanalo qui place le vin dans une optique de réjouissance.
Il est évidemment question de l'importance de la vigne et du vin dans Lous Plazers (I, v. 49-68).
v. 81-88 : On comparera avec intérêt ce qui est dit ici de la chasse et ce qui est exposé dans
Lous Plazers (I, v. 136-150).
v. 98 : Il s'agit de La Barbouillado de Pierre Paul publiée en 1595 à la suite des œuvres de
Bellaud de la Bellaudière. Ruffi oppose donc les œuvres de jeunesse de Paul à cette Autounado.
Paul avait environ quarante ans en 1595 et L'Autounado date pour les premiers textes de 1596 et
pour les plus anciens de 1611 (Paul avait donc près de cinquante ans quand il réunit ses
dernières poésies).
v. 110 : cativetas dans le sens de méchancetés. descuebre comme cuebre au vers suivant sont
conjugués à la troisième personne du présent de l'indicatif. Il est fréquent que le provençal
maritime ajoute un e de soutien à cette personne. Il y a ici métathèse de r (pour « descuerbe » et
« cuerbe »).
v. 111 : escavissat pour vaurien et fainéant selon Mistral (à « escabissat » cité comme
languedocien : Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 973).
v. 112 : banquaroutiers est peut-être une allusion aux activités économiques de Pierre Paul.
L'éditeur de Bellaud possédait le droit de « vinten de careno » sur les bois de construction et de
réparation des navires. L'Autounado fait souvent référence aux procédures judiciaires dont
Pierre Paul est coutumier.
v. 113-120 : C'est bien sûr une allusion aux Troubadours. Ruffi présente Paul comme le
successeur de la lyrique médiévale. Nous ne reviendrons pas sur l'interprétation que nous avons
donnée dans notre introduction. Relevons simplement que les trois cents ans cités par Ruffi
séparant les Troubadours et la Renaissance définissent une chronologie littéraire exacte.
v. 129-144 : Tous ces arguments sont empruntés à La Deffence de Du Bellay.
v. 133 : curiuous, par diérèse, compte pour trois syllabes.
�XXVII
[fo 61 v°]
1598 Le roy avoit faict publier
la paix generale avec deffense
de porter arquebuzes.
Et au moys de septembre au dict an,
estant Monseigneur de Guise malade au
chateau d'Aubagne et nonobstant la dicte
deffense, on chassoit les bequefigues
au jardin de Monseigneur l'evesque.
Sur quoy, Ode sur l'alegresse des oiseaux327
4
8
12
16
Lou rey, plen de gran bontat
Per la pas qu'a mes en Fransso,
Sous bons subjetz a boutat
En tout gauch e alegransso,
Finquo as paures ausseletz
Perseguis de mort poudrouzo,
Car devedant l'arquibouzo,
Vieuran gais e grasseletz.
Aussi de comuno vous
Tout ausseou canto en gran festo
D'un jargon melodious
Grand glori a la cour celesto,
Pregant de plus en sa ley
Per la rialo poissansso
E que longoment en Fransso,
San e sauf siege lou rey.
[fo 62 r°]
20
Subretout dins lo jardin
E vergier de merevelho,
Plen de tout plaser dedin
Qu'es de Monsur de Marselho,
Aqui lo poble volant
Fa gauchous son beou ramagi,
327 "plainte" biffé, "alegresse" rajouté au-dessus. Ruffi n'a pas corrigé l'article. Nous établissons l'apostrophe au lieu
de "la". Il semble que l'ensemble explicatif qui précède le titre proprement dit ait été rajouté par la suite. De la même
manière, "Sur quoy" est également un rajout postérieur qui lie l'explication et le titre. Ruffi a donc voulu éclairer la
lecture de ce poème.
�24
28
32
36
40
May lou nouveou canonagi
Lous fa fugir en quielant.
Car en tau jardin soulet
Lous engiens fogous li cridon,
E l'ausseou gras e moullet
Embe lo carnier maridon;
La plumalho sur l'eedit
Si fondant, vou faire testo,
E donar uno requesto
Que tiq taq siege interdit.
Non, non, uno vous ly a dich,
Vautres perdres vostro peno,
Lou dire, ny may l'escrich
Non servira que de reno,
Car tout segnour pot cassar
Dins son ben e sa tengudo,
L'autoritat li es degudo,
Lou rey la li vou leissar.
[fo 62 v°]
44
48
52
56
May sabes-vous que fares?
Non bouges dau jardinagi,
Lous plus gras vous boutares
En visto, non au ramagi,
Per estre mious atrapas,
Car la becofigo griso
Qu'amo tan Monsur de Guiso
Li sierve de bon repas.
Lous gras saran per lou sen
Dau bon segnour duc de Guiso
E lous maigres vagon s'en
Cartar per sa galhardiso,
Car tant qu'eou malaut sara,
Embe la perlo plombino,
Sie sur l'alo vo l'esquino,
Tout ausseou li passara.
Le roi, plein de grande bonté— Par la paix qu'il a mis en France, — A placé ses
bons sujets — (4) En toute joie et allégresse, — Même les pauvres petits oiseaux —
Poursuivis de mort poudreuse, — Car prohibant l'arquebuse, — (8) Ils vivront gais et
bien gras. —— Aussi, d'une voix commune, — Tout oiseau chante en grande fête —
D'un jargon mélodieux — (12) Grande gloire à la cour céleste, — Priant même en sa loi
— Pour la royale puissance, — Et que longuement en France, — (16) Sain et sauf soit le
roi. —— Surtout dans le jardin — Et verger de merveille — Rempli de tout plaisir —
�Qui est de Monsieur de Marseille, — Ici le peuple volant, — livre joyeux son beau
chant, — Mais le nouveau canonnage — (24) Les fait fuir en criant. —— Car seulement
dans ce jardin, — Les engins fougueux les dérangent, — Et ils marient l'oiseau gras —
(28) Et souple avec la gibecière ; — La plumaille sur l'édit — Se fondant, veut aller au
fait— Et introduire une requête, — (32) Pour que, tic tac, ce soit interdit. —— Non, non,
une voix leur a dit, — Vous autres perdrez votre peine, — Le dire et même l'écrit, —
(36) Ne serviront que de plainte, — Car tout seigneur peut chasser — Dans son bien et sa
possession, — L'autorité lui est due, — (40) Le roi veut la lui laisser. —— Mais savezvous ce que vous ferez ? — Vous ne bougez pas du jardin, — Vous aurez les plus gras
— (44) En vue, non par le chant, — Pour être mieux attrapés, — Car le becf.igue gris —
Que Monsieur de Guise aime tant — (48) Lui sert de bon repas. —— Les gras seront
pour la personne — Du bon seigneur duc de Guise, — Et que les maigres aillent
s'engraisser — (52) Pour sa gaillardise, — Car tant qu'il sera malade, — Avec la perle
plombée, — Que ce soit sur l'aile ou sur le dos, — (56) Tout oiseau y passera.)
(20)
Ce poème disserte sur un aspect de la réglementation liée à la chasse en
Provence. Les seigneurs provençaux (et particulièrement les Marseillais) se livraient au
plaisir de la chasse ; le gibier abondait dans le terroir marseillais, fait corroboré par de
nombreux témoignages et dont Ruffi se fait l'écho dans Lous Plazers (I, v. 136-154). La
pratique telle qu'elle se développe se heurte à la réglementation : celle-ci précise en effet
que la chasse est contingentée et ne peut s'exercer librement. Les Provençaux héritaient
d'une absence de réglementation ; la chasse était considéré sous l'administration
indépendante du comté comme une liberté personnelle. Les différents édits ne pourront
qu'imparfaitement s'appliquer en Provence : en 1536 François 1er intervient pour faire
respecter les droits de chasse et contraindre Christophe de Foresta, seigneur de Trets, à
respecter le nouveau règlement (cf. Paul Moulin, La Chasse en Provence (XIIIe-XVIIIe
siècles). Etude historique et juridique, « Annales de Provence », Dragon, Aix-enProvence, 1914, p. 25-26). Ruffi relate dans ce poème des faits qui nous étaient
inconnus, mais qui, sans nous étonner, participent à la résistance contre une
réglementation ignorant des pratiques antérieures.
Cette ode est structurée selon 7 strophes de 8 vers (rimes ababcddc).
Remarquons les vers impairs de sept syllabes.
v. 3 : boutat que nous traduisons par « a placé » pour ne pas répéter le verbe « mettre » déjà
employé au vers précédent et pour respecter l'idée d'un don royal.
v. 5 : Finquo qui signifie littéralement « jusqu'à » et que nous traduisons par « même » pour
accentuer le caractère exceptionnel de l'ordonnance royale.
v. 6 : La mort poudreuse est évidemment la mort par coup d'arquebuse.
v. 7 : devedant, du latin uetare qui signifie « interdire » et « prohiber ». Mistral considère ce
terme comme vieilli et ne donne pas exactement la forme « deveda », mais « devesa » (et
« desbeda » qu'il cite comme gascon) (cf. Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 794).
v. 8 : grasseletz est un diminutif de gras, mais qui insiste, par ironie, sur le caractère « enrobé »
de ces petits oiseaux. Nous introduisons « bien » afin de préciser cette idée dans la traduction.
v. 12 : la cour celesto est ici la cour royale. Cependant, ce vers et le suivant ne sont pas très
clairs. On est en droit de se demander s'il n'y a pas là confusion entre le royaume des cieux et le
royaume de France.
�v. 13 : en sa ley est obscur. De quelle loi s'agit-il ? Est-ce la loi qui garantit l'interdiction de la
chasse à l'arquebuse ou une loi particulière aux oiseaux ?
v. 16 : Remarquons ici le gallicisme sauf qui correspond à l'expression « sain et sauf ».
L'occitan possède le correspondant direct de « sain », « san » que Ruffi emploie, mais « viu »
paraît trop éloigné et « sauve » souffre d'une proximité phonétique évidente.
v. 20 : Ce Monsur de Marselho est donc l'archevêque qui possède le château d'Aubagne.
N'oublions pas que Ruffi est greffier de l'archevêché et très proche des affaires ecclésiastiques.
v. 25 : Il nous semble que soulet se rapporte à jardin plutôt qu'à engiens. Le jardin du château
d'Aubagne serait donc un endroit où l'on ne respecte pas la réglementation de la chasse et où les
coups de fusil dérangent les oiseaux. Ce serait la seule cause de leur effroi.
v. 26 : cridon, dans le sens de « interpelle », « hêle », que nous préférons traduire par
« dérangent », accentuant le caractère paisible du jardin avant la chasse. Le sujet de cridon et
plus loin de maridon est bien sûr l'ensemble des chasseurs qui se livrent à telle pratique.
v. 29 : plumalho, que nous traduisons littéralement par un néologisme, désigne certainement les
partisans de l'application stricte de la réglementation. Nous pouvons faire un parallèle avec les
gens de plume. Ruffi n'ironise-t-il pas sur ces personnes prenant fait et cause pour les oiseaux ?
N'y a-t-il pas une distance moqueuse entre ces « plumes » et ces administrateurs zélés?
v. 30 : faire testo signifie « aller tout droit » vers quelque chose, dans ce cas précis, « aller au
fait » pour faire réellement appliquer l'édit.
v. 32 : tiq taq indique la rapidité de la décision. Ruffi n'est pas habitué de ces onomatopées
(contrairement à Bellaud de la Bellaudière par exemple). Nous les conservons dans la traduction
française pour ne pas affaiblir cet effet stylistique.
v. 36 : reno désigne la plainte et indique que cette démarche serait peine perdue.
v. 37-40 : Ruffi rappelle dans ces vers la coutume provençale. Il semble donc prendre fait et
cause pour le maintien de la chasse et le respect des traditions autochtones.
v. 41 : vous est ici dans un emploi de pronom personnel semblable à l'usage français.
v. 41-48 : Le deuxième argument en faveur du maintien de la chasse est ici exposé :
Monseigneur de Guise, représentant de la puissance royale, est lui-même amateur de petits
oiseaux.
v. 44 : C'est-à-dire que les oiseaux doivent être repéré par la vue et non par leur chant afin de
juger de leur grosseur.
v. 49 : sen est difficile à interpréter. Il rappelle peut-être le titre et la distinction dans le sens de
« personne ». Nous pouvons également nous demander si sen n’a pas un sens proche de
« estomac », signifiant donc le sein de la personne, l’intérieur de son corps (c’est en ce sens
qu’il est employé en I, 26). Enfin, nous pourrions rapprocher sen de cena désignant la table.
v. 51-52 : Ruffi opère une coupure dans le verbe s'en cartar ce qui permet la rime avec sen.
Nous ne rectifions pas pour maintenir la rime et l’équilibre du vers. Ce mot nous paraît être une
variante de « s'encarna »r, c'est-à-dire « s'engraisser », « prendre chair » (la forme « cart » est
très usitée au XVIe siècle).
galhardiso désigne la santé retrouvée du duc de Guise. On pourrait aussi comprendre que ce
mot se rapporte à la vaillance des oiseaux que Ruffi destine, une fois bien gras, à la table du
gouverneur.
�XXVIII
[POEMES SUR LA MORT DE MARGUERITE DE PAUL]
[fo 63 r°]
[1]
Sur la mort de feu damoyzelle
Marguerite de Paul, femme de
Monsieur Paulmier, secretere de
Monseigneur de Guize
[1]
S'esbahit-on pourquoy Marguerite a pris place
En l'avril de ses1 ans, heureusement au ciel?
C'est pour ce qu'avoit peu en elle de mortel,
Et qu'elle fut du monde & de Dieu en la grace.
[2]
Perque dins aquest vas ombrenc & segrenous,
Mort, as cubersselat lo corps de Margarido?
Ello qu'en grans vertus e gracis foun remplido,
Non avie meritat ton dart tan rigorous ?
Pourquoi dans cette urne sombre & obscure, — Mort, as-tu enfermé le corps de
Marguerite ? — Elle, qui fut en grandes vertus et grâces comblées, — N'avait pas mérité
ton dard si rigoureux ?)
[3]
Ergo ut splendebat orbi cunctis virtutibus
sic inter sydera clara nitet
Veh iterum veh! Urbis Parcæ quæ Margarete
1 "jou" biffé, "ans" rajouté à la suite.
�Vitam nevistis nec parce illi parcere voluistis
Cui Pandora pias tradiderat charites quæ vera
Virtutis ymago nobilitatis decus coniugisque pudor
Ac Margaritarum specimen inter ceteras elucebat
Non ideo moritur fama namque volat reflet1
Terras et spiritus astra colit.
De même donc, qu'elle étincelait sur terre de toutes les vertus — Ainsi brille-t-elle avec
éclat parmi les astres. —— Hélas! Deux fois hélas! Parques de la ville qui de
Marguerite — Avez tressé la vie et qui avez voulu épargner sans compter celle — Que
Pandore avait dotée de grâces divines, celle qui, — Image véritable de la vertu, gloire de
la noblesse et honneur de son époux, — Perle idéale, brillait parmi toutes les autres, —
Pour tout cela sa renommée ne meurt pas car elle survole — La terre et l'inonde et son
esprit habite les étoiles.
Nous n'avons pas de renseignements sur Marguerite de Paul. Est-elle de la
famille de Madeleine de Paul, mère de Marthe de Morineau, la femme de Robert Ruffi
(décédée en 1592) ? Est-elle de la famille du poète Pierre Paul ? Cette dernière
hypothèse semble la bonne, car il est question de Paulmier dans L'Autounado : Pierre
Paul semble être un familier et lui adresse un sonnet louant sa bastide (op. cit., fo
lxxviii r°).
Ces trois poèmes sont de facture assez classique. Remarquons simplement l'unité
de forme des textes français et occitan, correspondance évidente des deux langues
romanes alors que le poème latin semble en retrait (ces deux quatrains sont servis par
des alexandrins).
1 reflet sans doute de fleo, fles, ere, evi, etum* qui veut dire « pleurer », « verser des larmes ». Le préfixe est un
procédé d'insistance. Il peut s'agit également de la forme defleo, es…*.
�XXIX
A SANTO MARIE MADALENO
La personnalité et le mythe de Marie-Madeleine ont inspiré de nombreux poètes
et artistes. La dévotion qui entoure le culte de la sainte est particulièrement active en
Provence : l'invention des reliques en 1279 par Charles d'Anjou est un des faits notoires
de l'histoire religieuse provençale et les pélerinages qui s'ensuivent, tant à SaintMaximin qu'à la Sainte-Baume, ne font qu'accroître la renommée de la sainte au cours
des siècles. Ce poème s'inscrit donc dans une tradition hagiographique et littéraire.
L'invention des reliques menée à bien sous les comtes angevins de Provence
donne naissance à cette tradition hagiographique de première importance. Bernard Gui
est l'auteur d'une relation de cette invention dans ses Flores Chronicorum, Philippe de
Cabassole, ami de François Pétrarque, a écrit une De Vita miraculis beatæ Mariæ
Magalanæ et Jean Gobi a recueilli dans un Liber miraculorum beate Marie Magdalene
les miracles ayant eu lieu à Saint-Maximin.1 La Sainte-Baume devient un lieu de
pélerinage très fréquenté, donnant lieu parfois à des scènes de dévotion populaire dont
la Provence est coutumière. La montagne, merveilleusement située avec sa hêtraie
unique en Provence, avait de tous temps focalisé les esprits religieux qui y avaient édifié
temples et chapelles. La grotte fut certainement un hermitage dès les premières
manifestations provençales de cette vie religieuse.
La différence entre littérature et hagiographie est parfois difficile à établir avec
précision. C'est sans doute conseillé par son ami Philippe de Cabassole que Pétrarque
entreprit de visiter la Sainte-Baume. Il écrivit plus tard un poème latin qui influença
durablement les productions littéraires dévolues à la sainte. Dans le courant du XVI e
siècle, toute une littérature se développe : elle est essentiellement constituée de poèmes
décrivant l'exil de la sainte dans sa grotte et louant la sainteté de Marie-Madeleine. Trois
textes doivent retenir notre attention.
Tout d'abord, sans doute écrit avant beaucoup d'autres, une évocation en
provençal de Balthasar Burles publiée dans La Cosmographie de François de
Belleforest. C'est à l'occasion de la description de la Sainte-Baume que Belleforest
donne l'intégralité de ce poème. Décrivant la grotte et la falaise, il cite Pétrarque et
précise ses motivations :
« Cet enthousiasme et sacré transport d'esprit du poëte Toscan a saisy un de mes
amys, lequel provençal de nation, et voisin de ceste saincte solitude, et homme autant
1 Le manuscrit de l'œuvre de Philippe de Cabassole est conservé à la Bibliothèque Nationale (fonds latin 17558,
Peiresc miscellanea). Sur ce culte cf. Victor Saxer, Le culte de Marie-Madeleine en Occident des origines à la fin du
Moyen Age, 2 volumes, Auxerre-Paris, 1959 ainsi que deux articles publiés dans : Marie-Madeleine dans la
mystique, les arts et les lettres, Beauchesne, Paris, 1989 : Victor Saxer, « Les Origines du culte de Sainte MarieMadeleine en Occident », p. 33-47 et Bernard Montagnes, « Saint-Maximin foyer de production hagiographique. Le
Liber miraculorum beate Marie-Magdalene 1315 », p. 49-69.
�diligent en recherches, comme il a l'esprit bon, et l'âme pleine de piété, c'est le sieur
Balthazar de la Burle, varlet de chambre de Monseigneur l'illustrissime cardinal de
Bourbon : a fait des vers en sa langue naturelle, lesquels aiant trouvez autant bons,
numereux et poëtiques, que d'autre qui sçeut faire en latin, françois, toscan ou castillan,
je n'ay voulu aussi frauder le lyseur du plaisir de ces vers, lesquels j'ay laissé en leur
naiveté : que si quelques uns ne les peuvent gouster, ou entendre, pour n'avoir
cognoissance du stile et propre langage provençal, qui est celuy qui a apris la poesie
vulgaire aux Italiens, ainsi que les anciens larcins des plus excellens poëtes Florentins le
monstrent : je me mettray en peine, à la seconde édition, de les traduire au moins mal
que pourray […].2
Burles décrit les lieux de la pénitence dans un souci du détail qui fait de ce poème un
ouvrage maniériste ; le portrait de Marie-Madeleine et de la grotte occupe une large
place :
« Essi puis en tout temps la luno et les estellas,
Per esclardar l'avenc, ly servion de candelas.
La ferrour de la nuech, ny crit d'ausel sauvagi,
Ni lous brams das ferams qu'abitan al boscagi,
Et mancou lou reton que lou grant baux donava,
Quant l'esfors dal labech calque roc desbausava,
Per tempesta, per glaich, per fouldre, ny per flama,
Ny per l'esfort dal tron qu'apres son ullau bramo,
Non s'en esbaïguet, mais tant plus ly agradavo […] ».3
L'antériorité du poème de Burles n'est pas à prouver, ni sur celui de Ruffi
(postérieur à 1596, car il est fait allusion aux troubles politiques) ni sur ceux de César de
Nostredame et de Marc-Antoine Durant. Le fils du « mage de Salon » est en effet
l'auteur des Perles, ou les Larmes de la Saincte Magdeleine, œuvre tout entière
consacrée à Marie-Madeleine repentante, poème dont le « discours » significatif laisse
transparaître les éléments d'une mystique à laquelle Nostredame participe. MarcAntoine Durant, chartreux aixois, est l'auteur d'une Magdaliade qui retrace la vie de la
sainte depuis sa naissance en terre sainte jusqu'à sa pénitence à la Sainte-Baume. 4 Ces
2 LA COSMOGRAPHIE // VNIVERSELLE DE // TOVT LE MONDE. // (…) // Autheur en partie MVNSTER, mais
beaucoup plus augmentée, ornée & enrichie, par FRANCOIS DE // BELLE-FOREST, Commingeois, tant de ses
recherches, comme de l'aide de plusieurs memoires enuoyez de diuerses // Villes de France, par hommes amateurs de
l'histoire & de leur patrie. // (… ) // A PARIS, chez Michel Sonnius, rue S. Iaques, à l'escu de Basle. //
M.D.LXXV. // AVEC PRIVILEGE DV ROY, ET DE LA COVR. (exemplaire consulté bibliothèque inguimbertine
de Carpentras F 660, 661, 662, p. 340-341). Ce texte a été republié au XIX e siècle : Camille Chabaneau, « Sainte
Marie-Madeleine dans la littérature provençale », Revue des Langues Romanes, tome xxviii, Montpellier, 1885, p. 6571. Nous ne possédons que peu de renseignements sur Balthasar Burles. Ce gentilhomme, « valet de chambre du
cardinal de Bourbon » selon Belleforest, est l'auteur d'un manuscrit : Romanæ antiquitates per ordinem alfabeticum
ordinate per Balthesarem Burleum (bibliothèque inguimbertine de Carpentras ms 606), œuvre principalement
archéologique, mais dans lequel on trouve consignés plusieurs poèmes. Au fo 285 r°, se trouve également un très joli
dessin à la plume représentant la Sainte-Baume (cf. Jean-Yves Casanova, « Inscription politique de la littérature
occitane en Provence (fin XVIe-début XVIIe) : la Canson provençalle de 1564, les sonnets recueillis par Peiresc et
autres pièces inédites », Lengas, n°32, Montpellier, 1992, p. 49-85).
3 Op. cit., p. 340-341.
4 Les Perles, / ou / LES LARMES / DE LA SAINCTE / Magdeleine. // Auec quelques Rymes sainctes dediées à /
Madame la Contesse de Carces / Par Cesar de Nostradame Gentil- / homme Prouençal. // A TOLOSE. / De
l'Imprimerie dés Colomiez. / 1606 (exemplaire consulté bibliothèque du musée Paul Arbaud, Aix-en-Provence,
rés. 511).
LA / MAGDALIADE, / OV / ESGVILLON / SPIRITVEL, POVR / EXCITER LES AMES / pecheresses à
quitter leurs / vanitez, & faire penitence, / A l'exemple de la tres-aincte Penitente / Magdaleine. // Par F. M. A.
�deux recueils témoignent d'une inscription littéraire qui développe profondément le
sujet littéraire Marie-Madeleine. C'est ainsi que l'on peut rencontrer des figures de style
baroque chez Nostredame, teintée d'ailleurs d'ecphrasis comme dans l'ensemble de ses
poésies : évocations tumultueuses, outrancières, développements abondants, suradjectivisation qui correspondent bien aux schémas poétiques dominants. Cette
évocation, par le style et le sujet, aboutira en Provence à l'œuvre de Pierre de Saint
Louis que l'on a parfois qualifiée de « grotesque ».5
Ruffi s'inscrit dans cette poésie « magdaléenne”, mais, à dire vrai, ne dépasse
pas les limites d'un poème fidèle à ses engagements moraux; les effets de styles et les
métaphores qui regorgent chez Nostredame sont ici bannis, repoussés serions-nous tenté
de dire. L'évocation des lieux est concise, hors de tout merveilleux et des métaphores «
surnaturelles” que l'on peut lire, près de trente ans auparavant, dans la poésie de Burles.
Pourtant, il se dégage une attitude de sincérité morale qui rend le poème sincère. La
force poétique de Ruffi se définit ici dans la retenue textuelle.
Ce poème utilise des rimes plates (aabb) et des alexandrins.
[fo 63 v°]
A Santo Marie
Madaleno
estent a la Santo Baumo
4
8
12
16
Pelegrin volontous que t'en venes devot
En aquest lueq tout sant per assovir ton vot,
Remiro baudoment la docto architeturo,
Nom pas facho a manesq, may d'obro de naturo,
Un lueq tout segrenous, solitari, ombrenq,
Ferouge, desertous, un abisme d'avenq
Vount l'amigo de Diou,1 en cauno tan humido,
Empluret santoment lo milhor de sa vido.
Medito la persono e lou tems e lo lueq,
Allumant ben devot ton piez d'un sagrat fueq,
Ten a ment qu'ello foun mirau de penitenssi,
Encourant tout pecaire a meme repentenssi.
Prego-la donc d'un cor ardent, devotoment,
Coumo aposto de Diou, vivent2 gloriosament.
O Santo Damo qu'as aissi patit pron peno,
En touto humilitat, Marie Madaleno,
Que benhurouso au monde as trevat e as vist
Durant Chartreux. // [vignette] // A TOVRS, / chez MARC NYON, ruë des Cousteliers, pres S. Gatian. //
M.DC.XXII. (première édition à Loches en 1608. 68 fo + 19 p. non fiolotées. Exemplaire consulté bibliothèque
Méjanes d'Aix-en-Provence, C 3052).
Sur ces deux recueils et sur cette problématique littéraire : Yves Giraud, « Poètes provençaux du XVIIe
siècle chantres de la Madeleine », Marie-Madeleine dans la mystique…, op. cit., p. 301-322. Yves Giraud ne cite ni
Balthasar Burles ni Robert Ruffi.
5 La Magdeleine au désert de la Sainte-Baume en Provence, poème spirituel et chrétien, Grégoire, Lyon, 1668.
Théophile Gautier en fit un sujet de ses Grotesques.
1 PV : "Aqui de Diou l'amigo", "Aqui de Diou" biffé, "vount" rajouté deux fois au-dessus, "de Diou" rajouté audessus de "en".
2 "au ceou" biffé, "vivent" rajouté au-dessus.
�20
Ton veray redemptour e segnour Jesu Christ,
Que d'un cor concyrous, dau mens qu'ero a taulo
De Simon pharisian, sensso dire paraulo,
[fo 64 r°]
24
28
32
36
40
44
Amorrado a sous pez, dau christal de ton plour
Lous as bagnat puys onch d'uno santo ardour,
Ley torcant3 doussoment de ta perruco blondo,
Li beizeres lou luec vount lo sang fet puis ondo
E may d'un ric enguent odorant, preciuous,
Lo sagrat cap as onch de Jesus gloriuous,
Cambiant de pecayris uno armo neto e sancto,
Car eou t'avie garit de touto humour pecanto.
Coumo apres ti troubant sens crime ny pecat,
Toujour per grand amour, ton cor non a mancat
De rendre a ton segnour l'offici charitable
Embe de riche onguent, odorant, delectable,
Li ogne d'autros fes e la testo e los pez
Quouro en Betany foun-ti veire tout exprez.
Or coumo as meritat d'aver favour divino,
A tu, nous reclamant, lo nostre cor s'enclino :
O Damo, ajudo-nous, fay que lo creatour
Sie rendut assoulat envers tout pecadour,
Que veroment pentous, misericordi crido
Per l'aver offenssat pron de fes en sa vido.
Ayo! Prego per nous tan favorabloment
Qu'un jour nous aflaten dau sant alojament,
Que Marselho ti sie per ben recomandado
En memori que aqui la mar grevo, inondado,
[fo 64 v°]
48
52
56
Per lo voler de Diou t'anet guiar a bon port,
Ta sorre e may ton fraire au monde dos fes mort,
Vount nostre santo fe dau segnour predicado,
Vautres l'aves primiers de vivo vous plantado.
Dousso amigo de Diou, gardo-la contro tous
Tant secrets enemis que4 maneflos treydous,
Que velhon enssiuous contro de talo villo,
Fort5 necessari au rey coumo au pays utilo.
Procuro-li tousten un eternau salut
Sens jamay plus anar au mau tems qu'es agut.
Tanben de la Provensso estre son advocado,
Que de Diou e dau rey tousten reste marcado,
Fay que de tous estas, cadun siegue lo drech,
S'aviant devers lo ceou per lo camin estrech.
Abro dau pelegrin lo cor de tau maniero
3 "de ta p" biffé à la suite.
4 PV : "Enemis de Marselho e" biffé sauf "enemis". "Tant secrets" rajouté en marge au début du vers ainsi qu'à la fin
du poème (accompagné par un signe de reconnaissance, V renversé surmonté d'un trait). Au-dessus de "Marselho",
"tau villo" biffé. "que" rajouté au-dessus de "maneflos".
5 "tan" biffé, "fort" rajouté au-dessus et en début de vers.
�60
Qu'en ti pregant, pregado enausses sa preguiero.
À sainte Marie-Madeleine étant à la Sainte-Baume. —— Pélerin de bonne
volonté, toi qui, dévot, viens — En ce lieu tout saint pour assouvir ton vœu, — Admire
joyeusement la docte architecture, — (4) Faite non pas de la main de l'homme, mais
œuvre de nature, — Un lieu tout ténébreux, solitaire, obscur, — Sauvage, désertique, un
abîme de gouffres — Où l'amie de Dieu dans une grotte si humide — (8) Embrasa
saintement le meilleur de sa vie. — Médite la personne et le temps et le lieu, —
Allumant bien dévot ta poitrine d'un feu sacré, — Garde en l'esprit qu'elle fut miroir de
pénitence, — (12) Encourageant tout pécheur à même repentance. — Prie-la donc d'un
cœur ardent, dévotement — Comme apôtre de Dieu, vivant glorieusement. — Ô Sainte
Dame qui as là souffert de bien de peines, — (16) En toute humilité, Marie-Madeleine,
— Qui bienheureuse au monde as erré et as vu — Ton vrai rédempteur et seigneur Jésus
Christ, — Qui d'un cœur soucieux, pendant qu'il était à la table — (20) De Simon
pharisien, sans dire une parole, — Inclinée à ses pieds, du cristal de tes pleurs — Tu les
a mouillés puis oints d'une sainte ardeur — Les essuyant doucement de ta chevelure
blonde, — (24) Tu lui baisas l'endroit où le sang allait être versé, — Et puis d'un riche
onguent odorant, précieux, — Tu as oint la tête sacrée de Jésus glorieux, — Changeant
une âme pécheresse en une âme nette et sainte, — (28) Car il t'avait guérie de toutes
humeurs peccantes. — Comme après te trouvant sans crimes ni péchés, — Toujours par
grand amour ton cœur n'a pas manqué — De rendre à ton seigneur l'office charitable —
(32) Avec de riches onguents, odorants, délectables, — D'autres fois tu lui oins et la tête
et les pieds — Quand à Béthanie il vint te voir tout exprès. — Or comme tu as mérité
d'avoir faveur divine, — (36) Vers toi, nous réclamant, notre cœur s'incline. — Ô Dame,
aide-nous, fais que le créateur — Soit calmé envers tout pécheur, — Qui vraiment
repentant, crie miséricorde — (40) Pour l'avoir trop de fois offensé dans sa vie. — Aïe!
Prie pour nous si favorablement — Pour qu'un jour nous soyons tout près du saint
logement, — Que Marseille te soit bien recommandée — (44) En mémoire que là, la mer
difficile, houleuse, — Par la volonté de Dieu te guida à bon port, — Ta sœur et même
ton frère deux fois mort au monde, — Où notre sainte foi en le seigneur prêchée, — (48)
Vous avez les premiers répandue de vive voix. — Douce amie de Dieu, garde-la contre
tous, — Ennemis autant secrets que traitres flagorneurs — Qui veillent envieux contre
telle ville — (52) Très nécessaire au roi comme utile au pays. — Procure-lui tout le
temps un éternel salut — Sans jamais plus revenir au mauvais temps qu'elle a connu. —
Sois aussi l'avocat de la Provence, — (56) Qu'elle reste tout le temps marquée par Dieu et
le roi, — Fais que de tes états chacun suive le droit, — Se dirigeant vers le ciel par le
chemin étroit. — Embrase le cœur du pélerin de telle manière — (60) Que te priant, priée
tu exhausses sa prière.)
v. 1 : Le poème de Burles commence également par une adresse au pèlerin visitant la SainteBaume : « Pelegrin ben houroux, non regretis ton viagi » (op. cit., p. 340-341).
v. 3 : baudoment rappelle la béatitude des saints.
v. 4 : a manesq désigne le mode de construction de l'ermitage conformément à son étymologie
(ad manus). La grotte n'a pas été construite par l'homme et est d'origine naturelle. Ce sens
�s'éloigne de celui proposé par Mistral : « à portée de la main » (cf. Lou Tresor dóu Felibrige,
op. cit., tome 1, p. 78).
v. 5-7 : Nombreuses sont les descriptions de l'ermitage et de la grotte dans les poèmes relatifs à
Marie-Madeleine. Ruffi ne fait pas œuvre d'originalité ; tous ses contemporains mettent l'accent
sur le caractère obscur et sauvage du lieu. Ainsi chez Burles : « Considero et contemplo com en
luec tant ombrenc, — Una frema fragilla, crentiva, temerouza, — Habitavo soletta en tal baulma
ombraiousa, — Subjecta d'aquel temps plus qu'aras al gros frech, — Per estre descuberte al vent
en tout endrech. — Jamay per grant estiou que fes, ny calour fouorta, — Lous rayons del soleil
non toqueron la pouorta, — Car lou roch cavarel, encins qu'una cabana, — Courbo son front
humid devers la tramontana, — Que ly fa distillar l'aiga como un glasson ». L'introduction de
François de Belleforest évoque également le paysage de la Sainte-Baume : « Au pied et racine
de ce grand et hideux rocher est la grottesque penitentiale eslevee autant qu'on sçauroit jetter
une pierre, aiant son regard, et ouverture vers l'Occident, et faite tout ainsi que la voulte et
gueule d'une fournaise : devant l'entree de ceste spelonque, n'y a point guere grand espace, et au
dedans à main gauche on voit une grande pierre, s'eslevant de terre au beau milieu de la
grottesque, qui va se perdant, et abaissant peu à peu au dedans de la mesme spelonque. Et entre
ceste pierre, et l'extremité de la grotte y a une tres-belle fontaine, tres-froide à la toucher, mais
tres-plaisante et tres-salutaire à boire, qui jamais ne tarist, et toutesfois l'eau de laquelle, qu'on
puisse apercevoir, ne s'espand point hors ceste chambre pierreuse. » (op. cit., p. 340-341). Une
semblable description se trouve également chez Marc-Antoine Durant : « En Provence il y a
dans les flancs d'une Roche — Un Antre tenebreux d'où sans peine on n'approche, — Antre, que
les anciens Saincte Baulme ont nommé, — Qui par tous les cartiers du monde est renommé. »
(op. cit., fo 56 v°).
La courte description de Ruffi tranche avec les longs développements que nous lisons chez
Burles et Belleforest notamment. Pourtant, en quelques adjectifs bien choisis, Ruffi arrive à
évoquer convenablement la difficulté d'existence de la sainte en ces lieux, insistant surtout sur le
caractère ténébreux de la grotte.
Ces évocations sont empreintes d'une certaine réalité : la grotte est située sur la face nord de la
montagne, nichée au creux d'une falaise. Au pied de la chaîne, une forêt de hêtres, unique en
Provence, accentue le paysage « obscur » des lieux.
v. 6 : avenq se trouve également chez Burles : « Ny d'estre de trop luench vengut a l'harmitagi
— Que vezes fabricat dedins aquest avenc. » (op. cit., p. 340-341). La répétition de abisme et
avenq met l'accent sur les gouffres insondables qui menacent Marie-Madeleine.
v. 7 : L'expression amigo de Diou remonte à Pétrarque : « Dulcis amica Dei, lachrymis
inflectere nostris… »
v. 8 : empluret, cf. « empurèt », dans le sens de « exciter », « embraser ».
v. 11 : Ten a ment, pour « observer » ou étymologiquement « garder en l'esprit ». Ruffi emploie
cette expression en III, v. 5.
v. 14 : aposto de Diou est, d'un point de vue théologique, intéressant. Marie-Madeleine ne peut
pas être placée au même rang que les Apôtres du Christ, car Jésus ne la choisit pas comme
compagnon ; c'est elle qui le suit (comme d'ailleurs d'autres femmes qui l'accompagne jusqu'à la
crucifixion) et c'est elle qui le reconnaît après la résurrection. Son caractère « divin » est
néanmoins bien affirmé et elle porte en elle une part de la parole et du message de Dieu, ce que
aposto chez Ruffi restitue pleinement.
v. 17 : trevat fait sans doute référence à son errance sur mer après avoir été chassée de Palestine.
v. 19 : concyrous, soucieux (cf. « consiros » dans la langue médiévale). Cet adjectif est peut-être
en lien avec les péchés de Marie-Madeleine. La sainte aurait donc du remord et se repend de sa
vie passée.
v. 19-28 : Ruffi évoque dans ces vers « l'onction à Béthanie ». Cet épisode de la vie de MarieMadeleine est inspiré par les Évangiles de Matthieu (26) et de Marc (14). Dans ces deux textes,
Marie-Madeleine verse du parfum sur la tête de Jésus. L'Evangile de Luc est plus prolixe en
renseignements : Marie-Madeleine (qui n'est pas nommée) est présentée comme une pécheresse
�et verse le parfum sur les pieds de Jésus qu'elle essuie avec sa chevelure (7). Elle est nommée
comme Marie chez Jean (12). Ruffi réunit les quatre Évangiles pour son évocation.
Marc-Antoine Durant consacre quelques vers à cet épisode (op. cit., fo 24 v°-26 r°).
v. 23 : torcant et perruco ne possèdent pas ici un ton péjoratif. C'est pourquoi nous traduisons
par « essuyant » et « chevelure ».
v. 24 : Ce fait est repris par la tradition. Il est certainement inspiré par le noli me tangere que
Jésus adresse à la sainte lors de la résurrection. Lors de l'invention des reliques, la tradition
rapporte qu'un morceau de chair revêtu de sa peau aurait été retrouvé sur une partie du front de
la sainte. Ce fait a été attribué au contact des deux doigts du Christ ressuscité le matin de
Pâques.
v. 26 : gloriuous, par diérèse, compte pour trois syllabes (ainsi que preciuous au vers
précédent).
v. 28 : Pour humour pecanto voir note I, v. 174.
v. 33-34 : Ruffi revient ici sur l'onction a Béthanie. Notons toutefois que la rencontre de Jésus et
de Marie-Madeleine est présentée comme prédestinée ; c'est Jésus qui se rend auprès de la
sainte. L'interprétation des Évangiles par la tradition est controversée.
v. 38 : rendut assoulat exprime l'idée que l'ire du créateur puisse se calmer devant tant de
péchés et octroyer un pardon. rendut est donc difficile à traduire dans ce contexte.
v. 42 : Le sant alojament, le paradis.
v. 44 : inondado, c'est-à-dire formée d'ondes, houleuse. On peut comprendre également ce terme
comme un rappel de la formation des mers dans la Genèse (1).
v. 44-46 : Il s'agit d'une allusion directe à la fuite de Palestine de Marie-Madeleine. Marthe et
Lazare, sœur et frère de Marie-Madeleine, sont nommés par Ruffi. C'est donc un rappel de la
résurrection de Lazare contée chez Jean (11). Marie y est expressément nommée comme celle
qui lui oignit les pieds à Béthanie.
Ruffi ne se réfère pas complètement à la tradition ; il parle d'un voyage sur mer, mais ne précise
pas les noms des autres compagnons de Marie-Madeleine (Marie-Jacobé, Marie-Salomé, Sara et
Maximin) ni le lieu de débarquement des saints (Les Saintes-Maries).
Marc-Antoine Durant dresse un portrait plus détaillé de cette arrivée (op. cit., fo 48 r°).
v. 45 : guiar cf. « guidar ». Mistral donne la forme « aguia » comme marseillaise (Lou Tresor
dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 107).
v. 46 : Il s'agit de Marthe et de Lazare. Il est également question de Lazare dans Burles : « En
contemplan aquel que, per ella, retraire — Fet Lazare d'enfert, son legetime fraire. » (op. cit.,
p. 340-341).
v. 47-48 : La tradition fait remonter l'évangélisation de la Provence au débarquement des saints
en Camargue. Marie-Jacobé, Marie-Salomé et Sara restèrent en Camargue, Marthe remonta la
vallée du Rhône et affronta la Tarasque, Lazare, Marie-Madeleine et Maximin rejoignirent
Marseille. Lazare y resta, Marie-Madeleine et Maximin se retirèrent vers la Sainte-Baume.
v. 49-54 : Il est question ici de Marseille, déjà évoquée au v. 43. Ruffi recommande sa ville à la
sainte avec certaines arrières-pensées politiques. Marie-Madeleine doit protéger Marseille de ses
secrets enemis. De qui s'agit-il ? On peut penser que ce poème fait référence aux troubles
survenus dans la ville sous la dictature de Casaulx ou peu de temps après. Le mot treydous a
déjà été employé dans les poèmes consacrés à cette période historique (cf. XV, XVI). maneflos
se retrouve dans les Quatrains (II, [25]).
v. 51 : enssiuous, par diérèse, compte pour trois syllabes.
v. 54 : L'écriture du poème est donc postérieure aux troubles politiques.
v. 55 : Estre, que nous traduisons par un subjonctif. L'infinitif n'a pas ici la même valeur dans
les deux langues.
v. 57 : On peut se demander que quels estas est-il question dans ce poème. S'agit-il des
différents états, conduites de Marie-Madeleine qui mènent à la sainteté ? L'allusion n'est pas
claire. Ne pourrait-on pas lire tous pour « tous » ? Ne s'agirait-il pas alors des États, institutions
politiques provençales qui indiquent le droit ? De la même manière on peut comprendre siegue
comme « suive » ou « soit ».
�v. 58 : s'aviant , « faisant route », « cheminant », du latin via.
v. 60 : Remarquons l'effet phonétique et stylistique produit par les anaphores.
enausses, employé dans le sens de « exhausse » avec la double signification étymologique et
moderne.
�XXX
[POÈMES SUR LA PESTE DE 1580]
Les épidémies de peste jouent un grand rôle dans l'histoire marseillaise. La cité
est, d'une manière quasi originelle, liée à l'évolution endémique de cette maladie. C'est
par Marseille que la peste venue d'Orient fait son entrée en Europe en 1348. La ville ne
peut pas réellement se prémunir contre ce fléau ; les quarantaines et les lazarets ne sont
pas assez efficaces et la médecine est totalement désarmée devant la propagation de
l'épidémie. L'attitude la plus commune est donc la fuite. C'est ainsi que les Marseillais
prirent l'habitude à la moindre alerte de se réfugier dans leurs bastides disséminées dans
le terroir. Les villes provençales, Aix-en-Provence en premier lieu, se méfient des pestes
marseillaises qui se répandent à travers tout le pays. Il s'agit là d'un véritable fait
historique inscrit dans une longue durée et dont les traces imprégnant la mémoire
populaire sont encore visibles de nos jours. La peste de 1720, l’une des plus meurtrières
en Europe, est à bien des égards, si l'on en juge par les manifestations diverses attachées
à son souvenir, inscrite dans la mémoire des Marseillais.
A Noël 1579, le Conseil de ville est averti que la peste s'est déclarée à Gênes,
une épidémie semble-t-il plus forte que les précédentes. 1 En janvier 1580, les premières
victimes sont recensées à Marseille. Pour un temps, la maladie est circonscrite aux seuls
quartiers populaires de Cavaillon, de la Porte d'Aix et de Saint-Martin. Les pestiférés
sont enfermés au lazaret situé sur la rive sud du port, près de Saint-Victor. Elle s'étendit
par la suite à toute la ville. L'épidémie se calma à l'automne 1580, elle dura ainsi plus de
six mois. Les témoignages des contemporains évaluent le nombre des victimes à 24 000
ou 30 000. Ce dernier chiffre est cité par Ruffi, mais il apparaît exagéré dans une ville
qui connaît une population d'environ 35 000 personnes. On peut toutefois penser que les
victimes furent nombreuses ; sans doute près de dix mille habitants périrent de la peste.
Des secteurs entiers de la population furent décimés, comme les soldats affectés au
chargement des blessés et à l'enterrement des morts.
L'attitude des Marseillais fut conforme à leurs habitudes. Ils se réfugièrent dans
leurs bastides et certains même s'enfuirent plus loin dans le pays. La désorganisation de
la ville fut totale et on assista, comme de coutume, à des scènes de pillage et de vol. Les
consuls marseillais, quand ils ne s'étaient pas enfuis comme Pierre Caradet, ne purent
pas maintenir une autorité municipale et il nous faut parler d'une véritable « ville
fantôme » qui ne reprendra ses activités que dans le courant de l'automne 1580. Ce
brusque arrêt de l'économie marseillaise grève durablement les finances de la ville et
porte un coup terrible au négoce. Bien des années plus tard, les Marseillais ressentent
encore les effets dévastateurs de cette épidémie.
1 Voir à ce sujet Wolfgang Kaiser, Marseille au temps des troubles, op. cit., p. 243-249 et Eugène Duprat, « Note sur
la peste de 1580 à Marseille », Annales de Provence, 19, Marseille, 1922, p. 67-74.
�Les consciences sont donc troublées. Il n'est donc pas étonnant que Ruffi
consacre trois poèmes à cette épidémie (en tout 393 vers). Deux idées maîtresses
guident son inspiration.
La peste est un fléau de Dieu. Les hommes sont donc responsables de l'épidémie
que Dieu a envoyée sur terre pour éprouver leur foi. Il faut donc redoubler d'ardeur,
effacer tous ses péchés et prier Dieu. La soumission aux préceptes divins est ici prônée
comme une voie de guérison. Ruffi est fidèle à sa foi et aux messages chrétiens
dispensés dans ses poèmes. L'épidémie est pour lui un moyen de retrouver force en la
foi. Cette exhortation catholique place le péché au centre du fléau, punition divine que
les hommes n'ont pas su éviter.
Une deuxième idée traverse ces textes. Il s'agit pour Ruffi, tout en traçant un
portrait apocalyptique de la situation marseillaise, de renouer avec une mémoire
historique et souligner les grandeurs passées de la ville. À cet égard, la fin de l'Aultre
chanson au retour de la contagion (v. 151-222) est l'occasion de dresser un réquisitoire
historique qui rappelle les libertés marseillaises : la première République grecque et les
chapitres de paix signés en 1257 avec Charles d'Anjou jouent un rôle catalyseur et
doivent guider les Marseillais. L'identité marseillaise est donc remise à flot par le fléau
et la ville doit se redresser pour retrouver les grandeurs de son passé. Cette nostalgie
historique se double d'un identitarisme qui n'est pas étonnant sous la plume de Ruffi ;
exposé en d'autres endroits et relié ici à la foi religieuse, il constitue un document
exceptionnel que l'on ne peut négliger.
La versification du premier poème est particulière. Elle est constituée de tercets :
les deux premiers vers sont des décasyllabes, le dernier vers est un alexandrin formé par
le redoublement des deux dernières syllabes du vers, comme dans une rime en écho.
Cette chanson est constituée de 45 tercets (numérotés par Ruffi) comportant des rimes
uniques (aaa).2 Le deuxième poème est constitué d'octosyllabes formant des strophes de
six vers (rimes sur le modèle aabccb). Remarquons l'acrostiche formé par la première
lettre de chaque premier vers comme d'ailleurs Ruffi l'indique lui-même.Le troisième
poème présente des décasyllabes formant des quatrains (rimes plates sur modèle aabb).
[fo 65 r°]
[1]
Chanson sur la grand peste
de l'an 1580
1
Helas, tu podes ben plorar Marselho,
De la perdo qu'as fach, tan merevelho
Cieutat que non avies ges de pare e elho.
2
Dous grans flageous de Diou t'an visitado,
3
2 Ruffi a ajouté un certain nombre de tercets, mais il n'a pas toujours adopté dans la forme le redoublement de cette
dernière syllabe. Nous restituons ce redoublement quand cela n'a pas été fait.
Cette versification particulière n'a pas échappé à Octave Teissier. Dans l'exemplaire marseillais annoté de sa
main, il recopie un jugement de Camille Chabaneau : « Aquelo cansoun es remarcablo au poun de visto de la
versificacien. Es en vers de 10 silabo, coupas après la sieisenco, coumo dins Girart de Rossillon. Mai la silabo atono
que seguisse la cesuro, quouro aquesto es feminino, comto toustèms dins l'emisticho seguènt : La pesto et la fami/no
t'an rouinado, — Et n'an leva la tra/cho das villagis. » (la traduction en provençal est le fait de Teissier).
�La pesto e la famino ruynado,
Per gran mortalitat que l'es ysta a ado.
6
3
Non si poudie trobar blat ny farino,
E may de des florins valie l'emino,
Taloment que venguet la grand fami i ino.
4
E lo pauc que de blat l'on atrobavo,
Ero quasi poyrit vo ben s'arnavo,
En lo manjant au cors non profita a avo.
5
De conssous d'uno villo feron ragis
De nous prendre los blats per los passagis,
E n'an levat la tracho das vila a agis.328
6
Proun d'autres tors n'an fach non s'auzo dire,
Ellous de nostre mau an vogut rire,
May pourrion ben un jour aver dau pi i ire.
7
Las! Aquo nous metet en fort gran peno,
Car en fauto de blat lo poble reno,
E souvent grand dangier329 as conssous me e eno.
8
Vesias la pauro gent de talo sorto
Manjar d'erbos, plorant la caro morto,
E ley laboradors de porto en porto o orto.
9
Certos tomberan leou330 en mort subito,
Das paures que premiers la fan incito,
En aquo si conoy quand Diou s'irri [i ito].331
10
En l'an quaranto-siey dision grand pesto,
Soulament de huech millo fan la festo,
May aro a ben agut plus grand tempe e esto.
11
Puy l'an cinquanto-siey fon revelhado,
May en si recordant de la passado,
Fouguet per leou fugir en breou manca a ado.
12
En l'an seissanto-cinq si resussito,
May la rigour332 dau frech forto subito
La rendet sensso fueq e ben pet i ito.
9
12
15
[fo 65 v°]
18
21
24
27
30
33
36
328 Un tercet incomplet biffé à la suite : "Las, aquo nous metet en fort grand peno, — Car los conssous dau poble
eron en reno — Per la fauto dau blat […". Il s'agit d'une version légèrement différente du tercet 7.
329 "de desordre" biffé, "grand dangier" écrit en dessous.
330 Rajouté au-dessus.
331 Tercet rajouté et figurant en bas de folio. Un signe indique sa place : 2 traits verticaux barrés par un trait
horizontal.
332 "rigour" ou "vigour".
�13
Aquesto encaro may es espelido,
E penssant qu'ello fousso leou fenido,
Costo en pron de gens la mort transsi i ido.
14
Car dau poble commun dins tau villo
Son de pesto e de fan morts a la fillo,
Benafort quasi may de trento mi [i illo].333
15334
Sur las autros davant l'on si fisavo
En vesent que lo mau venie puy coavo,
Aisso non sera ren, cadun crida a avo.
16
A des de ginovier cinq cens hutanto
E millo, comensset grevo e mechanto,
Puy335 sabret fort336 a la semano sa a anto.
17
Adon lous corajous ben s'estonavon,
Vezent que tous ley jours n'en degrunavon
Pron qu'embe gran pou luen si sauva [a avon].337
18
Quan foun a vint d'abriou, lo fueq s'allumo,
E per cado canton, la gent consumo,
Helas ben foun de greou talo costu u umo.
19
Certos au mes de may fouguet carnagi,
Quatre e cinq cens per jour de mortalagi,
Non podion abastar au carria a agi.
20
De quatre cens soldas qu'eron per gardo,
A cent per compagnie fort ben bragardo,
Son benafort tous morts a la desja a ardo.338
21
E proun qu'en caminant davant darriero
Tombavon redes morts a la carriero,
Tan violent lo mau adon li e e ero.
La grand desolation, las, qu'es ystado,
Veire touto la gent d'uno hostalado
Morir tous dau matin a la vespra [a ado].
39
42
[fo 66 r°]
45
48
51
54
57
60
63
22
66
[fo 66 v°]
23
D'autres qu'en frenesie lo mau botavo,
333 Tercet rajouté et figurant en bas du folio.
334 "14" biffé, "15" rajouté au-dessus.
335 PV : "E puy", "E" biffé.
336 Rajouté au-dessus.
337 Tercet rajouté, écrit en bas de folio. Un signe indique sa place : deux traits verticaux barrés par un trait
horizontal.
338 Un signe (V renversé) indique la place un tercet biffé réécrit en bas de folio. Ce tercet est identique au 21.
�E de l'estro en revant l'on si gitavo
Tan fogous e treydour lo mau regna a avo.
69
24
D'autres que si fisavon per339 contrari
As340 medecins, barbiers & boticaris,
Non lous an pas sauvas : son mors de gla [a ari].341
25
Dous conssous gran lausour an aquistado
De non aver la villo abandonado,
Gran recompensso donc an merita [a ado].
26
May nom pas lou premier Pierre Borgogno,
Car s'enfuget fasent forso laido trougno,
Leissant los autres dous a la besou ou ougno.
27
Lou second conssou, helas, Andre D'Oliero,
Eou anet meritar l'honour premiero,
Morent, s'es aquistat la glori entie [e ero].
28
Lou ters conssou, Aguilhenqui, es d'estimo
D'aver fort resistat en talo escrimo,
Diou nous a ben sauvat aquello si i imo.
29
E lou bon assessour, Monsur Jehan Dori,
Dotour e officiau es mort en glori,
Leissant un bon renom per sa memo o ori.
30
Lou premier capitani, Joseph Cabro,
A fach per lou public mort honorablo
Coumo home de valour recomanda a ablo.
31
Jamay cas tan pietous non s'es vist faire,
Que son fiou lo dotour, sorres e fraire
A la gleiso an portat soulets son pa a aire.
32
Un autre capitani a tengut testo
En talo extremitat e gran tempesto,
Es Nicolin Ferrat qu'en honour resto e esto.
33
Un noble nestorian, gran personagi,
Balthesar Pau es mort, lo gran daumagi,
Per dos fes premie conssou faguet ra a agi.
34
Autanben n'es pron mort per lo terraire,
Car certos de secours non avion gaire,
72
75
78
81
84
87
90
[fo 67 r°]
93
96
99
339 "lo" rajouté au-dessus que nous n'éditons pas car le vers serait faux.
340 "Au" biffé, "As" réécrit à la suite.
341 Tercet rajouté et réécrit en bas de folio. Un signe (deux traits verticaux barrés par un trait horizontal) indique sa
place.
�Si fugion lo marit, molhe, fiou, pa a aire.
102
35
Non avion portofais, si sousterravon
Paires, maires, enfans, son cor crebavon,
En los portant au cros los tirassa a avon.
36
Quan fon a miech julhet, las salhiduros
Per lo voler de Diou venion maduros
Vo tornavon arriez en gariduros u uros.
37
Adoun, vesias boytous que ranquejavon,
Anant a dous, egaus342 quan caminavon,
E la caneto en man sous pas contavon a avon.
38
Car nostre bon segnour, sa man poissanto,
Nous porget de pietat exuberanto
Per sa misericordi abondanto a anto.343
39
Conoissent que la villo es fort fidelo,
Jamay a Diou ny rey non fon rebelo,
Exterminant toujour fausso seque e elo.344
40
Aver passat aoust e puy setembre,
Adonc si comensset mesclar ensemble
A la villo e as chams que l'on si nembre [e embre].
41
Car de pluejos vengueron promiÉros345
Que aneron netejar villo e carriÉros,
Un cadun lauzant Diou en grans preguie e Éros.
42
E ben que d'aqueou mau ny aguesso encaro,
Dins villo la siou forsso ero tan raro,
Que degun non morie ny n'avie taro a aro.
43
Lous homes su d'aquo fan retirado,
Cadun a sa meison qu'avion sarrado,
Leissant346 molher as chams e la meyna a ado.
44
Adoun lo vendemiar fort s'aprochavo,
E de li provesir l'on s'estudiavo,
May de bestiari pauc s'en atroba a avo.
45
Aqueou que la cansson a compausado
105
108
111
114
117
[fo 67 v°]
120
123
126
129
132
342 Nous lisons "egous" que nous corrigeons (cf. note du vers).
343 Tercet rajouté en bas de folio.
344 Idem.
345 PV : "Car vengueron de pluejos fort prim, for[…". "vengueron", "prim for[…" biffé, "vengueron promiÉros"
rajouté au-dessus.
346 "Leissant" biffé, "Menan" rajouté en début de vers puis biffé. "leissant" rajouté au-dessus.
�135
Es agut en gran pou proun de vegado,
Ystent au terradour, l'a escapa a ado.
1 Hélas, tu peux bien pleurer Marseille — Pour la perte que tu as causée, cité —
(3) Si merveilleuse, car tu n'avais pas de pareille. —— 2 Deux grands fléaux de Dieu
t'ont visitée, — La peste et la famine ruinée — (6) À cause de la grande mortalité qui y
est demeurée. —— 3 On ne pouvait trouver ni blé ni farine, — Et l'hémine valait plus
de dix florins, — (9) Si bien que vint la grande famine. —— 4 Et le peu de blé que l'on
trouvait — Était presque pourri ou bien se gâtait, — (12) Le manger ne profitait pas au
corps. —— 5 Des consuls d'une ville entreprirent — De nous prendre le blé à son
passage — (15) Et ils ont supprimé notre commerce avec les villages. —— 6 On n'ose
pas dire tous les torts qu'ils nous ont fait, — Ils ont voulu rire de notre mal, — (18) Mais
ils pourraient bien un jour avoir pire. —— 7 Hélas, cela nous mit en très grande peine,
— Car en manque de blé le peuple grogne — (21) Et cela met souvent les consuls en
grand danger. —— 8 Vous voyiez les pauvres gens manger — De telle façon des
herbes, pleurant la face morte, — (24) Et les laboureurs de portes en portes. —— 9
Certes ils tombèrent vite en mort subite, — Des pauvres que la faim torture les
premiers, — (27) Et pour cela, on sait quand Dieu s'irrite. —— 10 En l'an quarante-six se
déclarait grande peste, — Huit mille seulement se réjouissent, — (30) Mais maintenant il
y a bien eu une plus grande tempête. —— 11 Puis l'an cinquante-six elle fut réveillée,
— Mais en se souvenant de la dernière, — (33) On s'enfuit vite en peu de temps. —— 12
Elle ressuscite en l'an soixante-cinq, — Mais la rigueur du froid, fort subite, — (36) La
rendit sans feu et bien petite. —— 13 Celle-ci s'est une fois de plus déclarée, — Et
pensant qu'elle serait vite éteinte, — (39) Elle coûte la mort transie à beaucoup de gens.
—— 14 Car les gens de petite condition dans la ville — Sont morts les uns après les
autres de peste et de faim, — (42) Assurément presque plus de trente mille. —— 15 On
se fiait sur les précédentes — En voyant que le mal arrivait puis couvait, — (45) Chacun
déclarait : « cela ne sera rien ». —— 16 Au dix de janvier cinq cent quatre-vingt — Et
mille, elle commença grave et méchante, — (48) Puis elle décima fortement à la semaine
sainte. —— 17 Donc les courageux s'étonnaient bien, — Voyant que tous les jours elle
en faisait tomber, — (51) Assez pour qu'avec grande peur ils se sauvent au loin. —— 18
Quand ce fut le vingt avril, le feu s'allume, — Et en chaque coin elle consume les gens,
— (54) Hélas, elle fut très grave comme de coutume. —— 19 Certes, le moi de mai fut
un carnage, — Quatre et cinq-cents morts par jour, — (57) Ils ne pouvaient pas suffire
pour le charriage. —— 20 Quatre cents soldats qui étaient de garde, — Cent par
compagnie bien gaillarde, — (60) Sont assurément tous morts à leur désengagement.
—— 21 Et cheminant l'un derrière l'autre, — Ils tombaient raides morts dans la rue, —
(63) Tant le mal était donc violent. —— 22 Hélas la grande désolation qui y demeurait,
— Voir toutes les personnes d'une maison, — (66) Tous mourir du matin au soir. ——
23 D'autres que le mal mettait en frénésie, — Et on se jetait inconscient par la fenêtre,
— (69) Tant fougueux et traitre le mal régnait. —— 24 D'autres au contraire se fiaient —
Aux médecins, barbiers & apothicaires; — (72) Ils ne les ont pas sauvés : ils sont morts
d'effroi. —— 25 Deux consuls ont acquis grande louange — De ne pas avoir abandonné
la ville, — (75) Ils ont donc mérité grande récompense. —— 26 Mais pas le premier,
Pierre Bourgogne, — Car il s'enfuit, faisant fort laide figure, — (78) Laissant les deux
�autres au travail. —— 27 Le second consul, hélas, André D'Ollières, — Alla mériter le
premier honneur, — (81) Mourant, il a acquis la gloire entière. —— 28 Le troisième
consul, Aguilhenqui, doit être estimé — Pour avoir bien résisté à telle attaque, — (84)
Dieu nous a bien sauvé cette cime. —— 29 Et le bon assesseur, Monsieur Jean Doria,
— Docteur et officier est mort en gloire, — (87) Laissant un bon renom par sa mémoire.
—— 30 Le premier capitaine, Joseph Cabre, — A fait pour la communauté une mort
honorable — (90) Comme homme de valeur recommandable. —— 31 On n'a jamais vu
circonstance si pitoyable, — Car son fils le docteur, sœurs et frères — (93) Ont porté à
l'Église, seuls, leur père. —— 32 Un autre capitaine a tenu tête — En telle extrémité et
grande tempête, — (96) C'est Nicolas Ferrat dont l'honneur demeure. —— 33 Un noble
de l'âge de Nestor, grand personnage, — Balthasar Paul, est mort, le grand dommage,
— (99) Par deux fois premier consul il montra son rayonnement. —— 34 Beaucoup sont
aussi bien morts dans le terroir, — Car certes ils n'avaient guère de secours, — (102)
Mari, femme, fils, père s'enfuyaient. —— 35 Ils n'avaient pas de portefaix, ils
s'enterraient — Pères, mères, enfants, leurs corps crevaient, — (105) Ils les tiraient en les
portant à la fosse. —— 36 Quand vint mi-juillet, les bubons — Par le vouloir de Dieu
devenaient mûrs — (108) Ou se résorbaient et guérissaient. —— 37 Vous voyiez donc
des boiteux qui claudiquaient, — Allant ensemble, semblables lorsqu'ils marchaient, —
(111) Et la canne à la main, ils comptaient leurs pas. —— 38 Car notre bon seigneur, sa
main puissante — Nous donna d'exubérantes pitiés — (114) Par son abondante
miséricorde. —— 39 Sachant que la ville est très fidèle, — Jamais à Dieu ni au roi elle
fut rebelle, — (117) Exterminant toujours fausse séquelle. —— 40 Août passé et puis
septembre, — On commença donc à se fréquenter — (120) À la ville et aux champs
autant que l'on s'en souvienne. —— 41 Car des premières pluies arrivèrent, — Qui
allèrent nettoyer ville et rues, — (123) Chacun louant Dieu en grandes prières. —— 42 Et
bien qu'il y ait encore de ce mal, — En ville sa force était si rare — (126) Que personne
ne mourait ni en avait des traces. —— 43 Étant donné cela les hommes reviennent —
Chacun dans leur maison qu'ils avaient fermées, — (129) Laissant femme et enfants aux
champs. —— 44 Les vendanges étaient donc toutes proches, — Et on pensait en faire
provision, — (132) Mais on trouvait peu de bétail. —— 45 Celui qui a composé la
chanson — A eu assez souvent grande peur, — (135) Restant au terroir, il y a échappé.
v. 2 : fach dans le sens de « causé » comme le précise d'ailleurs Mistral (cf. Lou Tresor dóu
Felibrige, op. cit., tome 2, p. 541). Ruffi émet donc l'idée d'une responsabilité marseillaise dans
l'épidémie. De quelle responsabilité s'agit-il ? Nous n'y voyons pas, pour notre part, une allusion
à des événements précis ; les troubles les plus importants n'ont pas encore eu lieu. Il s'agit plutôt
d'une punition « divine », la peste étant un « fléau de Dieu », expression reprise dans le tercet
suivant.
v. 7-12 : La peste fut suivie d'une importante pénurie de blé. Marseille était dépendante et
produisait peu de blé dans son terroir (Ruffi précise que la mer y est trop proche, I, v. 71-72).
Les marchands qui importaient les céréales firent monter les prix ou livrèrent du blé de
mauvaise qualité. La pauvreté grandit et la ville fut obligée de subvenir aux besoins de quelques
familles (cf. Wolfgang Kaiser, Marseille au temps des troubles…, op. cit., p. 245-246).
v. 8 : l'emino (« l'hémine ») est une ancienne mesure de capacité romaine valant un demi-setier
ou douze onces (0, 271 l). Dix florins valent à peu près 6 livres tournois ce qui est considérable.
v. 9 : Taloment indique ici une conséquence. Nous traduisons par « Si bien ».
v. 11 : s'arnavo, littéralement « rongé par les vers ».
v. 12 : Il nous est difficile de conserver en français le participe présent. Nous préférons garder
l'idée de la nocivité du blé.
�v. 13 : feron ragis est difficile à comprendre. S'agit-il de « ràbia » ou de « raja » ? Dans le
premier cas, Mistral cite « ragi » comme spécifiquement marseillais et donne « faire ragi » pour
« faire rage » (en citant le nom de Zerbin), ce qui ne nous avance pas trop (cf. Lou Tresor dóu
Felibrige, op. cit., tome 2, p. 680). Nous ne voyons pas quel sens pourrait avoir ragi employé
pour « raja ». L'idée exprimée dans ce vers est relative à une prise des provisions de blé
marseillaise, une razzia sur les marchandises à destination de la ville. feron ragis exprime donc
la préméditation et l'accomplissement du vol. Nous traduisons par « entreprirent ».
Nous retrouvons toutefois faguet ragi au v. 99. Cette locution ne peut pas avoir le même sens.
Nous rapprocherons là ragi de raja, dans le sens de « rayonnement ». Il faut donc en déduire que
Ruffi emploie indistinctement les deux termes et ne sépare pas « ràbia » et « raja ».
v. 13-15 : Nous n'avons pas pu vérifier ce fait. Il semble toutefois certain que les
approvisionnements de blé aient été fort difficiles. Il n'est pas alors étonnant que quelques villes
aient pu profiter de l'affaiblissement marseillais. Il ne s'agit là que du commerce local, car ce vol
ne concerne que les échanges avec les villages provençaux. D'autre part, pour se prémunir de la
peste, beaucoup de villes et villages de Provence cessèrent tout négoce avec la cité phocéenne.
Dans l'édition que Bougerel donne de cette pièce, il précise à ce vers : « Leis consous d'Aix »
(Bougerel, Le Parnasse provençal…, op. cit., p. 181).
v. 21 : C'est la famine et la révolte populaire qui met les consuls en danger. Le sujet de meno
regroupe donc ces deux notions. Nous le renforçons par « cela ».
v. 23 : erbos désigne ici un collectif. Il s'agit certainement des nombreuses herbes que l'on
trouve à l'état naturel et qui servent de « salades ». Pour Ruffi, cette nourriture n'est pas
satisfaisante et les pauvres y ont recours afin de calmer leur faim.
v. 24 : L'image des laboureurs allant de portes en portes illustre l'arrêt de l'économie
marseillaise pendant l'épidémie. Les travaux des champs ont cessé dans le terroir ; les produits
nécessaires n'y étaient plus acheminés et les propriétaires avaient souvent utilisé leurs bastides
pour s'y enfermer.
v. 27 : Allusion à la colère de Dieu, idée latente dans le texte.
v. 28-30 : Ruffi évoque la peste de 1546 en citant le nombre de huit-mille survivants. Ce chiffre
nous paraît quelque peu exagéré. Marseille compterait 26 000 habitants en 1546 ; les morts
constitueraient donc plus des deux tiers de la population. Nous savons que les épidémies qui se
sont déclarées avant 1580 n'eurent que peu de retentissement sur l'activité de la ville.
v. 29 : fan la festo peut donner lieu à deux interprétations. Il s'agirait tout d'abord du nombre des
survivants qui se réjouissent d'être en vie. Mistral donne pour « faire festo » : « chômer une
fête » (cf. Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 1124). Ce vers ne signifierait-il pas alors
que huit-mille habitants de la ville sont morts et ne participent plus à l'activité économique de la
ville comme lors d'une fête ?
v. 31-33 : Allusion à la reprise de l'épidémie en 1556.
v. 33 : Ce sont les Marseillais qui s'enfuient pour échapper à l'épidémie. C'est le souve nir de la
précédente peste qui détermine leur conduite.
en breou mancado, littéralement « en peu de temps ». Rapprochons cette locution de « la manca
bello », « l'échapper belle » selon Mistral (cf. Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2,
p. 261).
v. 34-36 : C'est la rigueur du froid qui atténua les effets de la peste de 1565. Les grandes pestes
utilisent toujours les grosses chaleurs pour se propager.
v. 40 : commun désigne certainement les habitants de petite condition qui ne pouvaient se
réfugier dans le terroir ou fuir la cité et qui étaient les premiers au contact de l'épidémie.
v. 42 : benafort, formé sur le modèle de ben et de afort (cf. le verbe « afortir ») renforce l'idée
exprimée en insistant sur sa véracité. Nous traduisons par « assurément ».
v. 43-45 : Il semble donc que l'épidémie se soit rapidement déclarée ce que confirment d'autres
témoignages. Signalée à Gênes à Noël 1579, l'épidémie faisait ses premières victimes en janvier
1580.
v. 48 : sabret, dans le sens de « sabrer », « tuer » avec vigueur.
La semaine sainte eut lieu du 27 mars au 3 avril.
�v. 50 : degrunavon, littéralement « enlever les grains », c'est-à-dire « faire mourir comme on
égraine un épi ». Nous traduisons par « faisaient tomber ». Nous pouvons nous demander quel
est le sujet de degrunavon ? L'emploi du pluriel laisse penser que c'est jours. Pourtant c'est bien
la peste qui est responsable des morts. Ruffi indique donc que la durée de l'épidémie est
conséquente. Nous restituons en français « elle » qui se rapporte à la peste.
v. 52-54 : C'est effectivement à partir d'avril 1580 que la peste se propagea à travers toute la
ville.
v. 57 : podion : le sujet de ce verbe est sous-entendu (il apparaît dans le vers suivant).
On employa les soldats en garnison dans la ville pour ramasser les morts. Ils furent très vite
dépassés par l'ampleur de la tâche. Les quatre-cents soldats commandés par le lieutenant Pierre
Antelmy périrent victimes de la peste.
v. 59 : bragardo, « gaillarde » dans le sens de forte. C'est dans un sens quelque peu différent
qu'Antoine Arena emploie ce mot (cf. Macaronee Provenzali, edizione critica a cura di Fausta
Garavini e Lucia Lazzerini, Riccardo Ricciardi, Milano-Napoli, 1984, p. 305).
v. 60 : desjardo, vraisemblablement forme francisée de « dégager », « rendre libre », dans ce cas
la fin du service des soldats, « leur désengagement ». Il peut s'agir également de « descarga »
qui indiquerait le travail particulier des soldats durant la peste. La traduction serait alors : « Sont
assurément tous morts lors du déchargement [des morts] ».
v. 61 : proun dans ce vers exprime la grande quantité de morts.
davant darriero indique la façon de marcher des soldats, défilant les uns derrière les autres.
L'image des soldats tombant en marchant est ici une figure d'hypotypose qui n'est pas
coutumière sous la plume de Ruffi.
v. 67-68 : Évocation dans ce tercet des crises de folie et de panique dont la cause était « le
mal ».
v. 68 : revant indique que la conscience des malades était altérée. Il ne s'agit pas ici d'un rêve à
proprement parler, mais plutôt d'un état proche de la démence. Nous ne restituons pas la
traduction littérale qui n'exprime pas correctement cette idée.
v. 76-78 : Ruffi évoque ici le cas de Pierre Caradet dit Bourgogne. L'épidémie entraîna la
dissolution de la vie politique. Certains officiers municipaux restèrent à leur poste, mais le
premier d'entre eux, Pierre Caradet, se retira dans sa bastide. À la fin de l'épi démie, le Conseil
de ville octroya 100 écus à Pierre Caradet ce qui provoqua des mouvements de foule hostiles à
son attitude. Par la suite, Caradet joua un rôle politique important aux côtés des Ligueurs
marseillais.
v. 78 : Il s'agit d'André D'Ollières et Alexandre Aguilhenqui dont il est question dans les tercets
qui suivent.
v. 79-84 : André d'Ollières et Alexandre Aguilhenqui se barricadèrent dans l'Hôtel de Ville. Ils
furent secourus par leurs domestiques. D'Ollières mourut et Aguilhenqui survécut. Les héritiers
d'André D'Ollières reçurent 400 écus du Conseil de ville, et Aguilhenqui 150.
v. 83 : escrimo, dans le sens de « combat », « attaque ».
v. 85-87 : L'assesseur et official de l'évêque Jean Doria s'enferma avec ses frères dans la maison
de Saint-Jean. Il mourut le 11 juin 1580. Ses héritiers s'indignèrent de la somme que le Conseil
de ville leur octroya (50 écus) ; ils estimaient devoir recevoir autant qu'un consul. C'est en fait
l'attitude de Pierre Caradet qui était fustigée.
v. 88-93 : Joseph Cabre, membre d'une grande famille marseillaise, capitaine du Corps de ville
et ancien consul, resta à Marseille et mourut de la peste. Ruffi précise qu'il a été enterré par ses
héritiers, ce qui suppose qu'il mourut en pleine épidémie.
v. 94-96 : Nicolas Ferrat, capitaine de Saint-Jean, mourut le 21 juillet. Selon Wolfgang Kaiser,
Ruffi confond Nicolas Ferrat avec son fils, son homonyme qui survécut à l'épidémie (Wolfgang
Kaiser, Marseille au temps des troubles…, op. cit., p. 247).
v. 97-99 : Balthasar Paul n'était pas de la famille de Pierre Paul, mais d'une autre famille Paul,
peut-être parent de Marguerite de Paul dont Ruffi évoque la mort (XXVIII). Ce Paul fut juge
consul en 1556 et 1574 et consul en 1557 et 1566. Il est parrain de Claire de Ruffi, la fille de
Robert Ruffi, en 1566.
�Ce personnage est qualifié de nestorian, ce qui indique son grand âge. Ruffi emploie ailleurs le
même adjectif (XV, [1], v. 13). Nous traduisons par « de l'âge de Nestor » pour éviter toute
confusion avec la secte des Nestoriens.
v. 99 : faguet ragi, cf. note v. 13.
v. 104-105 : Nous avons là une autre figure d'hypotypose qui est à remarquer. Cette image des
corps crevés, tirés dans la fosse, par les membres d'une même famille s'enterrant mutuellement
est frappante.
v. 106 : Le sens précis de salhiduros renvoie à « saillies », protubérances, ici les « bubons »
pestilentiels qui mûrissent ou se résorbent.
v. 110 : Ce vers est assez obscur. Nous comprenons que les boiteux vont par deux, mar chant
l'un à côté de l'autre. Ruffi a écrit egous, que nous ne comprenons pas et que nous corrigeons
par egaus. Le vers signifierait donc que les boiteux marchent l'un à côté de l'autre et qu'ils ont
une allure égale.
v. 113 : exuberanto, comme abondanto au vers suivant, illustrent la mansuétude et la bonté de
Dieu.
v. 116-117 : Ruffi rajoute ces deux vers, sans doute après 1596 pour montrer que la rebellion de
la ville sous la dictature de Charles de Casaulx n'a été qu'une affaire passagère et n'était le fait
que d'une faction ambitieuse. Remarquons donc au v. 117 le mot sequelo qui dans le sens de
« groupe de personne » renvoie à cette faction.
v. 118-120 : L'épidémie commença à reculer dans les premiers jours de l'automne. En octobre,
le Conseil de ville put reprendre ses séances. Ruffi indique donc que l'activité sociale et
économique semble redémarrer à ces dates.
que l'on si nembre, que nous comprenons comme « autant que l'on s'en souvienne ».
v. 126 : Nous comprenons taro comme une trace de la maladie ; les premières manifestations de
la peste sont en effet des boutons et des ganglions enflés.
v. 127-129 : Allusion aux familles réfugiées dans le terroir. Il semble que les hommes rentrent
les premiers en ville alors que les femmes et les enfants restent encore quelque temps dans leurs
bastides.
v. 133-135 : Nous apprenons donc que Ruffi s'est réfugé dans sa bastide.
Ce dernier tercet est à remarquer : il fait glisser le poème vers un témoignage direct qui avait été
auparavant effacé. La première personne de l'écrivain clôt le poème.
�[fo 68 r°]
[2]
Aultre chansson au retour de
la contagion 1580. Sur infinite
de desordres et y a une couple sur
chacune lettre de ce que la ville a fait
escrire dans la maison commune pour devise :
ACTIBUS IMMENSIS URBS FULGET ET MASSI
LIENSIS1
3
6
9
12
15
18
Aros preguen d'un cor contrit
Diou, Paire, Fiou, Sant-Esperit,
En trinitat e uno essensso,
Que tant de pesto age2 cessat,
E si contente dau passat
Tant qu'a Marselho n'en sian sensso.
Car de cent ans non es ystat
Uno talo mortalitat
Per fan e pesto si3 crudello,
Ben trento millo conte fach
Dison que la mort n'a desfach,
Lous tuant a l'engue vo a l'eissello.
Tout home pot ben souspirar,
E sous pecas dolent plorar
Gitant lagremos a esponchos,
E tous embe devotion
Si boutar en auration,
Pregant lou bon Diou a mans jonchos.
[fo 68 v°]
21
24
Jamay non fouguet tems milhour
Per reconoisse son segnour
Qu'a penitenci nous envido,
Car eou nous douno ensegnoment
Que fau leissar polidoment
Un cadun sa mechanto vido.
Basto que si nautres voulian
1 Cette phrase figure en lettres capitales dans le manuscrit.
2 "age" ou "aye".
3 "tan" biffé, "si" rajouté au-dessus.
�27
30
33
36
39
42
Per signes ben conoisserian
Dau creatour la justi iro,
Quouro vezen pron maus regnar,
E lo monde si reverssar
Vo quan lo tems son cours non tiro.
Vezez coumo despuy vingt ans
Aven agut de maus tan grans
Justoment tout per nostres crimes,
Car la guerro de l'huganaut
A ruynat pays bas e haut
E nous a portat de grans scismes.
Si tanben gardo vous prenes,
Lo monde va tout de traves,
Non li a polisso ny ges d'ordre,
Ley gens non an fe ny reson,
Lous tens non siegon sa sezon,
E touto cauvo es en desordre.
[fo 69 r°]
45
48
51
54
57
60
63
Ja cresi l'on si nembrara4
Qu'en novembre tres ans aura
Si pareisset uno coumeto
Devers lo costat de coucant,
Embe gran coa sinificant
Qu'en breou l'iro de Diou si meto.
Maire de Diou, quantos enfans
Moreron li a ben dous ans
Tous de la pichoto veirolo,
Ben quatre millo d'aqueou mau
Renterreron coumo l'on sau,
Negres, tacas de graneirolo.
May puy d'uno horriblo fasson
Mourion dau mau de gargasson,
Aros en l'annado passado,
May de siey millo ly an5 passat,
Lous inocens an comenssat
E la pesto nous an leissado.
E ben que adonc nous veguessan
E per signes coneguessan
Que Diou nous en volie far uno,
Tant may regnavo de pecat,
4 Au début de la strophe figure un vers biffé identique au v. 19.
5 PV : "n'an", "n" biffé, "ly" écrit par dessus.
�66
Toujour d'usuro bon mercat
Tant es l'avarici comuno.
[fo 69 v°]
69
72
75
78
81
84
87
90
Non es pas donquos de mastour
Se nostre tan bon creatour
Apres sa patiento aurelho
Nous visito de sos flageous,
E a la fin das plus crudeous,
Coumo es puy vengut a Marselho.
Si lo mau es agut fort grand
Non se meravelhen pas tant,
Meritavan encaros pire,
Dison que per l'enfermarie
Fasson tanto mechantarie,
Tan grando que non si pot dire.
Et puy dins la villo autanben,
De brigadellos nous vezen,
Mostrar lou pies, ben escotados,
Porton grans joyos e aneous,
D'abis et d'ornamens fort beous,6
Que a bon mercat si son parados.
Si l'on vol dire das leirons,
Rufians e autres maquignons,
N'y a pron agut durant la pesto,
Non say se plus s'en trobara,
Car aquo non s'endurara,
Bessay li courbaran la testo.
[fo 70 r°]
93
96
99
102
Vous vesez d'aucuns escapas
Vo brigadeous anssin nomas,
Que de sanitat non an curo,
N'y a que voudrion faire durar
Lo mau per toujour ben raubar,
E faire sa man plus seguro.
Regardas se sian ben ingratz,
Que si de tous nostres pecatz
La punition Diou nous mandavo,
Au diable l'un qu'escaparie,
E cresi si contentarie
Si pauc a pauc l'on s'emendavo.
6 PV : "E d'abilhomens das plus beous". Tout est biffé sauf beous". "lous" écrit au-dessus puis biffé. La correction
est écrite au-dessus.
�105
108
111
114
Ben que l'on vuelhe fugir luen,
Eou s'en douno toujour, pren suen
Lou bon segnour de tout fugere,
Car coumo fort ocasionat,
Nous a tous benleou atrobat
Quouro punis, eou nous vou veire.
Subre d'aisso non vezes-vous
Casteous e villos tous ley jours
Embe semblablo disciplino
En la Provensso e au Contat,
Lengadoc e lo Daufinat,
Finquo a Paris senton la ruyno.
[fo 70 v°]
117
120
123
126
129
132
135
138
Fisen-nous donc au poderous
Que nous embrasso pietous
Quouro a sa graci l'on reclamo,
Aros es tems vo jamay non
D'aquistar un veray renom
De bon chrestian de corps e d'armo.
Un tems a fach fort tenebrous
A pauro gent escalabrous
D'uno mort duro e fort piquanto
Despuy lo mes de ginouier
Jusquo en setembre vinachier,
L'an millo cinq cens e hutanto.
Las, qui a vist tems! A mancat
Marselho a son pontificat,
Ero dicho sorre de Roumo,
De ben vieure li aprenion
Toutos gens de luen li venion,
Aros non aprendrion que broumo.
Grando per tout antiquoment
En gestes e gouvernoment,
A treluzit fort renomado,7
E per sous actes generous
A tengut testo contro tous
Coumo cieutat de grand parado.8
[fo 71 r°]
E subretout fau qu'entendes :
7 "renomado" biffé et réécrit à la suite. "e" biffé au-dessus entre "reluzit" et "fort".
8 "fort renomado" biffé, "de grand parado" rajouté au-dessus.
�141
144
147
150
153
156
159
162
Anet cassar los faus Vaudes,
Heretics tenent ley novello,
Fougueron premie condamnas,
E a la fin exterminas
Coumo gens de fausso sequello.
Tan grando la fidelitat
La villo toujour a portat,
Soulido e non pas variablo,
A Diou, as comtes e as reis,
Despuy que foun messo a sas leys
Que l'aura tousten perdurablo.
Marselho foun per un long tems
Regido per sas propris gens
Coumo anciano republiquo,
Fouguet puys9 uno vicontat
Embe sa pleno autoritat,
En tous sous gestes autentico.
Au tems que l'ynclito cieutat
S'anet donar, dison bon grat,
A Charles d'Anjou, fiou de Fransso,
Fouguet embe condition,
D'acordi e transaction
E non per forsso ny poissansso.
[fo 71 v°]
165
168
171
174
177
Se liges dintre lous archious,
Li10 troubares encaro mious :
La donation tan liberalo
Embe franquezos, libertas,
Estatus, capitous de pas,
May aros an ben pres la calo.
Sur la justici per mitat
Si retenguet l'autoritat
Coumo un das principaus refugis,
May estous ans v'aven perdut
Per mau gouvert que l'es agut,
E non aven greffes ny jugis.
Jornaloment, tant may anan,
La villo perde proun cado an,
La libertat s'en va abolido,
Ly a tres cens vint a tres ans
9 PV : "Puys fouguet". "fouguet" biffé, réécrit au-dessus, puis rajouté en début de vers.
10 "Va" biffé, "Li" rajouté en début de vers.
�180
183
186
Que nostres avis e ancians
En gran susour l'avion bastido.
L'un vou noveous governadors11
E l'autre d'impos dolorous,
Mes si l'on regardo la soursso
Ven per las grans12 divisions,
Intestinos dissentions
E per aucuns qu'implon la boursso.
[fo 72 r°]
189
192
195
198
201
204
207
210
Jamay bessay non tornaren
Au tems passat ny trobaren
Gaube per redrissar la villo,
Cadun per son particulier
Cerco d'emplir lou gibassier
E fan patir la causo utilo.
E pouden aro dire tous
Coumo dis David de sa vous
Que si lo bon segnour non gardo
Per son pouder touto cieutat,
Tout quant que fen es vanitat
Si son bon hueil non nous regardo.
Non aves vist lou mes passat
Lou ceou d'uno grand flamo abrat,
Un dissato des de setembre
Portavo certos esparvant,
Car mostro qu'anan aprochant
Dau gran judici que nous nembre.
Si l'on va regardo amploment,
La villo non a sentiment,
Non es qu'uno fourmo bastido,
May lou poble e gent que li es
Son l'armo, membres e arnes
Per la regir, tenir en vido.
[fo 72 v°]
213
216
Ja donc es tems si revelhar
E embe Diou si conselhar
Per esto pauro republico,
Car l'on trobo per veritat
Qu'aven proun de fidelitat,
May lou consseou va per fabrico.
11 PV : "governadours", "u" biffé.
12 PV : "Ven tout per las". "tout" biffé, "grans" rajouté au-dessus.
�219
222
Sus, tornen a l'antiquitat,
E meten-nous a l'unitat
Sensso querelo ny desordre,
Obeissen a Diou, au rey,
Tenguen toujour la bono ley,
E dins la villo auren bon ordre.
Prions maintenant d'un cœur contrit — Dieu, Père, Fils, Saint-Esprit — (3) En
Trinité et une Essence — Que tant de peste puisse cesser, — Et qu’on se contente du
passé — (6) Tant à Marseille nous n'en sommes pas dépourvus. —— Car de cent ans il
n'y a pas eu — Une telle mortalité — (9) De faim et de peste si cruelle, — On dit tout
compte fait — Que la mort en a bien défait trente mille, — (12) Les tuant à l'aine ou à
l'aisselle. —— Tout homme peut bien soupirer, — Et pleurer ses péchés douloureux, —
(15) Versant de grosses larmes, — Et tous avec dévotion — Se mettre en oraison, — (18)
Priant le bon Dieu à mains jointes. —— Jamais il ne fut meilleur temps — Pour
reconnaître son seigneur — (21) Qui nous invite à pénitence, — Car il nous donne
enseignement — De laisser chacun discrètement — (24) Sa méchante vie. —— Il suffit,
si nous voulions, — Nous reconnaîtrions bien aux signes — (27) La juste colère du
créateur, — Quand nous voyons régner assez de maux — Et le monde se renverser —
(30) Ou quand le temps ne suit pas son cours. —— Voyez comme depuis vingt ans —
Nous avons eu de si grands maux, — (33) Tout justement pour nos crimes, — Car la
guerre de l'huguenot — A ruiné le pays bas et haut, — (36) Et nous a apporté de grands
schismes. —— Si vous prenez aussi garde, — Le monde va tout de travers, — (39) Il n'y
a pas de police ni d'ordre, — Les gens n'ont ni foi ni raison, — Les temps ne suivent pas
leur saison, — (42) Et toute chose est en désordre. —— Je crois déjà que l'on se
souviendra, — Qu’en novembre, il y aura trois ans, — (45) Est apparue une comète —
Vers le côté du couchant — Avec une grande queue signifiant — (48) Qu'en peu de
temps la colère de Dieu se manifeste. —— Mère de Dieu, combien d'enfants —
Moururent il y a bien deux ans, — (51) Tous de la petite vérole, — Bien quatre mille de
ce mal — Ils enterrèrent à nouveau comme l'on sait, — (54) Noirs, grêlés. —— Et puis
d'une horrible façon, — Ils mouraient du mal de gorge, — (57) De l'année passée à
maintenant, — Plus de six mille y sont passés, — Les plus jeunes ont commencé — (60)
Et ils nous ont laissé la peste. —— Et donc bien que nous voyions — Et par signes nous
sachions — (63) Que Dieu voulait nous en envoyer une, — Toujours plus régnaient des
péchés, — L'usure toujours à bon marché — (66) Tant l'avarice est commune. —— Ce
n'est donc pas pour tuer — Si notre si bon créateur — (69) Après sa patiente oreille —
Nous visite de ses fléaux, — Et à la fin des plus cruels — (72) Comme il est depuis
advenu à Marseille. —— Si le mal a été très grand — Ne nous étonnons pas tant, — (75)
Ils méritaient encore pire, — On dit que dans l'infirmerie — Il se passait tant de
méchancetés — (78) Si grandes que l'on ne peut pas les dire. —— Et puis aussi bien dans
la ville, — Nous voyons des voleuses — (81) Bien influentes montrer la poitrine, —
Elles portent de grands joyaux et anneaux, — Des habits et de très beaux ornements —
(84) Dont elles se sont parées à bon marché. —— Si l'on veut parler des voleurs, —
Rufians et autres maquignons, — (87) Il y en a eu assez pendant la peste, — On ne sait
pas si l'on en trouvera plus, — Car cela ne sera plus enduré, — (90) Ils y courberont
peut-être la tête. —— Vous voyiez quelques réchappés — Ou brigands ainsi nommés,
�— (93) Qui ont cure de la santé, — Il y en a qui voudraient faire durer — Le mal pour
toujours bien voler — (96) Et faire leur main plus sûre. —— Regardez si nous sommes
bien ingrats, — Car si Dieu nous envoyait la punition — (99) Pour tous nos péchés, —
Celui qui fuirait serait voué au Diable, — Et il se contenterait, je crois, — (102) Si on
s'amendait peu à peu. —— Bien que l'on veuille fuir au loin,— Lui, il s'en garde
toujours et prend soin — (105) De fuir tout à fait le bon seigneur, — Mais très déterminé
— Il nous a tous bien vite retrouvé, — (108) Il veut nous voir quand il punit. —— En
plus de cela ne voyez-vous pas — Châteaux et villes tous les jours — (111) Avec
semblable discipline, — En la Provence et au Comtat, — Languedoc et Dauphiné, —
(114) Jusqu'à Paris, ils ressentent la ruine. —— Fions-nous donc au puissant — Qui nous
embrasse compatissant — (117) Quand on réclame sa grâce, — Maintenant ou jamais il
est temps — D'acquérir un véritable renom — (120) De bon chrétien de corps et d'âme.
—— Il a donné aux pauvres gens — Un temps fort ténébreux et difficile, — (123) Une
mort dure et très frappante — Depuis le mois de janvier — Jusqu'en septembre, mois du
vin, — (126) En l'an mille cinq cent quatre-vingts. —— Hélas, qui a vu ce temps!
Marseille — A manqué à sa grandeur, — (129) Elle était dite sœur de Rome, — Toutes
gens y apprenaient le bien vivre — Et y venaient de loin, — (132) Maintenant ils n'y
apprendraient que futilité. —— Grande pour tout dans l'Antiquité, — En actions et en
gouvernement, — (135) Elle a brillé, très renommée, — Et pour ses actes généreux —
Elle a tenu tête contre tous — (138) Comme cité de grande parade. —— Et il faut surtout
que vous écoutiez : — Elle alla chasser les faux Vaudois, — (141) Hérétiques adoptant
une nouvelle loi, — Ils furent les premiers condamnés — Et à la fin exterminés — (144)
Comme gens de fausse séquelle. —— La ville a toujours porté — Fidélité si grande, —
(147) Solide et invariable, — À Dieu, aux comtes et aux rois — Depuis qu'elle fut placée
sous leurs lois — (150) Qu'elle gardera tout le temps éternelles. —— Marseille fut
pendant un long temps — Régie par ses propres gens — (153) Comme ancienne
république, — Puis elle fut une vicomté — Avec sa pleine autorité, — (156) Authentique
en tous ses gestes. —— Au temps que l'illustre cité — Alla se donner, on dit de son
plein gré, — (159) À Charles d'Anjou, fils de France, — Ce fut avec conditions, —
Accords et transactions, — (162) Et non par force ni puissance. —— Si vous lisez dans
les archives, — Vous y trouverez encore mieux : — (165) La donation si libérale — Avec
franchises, libertés, — Statuts, chapitres de paix, — (168) Mais maintenant ils sont bien
mis de côté. —— L'autorité se reposa — Pour la moitié sur la justice — (171) Comme
un des principaux refuges, — Mais en ces années nous l'avons perdue — À cause du
mauvais gouvernement qu'il y a eu, — (174) Et nous n'avons ni greffes ni juges. ——
Quotidiennement, au plus nous allons, — La ville perd un peu chaque année, — (177) La
liberté est devenue abolie, — Il y a trois cent vingt-trois ans — Que nos aïeuls et
anciens — (180) En grande sueur l'avaient bâtie. —— L'un veut de nouveaux
gouverneurs, — Et l'autre d'impôts douloureux, — (183) Mais si l'on regarde la source,
— Elle provient des grandes divisions, — Intestines dissentions — (186) Et de quelques
uns qui se remplissent la bourse. —— Peut-être ne retournerons-nous jamais — Au
temps passé ni trouverons-nous — (189) Une façon pour redresser la ville, — Chacun
pour son propre compte — Cherche à remplir sa besace — (192) Et ils mettent en peine
la cause utile. —— Et maintenant nous pouvons tous dire — Comme dit David de sa
voix — (195) Que si le bon seigneur ne garde — En son pouvoir toute la cité, — Tout ce
que nous faisons n'est que vanité — (198) Si son bon œil ne nous regarde pas. —— Vous
n'avez pas vu le mois passé — Le ciel embrasé par une grande flamme, — (201) Un
samedi dix de septembre, — Il y figurait quelques terreurs, — Car il montre que nous
�allons approchant — (204) Du grand jugement qui nous revient en mémoire. —— Si l'on
regarde de loin, — La ville n'a pas de sentiments, — (207) Elle n'est qu'une forme bâtie,
— Mais le peuple et gens qui y résident — En sont l'âme, membres et guides — (210)
Pour la régir, garder en vie. —— Il est donc temps de se réveiller — Et prendre conseil
de Dieu — (213) Pour cette pauvre république, — Car on trouve en vérité — Que nous
avons assez de fidélité, — (216) Mais le conseil n'est pas suivi. —— Allons, revenons à
l'Antiquité, — Et mettons-nous en unité — (219) Sans querelle ni désordre, — Obéissons
à Dieu, au roi, — Gardons toujours la bonne loi, — (222) Et dans la ville nous aurons bon
ordre.
Titre : Les différentes indications contenues dans le titre peuvent laisser penser que ce poème a
été écrit peu de temps après la fin de l'épidémie, avant les derniers mois de 1580 compte tenu de
la date des chapitres de paix (cf. v. 178) et après le 10 septembre 1580 (cf. v. 201).
La devise de la ville (« La ville de Marseille brille par ses hauts faits ») est apparue, en même
temps semble-t-il que les armes (une croix bleue sur fond blanc) après les Croisades.
Chaque premier vers de chaque strophe commence par une lettre composant, en lecture
regroupée, la devise de la ville (seul le vers 79 semble échapper à cette règle). Ruffi fait preuve
ici d'un jeu stylistique original.
v. 6 : n'en sian sensso, c'est-à-dire « nous n'en sommes pas dépourvus ». Mistral donne pour
« estre sensso » le sens de « être privé » (cf. Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 878).
v. 11 : Dison correspond dans cet emploi à la tournure impersonnelle « on dit ». Ce sujet
collectif renvoie à une mémoire historique dont Ruffi est l'héritier.
v. 12 : C'est à l'aine et à l'aisselle que se situent les bubons et autres inflammations des
ganglions.
v. 15 : Gitant lagremos a esponchos, littéralement « verser des larmes comme un jet de lait »
(cf. à « espouncho » les explications de Mistral in Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1,
p. 1041).
v. 23 : polidoment, dans le sens de « discrètement » comme le note d'ailleurs Mistral (cf. Lou
Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 613). L'apparition de la peste est donc un moyen pour
se rapprocher de Dieu et de ses enseignements.
v. 27 : justi iro n'est pas étonnant. Nous trouvons en d'autres lieux des finales féminines atone
en i (cf. VII, [2], v. 3). Notons également que cette forme induit une synalèphe utile à la
versification.
v. 30 : lo tems son cours non tiro que nous comprenons « le temps ne suit pas son cours ». Cette
idée présuppose un cheminement tracé par une prédestination divine avec exactitude.
L'épidémie de peste fait donc partie de ces troubles qui dévient le cours du temps.
v. 31-36 : Ruffi évoque les Guerres de Religion en Provence et les assimile aux fléaux de Dieu.
Ce sont les Réformés qui en sont la cause et qui déterminent le schisme. L'archiviste marseillais
semble regretter cette guerre sans toutefois condamner l'intolérance des deux partis.
v. 35 : pays bas e haut désigne la haute et la basse Provence.
v. 37-42 : Il s'agit là d'un « devissement » du monde, d'un désordre total que Ruffi ne peut que
regretter. Le comportement des gens est lié à ce désordre à la fois humain et naturel.
v. 44-45 : C'est donc en novembre 1577 qu'apparut cette comète, présage de mauvais augure,
signe de l'ire de Dieu.
v. 49-54 : Ruffi évoque une des nombreuses épidémies de variole. Celle-ci toucha Marseille en
1578.
v. 52 : Le chiffre de quatre mille enfants décédés de la variole, sur une population de vingtquatre mille, apparaît bien exagéré.
v. 53 : renterreron indique une action renouvelée. Ce n'est pourtant pas les enfants que l'on
enterre plusieurs fois, mais du geste répétitif des fossoyeurs dont il est question.
�v. 54 : La variole laissait, comme toutes les maladies du même type, des traces impor tantes sur
le visage et le corps des mourants. Les enfants atteints de cette affection étaient particulièrement
touchés dans leur apparence physique.
v. 56 : De quel mal de gorge s'agit-il ? Il est probable que Ruffi s'en tient à une descrip tion de
symptomes annexes. Il est également possible que ce mal de gorge désigne une mort par
étouffement, ce qui laisse supposer une affection d'origine pulmonaire.
v. 58 : Comme au v. 52, ces six mille paraissent exagérés. En quatre ans, ce serait dix mille
enfants qui seraient morts, chiffre inconcevable pour la démographie marseille de ce siècle.
v. 59 : inocens qualifie les plus jeunes enfants, peut-être ceux qui ne sont pas encore baptisés.
v. 60 : Selon Ruffi, ces maladies infantiles préfigurent la peste et en sont la cause. Nous savons
qu'il en est tout autrement. La peste de 1580 a dû être propagée à partir d'un navire contaminé
(comme en 1720) ; elle est signalée en Italie avant qu'elle ne se déclare à Marseille.
v. 61-63 : La comète et les diverses maladies sont les signes de Dieu que les hommes
connaissent, mais ils ne peuvent maîtriser leur comportement. uno se réfère donc à la peste, qui
n'est pas envoyée brutalement, mais qui est en quelque sorte « annoncée ».
v. 67 : de mastour nous est inconnu. Nous pouvons rapprocher cette expression du verbe
« matar » qui signifie « tuer ». Il faudrait cependant admettre une confusion entre « mastar »
(dresser un mât) et « matar » dont les étymologies sont différentes. Il est également possible que
Ruffi ait voulu écrire demastour en un seul mot (de « desmastar », « démâter »). Toutes ces
hypothèses renvoient à l'idée démentie par Ruffi d'un Dieu qui aurait voulu tuer ses propres
créatures.
v. 69 : Dieu a commencé par observer et écouter les hommes, leur donner une chance. C'est
donc la conduite des hommes qui est à l'origine du fléau.
v. 76-78 : Les premiers malades de la peste furent enfermés dans le lazaret situé sur la rive sud
du port. Ces pestiférés causèrent des ravages aux jardins et propriétés des envi rons. Pour se
nourrir, ils envahissaient les jardins et arrachaient les plantations. Les Capucins qui étaient
chargés de ces malades ne purent contenir ces exactions. Par la suite la peste se propagea à toute
la ville (cf. Wolfgang Kaiser, Marseille au temps des troubles, op. cit., p. 244).
v. 80 : brigadellos, sans doute le féminin de brigadeous que nous retrouvons au v. 92. Mistral
donne le sens de « imbécile » (cf. Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 373). Nous y
voyons pour notre part un sens proche de « brigands ». Nous pouvons en effet rapprocher
brigadellos et brigadeous de la « brigado » des voleurs.
v. 81 : escotados, Mistral donne pour « Ome escouta » la traduction de « homme influent » (cf.
Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 1004). Les personnes dont il est question jouent
donc un jeu d'influence ou se donnent comme telles. L'ensemble de la strophe est ironique.
Ruffi dénonce dans ces vers ceux qui profitent de l’épidémie pour parader, ces voleurs qui
n’occupent pas une juste place et qui ont provoqué le fléau de Dieu.
v. 90 : Le vers est difficile à interpréter. Ces voleurs doivent être chatiés. L'action de courber la
tête signifie qu'ils devront plier sous la justice comme un condamné baisse la tête devant son
bourreau. Il s’agit évidemment de la justice divine et de la peste.
v. 91 : Ces escapas sont sans doute des « réchappés » de l'épidémie qui ne se préoccupent pas
d'enrayer la maladie, mais qui au contraire profitent des troubles pour s'enrichir.
v. 96 : Ce vers signifie que les revenus du vol se font de plus en plus importants au fur et à
mesure que l'épidémie se propage. Le vol est également plus facile, car la désorganisation de la
ville est totale.
v. 100 : Ce vers est difficile à comprendre. L'homme qui échapperait au châtiment de Dieu est-il
le diable ? Ou alors cet homme qui échappe au fléau ne pourrait pas se racheter et finirait donc
en enfer ? Il semble toutefois que la compréhension la plus simple désigne le fuyard comme
voué au diable : il tente d'échapper à la colère de Dieu et se soustrait à son jugement. N'oublions
pas que les Marseillais furent nombreux à fuir vers leurs bastides. Ruffi ne souhaite donc pas
que l'on abandonne la ville, mais que l'on affronte la colère de Dieu et que l'on s'amende.
�v. 104 : s'en douno toujour, pren suen, c'est-à-dire évite et prend soin (cf. « se douna suen »
pour « se donner garde » chez Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 818). Le
fuyard prend garde de la colère du seigneur et cherche par sa fuite à se cacher.
v. 105 : fugere cf. « fugir ».
v. 106 : ocasionat, cf. « ocasionar », « occasionner », dans le sens de « motiver »,
« déterminer ».
v. 122 : escalabrous, malgré sa position dans le vers, se rapporte à tems (gent est en effet au
féminin).
v. 124 : ginouier compte pour trois syllabes.
v. 128 : pontificat, dans le sens de « grandeur » ou de « splendeur ». Il s'agit d'un sens figuré ;
Mistral donne pour « èstre dins soun pountificat » : « être dans sa splendeur » (cf. Lou Tresor
dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 621). Marseille a donc manqué à sa splendeur passée, la peste
s'y étant répandue.
v. 129-132 : Ruffi commence avec ces vers une série d'allusions historiques. Il s'agit ici de la
grandeur de Marseille antique, foyer de civilisation que les Romains enviaient.
v. 132 : broumo signifie « rebut » ou selon Mistral « une chose bonne à rien ». Ici une futilité
(cf. Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 381).
v. 136-137 : Il s'agit peut-être d'une allusion au siège de César. En 49 avant notre ère, le
dictateur romain mit le siège devant la cité ; Massalia résista longtemps avant de se rendre.
v. 139-144 : Ruffi évoque la présence des Vaudois en Provence. Nous savons qu'un édit du
parlement exigea leur réduction et que le premier président, Jean Maynier d'Oppède, mena en
1545 une campagne militaire qui aboutit au massacre de ces communautés rassemblées dans les
villages du Lubéron. Cette répression fut si féroce que François 1 er ordonna une enquête. Les
Vaudois s'étaient ralliés en 1535 à la Réforme. Sous la plume de Ruffi, ces vers ne sont pas
innocents : ils placent Marseille (qui eut que peu de rôle dans ces faits) dans la position
privilégiée de premier défenseur du catholicisme et de l'Église.
v. 140 : Il faut comprendre faus dans le sens de « traitres », « félons ».
v. 144 : fausso sequello désigne originellement les faux serviteurs du Christ. Pour Ruffi, les
Vaudois ne suivent pas les enseignements divins et ne font donc pas partie des serviteurs de la
foi.
v. 149 : leys est une allusion aux institutions marseillaises dont il sera question plus loin.
Marseille est présentée dans ces vers comme une cité à la fidélité exemplaire. On sait que cela
ne sera pas le cas quelques années après l'écriture de ce poème.
v. 150 : Nous pouvons comprendre ce vers de deux façons : Marseille sera éternellement fidèle
(le sujet de aura est alors fidelitat) ou les lois seront toujours celles de la cité (le sujet de aura
est alors Marseille et il faut comprendre l' comme une contraction de « las »). Les deux
traductions proposées sont : « Car elle l'aura [la fidélité] tout le temps éternelle » ou « Qu'elle
[Marseille] gardera tout le temps éternelles ». Nous établissons ce deuxième sens.
v. 151-156 : Il s'agit d'un rappel historique des institutions marseillaises : la République grecque
puis la vicomté. Au XIIe siècle, la cité était divisée en ville-haute dont le seigneur était l'évêque,
ville-basse sous la tutelle du vicomte et ville prévôtale placée sous le contrôle des chanoines du
châpitre cathédral.
v. 157 : ynclito, « illustre », du latin inclitus.
v. 157-162 : Charles d'Anjou, mari de Béatrice, devint comte de Provence à la mort de
Raymond Bérenger V le 19 août 1245. Contrairement à ce que dit Ruffi, le nouveau comte eut
beaucoup de mal avec Marseille : en 1247 Marseille s'allie à d'autres cités provençales pour
refuser la tutelle du comte. Après une lutte énergique, Charles d'Anjou signe en juillet 1252 un
traité préfigurant les Chapitres de Paix. Après une nouvelle révolte, les Chapitres de Paix sont
confirmés le 2 juin 1257. La ville garde certains de ses privilèges (notamment en matière de
justice), mais se place sous l'autorité du comte. Ruffi a donc une vision intégrationniste de
l'histoire, privilégiant la fidélité marseillaise alors que ce ne fut pas toujours le cas.
v. 163-167 : Il s'agit des chapitres de paix de 1257.
�v. 168 : an ben pres la calo : c'est-à-dire sont dans la situation d'un bâteau au mouillage. Il s'agit
d'une métaphore pour indiquer que les Chapitres de Paix ne sont pas toujours respectés. En
1535, l'édit de Crémieux avait aligné Marseille sous la juridiction de l'édit de Joinville pris une
année auparavant pour l'ensemble de la Provence : toutes les dispositions concernant les
privilèges judiciaires étaient annulées. Ruffi évoque à demi-mot ces dispositions.
v. 169-171 : Il faut comprendre que l'autorité de la ville reposait en partie sur les institutions
judiciaires, ce qui n'est pas totalement faux dans une cité où la justice tient un rôle important.
L'autre moitié du pouvoir est exercée par le Conseil de ville et les consuls.
v. 172-174 : La désorganisation de la justice est sans doute due à l'épidémie de peste et non à
une quelconque carence du pouvoir. Ruffi regrette peut-être, ce qui sera manifeste dans les vers
suivants, une justice authentiquement marseillaise qui se fonde sur les chapitres de paix de
1257.
v. 175-180 : Ces vers précisent la pensée de Ruffi. Il est fait nettement allusion aux Chapitres de
Paix signés en 1257 : ce poème est écrit en 1580 et trois cent vint-trois ans plus tôt (donc en
1257) les Marseillais signaient un compromis qui leur laissait de grandes libertés. C'est cette
même liberté qui est de plus en plus abolie et que Ruffi souhaite retrouver. Il s'agit là d'une
nostalgie d'un temps où les Marseillais s'administraient et vivaient en paix sous l'autorité de leur
comte.
v. 181-186 : Ruffi met l'accent dans ces vers sur les divisions marseillaises. Au cours du siècle,
les luttes de factions furent nombreuses et plusieurs familles tentèrent de s'approprier le pouvoir.
C'est ainsi que lors des révoltes de la Ligue, des factions entières se mirent au service d'une
cause, souvent bien plus pour leurs propres intérêts que pour une quelconque ferveur politique.
v. 194 : David, dans le psaume 35, implore la protection du seigneur.
v. 200-204 : Ruffi ne précise pas quelles « terreurs » se trouvaient dans le ciel le 10 septembre
1580. Ce signe est pour lui la préfiguration du jugement dernier.
v. 207 : Relevons fourmo bastido. La ville n'est donc qu'une masse ne possèdant plus de vertus
divines qui régissent sa beauté et ses actions. Les hommes qui y sont doivent donc en être l'âme,
les membres et les guides.
v. 213 : De la même manière, l'expression esto pauro republico est chargée d'un sens historique
hors du commun, sens qui n'est pas dénué d'une certaine affectivité.
v. 216 : Nous comprenons que le conseil de Dieu n'est pas suivi, pas encore élaboré. Il doit donc
encore mûrir dans le cœur des hommes.
v. 217-222 : Le retour à l'Antiquité n'est pas en contradiction avec l'appartenance au royaume et
à l'obéissance à Dieu. C'est dans le cadre des institutions françaises et de la royauté que Ruffi
insère son propos.
�[fo 73 r°]
[3]
En l'an 1586 advint peste
qui ne fut grande et fut
faicte este chanson
4
Nautres que sian fugis per las bastidos
Per alongar si pouden nostros vidos,
Preguen a Diou misericordious
De far cessar lo mau contagious.
8
Contagious venguet que nous remembre
Dintre Marselho au mitan de novembre
Millo cinq cens hutanto sieys helas!
En grand eglach de tout lo populas.
12
Nous aven vist ly a ja sieys annados
Que pron de gens agueron de cassados
Au terrador per n'en si ben gardar,
Car en tau tems non si fau ren mesclar.
16
Per si gardar quan la pesto domino,
Fau implorar la majestat divino
D'un cor contrit e may fort humbloment,
Car aqui es lo veray fondament.
20
Apres aquo, es causo expediento
Non s'aflatar de persuo vivento,
Perque au mesclar si pren l'infection
Que douno puy gran treboulation.
24
Si faut-il ben aver de drogos finos
Qu'en un tau tens siervon per medecinos,
Coumo triaclos, pillulos, muscadins,
Per n'en uzar quauquo fes lous matins.
[fo 73 v°]
28
En s'en anant per peisson vo carnagi,
Fau que lo mestre ane faire lo viagi
Sensso mandar chambriero ny varlet,
Car non si curon que d'emplir lo galet.
�32
May lo milhour affin que l'on s'en nembre,
Es d'avalar dau bon brouyt de setembre
Cado matin au beou levar dau liech
De saucissot vo de jambon tout cuech.
36
Enfin fau puy faire bon ordinari
Sensso manjar que de viando contrari
E s'alegrar embe touto sa gent
Save e souvent s'afanar de la dent.
Nous autres qui nous sommes enfuis vers les bastides — Pour allonger si nous
pouvons nos vies, — Prions Dieu miséricordieux — (4) De faire cesser le mal
contagieux. —— Il vint contagieux, autant qu'il nous en souvienne, — Dans Marseille
au milieu de novembre — Mille cinq cent quatre-vingt-six hélas! — (8) Au grand effroi
de toute la populace. —— Nous avons vu il y a déja six années — Que beaucoup de
gens prirent la fuite — Au terroir pour s'en bien garder, — (12) Car en ces temps il ne
faut aucunement se fréquenter. —— Pour se garder quand la peste domine, — Il faut
implorer la majesté divine — D'un cœur contrit et en plus très humblement, — (16) Car
c'est le véritable fondement. —— Après cela, c'est chose opportune — De ne pas
s'approcher de personne vivante, — Parce qu'à la fréquentation on peut prendre
l'infection — (20) Qui donne ensuite grand bouleversement. —— Aussi faut-il bien avoir
des drogues fines — Qui en ce temps servent de médecines, — Comme thériaques,
pillules, muscadins, — (24) Pour en user quelques fois les matins. —— En s'en allant
chercher du poisson ou de la viande, — Il faut que le maître aille faire le voyage, —
Sans envoyer chambrière ni valet — (28) Car ils n'ont cure que de se remplir le gosier.
—— Mais le meilleur, afin que l'on s'en souvienne, — Est d'avaler du bon bouillon de
septembre — Chaque matin dès le lever du lit, — (32) Du saucisson ou du jambon tout
cuits. —— Enfin il faut ensuite faire bon ordinaire — Sans manger aucune nourriture
contraire — Et se réjouir avec tous ses gens — (36) Saufs et faire souvent travailler ses
dents.
v. 7 : La peste a donc repris vers le 15 novembre 1586. Cette épidémie ne fut pas très grave, elle
se limita à quelques cas isolés comme tous les ports en connaissent.
v. 8 : eglach cf. « esglai ».
populas sans être péjoratif désigne l'ensemble de la population marseillaise qui subit l'épidémie
de peste.
v. 9-11 : Il s'agit d'un rappel de la peste de 1580 dont les conséquences furent plus graves.
v. 10 : cassados provient de « caça » et indique l'idée de la fuite. Les Marseillais s'enfuirent vers
leurs bastides pour échapper à l'épidémie. À chaque alerte, le même phénomène se produit.
v. 13-16 : Ruffi évoque à nouveau la peste comme un châtiment de Dieu. Il faut donc se fier au
seigneur et implorer sa grâce. Remarquons veray fondament qui place l'origine de l'épidémie en
perspective divine. La peste n'est pas une maladie comme les autres, elle est causée par les
nombreux péchés des hommes.
v. 17 : causo expediento, littéralement une chose « expédiente », c'est-à-dire « opportune ».
v. 18 : persuo pour « personne » est une forme que nous ne retrouvons pas ailleurs dans ce
manuscrit. Ce mot compte pour trois syllabes ; cette forme n'est en rien induite par la
versification.
�v. 23 : triaclos, « thériaques », électuaire composé de divers ingrédients qui était surtout
employé contre les morsures de serpent.
muscadins, « muscadins », pastille médicamenteuse dans la composition de laquelle entre du
musc.
v. 30 : brouyt de setembre, « le bouillon de septembre », c'est-à-dire le vin. Nous gardons cette
image.
v. 34 : viando contrari désigne une nourriture qui pourrait favoriser la maladie. Il s'agit
probablement des nombreuses viandes faisandées dont les Provençaux étaient friands.
L'épidémie de peste est l'occasion de se soucier de l'hygiène.
v. 36 : save pour « sauva ». La forme unique de l'adjectif pour les deux genres n'est pas
exceptionnelle (cf. le modèle « jove »). La réduction de la diphtongue est construite sur le
modèle « causa > cauva > cava » [kawz∂ > kawv∂ > kav ∂]
s'afanar de la dent est difficile à comprendre. Afanar indique l'action d'un travail pénible, que
l'on fait avec effort. Il faudrait donc comprendre que Ruffi souhaite que l'on puisse « faire
travailler ses dents », c'est-à-dire manger convenablement et d'un bon appétit. Cette hygiène
naturelle et volontariste est garante d'une bonne santé et peut être une défense contre l'épidémie.
�XXXI
[fo 74 r°]
Chansson a la reyne estant
venue a Marseille 1600
& fut chante devant elle le
5 novembre
4
Marselho donq a lou premier honour
De reconoisse e hondrar la princesso,
Flour de Florensso, o tan sagrado flour
Que a la flour de lys fouguet promesso.
8
Reyno tu sies, saluden ton beou nom,
Bello Marie, o grand reyno de Fransso,
Nom tout sagrat, princesso de renom,
Tu das Frances sies touto l'esperansso.
12
Lou ceou ti vou jougne a nostre gran rey,
Henry Bourbon, gran rey de merevelho,
Rey sensso par, la merevelho das reys
E tu tanben non as reyno parelho.
16
O doux hymen, per tu Marselho ris
Coumo fatalo au ben de l'alliansso
Vounte Diou vou que lous grans reys Henris
Fasson l'estaq de Florensso a la Fransso.
20
Lou premier cero aquest hymen fara
Dau germe riau tan bono aqueissaduro
Que dins nou mes Marie maire sara
D'un pitouton Daufin, rey per naturo.
[fo 74 v°]
24
Reyno, Diou sie ton veray gardo corps,
Son don fecond e graci en tu abounde
Qu'ages d'heres que planton sous esfors
De Fransso fins au plus pregon dau monde.
Tout canto e ris au ceou, en terro, en mar,
�28
La cour celesto en hymnes de plasensso
Saludo e vou per tousten refermar
Lou gordian nous de Fransso e de Florensso.
32
Lou beou terren renovello un abriou,
Tout aubrelet regieto sas floretos,
L'ausseou redoublo un ramagi sutiou,
Lous bergiers fan gorgotar sas muzetos.
36
La mar trelus soli d'un rire dous,
Lou navegant tout gauchous ven de viagi,
Lou port phoussenc si mostro gloriuious
En recebent l'honour dau mariagi.
40
Ben sies vengudo, o reyno, l'an siey cens,
Dintre Marselho au ters jour de novembre
Per t'ajustar embe lou rey enssens,
Tout Marselhes fau que tousten s'en nembre.
44
Hurous lou jour, l'houro, lou mes e l'an,
L'an cent e sant que per graci divino
L'on ves gantat l'hetrurie femelan
Au phenix rey que sur l'ieli domino.
[fo 75 r°]
48
Or Diou benigue en pas lou beou pareou,
E qu'un347 riau fruq vezine lur vilhesso,
Vivon lous ans de Nestor ello e eou,
E siege au ceou tancado la promesso.
Marseille a donc le premier honneur — De reconnaître et honorer la princesse,
— Fleur de Florence, ô fleur tant sacrée — (4) Qui fut promise à la fleur de lys. —— Tu
es reine, saluons ton beau nom, — Belle Marie, ô grande reine de France, — Nom tout
sacré, princesse de renom, — (8) Tu es toute l'espérance des Français. —— Le ciel veut
t'unir à notre grand roi, — Henri Bourbon, grand roi de merveille, — Roi sans pareil, la
merveille des rois, — (12) Et toi aussi tu n'as pas de reine qui soit ton égale. —— Ô doux
hymen, par toi Marseille rit — Comme fatale au bien de l'alliance — Où Dieu veut que
les grands rois Henri — (16) Établissent le lien de Florence à la France. —— Le premier
soir cet hymen fera — Du germe royal si bonne acquisition — Que dans neuf mois
Marie sera mère — (20) D'un tout petit Dauphin, roi par nature. —— Reine, que Dieu
soit ton véritable garde-corps, — Que son don fécond et sa grâce en toi abondent, —
Que tu aies des héritiers qui établissent leurs pouvoirs — (24) De la France jusqu'au plus
profond du monde. —— Tout chante et rit au ciel, sur la terre et en mer, — La cour
céleste en hymnes de réjouissance — Salue et veut pour tout le temps renouer — (28) Le
nœud gordien de France et de Florence. —— Le beau terroir retrouve un avril, — Tout
petit arbre voit ses petites fleurs repousser, — L'oiseau redouble un subtil chant, — (30)
347 PV : "que un". Ruffi a rajouté une apostrophe sans biffé le "e".
�Les bergers font chanter leurs musettes. —— La mar brille tranquille d'un rire doux, —
Le navigateur tout joyeux revient de voyage, — Le port phocéen se montre glorieux —
(36) En recevant l'honneur du mariage. —— Tu es bien arrivée, ô reine, l'an six cents, —
Dans Marseille au troisième jour de novembre, — Pour t'unir avec le roi, — (40) Il faut
que tout Marseillais s'en souvienne tout le temps. —— Heureux le jour, l'heure, le mois
et l'an, — L'an cent et saint où par grâce divine — On vit apprêtée la femme hétrurienne
— (44) Au roi phénix qui domine le lys. —— Or Dieu bénisse en paix la belle paire —
Et qu'un beau fruit accompagne leur vieillesse, — Qu'ils vivent autant que Nestor, lui et
elle, — (48) Et que la promesse soit inscrite au ciel.
Le 3 novembre 1600 Marie de Médicis débarque à Marseille (une œuvre de
Rubens immortalise ce fait). La reine fut reçu en grande solennité. Henri IV n'est pas à
Marseille, il ne rejoindra sa future femme qu'à Lyon. Il avait envoyé à Marseille pour la
recevoir le duc de Montmorency, connétable de France. Vers onze heures du matin, son
navire croise aux îles. Le duc de Guise, gouverneur de Provence va l'accueillir. La
future reine ne débarque à Marseille qu'à quatre heures de l'après-midi. La ville lui
réserve un accueil des plus enthousiastes. La reine resta à Marseille jusqu'au seize
novembre. Les Marseillais appréciaient d'autant plus cette union qu'elle venait effacer
un passif important avec les Florentins qui avaient occupé les îles de la rade de
Marseille en guise de paiement de dettes contractées.
Ruffi nous apprend que sa chanson fut « chantée » devant la reine le 5
novembre. Nous n'en savons pas plus sur les circonstances de cette représentation. Son
petit-fils Antoine, pourtant prolixe en détails sur la visite de la reine, ne parle pas de ce
poème.1 Il existe de nombreux poèmes qui glorifient ce mariage. Relevons le petit
ensemble de Jacques de Meirier (plus connu pour sa Guisiade publiée en 1596) dans
lequel se trouve une « chanson » en occitan.2
Cette chanson est composée de décasyllabes ordonnés en quatrains aux rimes
croisées (abab).
v. 2 : hondrar pour « honorer » que nous retrouvons également en XV, [1], v. 3.
v. 7 : Il s'agit évidemment d'une allusion à Marie mère du Christ.
v. 15-16 : Les rois dont il est question sont Henri II qui se maria avec Catherine de Médicis et
Henri IV.
v. 18 : aqueissaduro que nous pouvons rapprocher de « aquistar ».
v. 21 : gardo corps indique une idée de protection physique et spirituelle. Nous créons ici le
néologisme « garde-corps » pour ne pas utiliser « garde du corps » aux connotations modernes
particulières.
v. 23 : esfors est employé icidans le sens médiéval de « pouvoir » (cf. Emil Levy, Petit
Dictionnaire…, op. cit., p. 166 à « esfortz »).
v. 33 : soli, forme marseillaise de « sòla », « tranquille ». Mistral donne également la forme
« sòri » comme marseillaise (cf. Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 2, p. 901).
1 Antoine de Ruffi, Histoire de Marseille…, op. cit., livre ix, ch. 5, p. 444.
2 TRIOMPHE / DES NOPCES / DV GRAND HENRY / Quatriesme, Roy de / France & Nauarre : // ET DE TRESILLVSTRE / DAME, MARIE DE MEDICIS, / Princesse de Florence. // Par IAQVES DE MEIRIER, Aduocat / au
Parlement de Prouence. // A LYON, / PAR CLAVDE MORILLON / 1600 / Auec permission. (24 pages. Exemplaire
consulté bibliothèque inguimbertine de Carpentras, fonds inguimbert M 217). Nous avons publié cette "chanson"
dans notre article "Inscription politique de la littérature occitane en Provence (fin XVI e-début XVIIe) : la canson
provençalle de 1564, les sonnets recueillis par Peiresc et autres pièces inédites", Lengas, n°32, Montpellier, 1992, p.
49-85.
�La mer calme est ici comparée à un doux rire, certainement pour le murmure des vagues.
v. 43 : hetrurie désigne l'Hétrurie, patrie des Etrusques installés dans ce qui deviendra la
Toscane.
v. 47 : Les références à Nestor sont nombreuses dans le manuscrit (cf. notamment XVI, [7],
v. 2).
v. 48 : tancado, littéralement « fichée », « plantée ». Nous traduisons par « inscrite » en insistant
sur l'écriture de la promesse, comme si elle était gravée dans le ciel.
�XXXII
Sounet d'un que badavo toujour
vezent manjar d'ortolans1
2
en un soupar a la reyno a Marselho
le 5 novembre 1600
4
La reyno a son soupar manjavo d'ortolans,
Lous prenent d'un a un per son riau gavagi
E fasie das cuous gras un morsseou cado viagi
Per au palay dentut lous rendre ben coulans.
8
May quan ello badavo anssin3 lous avalans
En fort gran modestie, car ello n'es l'ymagi,
Un qu'ero regardant, plen d'esperit babagi,
De veire aquo raubit4 coumo fan grossolans.
11
A badar si metie quan la reyno badavo,5
En6 cadun das morsseous que dins sa gorjo yntravo,
Si repeissent badant d'un regard volontous.
[fo 75 v°]
14
Un courtizan vezent talo mino fadado,
Li dis : « Hola,7 tenes vostro gorjo sarrado,
Durbeq, lous ortolans non son pas cuech per vous ».8
1 "novembre" biffé à la suite.
2 "a sa" biffé avant "en".
3 Le "n"de "anssin" est rajouté au-dessus.
4 PV : "raubit de veire aquo". "raubit" biffé, rajouté au-dessus de "coumo" puis biffé. Rajouté ensuite en marge à
gauche. Un signe (V renversé surmonté d'un point) indique sa place dans le vers.
5 PV : Eou si metie abadar quan la reyno badavo". "Eou si metie a badar" biffé. "Si metie tanben a badar" rajouté
au-dessus puis biffé. "A badar si metie" rajouté ensuite au-dessus.
6 "a" biffé après "en".
7 "tout bas" biffé, "hola" rajouté au-dessus.
8 À la suite de ce sonnet, toujours sur le même folio, nous trouvons quelques vers biffés dont la lecture n'est pas
facile : "Cur […] iraris — Sur la subite […] mort de noble — Pierre Caudelo. — S'esbahit-on pourquoy son ame si
pieuse — Quand eust psalmodie vola subit au ciel — C'est pour ce qu'avoit peu en elle de mortel — Car en meurt (?)
sera un (?) Dieu d'une fin glorieuse." Il s'agit sans doute d'un brouillon d'un poème qui aurait dû se trouver ailleurs
dans le manuscrit. Nous ne pouvons savoir si sa perte est due à un éparpillement des textes lors d'une reliure ou si
Ruffi a décidé lui-même de ne pas faire figurer ce texte.
Sous ces vers, nous trouvons biffé un sonnet identique à la pièce XXI accompagné de la mention "Est
ailleurs".
�Sonnet sur celui qui était toujours bouche bée — En voyant manger des ortolans
— À un souper pour la reine à Marseille — Le 5 novembre 1600. —— La reine
mangeait des ortolans pour son souper, — Les prenant un par un pour son estomac
royal, — Et un morceau des culs-gras faisait chaque voyage — (4) Pour bien les garder
au palais denté. —— Mais quand elle ouvrait la bouche ainsi en les avalant, — En très
grande modestie, car elle en est l'image, — Quelqu'un restait à la regarder, plein d'esprit
nigaud, — (8) De voir cela, émerveillé comme font les enfants encore au berceau. ——
Il se mettait à saliver quand la reine ouvrait la bouche, — À chacun des morceaux qui
entraient dans sa gorge, — (11) Se rassasiant bouche bée d'un regard envieux. —— Un
courtisan voyant telle face idiote — Lui dit : « Hola! Gardez votre bouche fermée, —
(14) Imbécile, les ortolans ne sont pas cuits pour vous ».)
Ce souper a lieu le 5 novembre 1600, le jour où Ruffi présenta sa « chanson » à
la reine (cf. XXXI). Il est donc vraisemblable que Ruffi a lui-même assisté à cette scène
dont il rapporte les détails les plus savoureux.
Les vers de ce sonnet sont des alexandrins. Les tercets présentent une forme
classique (ccd-eed).
v. 3 : cuous gras est une autre façon de nommer les ortolans.
v. 4 : coulans peut se comprendre de deux façons. La reine avale les ortolans par la bouche pour
les rendre « coulants », c'est-à-dire les faire glisser dans son estomac ou alors elle garde
longtemps les ortolans en bouche pour en garder le goût de « coula » que Mistral donne pour
« caler », « fixer » (cf. Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 602).
v. 7 : babagi que nous pouvons rapprocher de « babacho » que Mistral donne pour « nigaud »
(cf. Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 200).
v. 8 : raubit coumo fan grossolans est assez obscur. Nous pouvons comprendre raubit comme
« émerveillé » (cf. « ravit »). grossolans pose plus de problèmes : il nous faut peut-être
rapprocher ce mot de « croussoun » qui désigne un berceau (cf. Lou Tresor dóu Felibrige,
op. cit., tome 1, p. 681). Ce vers signifierait donc que le personnage regarde les ortolans avec les
yeux émerveillés d'un tout jeune enfant.
v. 9 : Le verbe badar a ici dans le même vers deux sens différents : « regarder avec envie »
(donc « saliver ») et « ouvrir la bouche ».
v. 11 : volontous désigne le regard de ce « badaire ». Ruffi note ici l'expression particulière qui
devait se lire sur sa face. Nous traduisons par « envieux ».
v. 14 : Durbeq est d'un emploi courant au XVIe siècle (cf. X, v. 7).
�XXXIII
[fo 76 r°]
CONTRE LES HUGUENOTZ
[1]
4
La voix que fit le tout de l'un et l'autre pole
Fit de rien tout ce tout en disant qu'il soit faict
Christ, fils de ceste voix ou la voix en effet
Nous a laisse son corps par sa seule parole.
8
Cesse donc Huguenot de dire en ton escole
Que Jesus a laisse ce propos imparfet
Veu qu'il dit : « C'est mon corps”, l'ayant dit il l'a fet,
Car toute verite reside en sa parole.
11
Or en ça tu es d'accord que Jesus tout peult,
Il1 a dit : « C'est mon corps”, or l'ayant dit le veult,
Et s'il le peult et veult ne tiens donc le contrere.
14
Car le propos de Dieu n'est jamais sans effet,
Il le veult, il le dit, s'il le veult il le fet,
Il l'a voulu et peu, il l'a fait, le faut croire.
[2]
4
8
1 "Et" biffé en début de vers.
Luter, Viret, Beze, Calvin
Ont renverse le droit divin,
Calvin, Luter, Viret, De Beze
Ont mis tout le monde en mal aize,
Beze, Luter, Calvin, Viret
Ont change tout le sainct decret,
Viret, Calvin, Beze, Luther
Et les leurs yront en enfer.
�Ce sonnet et ce court poème ne sont pas dénués d'intérêt. Ils témoignent de
l'engagement religieux de Ruffi et de son hostilité aux Réformés. Le poète marseillais se
place sur le terrain théologique et contredit les arguments des protestants, notamment
celui, sujet à discussion, de l'eucharistie. Nous ne pouvons dater ces poèmes. Ils sont
situés dans le manuscrit juste avant les sonnets dédiés à Louis XIII lors de la prise de La
Rochelle ; on peut donc penser qu'ils ont été écrits au début du XVIIe siècle.
Les vers du sonnet sont des alexandrins. Les rimes des tercets sont d'une
structure classique (ccd-eed). Le huitain est composé d'octosyllabes.
[1]
v. 1-4 : Dieu est représenté par la totalité (le « fourmaire de tout ») et la voix rappelant les
premiers mots de la Genèse et le Verbe de L'Évangile de Jean.
v. 11 et 14 : Remarquons la rime contrere / croire.
[2]
Il est évidemment question des principaux théologiens protestants : Martin Luther, Pierre Viret,
Jean Calvin et Théodore de Bèze.
�XXXIV
[fo 76 v°]
Sonet en l'honour das Santz
4
Los tormens inventas per l'armo abhominablo
Que fet rajar lo sang dau ventre maternau,
Ny das autres tyrans lo coteou criminau,
Non pogueron brechar vostro fe pardurablo.
8
Car en van taus malins d'uno ragi damnablo
Combation contro vous per so que l'eternau,
De son poble afflijat lo poissant gouvernau,
Soustenie contro tous vostro bando honorablo.
11
Et coumo1 los soldas d'un corasson mutin,
Afamas de la glori autant que dau butin,
Van prodigar son sang per n'aquistar memori,
14
Encar mious vautre avez vostre sang precious
Escampat en gagnant lo ceou tout glorious,
O Sants, joyssez donq de l'eternalo glori.2
Les tourments inventés par l'âme abominable — Qui fait verser le sang du ventre
maternel, — Ni le couteau criminel des autres tyrans — (4) Ne purent ébrécher votre foi
perpétuelle. —— Car en vain ces malins d'une rage damnable — Combattaient contre
vous parce que l'éternel, — Le puissant gouverneur de son peuple affligé, — (8)
Soutenait contre tous votre troupe honorable. —— Et comme les soldats d'un cœur
mutin, — Affamés de gloire autant que de butin, — (11) Vont verser leur sang pour en
acquiter la mémoire, —— Vous avez vous autres encore mieux versé — Votre sang
précieux en gagnant le ciel tout glorieux, — (14) Ô Saints, jouissez donc de l'éternelle
gloire.
1 "Si ben" biffé, "coumo" rajouté au-dessus.
2 Une première version de ce sonnet figure au fo 42 r°. Elle est fort raturée. Ruffi semble avoir directement travaillé
sur ce manuscrit. Nous ne pouvons établir des variantes précises, car la première version est très difficile à lire. Nous
proposons une lecture : « Aux Santz le premier novembre. — Lous tormens dau tyran d'invention execrable — Que
fet rougir lou sang dau sen dau costat maternau — Ny das autres tyrans lou couteou criminau — Non pogueron
brechar vostro fe venerablo. —— Car en van tous malins […] incurablo — […] l'eternau — […] gouvernau —
Soustenie tout puissant vostro bando honorable. —— E como lous soldas d'un courage mutin — De la glori afamas
autant que dau butin — Van prodigar son sang per t'en leissar memori. —— Vautres aves tanben vostre sang
preciuous — Escampat per gagnar lou ceou tout glorious — O sants joysses donc de l'eternalo glori. » Le premier
quatrain est réécrit et placé en fin de folio. Il est identique à la version définitive excepté le dernier mot du v. 4 qui est
dans la PV « inimitablo ».
�Ce sonnet a été écrit un premier novembre. Ruffi avait écrit une première
version qu'il a fortement raturé. La thématique exprimée ici est en accord avec les
poèmes précédents.
Les vers sont des alexandrins et les rimes des tercets construites sur le modèle
ccd-eed.
v. 4 : brechar, littéralement « ébrécher » (cf. « brecar »).
�XXXV
[SONNETS ADRESSES A LOUIS XIII]
Ces deux sonnets adressés à Louis XIII ont été certainement écrits peu de temps
après le siège de La Rochelle. Ce sont deux pièces classiques dans l'allégeance. On voit
pourtant y poindre une part de satisfaction devant le châtiment exercé à l'encontre des
Réformés. Dans le premier sonnet, Ruffi rappelle les efforts pour réduire la ville en
1572 et souligne, plus de cinquante-six ans après, la continuité de l'œuvre royale.
Ces deux sonnets utilisent des alexandrins et des rimes classiques (tercets sur le
modèle ccd-eed).
[fo 77 r°]
[1]
Souhait au roy Louis XIII pour
La Rochelle prinse le premier
novembre 1628
4
Fransso tristo en son cor de veire La Rochello
Escapado dau siege en l'an septanto dous,
Non poudent suportar rebelles ny traydous
A Jupiter au ceou va faire sa querello :
8
« Grand monarco celest de poissanto cervello,
Tu m'as despuy promes per ton oracle dous
Que domtariou ben leou aquest poble azardous.”
« Ouy” dis Jupiter, « vencras ta gent rebello
11
Quand cinquanto sieis ans dau siege li aura,
E que lou nom dau rey mesme nombre claura;
Coumo1 l'acte gloriuous futur de sa persouno
14
Lou fazent2 redoutat, son poble aura terrour,
Portant per l'univers uno pally tremour
Quouro LOVIS de Bourbon portara la corouno”.
1 "Car" biffé, "Coumo" rajouté en marge.
2 "fara" biffé, "fazent" rajouté au-dessus.
�France triste en son cœur de voir La Rochelle — Échapper au siège de l'an
soixante-douze, — Ne pouvant supporter rebelles ni traitres, — (4) Au ciel va chercher
querelle à Jupiter : —— « Grand monarque céleste au puissant cerveau, — Tu m'as depuis promis par ton doux oracle — Que je dompterais bientôt ce peuple hasardeux. » —
(8) « Oui » dit Jupiter, « tu vaincras tes rebelles —— Quand seront passés cinquante-six
ans après le siège — Et que le nom du roi renfermera le même nombre ; — (11) Comme
le futur acte glorieux de sa personne —— Le faisant redouté, son peuple aura terreur, —
Portant par l'univers une pâle crainte — (14) Lorsque LOUIS de Bourbon portera la
couronne ».
[fo 77 v°]
[2]
Au Roy
1629
4
Le grand Dieu qui t'a fait naistre grand roy de France,
O fluron des Bourbons, inimitable roy,
Veult qu'un autre Saint Louys soit regenere en toy,
Juste sur tous les rois qu'au monde ont eu seance.
8
Surmontant de Cesar la royale clemance,
De Tyte la douceur, d'Antoine la piete,
Et plus judicieux que Marcel n'a este,
Beaucoup et plus qu'Auguste orne de patiance.
11
On te craint roy heureux, belliqueus pour te rendre,
Victorieus plus grand qu'onc ne fut Alexandre,
Roy veritable et plus que Trayan toutesfois.
14
Bon, prudent, droicturier comme fut Louys douzieme,
O le royaume heureux d'avoir tel roy supreme,
Non moings pere que roy de son peuple gaulois.
[1]
v. 2 : La Rochelle échappa à de nombreux sièges pendant les Guerres de Religion. Elle fut
concédée aux Réformés et constituait une des quatre places fortes protestantes.
v. 9 : En ajoutant 56 à 1572 on obtient 1628, date du deuxième siège de La Rochelle.
v. 10 : Jupiter prétend que le nom du roi doit comporter le même nombre de lettres que son
chiffre dynastique. En effet, « Loys de Bourbon » compte treize lettres.
v. 13 : pally avec une voyelle atone féminine en i. Pour ce phénomène cf. VII, [2], v. 3
[2]
v. 3 : Louis XIII était surnommé Louis le Juste.
v. 6 : Tyte, Titus.
�v. 7 : Marcel, vraisemblablement Marc-Aurèle.
v. 11 : Trayan, Trajan.
v. 14 : Remarquons ici l'adjectif gaulois qui n'est pas neutre. On sait que toute une mythologie
historique s'était élaborée à partir des antécédents gaulois des Français. De la même manière, le
celtisme eut son heure de gloire chez certains grammairiens. Cependant en 1628 ces opinions
apparaîtraient comme dépassées. Ruffi fait simplement référence au passé de la France.
�XXXVI
[fo 78 r°]
Ung qui a chatie son vice
4
Ventre reconoissent son vici de naturo
Qu'en avalant per trop de l'oli de gaveou
Si troublavo lo sens, la testo e lo cerveou,
Si mostrant ridicule en sa laido posturo.
8
Un matin resolut, en sagi creaturo,
Fa vot que seguirie de l'aigo lo niveou,
Soleto la metent au ventre de noveou,
E puy v'a mantengut fins a la sepulturo.
11
Ventre, tu sies d'estimo e de cadun aymable,
Ton vici castigant en peno as lo semblable,
Car as en fermetat ton delici abatut,
14
Denembrant volontous lo nectar de la souco
Que per trop autros fes t'en emplies ben la bouco,
Qui castigo e conois son vici es grand vertut.
Ventre reconnaissant son vice de nature, — Car en avalant par trop d'huile de
sarments, — Il se troublait le sens, la tête et le cerveau, — (4) Se montrant ridicule en sa
laide posture. —— Un matin résolu, en sage créature, — Il fait vœu qu'il suivrait le
niveau de l'eau, — La mettant seule nouvellement au ventre, — (8) Et puis il l'a tenu
jusqu'à la sépulture. —— Ventre, tu es d'estime et aimable à chacun, — En châtiant ton
vice, tu as mis ton semblable en peine, — (11) Car tu as abattu avec fermeté ton délice,
—— Oubliant volontairement le nectar de la souche, — Dont autrefois tu te remplissais
bien la bouche, — (14) Qui châtie et connaît son vice est de grande vertu.)
Ruffi joue ici sur une situation ambiguë. Il s'agit certainement d'un nommé
Ventre qui « châtie » son vice, en occurence la boisson, ce qui permet un jeu entre le
nom de la personne en question et son propre ventre.
Les vers de ce sonnet sont des alexandrins et les rimes des tercets bâties sur le
même modèle classique (ccd-eed).
v. 2 : l'oli de gaveou, bien entendu le vin.
�v. 4 : Il s'agit ici du comportement ridicule de l'ivrogne.
v. 10 : Il faut comprendre ici que Ventre (la personne) a mis en peine son semblable (son ventre)
qui habitué au vin ne reçoit plus que de l'eau.
�XXXVII
[fo 78 v°]
3
6
9
12
15
18
21
24
27
30
33
Sus barbetos e barbez,
Venez, fe que v'atrobez,
A l'enterrar de Barboucho
E may de son fiou Brochon,
Que prez dau Mazeou Pichon
Los an fa morir de coucho.
Per anssin la maire e fiou
De la mort an pres lo friou,
Car cadun lous envejavo
De tan d'esperit qu'avion,
En tout quant qu'ellous faysion
Lo monde s'en estonavo.
Barboucho avie pron de sens,
Brochon non avie pas mens,
May ello debout danssavo
Embe crento e grand amour
E Brochon de gayo humour
En japant l'ostau gardavo.
Barboucho emb discrecion
Quant e quant fazie cession
D'uno cadiero quan sero,
Car nous vezent aflatar
Per aqui nos assetar,
Prest sautavo leou arriero.
Enca Brochon fazie may,
Car eou non leisset jamay
D'un pas sa bono mestresso
Si tenent d'ello fort prez,
Toujour lo mourre a sous pez,
Siege au sermon vo a la messo.
E quand vist non vous avie
D'uno houro, quan vous vezie
Incontinent grosso festo,
Millo sautz fazie volar,
�36
39
42
45
48
51
54
Dirias que voulie parlar
D'uno amour trop manifesto.
D'estre brut e ben fangous,
Lo mourre toujour mostous
Es veray, may non importo,
Parque pelous sur l'estiou
Vo tondut ben sutiou,
Hormis la coa qu'ero torto.
Quauqun tu sies qu'a gran tort
Lous as procurat la mort,
N'en privant mestresso e mestre1
Dau plazer qu'a[u]rion2 agut,
D'un barbet se siez mordut
D'enrrabi auras escaufestre.
Enfin per aquest maufach,
Tres cadeous privas de lach
De morir an pres la trasso,
Tan que sian deshonta
Das barbetz e sas bontas,
E n'aven perdut la rasso.3
Allons barbettes et barbets, — Venez pour que vous trouviez la foi — (3) À
l'enterrement de Barboucho, — Et puis de son fils Brochon, — Où près du Petit
Mazeau, — (6) Ils les ont fait mourir en peu de temps. —— Et ainsi la mère et le fils —
Ont emprunté le passage de la mort, — (9) Car chacun les enviait — Pour tout l'esprit
qu'ils avaient, — Quoi qu'ils faisaient, — (12) Le monde s'en étonnait. —— Barboucho
avait beaucoup de sens, — Brochon n'en avait pas moins, — (15) Mais elle dansait
debout — Avec crainte et grand amour, — Et Brochon en aboyant — (18) Gardait la
maison de bonne humeur. —— Barboucho avec discrétion, — Le soir, cédait — Vite
une chaise, — (21) Nous voyant nous approcher — Pour nous asseoir ici, — (24) Elle
sautait vite en arrière. —— Brochon faisait encore plus, — Car il ne lachait jamais —
(27) D'un pas sa bonne maîtresse, — Se tenant tout près d'elle, — Le museau toujours à
ses pieds, — (30) Que ce soit au sermon ou à la messe. —— Et quand il ne vous avait
pas vu — D'une heure, quand il vous voyait, — (33) Vite une grosse fête, — Il sautait en
l'air mille fois, — Vous diriez qu'il voulait parler — (36) D'un amour trop manifeste.
—— Il était sale et bien boueux, — Le museau toujours humide, — (39) C'est vrai, mais
il importe peu, — Parce que poilu en été — Ou tondu de façon subtile, — (42) Hormis la
queue qui était tordue. —— Toi ce quelqu'un, qui à grand tort — Leur a donné la mort,
— (45) En privant maîtresse et maître — Du plaisir qu'ils auraient eu, — Si tu es mordu
par un barbet, — (48) Tu auras peur d'attraper la rage. —— Enfin par ce méfait, — Trois
petits chiens privés de lait — (51) Ont pris le chemin de la mort, — Tant et si bien que
1 "mestre e" biffé avant "mestresso". "e mestre" rajouté en dessous.
2 Ruffi a écrit "arion" que nous corrigeons.
3 Ce poème est écrit sur deux colonnes. Les deux dernières strophes sont disposées en haut à gauche du folio.
�nous sommes couverts de honte — Pour les barbets et leurs bontés, —
avons perdu la race.
(54)
Et nous en
Ce poème évoque la mort de deux chiens (deux barbets) appartenant
vraisemblablement à Robert Ruffi. Ces deux chiens auraient été tués. Ruffi ne donne
pas le motif de ce geste ; il se contente de versifier sur les qualités respectives de ces
barbets.
Ce poème comporte des heptasyllabes formant des strophes de six vers (rimes
sur le modèle aabccb).
v. 1 : Le « barbet » est une race de petits chiens à poils longs.
Le poème commence par une adresse directe aux chiens, une personnalisation qui est totale dans
les vers suivants lorsque Ruffi invite les barbets à l'enterrement de Barboucho.
v. 2 : La foi se trouve en cet enterrement, car les chiens ont vécu en quelque sorte « comme des
saints ». Ces barbets sont des exemples pour leur race.
v. 5 : Il existait à Marseille une place du Petit Mazeau où se tenaient les abattoirs de boucherie.
Il s'agit là certainement d'une coïncidence !
v. 6 : de coucho, c'est-à-dire « à la hâte » (cf. III, v. 2 pour l'emploi de couchous) (cf. Mistral,
Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 590).
v. 8 : lo friou, terme maritime qui désigne la passe entre deux îles (cf. Mistral, Lou Tresor dóu
Felibrige, op. cit., tome 1, p. 1184).
v. 21 : quan sero, indique le soir. C'est le soir que se situe cette scène : le chien assis sur une
chaise laisse la place à son maître sans que celui-ci ait à le faire partir.
v. 34 : Nous ne pouvons pas garder cette séquence telle quelle en français. Nous préférons
indiquer la répétition des sauts (« mille fois ») et leur intensité (« en l'air »).
v. 37 : Estre brut, dont la forme indique une action durable dans le passé ne peut pas être
littéralement rendu en français. Nous lui subtituons un imparfait.
On dit en français : « crotté comme un barbet ». La saleté de ces petits chiens devait être
reconnue pour que Ruffi en parle et ne la démente pas.
v. 40-42 : Le portrait de ces chiens n'est guère avantageux. Ruffi a insisté dans les premières
strophes sur leurs qualités et leur gentillesse.
v. 43 : La lecture du premier mot de ce vers est difficile. Nous y discernons une contraction de
« quelqu'un ». Le « meurtrier » des chiens serait donc directement apostrophé. C'est ce même
« anonyme » à qui Ruffi souhaite d'être mordu et d'attraper la rage dans le dernier vers de la
strophe. Il faudrait donc comprendre Quauqun tu sies comme la marque de l'interpellation.
v. 52-54 : Il semblerait que Ruffi et les siens se sont couverts de honte, car il n'auraient pas pu
protéger les barbets ou, plus sûrement, en reprenant à leur compte le « crime » de leurs
semblables.
�XXXVIII
[fo 79 r°]
Advenu a nostre bastide 1631 le dimenche
6 juillet
3
6
9
12
15
18
21
24
Uno troupo d'Arquins aneron en bastido
Dins l'estable metent chivaux e cello e brido
Hormis un cavalot mes a l'er dau soleou,
Loqual au bout d'en pauc, sentent de calor forto,
Au contrari voulie sentir de calor morto
E vezent uno mino o caverno prez d'eou,
Si destaco, s'en va dintre de la caverno,
Penssant joyr dau fresc, e tanben si gouverno
Per anar trop avant que tombet dins un pous
Tout seq. E lou cercant per mena a l'abeuragi,
Non si trobavo en lueq, mes lo cavalot sagi
Si mete a endilhar per fa entendre sa vous.
En l'auzent, cadun courre enla devers la mino,
Au pous veon lo chivau reverssat sur l'esquino,
Tous rizon a plen coas d'aqueou tan fol hazart.
May question foguet puy de lo poder entraire;
La consulto si pren sur l'important afaire
Per gens ben entendus en touto causo d'art.
Un, lo plus courajous, dins lo pous va dessendre,
Senglo ben lo chivau d'un lanssou per lo ventre,
D'un gros liban l'estaco e los autre entre tous
Lo tiron de grand forsso, e aqueou d'alins riege
Lo darrie dau chivau lo plus fachous que siege,
Tant qu'enfin los Arquins l'an delieurat dau pous.
Une troupe d'Arquins allèrent à la bastide —Mettant dans l'étable chevaux, selles
et brides — (3) Hormis un petit cheval placé en plein soleil, — Lequel au bout d'un
moment, sentant la forte chaleur, — Voulait au contraire sentir une chaleur morte — (6)
Et voyant une cavité ou une caverne près de lui, —— Se détache, s'en va dans la
caverne, — Pensant jouir du frais et entreprend aussi — (9) D'aller trop loin, car il tomba
dans un puits — À sec. Et en le cherchant pour l'abreuver, — On ne le trouvait nulle
part, mais le sage petit cheval — (12) Se met à hennir pour faire entendre sa voix. ——
�En l'entendant, chacun court là bas vers la cavité, — Ils voient le cheval dans le puits
renversé sur le dos, — (15) Tous rient à gorge déployée de ce si fol hasard. — Mais il fut
ensuite question de pouvoir le sortir ; — Une réunion a lieu sur l'importante affaire —
(18) Entre gens bien avisés en toute chose d'art. —— L'un d'entre eux, le plus courageux,
descend dans le puits, — Il sangle bien le cheval d'un drap sous le ventre, — (21) Il
l'attache avec une grosse corde et les autres, tous ensemble,— Le tirent avec grande
force et celui qui est en bas dirige — Le derrière du cheval, le plus fâcheux qu'il soit, —
(24) Tant et si bien que les Arquins l'ont délivré du puits.
La relation de cet incident champêtre, qui n'est pas dénuée d'humour, constitue
un poème isolé dans le manuscrit. Ruffi est ici totalement inséré dans la littérature
occitane de son temps; Bellaud de la Bellaudière et Pierre Paul sont friands de telles
anecdotes savoureuses que la fable reprend quelques années plus tard en les amplifiant
d'un regard critique et d'un jugement moral.
Ce poème est composé d'alexandrins formant des strophes de six vers aux rimes
aabccb.
v. 1 : Les Arquins rappellent évidemment le nom donné par Bellaud de la Bellaudière à la
troupe d'amis qui l'entourent. Il semble donc que ce nom soit d'un usage courant en ces années.
Son étymologie prête à discussion : il est cependant vraisemblable que sous une double
référence guerrière et érotique, nous puissions y voir une reprise d'une thématique
chevaleresque contrefaite par l'ironie perçante des sociétés « bachiques ». Arquins évoque en
effet l'archer, mais aussi Cupidon et par extension une métaphore des possibilités viriles. Ruffi
récupère donc un mot usité ; il fait ici référence à une société regroupée dans sa bastide, mais
dont il ne semble pas être le centre. Il est vrai que nous lisons ici un poème de la vieillesse,
Ruffi avait alors quatre-vingt-neuf ans.
v. 3 : a l'er dau soleou, c'est-à-dire « en plein soleil » ce qui explique que le cheval recherche de
l'ombre.
v. 5 : Nous gardons l'expression « chaleur morte » qui nous paraît imagée et qui s'oppose, tant à
la rime que par le sens, à calor forto.
v. 14 : veon cf. « vèson », avec disparition du s intervocalique, phénomène très fréquent à
Marseille. Signalons que rizon au vers suivant ne connaît pas le même traitement.
v. 15 : coas cf. « còl ». La forme marseillaise la plus courante est [kwele] avec diphtongaison du
o tonique et e de soutien. Il existe également les formes [kwej] et [kwe]. Nous pouvons
toutefois nous interroger sur la graphie de coas. Ne pourrait-on pas y voir une confusion avec
coa (« queue ») également prononcé [kwe] à Marseille (cf. coa en XXXVII, v. 42).
v. 19 : On peut se demander si va dessendre n'est pas un prétérit périphrastique composé avec
anar au présent suivi d'un infinitif, passé très usité en catalan et qui existait en ancien occitan
(cf. Robert Lafont, « Reflexions sobre lo perfach perifrastic amb anar en catalan e en occitan »,
Estudis romànics, XII, Institut d'Estudis Catalans, décembre 1970, Barcelone, p. 271-277).
v. 21 : Un liban est une grosse corde de marin. On désigne également par ce terme les cordes
des puits, ce qui dans ce cas s'impose.
v. 22 : riege cf. « regís », forme marseillaise de la troisième personne du présent.
v. 23 : La position de l'Arquin descendu dans le puits n'est guère avantageuse. On peut y deviner
une allusion scatologique.
�XXXIX
DE VILHESSO
L'état de vieillesse, physique et psychique, a souvent été évoqué par les poètes
de la Renaissance. On se souvient de l'admirable « Je n'ay plus que les os, un Schelette
je semble » des Derniers Vers de Ronsard, mais au-delà de ce sonnet remarquable, la
vieillesse constitue un sujet de prédilection : poèmes satiriques ou décrivant les misères
de la vieillesse, tous reflètent une impuissance et une peur devant la déchéance physique
et morale. Les réponses nous semblent être de trois ordres. L'ironie et la moquerie
constituent parfois un moyen flagorneur d'évacuer une angoisse sur le portrait de l'autre,
de railler ce soi-même qui ne tardera à ressembler à l'objet du poème. La plainte et la
description de cette déchéance situent le sujet-écrivant au centre de la thématique,
développant la permanence du Je-écrivain dans les moments les plus douloureux. Enfin,
une troisième réponse, résolument religieuse, n'écarte pas les manifestations de la
déchéance, mais envisage la vieillesse comme un don de Dieu et le moment de la vie où
l'on doit se rapprocher des préceptes divins. C'est dans cette troisième optique que se
situe Ruffi. Il est en cela fidèle à son « engagement » religieux et pour lui la vieillesse
n'est qu'une étape vers la gloire éternelle. Cependant des effets réalistes accompagnent
cette résolution chrétienne : énumération des maladies diverses de la vieillesse (parmi
elles les gouttes et gravelles), caractères difficiles des personnes âgées, conseils pour
bien se comporter… Cette vieillesse est donc pas entièrement tournée vers une
rédemption et une soumission totale aux enseignements du Seigneur. Ce poème est
vraisemblablement l’un des derniers de Ruffi. Nous savons que le message religieux
traverse toute son œuvre, mais certains détails vraisemblablement biographiques nous
indiquent qu'il s'agit de derniers vers accompagnant dans le manuscrit un texte de
circonstance (XXXVIII) et une Paraphrase sur le Pater (XL) aux accents ultimes.
Ce poème est composé par des alexandrins ordonnés en rimes plates (l'alternance
féminine masculine généralement est bien respectée).
[fo 79 v°]
De Vilhesso
4
L'home viel que de Diou ten uno longo vido
Deou pensar a la mort qu'a tout houro l'envido
E non la cregne pas ny may la desirar,
Surtout de ben morir aqui deou aspirar
E non prendre jamay per aquo ges d'alarmo,
May ben toujour penssar au salut de son armo,
Car en morent passan a l'immortalitat,
�8
12
16
20
24
Autant jouves que viels de touto qualitat.
Ben ero fou aqueou que la mort l'estonavo,
Quand vezie348 porta un mors fugie e s'en anavo,
Non si volent trobar en ges d'enterrament,
Non pas mesme parlar de la mort solament.
May quand Diou graci fa de venir en vilhesso
A l'home que li plas, si conois qu'en joynesso
Age fach gros pecat que li porte langour,
Deou reconoisse Diou vite sensso longour,
Recercant encar mious ce qu'a fach en sa vido
Enterin qu'a legour, e son bon sens l'envido,
Confez e repentent n'en demanda pardon
Au segnour que li a fach de vilhesso lo don,
Car coumo349 tout bon, a misericordi grando,
E au cor ben contrit douno ce que demando,
Si ben qu'un pecadour reduch vray penitent,
As angis porto gauch e lo ceou n'es content.
[fo 80 r°]
28
32
36
40
44
48
52
348 "pas" biffé à la suite.
349 "de" biffé à la suite.
May lo viel que voudra vieure bon, just au monde
Lo resto de sous ans, plus non fau que si fonde
En negocis, traffeqs, ny de faire plus ren
Sinon que servi Diou que li fa tan de ben,
Car lo traffeq mondan tout l'esperit emporto
E fa la devocion glassado e mitat morto,
Perque touto houro avez au negoci lo cor
E lo cor animat la subre son tresor.
Plus deou remercia Diou qu'au long agi que passo
Li fa de sous enfans veire la tersso rasso;
Au demourant lo viel resto pauc estimat,
E parmy lo comun de pauc de gens amat,
Car si ben es per l'eagi embugat d'experiensso,
L'on dis tout court que revo e qu'a oblidat la sciensso,
Pauc de conte s'en fa, como s'ero un rocas,
Ben que foasso beson de quauque important cas,
Car pot parlar segur de touto causo antiquo
Qu'aura experimentat de fort longo pratiquo,
Per donar bon consseou e qui n'en doutara,
Sinon qu'un jouve hardit que li contrestara.
May qui balanssara la favour d'un long eagi
As incomoditas e das tormens l'usagi
Que vilhesso produs au paure cors human?
May li vaudrie morir aujourd'uy vo deman,
Estent d'agi viril, de mort comuno e puro,
Plutost qu'en velhissent patir outro mesuro
Tan de maus e dolors per diverssos fassons
Que lo cors es suget en tout temps e sezons ,
�[fo 80 v°]
56
60
64
68
72
76
80
Coumo dirias de gouto a touto gent crudello
Vo ben qu'es tout autant dau mau de la gravello :
Sciaticos, frejours e grans defluxions,
D'asmatico dolour e autros passions,
De non poude aurinar per la peiro tan grevo
Qu'au periou de la mort comunoment si levo.
Quantous aveugles, sours qu'es uno grand pietat
De si trobar privas d'humano societat,
Patissent enfro cor tan grevo solitudo
Que li fa desirar la celesto habitudo.
Coumo aussi n'y a que soun de tout despoderas
Per plagos e frejours au cors, cambos e bras,
E per dolours coraus nuech e jour n'an sentido,
Per tout pegomassas, la persouno espautido,
Coumo aussi d'autres maus que podoun enseguir,
Que fan sensibloment l'armo e lo cors languir,350
Si ben qu'es un grand cas tant de maus qu'enduro
Anssin diversoment la debilo naturo.
May non fau murmurar contro Diou per lo mau,
Car sarie gros pecat e un tret d'animau,
E nous fau tous patir au monde transitori
Per possible passar aqui son purgatori.
Quant a las condicions das viels, son quasi tous
Chagrinous, bruts, renous, fort greous e suspichous,
Coleres volontous, confis en avarici,
Fantaumous, despichous, conterrole de vici,
E n'y a que per vouler faire dau trop galhart,
Prenon lo cop mortau vo li passon l'azart,
[fo 81 r°]
84
88
92
96
Car si gouvernant mau en l'ordre de naturo,
Cambion l'aagi futur per uno sepulturo.
Au resto fau penssar que aquellos plus ajas
Si trobon trop contens d'estre ben flatejas
E enbe aqueou351 semblant de li faire amistansso,
De son ben un flatur comunoment s'avansso.
Enfin n'y a qu'an donat aquest ensegnoment
Que deou tenir lou viel per vieure sanoment,
De faire quouro pot un honest exercissi,
Sa semensso gardar que condus en gros vici,
Deou prendre son repas sensso si sadolar,
De medecino ges au cors non avalar,
Aussi non deou jamay si faire ubrir la veno,
Fugir lo marrit aer que malautiez ameno,
Surtout si deou gardar de touto tombaduro,
Dau gros frech e dau vent que sovent l'on enduro.
350 "patir" biffé, "languir" rajouté en dessous.
351 PV : E fent anssin", tout est biffé sauf "E". "Enbe aqueou" rajouté au-dessus.
�100
104
108
E qui gardara eisso e d'hivert e d'estiou,
Lo vilhard vieura san, may que sierve ben Diou.
May enbe tout aquo, puys que non saben l'houro,
E que la mort au viel a tout moment labouro,
Leissant aquello reglo e doct ensegnoment,
Fau delojar quan Diou fa lo comandament
E toujour si nembrar d'aquesto bello sciensso,
D'aver touto afflixion e traversso en patiensso,
Aussi de touto injuro, tors e adversitas
Qu'a bon drech l'on suffris per causo das pecas,
Sur tout de ben morir fau aver la memori
Per estre colloquas a l'eternalo glori.
De la Vieillesse. —— Le vieil homme qui tient de Dieu une longue vie — Doit
penser à la mort qui à toute heure l'invite — Et ne pas la craindre, non plus la désirer, —
(4) Il doit surtout aspirer là à bien mourir, — Et ne jamais s'alarmer pour cela, — Mais
bien penser toujours au salut de son âme, — Car en mourant nous passons à
l'immortalité, — (8) Aussi bien jeunes que vieux, de toute qualité. — Il était bien fou
celui que la mort étonnait, — Quand il voyait porter un mort, il s'enfuyait et s'en allait,
— Ne voulant se trouver à aucun enterrement, — (12) Ne pas même parler seulement de
la mort. — Mais quand Dieu accorde la grâce d'atteindre la vieillesse — À l'homme qui
lui plaît, on sait que dans la jeunesse — Il a fait un gros péché qui lui procure langueur,
— (16) Il doit vite reconnaître Dieu sans attendre, — Recherchant encore mieux ce qu'il
a fait dans sa vie, — Cependant qu'à loisir, et son bon sens l'invite, — Ayant avoué et
repentant, à en demander pardon — (20) Au seigneur qui lui a fait le don de vieillesse, —
Car tout à fait bon, à grande miséricorde, — Et au cœur bien contrit, il donne ce qu'il
demande, — Si bien qu'un pécheur changé en un vrai pénitent — (24) Apporte de la joie
aux anges et le ciel en est content. — Mais le vieux qui voudra vivre bon, juste au
monde — Le reste de ses ans, il ne faut plus qu'il s'occupe — De négoces, trafics, ni de
faire plus rien — (28) Sinon que de servir Dieu qui lui fait tant de bien. — Car l'activité
mondaine emporte tout l'esprit — Et rend la dévotion glacée et à moitié morte, — Parce
que vous avez à toute heure le cœur au négoce, — (32) Et le cœur animé au-dessus de
leur trésor. — Il doit en plus remercier Dieu de lui faire voir — Au long âge qui est le
sien la troisième race de ses enfants ; — Au demeurant le vieux reste peu estimé, — (36)
Aimé de peu de gens parmi la communauté, — Car bien qu'il soit rempli d'expérience
par l'âge, — On dit tout court qu'il rêve et qu'il a oublié la science, — On n’en tient pas
compte, comme s'il était un rocher, — (40) Bien que l'on puisse en avoir besoin pour
quelque affaire importante, — Car il peut sûrement parler de toute chose antique —
Qu'il aura expérimenté de fort longue pratique, — Pour donner un bon conseil et qui en
doutera, — (44) Sinon un jeune hardi qui y trouvera contestation. —— Mais qui mettra
en balance la faveur d'un long âge — Avec les incommodités et l'effet des tourments —
Que la vieillesse donne au pauvre corps humain ? — (48) Il vaudrait mieux mourir
aujourd'hui ou demain, — Étant d'âge viril, de mort commune et pure — Plutôt qu'en
vieillissant souffrir outre mesure — De tant de maux et de douleurs de diverses façons
— (52) Dont le corps est sujet en tous temps et saisons, — Comme la goutte
qu'attraperait toute cruelle personne — Ou bien ce qui est tout comme le mal de la
gravelle : — Sciatiques, refroidissements et fluxions, — (56) Des douleurs asthmatiques
�et autres passions, — De ne pas pouvoir uriner à cause de la pierre si dure — Qui
s'évacue communément au péril de la mort. — Combien d'aveugles, sourds, c'est une
grande pitié — (60) De se trouver privés de la société humaine, — Souffrant dans le
cœur une si grave solitude — Qui leur fait désirer l'habitude des cieux. — Combien y
en a-t-il aussi qui sont complètement diminués — (64) Par les plaies et froideurs au
corps, jambes et bras, — Et ils se ressentent nuit et jour de douleurs au cœur, — Des
emplâtres de tous côtés, la personne meurtrie, — Comme aussi d'autres maux qui
peuvent suivre, — (68) Qui font sensiblement languir l'âme et le corps, — Si bien que
c'est une grande chose tous les maux qu'endure — Ainsi diversement la nature débile.
— Mais pour le mal, il ne faut pas murmurer contre Dieu, — (72) Car ce serait gros
péché et un trait d'animal, — Et il nous faut tous souffrir au monde transitoire — Pour
avoir la possibilité de passer ici son purgatoire. — (76) Quant aux conditions des vieux,
ils sont presque tous — Maussades, sales, râleurs, très pénibles et suspicieux, —
Volontairement coléreux, remplis d'avarice, — Fantomatiques, capricieux, compagnons
du vice, — Et il y en a pour vouloir trop faire le gaillard — (80) Qui prennent un coup
mortel ou survivent par hasard, — Car en se comportant mal en l'ordre de nature, — Ils
échangent l'âge futur pour une sépulture. — Au demeurant il faut penser que les plus
âgés — (84) Se trouvent trop contents d'être bien flattés, — Et avec cette feinte de leur
faire amitié, — Un flatteur s'approche communément de leur bien. — Il y en a enfin qui
ont donné cet enseignement — (88) Que doit tenir le vieux pour vivre sainement, — De
faire quand il peut un exercice honnête, — Garder sa semence qui conduit en gros vice,
— Il doit prendre son repas sans manger tout son soûl, — (92) Ne doit pas avaler de
médecine pour le corps, — Il ne doit aussi jamais se faire ouvrir la veine, — Fuir le
mauvais air qui amène des maladies, — Il doit surtout se garder de toute chute, — (96)
Du gros froid et du vent que l'on endure souvent. — Et celui qui gardera cela et l'hiver
et l'été, — Vivra vieillard et sain, pourvu qu'il serve bien Dieu. — Mais avec tout cela,
puisque nous ne connaissons pas l'heure, — (100) Et que la mort laboure tout le temps
pour le vieux, — Laissant cette règle et docte enseignement, — Il faut laisser la place
quand Dieu donne le commandement, — Et toujours se souvenir de cette belle science,
— (104) D'avoir toute affliction et obstacle en patience, — Aussi de toutes injures, torts
et adversités — Dont on souffre à bon droit à cause des péchés, — Il faut surtout avoir
la mémoire de bien mourir — (108) Pour être réunis à l'éternelle gloire.
v. 2 : envido, forme marseillaise pour « envito » selon Mistral (cf. Lou Tresor dóu Felibrige,
op. cit., tome 1, p. 957).
Remarquons dans ce vers la synalèphe entre tout et houro. Elle est marquée par l'absence du o.
Elle est également présente au v. 31 dans la même forme, mais le o est graphié.
v. 4-6 : La morale religieuse de Ruffi détermine complètement le comportement souhaité dans
la vieillesse. Dès les premiers vers, il s'agit de se préoccuper du salut de son âme et d'apprendre
à bien mourir.
v. 9-12 : Il s'agit en quelque sorte d'apprivoiser la mort, de la reconnaître comme œuvre de Dieu
et de ne pas fuir son image. Celui qui essaie de repousser cette idée est tout autant condamnable
que celui qui la désire.
v. 14-15 : La vieillesse ne serait pas un phénomène normal, car elle sépare l'homme de son
créateur. Ruffi en déduit donc qu'un gros péché a été commis pendant la jeunesse et que Dieu
laisse à l'homme le temps de se racheter. Ruffi étant mort à 94 ans, on peut penser qu'il se
destinait également cette réflexion. De quel péché s'agit-il ? Aucune indication biographique ne
peut nous permettre de le découvrir.
�v. 19 : confez désigne une personne qui a avoué ses crimes (ici ses péchés). Nous ne pouvons
traduire littéralement par « avouant » qui indique que l'aveu n'est pas tout à fait accompli. Nous
préférons y substituer une construction avec le participe présent de avoir : « Ayant avoué ».
demanda, pour « demande », le a graphiant ici la voyelle féminine atone finale.
v. 23 : reduch dans le sens de « changé », « devenu ».
v. 26 : Lo resto de sous ans, ce qu'il lui reste à vivre avant sa mort.
v. 27-28 : Il faut donc abandonner toute activité commerciale qui pour Ruffi semble
incompatible avec une rédemption possible. Dans ces vers, la vieillesse ressemble à une retraite
spirituelle qui doit permettre le rapprochement avec Dieu. Réminiscence de certains textes
évangéliques (les marchands du Temple notamment), la condamnation du commerce, des
« trafics » et donc de leur profit est effective pendant la vieillesse, mais ne touche pas l'activité
de toute une vie. C'est le moindre mal dans une cité qui fonde son existence sur ces pratiques.
v. 29 : traffeq a ici le sens « d'activité ». Cette activité mondaine est donc tout ce qui a trait à
l'établissement d'un bon négoce. On peut également se demander s'il ne s'agit pas là d'une
condamnation des activités d'influences politiques que les marchands marseillais ont tissé
pendant tout le siècle. La vieillesse serait donc le temps de quitter ce genre d'occupations qui ne
sont guère compatibles avec une vie spirituelle.
v. 31-32 : Ces deux vers sont difficiles à comprendre. Il faudrait penser que les activités
commerciales font perdre toutes notions humaines, particulièrement celles du « cœur ». Le cœur
des négociants ne peut donc s'animer (c'est-à-dire battre réellement) « qu'au-dessus de leur
trésor », en fonction de ses profits et bénéfices.
v. 34 : la tersso rasso, c'est-à-dire la troisième descendance, les petits-enfants.
v. 39 : L'image du vieux comme un rocher n'est pas exploitée, seulement évoquée dans ce vers.
L'ensemble du poème développe un discours moralisateur et Ruffi semble, comme en d'autres
endroits, fuir les métaphores qui néanmoins, héritage intertextuel, s'imposent parfois.
v. 40-43 : L'expérience de la vieillesse est ici évoquée. Elle doit servir dans quelques affaires ; il
s'agit surtout d'une expérience liée aux choses de la vie, empirique et désordonnée, mais qui
témoigne d'un savoir proche de la sagesse. Seul donc un jeune inconscient et hardi peut
contester et mépriser cette expérience. Ruffi fait-il allusion ici à un fait précis ? N'oublions pas
que son petit-fils Antoine se sert des écrits de son grand-père pour écrire son histoire de
Marseille. Il s'agit là d'une transmission du savoir à laquelle le poète a pu assister sur la fin de sa
vie.
v. 44 : La forme « countresta » pour « countesta » est donnée comme marseillaise par Mistral
(cf. Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit., tome 1, p. 632).
v. 48-70 : Ruffi évoque dans ces vers les diverses maladies qui affectent la vieillesse. Il ne se
livre cependant pas à une description détaillée de tel ou tel aspect physique, mais en reste à des
significations générales : maladies communes à son époque comme la goutte ou la gravelle,
refroidissements et autres douleurs.
v. 49 : L'age viril est celui de la pleine force de la virilité, ce que l'on appellerait aujourdhui la
force de l'âge. Ruffi souhaite donc une mort commune et pure, c'est-à-dire nette et tranchée
plutôt que les manifestations de la déchéance physique dont il souffre certainement.
v. 53: Le vers est difficile à comprendre. dirias a certainement ici le sens de « attrapper » ou
même « envoyer » ou « souhaiter ». La goutte, maladie qui faisait réellement souffrir en
l'absence de traitement sérieux, est donc destinée aux personnes cruelles. Mais de qui s'agit-il
exactement ? La goutte était souvent associée aux tempéraments coléreux et nerveux, à la bonne
nourriture et aux natures bien pourvues. Une sorte de prédestination « goutteuse » plane alors
sur ces sujets. Madame de Sévignée parle dans une de ses lettres d'une goutte « méritée »,
faisant certainement allusion à un comportement particulier. Ruffi fait peut-être allusion à tout
cela pour la goutte et la gravelle dans le vers suivant, maladies graves et handicapantes, que l'on
ne devrait même pas souhaiter à ses pires ennemis.
v. 56 : passions, évidemment dans le sens de « souffrances », rappelant la Passion du Christ.
v. 58 : Cette évocation de la « pierre » est empreinte de vérité. Songeons à Montaigne et à ses
perpétuelles souffrances.
�v. 61 : enfro cor, dans le cœur, que nous retrouvons en VII, [9], v. 4 (sous la forme enfre).
v. 62 : la celesto habitudo, que l'on peut comprendre de deux façons différentes. Le sens de
« habitude » peut être proche de celui de « compagnie ». Les vieux désirent ainsi avoir
l'habitude de la fréquentation des cieux (c'est-à-dire la mort), car ils sont privés de toute
communication. « habitude » est aussi un terme d'histoire naturelle qui possède un sens proche
de celui de « conformité » ou de « configuration ». Les vieux désireraient alors se rapprocher de
la « configuration céleste ».
v. 70 : la naturo debilo, c'est-à-dire « la nature qui manque de force physique », au sens premier
de debilo.
v. 71-72 : Il ne faut pas imputer toutes ces maladies et toutes ces difficultés à Dieu et donc ne
pas « parler » contre lui. Le faire serait un trait d'inhumanité, ce que Ruffi relève par animau.
v. 74 : possible ne peut être rendu littéralement. L'adverbe issu de cet adjectif n'existant pas,
nous recourons à « avoir la possibilité ».
v. 75-82 : Ruffi évoque ici les caractères de la vieillesse et dresse un portrait qui n'est guère
avantageux : maussades, sales, râleurs…
v. 76 : greous ici dans le sens de « pénibles » (cf. Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, op. cit.,
tome 2, p. 95).
v. 78 : conterrole, cf. « conteirau » qui désigne un « compatriote ». Nous traduisons ici par
« compagnon ». Mistral donne à ce terme un emploi vieilli (cf. Lou Tresor dóu Felibrige,
op. cit., tome 1, p. 631). Nous pouvons également nous demander s'il ne s'agit pas d'une forme
dérivée de contaire, ce qui signifierait alors « conteur de vices », exprimant les nombreux ragots
sur la sexualité que les vieux colporteraient.
v. 80 : Nous comprenons par li passon l'azart que les vieux qui se veulent trop gaillards (sousentendu qui se comportent comme des jeunes), survivent un peu par hasard. C'est semble-t-il sur
un coup de dés que se joue leur vie.
v. 82 : aagi compte pour deux syllabes.
v. 83-86 : Dans ces quatre vers, Ruffi évoque les flatteurs qui profitent de la vieillesse pour
s'attribuer les biens d'une personne.
v. 90 : La vieillesse est évidemment un âge où l'abstinence sexuelle est totalement
recommandée. Cette recommandation tranche avec un sonnet de Pierre Paul écrit dans les
dernières années de sa vie et qui regrette amèrement ses défaillances physiques : « Vont es anat
lou tens qu'you anavy et tournavy — Uno lego et mais douos et puis la revessavy — Et jusques
a sinq fes nous louchavian touy dous. —— Atendent lou dinar, lo pichot mout de rire, — La
belo my peyssie, puis apres d'un fou rire — My dize : « Mon Amour, qu'you patissy per vous.
— Fes quan pourres » (L'Autounado, op. cit., p. 83-84, fo cxvii r°).
v. 93 : Ruffi ne recommande pas la saignée fort pratiquée en ces temps.
v. 95 : tombaduro désigne une chute ou, dans un autre emploi, la tombée du grand froid et du
vent.
v. 100 : Il s'agit d'une image commune. À côté de la mort faucheuse, la mort acomplissant sa
tâche comme un laboureur trace son sillon.
v. 104 : traversso, dans le sens d'obstacles qui peuvent se mettre en travers de la route
préalablement tracée.
v. 107-108 : C'est donc la rédemption finale qui permet au vieillard de se trouver auprès du
seigneur et être réuni à ses semblables dans la gloire éternelle.
�XL
PARAPHRASE SUR LE PATER
Cette paraphrase du Pater est ordonné en douze poèmes de longueurs différentes
qui reprennent une séquence de l'oraison dominicale. Seul le premier poème se détache
quelque peu de cet ensemble, figurant une introduction, guide de lecture qui justifie
l'écriture par l'importance du Pater. Ces douze poèmes s'inscrivent pleinement dans un
vaste ensemble religieux qui traverse tout le manuscrit. Les positions théologiques de
Ruffi sont ici encore une fois affirmées ; l'hostilité à la Réforme est totale avec
notamment quelques vers sur le mystère de l'Eucharistie que le poète marseillais entend
placer en juste lieu.
Ces poèmes utilisent des alexandrins et des rimes plates avec alternance
masculine / féminine.
[fo 81 v°]
Paraphrase sur le Pater
[1]
4
8
12
16
20
Graces nous te rendons homme Dieu rédempteur
De nous avoir apris comme legislateur
La divine oraison saincte dominicale
Pour vers le ciel d'amour tres cordiale
Voire avec saincte ardeur & pur entendement,
Comme doibt tout expres fere tres humblement
Pour impetrer des dons de l'eternelle grace
& de nos justes vœus leur entier efficace,
Mesme du necessere au jour & lendemain
Soit en terre & au ciel pour l'ame & corps humain.
C'est l'oraison qu'en foy toutes autres excede,
Car aussi du sauveur & de sa vois procede,
Breve elle est, mais profonde en son sens hautement
Et telle Dieu la veult, car parler longuement
N'est par luy accepte, veu qu'avant la priere
Il scait ce que voulons & de quelle maniere.
Aussi le sage dit en termes judicieux
Que la breve oraison va penetrant les cieux,
Comme encor le sauveur par parole autentique
Nous deffend de prier comme la gent etnique
�Qui pour beaucop parler cuydoient estre exaucez,
Mais Dieu ayme les cueurs humbles & abessez.
[2]
Pater Noster
4
Il nous permet tout bon l'apeller Nostre Pere
Par privilege grand d'une vie prospere.
C'est la ou l'oraison prend son commencement
& qu'il fault proferer tres atentivement,
D'un cueur vif sans desdain, toute hayne mise arriere,
A toute heure & moment pour devote priere,
[fo 82 r°]
8
12
Reconoissant qu'il a un vray paternel soing
De son peuple en tout temps leur aidant au besoing
Jusques a nous conduire en la beatitude
Tant qu'il a de nous tous pleinte, solicitude,
Veu qu'au monde nous a par sa bonte creez
& veult comme tout bon que soyons tous sauvez,
Il fault donc luy porter filiale obeissance
Pour captiver du pere en nous la bienveillance.
[3]
Qui es[t] in celis
4
8
12
On reconoit icy un nom particulier
Qui es[t] car, car c'est de Dieu le vray nom peculier,
De Moyse on l'aprend, lors qu'allant Egipte
Pour fere delivrer le peuple ysraelite
Comme de l'eternel luy estoit commande,
Il luy dit : « O seigneur, s'il m'estoit demande
Par le roi pharaon qui les tient en servage
Le nom de celluy-la qui m'envoye au message,
Dy-le moy?” Dieu respond : « Ta vois ainsy dira
Celluy m'envoye a toi qui est & qui sera
En un estre toujours sans aucun changement,
Sans passe, sans futur, fin ny commencement.”
[4]
In celis
�In celis, c'est de Dieu l'eternelle France,
Lieu ou nous aspirons et git nostre esperance.
[5]
Sanctificetur nomen tuum
Vostre tres haut nom est au ciel sanctifie
Et par nous humblement creint & glorifie.
[fo 82 v°]
[6]
Adveniat regnum tuum1
4
Seigneur vostre royaume a nous par vous advienne
& vostre sauvegarde a tous pecheurs subvienne;
Il n'est pas dit que nous au royaume advenions,
Car de le meriter par quelconques actions
Ne se peult ny acquerir sans la misericorde
Du tres haut qui tout juste a qui veult il l'acorde.
[7]
Fiat voluntas tua sicut
in celo & in terra
4
8
En fiat souhaitons que comme dans les cieux
La triomphante Eglise au trhone glorieux,
Joyt heureusement d'une gloire abondante
Que par bonheur vers nous l'Eglise militante
Regne avec pieux devoirs agreables a Dieu
& par le Sainct-Esprit exaltee en tout lieu
Et que le peuple en terre, au seigneur obeisse
Comme les anges font au celeste exercisse.
[8]
Panem nostrum quotidianum
da nobis hodie
C'est le bien de nature au pain que demandons,
1 Après ce titre, un vers est biffé, presque identique au v. 1 de [5] : "Votre tres grand nom est au ciel sanctifie". Ruffi
sépare ce vers des suivants par un trait horizontal.
�4
8
Mais pain dépend de Pan, mot grec comme entendons
Qui signifie Tout, si qu'en nostre priere
Le pain comprend ce tout que nous est necessere;
Voire nous demandons de ce pain triplement,
L'un est le materiel d'ordinere aliment
& l'autre spirituel de penittence austere,
Pour tiers le consacre au tres divin mistere
De l'eucharistie saincte et le pain vif du ciel
Qui nos amis norrit & non le materiel.
[fo 83 r°]
[9]
Et dimitte nobis debita nostra
sicut et nos dimitimus debitoribus
nostris
4
8
12
A Dieu nous demandons que noz pechez pardonne
& misericordieux point ne nous abandonne,
Tout ainsi comme nous d'un cueur vif & serain,
Pardonner nous devons tous a nostre prochain
De toute injure & tort & fut-il grieve offance,
Mais l'homme impatient contre ceste creance
Ne peult souffrir un mot a peyne injurieux,
Veu qu'aussitost colere a demy furieux
A la vengence court & souvent par les armes
Reuscit du malheur de perdre corps & ames,
Mais celluy qui tout voit, pardon ne leur fera,
Car si ne pardonnons, Dieu ne pardonnera.
[10]
Et ne nos inducas in tentationem
4
8
Nous souhaitons des maulx & perils precaution
Et de ny estre enclins par vicieuse action,
De poinct n'estre harcelez par tentation mauvaise
Qui coustumiere vient quand sommes plus a l'aise,
Mais si elle advenoit lors fermes en vertu,
Resistions constamment plustost qu'estre abatu,
Car Dieu ne permet pas que tentation aucune
A plus que ne pouvons nous puisse estre importune.
[11]
�Sed libera nos a malo
Delivrez-nous des maux qu'avons bien merite
& du grand ennemy de toute2 verite.
[fo 83 v°]
[12]
Amen
4
Amen veult qu'ainsi soit et selon nostre espoir,
Qu'il plaise au tout puissant de le nous fere avoir,
Au plus qu'il verra juste en nostre priere
Et que sa saincte paix ne demeure en arriere.
[1]
v. 6 : L'abréviation est ici assez énigmatique : xpitn surmonté d'une barre verticale. Elle ne
correspond pas exactement avec celles utilisées en VI. Nous établissons « expres » qui convient
au sens et ne dénature pas le compte de l'alexandrin.
v. 7 : impetrer pour « obtenir ».
v. 20 : la gent etnique, les païens.
[3]
v. 2 : peculier, cf. V, v. 9.
v. 6-12 : Il s'agit d'une évocation de l'Exode (3) : « Moïse dit à Dieu : J'irai donc vers les enfants
d'Israël, et je leur dirai : le Dieu de vos pères m'envoie vers vous. Mais s'ils me demandent quel
est son nom, que leur répondrai-je? Dieu dit à Moïse : Je suis celui qui est. »
[7]
v. 4 : l'Eglise militante, l'assemblée des fidèles sur la terre (cf. VI, v. 135).
v. 6 : Le féminin de exaltee laisse penser que cet adjectif se rapporte à l'Eglise militante.
[8]
v. 2-3 : Pain ne dérive pas de « pan » grec (qui signifie en effet « tout »), mais de panis latin qui
est apparenté à pascere. Cette erreur permet à Ruffi d'accorder au mot « pain » un sens divin
qu'il ne possède pas.
[10]
v. 1 : precaution compte pour quatre syllabes par diérèse.
2 "vo" biffé après "toute".
�XLI
[fo 84 r°]
Chanson faite par Demoiselle Anne de Ruffi
sur le sujet des desordres de Marseille l'an 165[…
4
8
12
16
20
24
28
Ay Dieu, paure Marseille, qui t'a vis et ti ves,
Ley gens de ben non pouedon, sont lei coupe-jarres,
Tu n'en sies gouvernade
Que per d'espadassins,
Que per une soupade
Farion mille assassins.
Lou rey fara justici
Ey consous destengus
Qu'eme pron de malici
Eron esta tengus,
Mais Felix et La Salo,
Niouzelles et Bausset
Et toute sa caballe
Faran Mousu Rasclet.
La Reinarde tardave
Dadeiire l'annestie,
Lou cardinau songeave
A ce que li falie,
L'a mandat a D'Oypede
Et l'a ben attrapat,
Aqueste es la monede
Que l'avie prepara.
Aqueu vieil bouc La Salle
Non es jamais sadoul
De faire sei caballe
Eme lou gros majour;
Non n'an que de malici
Et que de fourbarie,
Non fan que d'injustici
Et que d'inimitie.
�Aïe Dieu, pauvre Marseille qui t'a vu et qui te voit, — Les gens de bien ne
peuvent plus rien, ce sont les coupe-jarrets, — Tu es gouvernée — (4) Que par des
spadassins — Qui pour un dîner — Feraient mille assassinats. —— Le roi fera justice
— (8) Aux les consuls détenus — Qui avec assez de malice — Avaient été arrêtés, —
Mais Felix et La Sale, — (12) Niozelles et Bausset — Et toute leur caballe —
S'enfuiront. —— La Reynarde tardait, — (16) Dadeiirre l'amnistia, — Le cardinal
songeait — À ce qu'il lui fallait, — Il l'a envoyé à D'Oppède— (20) Et l'a bien attrappé,
— Cela est la monnaie — Qu'il avait preparée. —— Ce vieux bouc La Salle — (24) N'est
jamais saoul — De faire ses caballes — Avec le gros major, — Ils n'ont que la malice,
— (28) Et que la fourberie, — Ils ne commettent que des injustices — (28) Et que des
inimitiés.
Ce poème d'une demoiselle Anne de Ruffi (qui n'est pas la propre fille de
Robert, mais peut-être sa petite-fille) a été écrit lors des événements qui secouent
Marseille entre 1655 et 1660. Les Marseillais, fidèles à leurs habitudes, se montrent
quelque peu rebelles. Les diverses luttes de factions aidant, la ville connaît une situation
insurrectionnelle dont Louis XIV vient à bout à grand peine. Ce poème qui prend le
parti de l'ordre contre les insurgés semble avoir été écrit en 1658, après la journée des
barricades et la séquestration des consuls évoquée au v. 7-8.
Selon Jacques-Thomas Bory (Les Origines de l'imprimerie…, op. cit., p. 55),
Antoine de Ruffi aurait été l'auteur d'une Justification de l'innocence calomniée qui
fustigeait les partisans de Niozelles.
v. 1 : qui t'a vis et ti ves rappelle les célèbres vers du Troubadour Bernard Sicard de Maruejols :
« Ai! Tolosa e Proença — E la terra d'Argença, — Besiers e Carcassei — Com vos vi e co'us
vei ! »
v. 10 : Jean-Baptiste Félix, sieur de La Reynarde, fut envoyé à la cour pour plaider la cause de
Marseille. Gaspard de Villages, sieur de La Salle, est un des principaux chefs de la rébellion.
v. 11 : Il s'agit de Jean-François de Glandevés, sieur de Niozelles, qui prit la tête de cette
rébellion. Il dut s'enfuir en janvier 1660 devant les troupes royales emmenées par Louis XIV. Sa
maison fut détruite et une pyramide élevée à son emplacement. Le 20 décembre 1661, des
enfants, sous doute guidés par des adultes, démolirent cette pyramide.
Antoine de Bausset fut lieutenant général de la sénéchaussée puis premier consul le 28 octobre
1658.
v. 13 : Faran Mousu Rasclet, pour « fuir », « déguerpir ». Auguste Brun signale cette expression
chez Bellaud de la Bellaudière (Bellaud de la Bellaudière poète provençal XVI e siècle, Aix-enProvence, 1952, p. 85).
v. 16 : Dadeiirre (ou Dadeiinne) nous est inconnu.
annestie ne peut se comprendre qu'en référence à « amnestiar », mais il faudrait concevoir un
verbe « annistir » pour une terminaison « ie » de l'imparfait. Le prétérit est plus correct en
français. La lecture de ce poème n'est pas facile, car l'encre est très pâle et les lettres mal
formées. On pourrait tout aussi bien lire arrestie, ce qui n'est vraiment pas la même chose!
v. 17 : De quel cardinal s'agit-il ? Faut-il y voir une allusion à Mazarin ?
v. 19 : Henri de Forbin-Maynier, baron d'Oppède, Premier Président au Parlement, symbole de
l'autorité royale en Provence. Félix de La Reynarde aurait donc été amnistié (ou arrêté) lors de
sa mission à Paris et renvoyé auprès du Premier Président.
v. 26 : Nous ne savons pas qui se cache sous ce « major ».
�LEXIQUE
Nous relevons dans ce lexique les mots dont le sens est spécifique au texte de
Ruffi. Nous donnons la traduction de ces mots telle qu'elle figure dans le texte établi par
nos soins. Nous ne reprenons pas les explications contenues dans le commentaire de
chaque poème. Les expressions particulières possédant un sens quelque peu détourné
(comme non faray ego au poème XVII) ne sont pas comprises dans ce lexique, mais
leur sens est explicité dans les notes suivant le texte. Enfin ce travail ne concerne que la
langue d'oc. Les quelques difficultés lexicologiques des poèmes français sont renvoyées
à l'outil indispensable qu'est le Dictionnaire d'E. Huguet.
a grat : loc., « de leur propre gré », I 252.
a la bando : loc., « de côté », I 54.
a legour : loc., « à loisir », XXXIX 18.
a manesq : loc., « construit par la main de l’homme », XXIX 4.
abelan : adj., « généreux », II [29].
ablaigo : v., « ruine », II [3].
ableigar : v., « éreinter », XVI [8] 11.
ableigat : pp., « accablé », II [67], « détruit », XXVI 144.
acoro : v., « défaille », IV 47.
acort : adj., « habile », I 377.
acourat : pp., « pris au cœur », VII [1] 3.
afanar : v., « travailler durement », IV 42, XXX [3] 36.
affan : subst. masc., « fatigue », II [68], « difficulté », II [89].
affero : v., « empresse », XXII 113.
aflatar : v., « rapprocher », II [47], [58], XXII 114., « approcher », XXX [3] 18,
XXXVII 22.
aflaten : v., « rapprochions, soyons tout près », XXIX 42.
agi : subst. masc., « raisin », XXVI 70.
ajanssant : ppr., « engençant », I 181.
alachat : adj., « épaisse (pour l’huile) », I 19.
alacho : v., « allaite, nourrit », II [32].
alcedonicoment : adv., « comme un alcyon », XV [1] 2.
alegroment : adv., « joyeusement », I 15, 465.
altero : v., « est au plus haut (pour le soleil) », I 110.
amerme : subst. masc., « diminution du bien financier », II [23].
antat : adj., « greffé », I 111.
aqueissaduro : subst. fem., « acquisition », XXXI 18.
aragno : subst. fem., « filet pour attraper les oiseaux à la chasse », I 137, 161.
arasso : v., « réfléchit », III 31.
arnavo : v., « rongeait, gâtait », XXX [1] 11.
arnes : subst. masc., « guides », XXX [2] 209.
assoulat : pp., « calmé », XXIX 38.
�assovido : subst. fem., « assouvissement », XVIII 5.
atiral : subst. masc., « affaires », I 446.
attendre : v., « parvenir », I 543.
auberge : subst. masc., « petite pêche », I 110.
auvali : subst. masc., « incident », II [41].
averagi : subst. masc., « troupeau », I 223, 235, 244.
aviant : ppr., « se dirigeant », XXIX 58.
babagi : adj., « nigaud, stupéfait », XXXII 7.
babi : adj., « idiot », VII [10] 8.
bastonados : subst. fem., « disputes, émeutes », XVIII 14.
baudoment : adv., « joyeusement », II [27], [43], XXIX 3, « gaillardement », XXII 21,
« hardiment », XXVI 121.
ben : subst. masc., « bien, ressources », I 4, « domaine », I 43.
benafort : adv., « assurément », XXX [1] 42, 60.
berlan : subst. masc., « maison de jeu, tripot », I 4, 204.
blandir : v., « caresser », II [71].
bontat : subst. fem., « saveur », I 90, 119, « bonté », I 99.
borrascous : adj., « tempétueux », XXII 23.
boticaris : subst. masc., « apothicaires », XXX [1] 71.
bourjas : pp., « défrichés », I 258.
boyno : v., « s’impatiente », III 23.
bragardo : adj., « gaillarde, forte », XXX [1] 59.
brifant : ppr., « mangeant », I 16.
brigadellos : subst. fem., « voleuses », XXX [2] 80.
brigadeous : subst. masc., « brigands », XXX [2] 92.
broumo : subst. fem., « rebut, futilité », XXX [2] 132.
broyt, brouyt : subst. masc., « bouillon », I 32, XXX [3] 30.
cabinet : subst. masc., « étude », VI 59.
cachado : pp., « cassée », VI 75.
caffi : subst. masc., « pleine mesure », I 562. « vase », VII [10] 4, « brassée », X 12.
calen : subst. masc., « lampe à huile », IV 43.
calibre : subst. masc., « moule », VII [3] 5.
calibre : subst. masc., « moule », VII [2] 5.
caponar : v., « châtrer, effacer les dettes », XVIII 3.
carriagi : subst. masc., « charriage », XXX [1] 57.
catiou : subst. masc., « méchant », XV [3] 5.
catiou(s) : adj., « méchant(es) », II [58], VI 198, 199, « mauvais », XXII 64, 97, XXV 3,
XXII 64, 97.
cativetas, cativetat : subst. fem., « méchancetés », III 42, XXVI 110.
cauvo : subst. masc., « chose », VII [4] 13, [7] 5, [10] 4.
cero : subst. masc., « soir », I 82, 184.
chiero : subst. fem., « bonne chère », I 11.
cochous : adv., « vite », II [19], III 21, « empressé », III 2.
colloquas : pp., « réunis », XXXIX 108.
compotitour : subst. masc., « compétiteur », VI 41.
comun, commun : subst. masc., « communauté », II [76], XV [3] 2.
�conclus : pp., « décidé », I 338.
concyrous : adj., « soucieux », XXIX 19.
condigne : adj., « digne » (en parlant de la rédemption du péché) », I 214.
confis : adj., « remplis », XXXIX 77.
consumat : adj., « passé (pour le temps) », I 308.
conterrole : subst. masc., « compatriote, compagnon », XXXIX 78.
contraris : subst. masc., « préjudices », XXII 34.
corratagi : subst. masc., « courtage », II [4].
corratiÉros : subst. fem., « courtières », VII [3] 12.
coutur : subst. masc., « cultures », I 231.
couturant : ppr., « cultivant », I 218.
couturas : adj., « cultivés », I 352.
coyens : adj., « cuisants », VII [2] 13.
coyent, couyent : ppr., « piquant », I 84, « cuisant », XXII 38.
cridant : ppr., « plaignant », XVII 2.
culte, cult : subst. masc., « culture », I 367, 389.
d’escoutoun : loc., « à l’écoute », XXVI 3.
dan : subst. masc., « dommage », I 210.
de clugon : loc., « en fermant les yeux », XXI 6.
de coucho : loc., « à la hâte, en peu de temps », XXXVII 6.
decat : adj., « vicié », XV [2] 11.
decelar : v., « trahir », III 35.
degitar : v., « élever au sein, allaiter », II [11]
degremenar : v., « exploiter », XXII 17.
dejardo : subst. fem., « désengagement », XXX [1] 60.
delojar : v., « laisser la place, mourir », XXXIX 102.
demenant : ppr., « agitant, remuant », I 40, « se conduisant », I 419.
denembrant : ppr., « oubliant », XXXVI 12.
denembrar : v., « oublier », XIII 7.
denonciant : ppr., « déclarant », I 492.
deshonta : v., « couverts de honte », XXXVII 52.
despachat : pp., « expédié, mangé », I 20.
dessalon : v., « facilitent », III 11.
devedant : ppr., « prohibant », XXVII 7.
disputado : adj., « discutée, examinée », I 430.
drissar : v., « dresser, ériger », I 459.
durbec : subst. masc., « idiot », X 7. durbeq : « imbécile », XXXII 14.
ebroar : v., « cueillir les olives à la main », I 76.
eglach : subst. masc., « effroi », XXX [3] 8.
eizino : subst. fem., « récipient, tonneau », I 62.
emmamado : adj., « allaitée », VIII 5.
emmaro : v., « égare », VII [1] 6.
empachier : subst. masc., « obstacle, empêchement », VII [2] 8.
empasso : v., « avale », I 142.
en cartar (s') : v., « s'engraisser », XXVII 52.
en rodant : ger., « en traversant », XXII 80.
�encertar : v., « greffer », I 179.
encertat : pp., « greffé », I 115.
endilhant : ppr., « adresser une harangue, haranguer », II [80].
enfessit : pp., « infecté, contaminé », II [112].
enforminat : pp., « rendu sans forme, pulvérisé », XVI [5] 7.
enfrus : subst. masc., « fruits », I 12, 440.
engue : subst. masc., « aine », XXX [2] 12.
entray : v., « tire d’un mauvais pas », III 15.
entretenie : v., « maintenait », I 469.
entretie : v., « cueille », I 127.
envidat : pp., « invité », XXII titre.
envido : v., « invite », XXX [2] 21, XXXIX 2.
escavissat : subst. masc., « vaurien », XXVI 111.
esco : subst. fém., « amadou », X 14.
escotados : adj., « influentes », XXX [2] 81.
escrimo : subst. fem., « attaque », XXX [1] 83.
esfors : subst. masc., « pouvoirs », XXXI 23.
esparvant : subst. masc., « terreurs », XXX [2] 202.
esquivas : adj., « à l’écart de », I 194.
estace : subst. fem. ou masc., « lien », I 180.
estaq : subst. masc., « lien », XXXI 16.
estas : subst. fem., « âge », I 125.
estivar : v., « faire la cueillette en été », I 440.
estrassi : subst. fem., « méchancetés », II [84].
eytan : adv., « ainsi », I 75.
fende : adj., « blessé », VII [1] 12.
festonau : subst. masc., « grande fête », I 33.
filo : subst. fem., « rangée, bord d’un champ », I 46.
fos : pp., « creusé », I 47.
foumeras : subst. masc., « fumier », I 334.
franquis : adj., « affranchis », XXII 46.
frejolis : adj., « froids », VII [1] 10.
friou : subst. masc., « passage », XXXVII 8.
fruchaux : subst. masc., « récolte de fruits », I 272.
fugere : v., « fuir », XXX [2] 105.
galet : subst. masc., « gosier », XXX [3] 28.
gandit : pp., « préservé », I 13.
gantado : « apprêtée », XVI [6] 4.
gantat : adj., « paré », VII [14] 3, « apprêté », XXXI 43.
garachado : subst. fem., « sillon », I 45.
gasagnar : v., « travailler, gagner sa vie », XXII 15.
gauch : subst. fem., « joie », I 33.
gauvido : pp., « usée, compromise », I 260.
gavagi : subst. masc., « nourriture », XXVI 135, « estomac », XXXII 2.
gaviteou : subst. masc., « balise, bouée », VII [13] 13.
gentious : subst. masc., « païens », VI 197.
�gietz : subst. masc., « pousses, rejets », I 77.
glatir : v., « battre, palpiter », VII [1] 4, II [1].
gleyo : subst. fem., « église », XVI [2] 5, [4] 2.
goffo : adj., « grossière, rustre », II [42].
goudet : subst. masc., « petit bol », I 31.
gourgouto : v., « gazouille », XXVI 22.
graneirolo : subst. fem., « grêle de la petite vérole », XXX [2] 54.
greous : adj., « pénibles », XXXIX 76.
gros det : subst. masc., « porte-greffe », I 180.
grossolans : subst. masc., « enfants encore au berceau », XXXII 8.
guiar : v., « guider », XXIX 45.
guignas : adj., « désignés », II [36].
heres : subst. masc., « héritiers », XXXI 23.
hondrar : v., « honorer », XXXI 2.
hondrat : pp., « honoré », XV [1] 3,
ieli : subst. masc., « lys », XXXI 44.
imperitant : adj., « stérile, qui ne donne rien », I 51.
impetras : pp., « obtenus », XXV 7.
inondado : adj., « houleuse », XXIX 44.
jangoulans : adj., « plaintifs », VII [1] 11.
jardinar (se) : v., « prendre place, résider », XXVI 15.
jugeri : subst. masc., « jougs », I 482.
juventar : v., « remettre en jeunesse », I 242.
lac : subst. masc., « lait », XIV 2.
lagagno : subst. fem., « chassie », VII [5] 3.
lagagnous : adj., « humide », I 79, « chassieux », VII [11] 2.
lagnous : adj., « malade, plaintif », II [100].
las : subst. masc., « côté », VI 155.
lavagnie : subst. masc., « médisant », III 35.
leyrouno : adj., « voleuse », I 154.
lieli : subst. masc., « lys, fleurs de lys », XV [1] 1.
limassos : subst. fem., « escargots », I 29.
limbous : subst. masc., « limbes », VI 69.
linagi, linagis : subst. masc., « lignage(s) », I 243, 316.
logado : pp., « employée », I 42.
lylian : adj., « aux fleurs de lys », XV [1] 12.
macho mourre : subst. masc., « mâchemoure, miettes de biscuit », X 4.
maco : v., « meurtrit », I 13.
magagno : subst. fem., « malfaçon », I 58, « mauvaise pratique », I, 426, « peine », II
[96].
malan : subst. masc., « trouble, mauvaise passe », XXII 52.
malaus : adj., « malsains », XVIII 6.
mandament : subst. masc., « commandement », I 239.
�mandats : subst. masc., « ordres », VI 316.
maneflo : adj., « flagorneur, hypocrite », II [25].
maneflos : subst. masc., « flagorneurs », XXIX 50.
mariton : subst. masc., « oiselet », VII [6] 14.
matras : adj., « maladroit », XXV 8.
mautraire : v., « mettre en peine », XXII 18.
meinagier, meynagie, meynagiers : subst. masc., « fermier(s) », I 123, 248, 253, 264,
432, 495, 502.
mesavin : adj., « fâcheux », II [85].
mesclar : v., « fréquenter », XXX [1] 119, [3] 12.
meynado : subst. fem., « enfants », I 16.
meynagi : subst. masc., « travail des champs », I 487.
meynajas : pp., « cultivés, entretenus », I 257.
mineto : subst. fem., « visage », II [7].
modou : subst. masc., « façon, mode », I 547.
moullet : adj., « souple », XXVII 27.
mout : subst. masc., « mot, parole », I 21.
nec : adj., « confus », X 2, « interdit », XV [3] 7, « inconnu, oublié », X 2. neq : «
interdit », II [72].
nembrant : ppr., « souvenant », VI 101.
nembrar : v., « souvenir », XXXIX 108.
nembrara : v., « souviendra », XXX [2] 43.
nembre : v., « souvient », XXX [1] 120, XXX [3] 29, « nous revient en mémoire »,
XXX [2] 204, « souvienne », XXXI 40.
neteci : subst. fem., « propreté », IV 37.
norrigagi : subst. masc., « élevage », I 236.
obezit : pp., « obéi », I 10.
ocasionat : adj., « déterminé », XXX [2] 106.
ocious : subst. masc., « oisif », II [113].
ocupo : v., « influence », I 72.
oliveiredo : subst. fem., « oliveraie », I 47.
onfassin : adj., « qui est presque à maturation en parlant de l'huile », I 88.
paraulous : subst. masc., « bavard », II [37].
parcoment : adv., « en bon ordre », I 206.
parturit : pp., « accouché, engendré », XV [1] 9.
pauvado : subst. fem., « pose », I 279.
peculier : adj., « particulier », I 121.
perevous : adj., « paresseux », VII [2] 10.
periou : subst. masc., « danger », XXII 12, 63, « péril », XXXIX 58.
persuo : subst. fem., « personne », XXX [3] 18.
plaid : subst. masc., « procès », XXV 16.
plazers, plazer : subst. masc., « plaisirs, plaisir », I 1, 69, 407, 520.
plejo : subst. fem., « caution », II [13].
plouvino : subst. fem., « humidité, gelée blanche », I 61.
pointos orles : subst. fem., « points d'ourlets », IV 15.
�polidoment : adv., « discrètement », XXX [2] 23.
pon coupas : subst. masc., « points coupés », IV 15.
pon de perlo : subst. masc., « points de perle », IV 18.
potestat : subst. fem., « puissance », VII [4] 14.
poueriero : subst. fem., « pourriture », XXI 5.
preou : subst. masc., « prix, mérite », II [38].
primeiragi : subst. masc., « primauté », XXVI 2.
prizagi : subst. masc., « estime », I 488.
public : subst. masc., « communauté », II [18].
quet : adj. dém., « ce », X 5.
ramagi : subst. masc., « chant, chant des petits oiseaux », XXVI 124, XXVII 44, XXXI
31.
rasclant : ppr., « fuyant, déguerpissant », XVI [6] 8.
rastegagno : subst. fem., « brochettes », I 138.
rastis : v., « rôtit », VII [10] 8.
raubir : v., « ravir », X 7.
raubit : adj., « ravi, émerveillé », I 387, XXXII 8.
rebec : adj., « vif », X 6.
recatar : v., « donner refuge », VI 62.
reclaux : pp., « biné », I 47.
referir : v., « rapporter », VI 2.
reire pons : subst. masc., « points arrière », IV 16.
relevados : subst. fem., « retouches (pour la couture) », IV 20.
remot : adj., « éloigné », I 513.
resassiat : pp., « rassasié », VI 147.
retracious : adj., « injurieux », II [105], III 46.
reven : v., « revigore », I 23.
reys, reyx: subst. fem., « lignée », XIII 11, XV [5] 4.
rond : adj., « franc », XIII 7.
rost : adj., « rigide », XVII 5.
rout : adj., « difficile, sinueux », II [55].
safranas : adj., « couleur safran, safranés », XXVI 32.
salhiduros : subst. fem., « bubons pestilentiels », XXX [1] 106.
save : adj., « saufs », XXX [3] 36.
secret : subst. masc., « sexe féminin », XIII 4.
segnau: subst. masc., « repère », XXII 81.
segrenous : adj., « ténébreux », XXIX 5.
semo : adj., « vidée », II [49].
sen : subst. masc., « corps », I 26.
sens : subst. masc., « esprit », VI 99.
sequello : subst. fem., « progéniture », I 247.
sequestrado : pp., « placée entre les mains, consignée », II [24].
sequestrant : ppr., « mettant à l’écart », I 535.
sermat : adj., « modéré », II [21].
signalado : adj., « marquée », VI 224.
�signalant : ppr., « exposant », XXII 68.
simplesso : subst. fem., « innocence », II [29].
soli : adj., « tranquille », XXXI 33.
soutas : subst. masc., « gros sot », VII [6] 11.
subtilizat : pp., « travaillé (pour le métal) », II [12].
suprano : adj., « supérieure », I 485.
sutiou : adv., « promptement », IV 39.
tabus : subst. masc., « querelles », I 14, « vacarme », XXVI 90.
talhit : pp., « enfui », XXVI 91.
tancado : pp., « inscrite », XXXI 48.
taulan : subst. masc., « radeau », XXII 113.
tempererar : v., « modérer », XVI [7] 3.
ten a ment : ex. verb., « observe », II [57], III 5, « garder en l'esprit », XXIX 11.
tengudo : subst. fem., « possession », XXVII 38.
terradour, terrador : subst. masc., « terroir », XXX [1] 135, [3] 11.
terraire : subst. masc., « terroir », I 89, 319, 340.
terren : subst. masc., « terroir », I 2, 57, « terre », I 253.
tezic : subst. masc., « convulsion », I 39.
thedi : subst. masc., « ennui, chagrin », VII [1] 4.
thezo : subst. fem., « allée, haie d’arbres », I 162.
tirasso : subst. fem., « filet de chasse », XXVI 84.
tortoiro : v., « tourmente », IV 46.
tracho : subst. fem., « commerce », XXX [1] 15.
traffegat : pp., « trafiqué, monté (pour l’aïoli) », I 24.
trapis : subst. masc., « terre piétinée », VI 213.
tratable : adj., « docile », II [25].
trialho : subst. fem., « rebut », I 128.
trionfle : subst. masc., « triomphe », I 497.
tymbrado : adj., « marquée », I 383.
tymouchialo : subst. fem., « timouque », XV [2] 4.
uffano : subst. masc., « fierté », II [42].
ufferissent : ppr., « offrant », I 225.
vans : adj., « frivoles », I 199.
vas : subst. masc., « urne », XXVIII [2].
vedeou : subst. masc., « petit oiseau », I 170.
ventrado : subst. fem., « union », XXVI 52.
viando : subst. fem., « nourriture », I 17, 18, 25, XXX [3] 34.
vilan, vielan : subst. masc., « paysan », I 28, 100.
villars : subst. masc., « courreurs de rue », « voyous », II [73].
visc : subst. masc., « glu », I 137.
volontous : adj., « envieux », XXXII 11.
vulneras : adj., « vulnéraires », VI 156.
yeli : subst. masc., « lys », XV [3] 5.
ynclito : adj., « illustre », XXX [2] 157.
�ysserpado : adj., « fauchées », XVI [6] 8.
�INDEX
Cet index ne concerne que les noms de personnes et les noms de lieux cités dans
le texte. Nous avons éliminé les terminologies religieuses qui prennent une majuscule,
mais qui ne sont pas à proprement parler des noms de personnes. Nous établissons entre
parenthèses, quand cela est nécessaire, une orthographe moderne des noms propres
cités.
Abram, Abran (Abraham) : I, 247, VI, 201.
Achilles : XXII, 76.
Adam : I, 209, VI, 23, 38, 45, 50, 53.
Affricains : V, 1.
Aguilhenqui (Alexandre Aguilhenqui) : XXX, [1], 82.
Aix d' (Louis d'Aix) : XVI, [6], titre.
Albigeois : XXIV, 43.
Alemans : V, 3.
Alexandre (Alexandre le Grand) : XXXV, [2], 10.
Alobrocs (les Allobroges) : XXIV, 3.
Ame (Amédée VII de Savoie) : XXIV, 46, 53.
Ame (Amédée VIII de Savoie) : XXIV, 57.
Anglois : V, 4.
Angoulesme : v. Grand-Prieur.
Antoine : XXXV, [2], 6.
Arquins : XXXVIII, 1, 24.
Athenos (Athènes) : I, 455.
Attalus (Attale) : I, 392.
Aubagne : XIII, titre, XXVII, titre.
Aubin : I, 443, 449.
Auguste : XXX, [2], 8.
Barriere : XXI, titre, 1.
Bartolo (Barthole) : I, 532.
Bausset (Antoine de) : XLI, 12.
Bellaud (Louis Bellaud de la Bellaudière) : X, titre, 1, 10, 14, XIV, 1, 6.
Bernard (Estienne Bernard) : XVI, [1], titre, 5, [6], titre, 3, 12.
Beral d'Othon : XXIV, 37.
Berro (Berre) : XXII, 14.
Betany (Béthanie) : XXX, 34.
Beze (Théodore de Bèze) : XXXIII, [2], 1, 3, 5, 7.
Bologno : I, 537.
Borgogno (Pierre Caradet dit Bourgogne) : XXX, [1], 76.
Bourbons : XXXV, [2], 2.
Bozon : XXIV, 39.
�Brunet : XXIII, 16.
Bulgare (Bulgarie) : XXIV, 54.
Bulhon (Godeffroy de Bouillon) : XXIV, 42.
Cabro (Joseph de Cabre) : XXX, [1], 88.
Calvin : XXXIII, [2], 1, 3, 5, 7.
Cana : VI, 146.
Canet (Lou) : I, 91.
Carion (Pierre Charron) : VI, 297.
Casaulx (Charles de) : XVI, [1], titre, [2], titre, [6], titre, XVIII, 3.
Catin (Balthasar) : XI, titre.
Caton : I, 549.
Cayn : I, 220, 222.
Cayran : I, 92.
Ceon (Séon) : I, 91.
Cesar : XXXV, [2], 5.
Champorcin : XVII, titre, 2, 3, 7.
Charles d'Anjou : XXX, [2], 159.
Chiverni (Philippe Hurault comte de) : V, 14.
Christ : v. Jesus.
Ciceron, Tulli Ciceron : I, 461, 474, 550.
Cicerons (famille) : I, 312.
Cincinat (Cincinatus) : I, 478, 490.
Cipris : VII, [1], 5, [4], 12.
Cirus : I, 366.
Collatinus : I, 502.
Collumello : I, 550.
Contat (Le Comté Venaissin) : XXX, [2], 112.
Crezin : v. Furma Crezin.
Cupidon, Cupido : VII, [8], 8, XXIII, 7.
Dante : XXV, 126.
Dadeiire : XLI, 16.
Daries (Louis de La Motte-Dariès) : XV, [4], titre.
Daufinat (Dauphiné) : XXX, [2], 113.
David : XXX, [2], 194.
Diocletian : I, 399.
Dori, Jehan (Jean Doria) : XXX, [1], 85.
Egipte, Egipto : VI, 207, 226, XXII, 93, XL, [3], 3.
Egiptians : VI, 229.
Eleno (Hélène Salomon) : XIII, 4.
Escossois : V, 6.
Espagnol, Espagnous : V, 5, XVI, [4], 10, [6], 8, [8], 11.
Esdiguieres (François de Bone, duc de Lesdiguières) : XIX, titre, XX, titre.
Fabis : I, 312.
Felix (Jean-Baptiste Félix, sieur de la Reynarde) : XLI, 11, 15.
�Ferrat, Nicolin : XXX, [1], 96.
Florensso (Florence) : XXXI, 3, 16, 28.
Font de Vaucluzo (La Fontaine de Vaucluse) : I, 528.
Forminiano : I, 469.
Foussencs (Les Phocéens) : XV, [1], 10.
Francois, Frances (les Français) : V, 7, XXXI, 8.
Fransso, France : XV, [3], 1, XVI, [4], 14, [8], 14, XXVII, 2, XXX, [2], 159, XXXI, 6,
16, 24, 28, XXXV, [1], 1, [2], 1, XL, [4], 1.
Furma Crezin : I, 436, 444.
Gardi, la (Notre-Dame de la Garde) : I, 95.
Grand-Prieur (Henri d'Angoulême, Grand-Prieur de l'ordre de Malte) : V, titre, XV, [1],
titre, 1, [2], titre, 1, 14, [3], titre, 14, [5], titre, 12.
Grecs, lous : XXVI, 137.
Guise, Guiso, Guize (Charles de Guise) : XVI, [4], titre, [7] titre, 7, [8] titre, 6, 8,
XXVII, titre, 47, XXVIII, titre.
Habel (Abel) : I, 220, 223.
Hebrus, Hebreu (les Hébreux) : VI, 197, 267.
Henri d'Angoulesme : v. Grand Prieur.
Henric (Henri IV) : XVI, [4], 14, [5], 9, [6], 9, [8], 7, XXXI, 10.
Henris (les rois Henri II et Henri IV) : XXXI, 15.
Hercules : VII, [8], 8.
Hesiodo : I, 549.
Horaci : I, 550.
Humbert (Humbert II de Savoie) : XXIV, 41.
Isac, Ysac (Isaac) : I, 247, VI, 201.
Israel : VI, 142.
Jacob : I, 247, VI, 201, 208.
Jesus, Jesus Christ, Christ : VI, 63, 67, 73, 76, 87, 93, 111, 120, 127, 138, 145, 155,
287, 304, XXII, 98, XXIX, 17, 26, XXXIII, [1], 3, 6, 9.
Judeous, Judious (les Juifs) : VI, 110, 284.
Judith : XVI, [2], 13.
Jupiter : XXXV, [1], 4, 8.
La Reinarde : v. Felix.
La Rochelle, La Rochello : XXXV, [1], titre, 1.
La Salo (Gaspard de Villages, sieur de la Salle) : XLI, 11, 23.
La Valette (Bernard de Nogaret, sieur de la Valette) : XXIV, 10.
Lenguadoc (Lenguedoc) : XXX, [2], 113.
Lentilz : I, 312.
Levant (le Levant) : VII, (12], 10.
Libertat (Pierre de Libertat) : XVI, [2], titre, 2, 9, 11, [3], 3, [4], titre, [5], 9, [6], 1.
Lizander, Lisander : I, 375, 380, 384.
Louis XII : XXXV, [2], 12.
Louis XIII, Louis de Bourbon : XXXV, [1], titre, 14.
�Lorreno (la Lorraine) : XVI, [4], 1.
Lucifer : VI, 66.
Luter : XXXIII, [2], 1, 3, 5, 7.
Malapogno : I, 92.
Marc Varron : I, 549.
Marcel (Marc Aurèle) : XXXV, [2], 7.
Marguerite : XXIII, 1, 38.
Marie (Marie de Médicis) : XXXI, 5, 19.
Marie-Madaleno : v. Santo Marie-Madaleno.
Mars : VII, [4], 11, XIX, 7.
Marselhes, lous (les Marseillais) : XVI, {5], 9, XIX, 9, XXXI, 40.
Marselho, Marseille : I, 2, 70, 189, XV, [1], 13, [2], 13, [3], 12, [5], 5, XVI, [2], 2, 6,
[3], 1, [4], 5, 13, [5], 1, [6], 4, 11, [7], 13, XIX, 1, XX, titre, 1, XXI, 14, XXIV, 71, 78,
XXVI, 106, XXIX, 43, XXX, [1], 1, [2], 6, 128, 151, [3], 6, XXXI, titre, 1, 13, 38,
XXXII, titre, XLI, titre, 1.
Marselho, Monsur de : XXVII, 20.
Mayenne (le duc de Mayenne) : XVI, [1], titre.
Mazeou pichon (rue du Petit Mazeau) : XXXVII, 5.
Mecenas (Mécène) : XVI, [1], 12.
Minerve : XIV, 1.
Montolivet : I, 92.
Moyse, Moïse : VI, 217, 234, 239, XL, [3], 3.
Muzos, las, Muzo (les Muses) : VII, [3], 12, XIII, 12.
Neptune : XX, 1.
Nestor : XVI, [7], 2, XXXI, 47.
Niouzelles (Jean-François de Glandevès, sieur de Niozelles) : XLI, 12.
Noe : I, 241, XXII, 120.
Numa Pompilius : I, 346.
Oliero, Andre (André d'Ollières) : XXX, [1], 79.
Olliolis, d', Oliolis (Jean d'Olliolis) : XVII, titre, 2, 5.
Othons : XXIV, 2.
Ospital, de l' (Michel de l'Hôpital) : XVI, [7], titre.
Oypede (Henri de Forbin-Maynier, baron d'Oppède) : XLI, 19.
Pallas : XIX, 7.
Pandore : XIV, 5.
Paris : XXX, [2], 114.
Pau, Paul, Pierre Pau : X, titre, 5, 9, 14, XXVI, titre, 97, 113, 146.
Pau, Balthesar : XXX, [1], 98.
Paul, Marguerite de : XXVIII, [1], titre, 1, [2], 2, [3], 1.
Paulmier : XXVIII, [1], titre.
Petrarco, Petrarquo : I, 522, XXVI, 126.
Pericard : XVI, [8], titre, 4.
Persso : I, 366.
Piemontois : XXIV, 3.
�Pirrus (Pyrrhus) : XXII, 83.
Pizons : I, 312.
Platon : I, 455.
Plino : I, 518.
Pompeyan (Pompéi) : I, 471.
Porcin : v. Champorcin.
Provenssal, Provenssaus : V, 11, XXI, 2.
Provensso, Provence : V, 14, VII, [12], 9, XIV, 8, XVI, [7], 1, XXIV, 7, 17, 62, 78,
XXV, 18, XXIX, 55, XXX, [2], 112.
Quandoceli (Candie) : XXII, 110.
Rabier : XXV, 13.
Rhodes : XXIV, 48.
Romans, lous : I, 307, 322, 339, 408, 472, 488, XXVI, 139.
Romulus : I, 337.
Roumo, Romo : I, 338, 445, 497, XXX, [2], 129.
Rudel, Jaufret : VII, [12], 9.
Ruffi, Anne de : XLI, titre.
Salomon, Germain : XII, titre, XIII, 7.
Salomon, Pierre : XIII, titre.
Salon : XXIV, 19.
Saint Louys : XXXV, [2], 3.
Sant Jehan (Saint Jean Baptiste) : VI, 145.
Sant Laze (Saint Lazare) : XXV, 22.
Sant Pau (Saint Paul) : XXII, 103.
Sant-Tronq (Saint-tronc, quartier de Marseille) : I, 91.
Santo-Baumo (la Sainte-Baume) : XXIX, titre.
Santo Marie-Madaleno, Marie-Madaleno : XXIX, titre, 16.
Sarturan : I, 91.
Satan : VI, 65.
Savoye, duc de (Charles-Emmanuel) : XXIV, titre, 68.
Savoysiens : XXIV, 3.
Saxonie : XXIX, 37.
Scitie : V, 2.
Seneco : I, 505.
Simon : XXIX, 20.
Solouno (Solonne) : I, 405.
Souysses (les Suisses) : I, 411.
Syna (Sinaï) : VI, 217, 221.
Temistocles : XXVI, 141.
Thomas III (duc de Savoie) : XXIV, 43.
Trayan (Trajan) : XXXV, [2], 11.
Troyo (Troie) : XXII, 61, 66.
Turq (les Turcs) : XXIV, 48, 50.
Tusculan : I, 470.
�Tyte (Titus) : XXXV, [2], 6.
Valegrand (Pierre Hurault de l'Hôpital, sieur de Valegrand) : XVI, [7], titre, 2, 14.
Vaudois, Vaudes : XXIV, 43, XXX, [2], 139.
Ventre : XXXVI, 1, 9.
Vergili (Virgile) : I, 549.
Viret (Pierre Viret) : XXXIII, [2], 1, 3, 5, 7.
Ysac : v. Isac.
Ytalien : V, 8.
�ANNEXE I
Nous éditons ici les poèmes relatifs à la réduction de Marseille en 1596 et
recopiés par Ruffi dans le manuscrit de son histoire de Marseille. Nous avons établi
dans l'édition des poésies de l'archivaire marseillais les correspondances entre les
différentes versions de ces poèmes. Nous n'éditons ici que les textes recopiés par Ruffi
et qui ne figurent que dans ce manuscrit. En en-tête du sonnet dédié à Pierre de Libertat,
Ruffi a écrit la mention suivante : « Ensuyvent les sonnetz et quatrains en francois, latin,
grec et ytalien que furent presentes au dict Libertat ».
Ces textes ne sont pas l'œuvre de l'archivaire marseillais ; ils sont le plus souvent
écrits par des notables ou par des personnalités de passage à Marseille. Un seul de ces
poèmes (la pièce n° [1]) ne figure pas dans le manuscrit MQ 112. Ce quatrain a été
publié dans la deuxième édition du Vray Discours en 1596. Il accompagne un sonnet de
Ruffi (Au Rey, pièce [5] de la série des sonnets de Ruffi sur la réduction de la ville) et
l'épigramme latine de Balthasar de Cabannes (recopiée, elle, dans le manuscrit). Ce
poème n'est pas signé ; il est fort probable que Robert Ruffi en soit l'auteur, mais aucun
élément formel ne peut nous le confirmer.352
[1]
Quatrain
Ley dous Tyrans treydours de sa terre Phoucido,
Qu'avion lous habitans privat de libertat,
Son per de Libertat cassas d'autoritat,
L'un per toustens bandit, l'autre priva de vido.
Les deux tyrans traitres de leur terre phocéenne — Qui avaient privé les
habitants de liberté, — Sont par De Libertat chassés d'autorité, — L'un exilé pour
toujours et l'autre privé de vie.
v.1 : Tyrans treydours se retrouve plusieurs fois sous la plume de Ruffi (pièces [2] et [3] de
notre édition).
v. 2-3 : Le jeu sur libertat et Libertat est une constante que nous retrouvons tout au long des
poèmes de Ruffi.
352 Le poème grec de Claude de Cabane figure sur une feuille volante, détachée de l'ensemble du manuscrit. Un texte
latin de Jehan Anthoine Cabane a été relié, sans doute par erreur, entre deux chartes médiévales recopiées par Ruffi
en un autre endroit du manuscrit. Il nous semble relatif à ces événements : « De Monsieur Jehan Anthoine Cabane
advocat a Marseille. — Ad Massiliam de liberatione parta per Ducem — LIBERTAM sub HENRICO IIII —
Francorum Rege inuictissimo — — Splendida si qua fuit benegresti gloria facti, — Creuit ab imposita nominis usque
nota — Hinc & Publicolæ, Magni hinc, & Scævola dictus, — Et quos Roma sua voce notabat auos. — Massilia hæc
tibi sunt potiori à numine dona, — Nam tu de primo nomine facta notas. — Quid libertatem LIBERTA reddidit?
Eheu — Quantum hic digna suo nomine facta dedit ! — Ergo hæc HENRICI fortuna & gloria nostri est — Quod tibi
LIBERTA sub duce parta salus. — I. A. C.”
�v. 4 : Louis D'Aix réussit à échapper à ses poursuivants et se réfugia en Italie ou en Catalogne.
Sa mort est obscure et incertaine. Charles de Casaulx a été tué par Libertat.
[2]
Quatrain
Pierre de Libertat qui tout plein de courage
A delivre l'esclave marseillois enchayne,
Le grand Dieu supernel par le front t'a donne
Une grand liberte qu'avec son sang partage.
A Eiguesier
Nous trouvons trace d'une famille Eyguesier à Marseille. Jean Eyguesier a été
juge consul en 1584, écuyer de la ville avec son frère Pierre. Leur père, Trophime
Eyguesier, était avocat au Parlement. Un Adam Eyguesier est également cité dans les
archives notariales en 1590. Nous ne pouvons pas savoir s'il faisait partie de la même
famille que Jean, Pierre et Trophime. Il est certainement l'auteur de ce quatrain. (Sur la
(ou les) famille(s) Eyguésier cf. Archives Communales de Marseille, fonds Bertas, 20
II 194).
[3]
4
De Libertat c'est Dieu, c'est l'eternelle offence
Qui a guyde ton oneur, ton estoc et ta main
Pour mander a Pluton le tyran inhumain
Qui vouloit demembrer Marseille de la France.
8
De Libertat c'est Dieu qui par sa providance
T'a faict liberateur d'ung si mechant dessein,
N'ayant failli le coup comme fit le Romain,
Car par tel coup as mis le peuple hors de souffrance.
11
Ce mesme Dieu te doingt toute prosperite,
Que Marseille jouysse en toute liberte,
De cette liberte qu'as acquise a grand gloire.
14
Le peuple qu'a senty ung dur joug sans repos,
Ores qu'est delivre, doibt a Dieu donner loz,
Faisant grand ton nom au temple de memoire.
Dubray
Nous ne savons presque rien sur ce Dubray. Son nom apparaît dans les pièces
liminaires de l'édition de 1595 (Obros et Rimos…, op. cit., p. 42). Ce sonnet est sa
�deuxième pièce connue ; elle témoigne, comme la première, d'une certaine maîtrise de
la langue et de la prosodie poétique. Aucune famille Dubray n'a été signalée par Pierre
Bertas dans son relevé conservé aux Archives Communales de Marseille. Il est possible
que ce Dubray ait été une connaissance de Ruffi, ce qui lui aurait facilité sa publication
dans les pièces liminaires de l'édition de Bellaud de la Bellaudière. Dubray n'est peutêtre pas marseillais ; César de Nostredame, salonnais, participe quelques années plus
tard à une relation des événements de 1596 (cf. La / Roiale / liberté / de / Marseille /
dédiée / Au Roy / par le Sr D. D. [Pierre de Deimier] // A / Anvers par / les heretiers de
Iehan / 16 Moret 15. / 1615., une deuxième édition à Anvers, chez le même imprimeur
en 1616 (sonnet de Nostredame dans les pièces liminaires, exemplaire consulté
bibliothèque municipale de Marseille, 200 011)).
v. 7 : Il s'agit là d'une allusion au geste de Brutus.
v. 9 : doingt pour « donne ».
[4]
Sonnet en Ytalien incerto authore
4
Coclite Horatio nel ponte vincitore
Libera Roma di Thosci assediata,
Libera Pietro Phocide assacinata
D'empii geganti, Hercol liberatore.
8
Castiga l'Espagnol, orgoglio, altiero,
Il perfido Figon, bruto ingrato,
De Theso, Arato, Bruti successore beato
Del crudel duunvirat versa l'impero.
11
A noi rende la roba, vita, honore,
Alza gli gigli d'oro, alza il diadema
Chel cielo diede a Clovio per ensegna.
14
Pero sia Liberta a voi tyranni horrore,
E di liberi casa, de liberta colonna :
Del pomposo Casal perisca l'orma.
[5]
Le sonnet cy aprez, mis en ytalien ne fut
pas faict a Libertat lors de la reduction ma[is]
quatre mois auparavant d'ung Ytalien appelle l[e]
Magnifico, detenu prisonnier par les dicts tyrans. Le fit
et le bailla lors a Libertat qui le fut voir aux
prisons et parce que ce sonnet porte prophetie que
�Libertat feroit ung valereux acte, il a este icy
transcri comme de la mesme facon que fut baille au dict
Libertat.
Sonnetto allo Illustre Segnore della bont[à]
e cortesia il capitan Pietro della Liberta.
4
Si posso aver, segnor, da voi un poco
Di quel caro cognome al monde caro,
Cantero ben in stil preggiado e raro
L'amata liberta che sempre invoco.
8
Ella hora di me se prende a gioco
E contra me mostra suo regno avaro,
Onde dolente alle mie speze imparo,
Tutto tremente, lachrimoso e f[i]oco.
11
Questa cara amorosa universale
Portate voi per honorata impresa,
Degna fama di vostra immortal gloria.
14
Capitan Liberta nome e fatale
Che ogni alma tien nel suo bel regno reza,
Per che resti de lui famosa in historia.
Di vostra Illustre Signoria sviteratissimo
servitor il consumato Magnifico che descia
preghiate di far gli dar per gratia una
dragma de letuario del vostro bellissimo
e honoratissimo cognome della cara e
amata liberta.
[4]
Horatius Coclès, vainqueur sur le pont, — Délivre Rome assiégée par les Étrusques, —
Pierre délivre Phocée assassinée — (4) Par des géants impies, tel Hercule libérateur.
—— Il punit l'orgueil hautain de l'Espagnol, — Le perfide Figon brutal et ingrat, —
Successeur heureux de Thésée, Aratus et Brutus, — (8) Il renverse l'empire du cruel
duumvirat. —— Il nous rend nos biens, la vie, l'honneur, — Il hausse les lys d'or, il
hausse le diadème — (11) Que le ciel donna à Clovis pour enseigne. —— Donc que
Libertat vous fasse horreur, — Et maison de gens libres, colonne de liberté, — (14) Que
périsse la trace du pompeux Casaulx.
[5]
Si je peux obtenir de vous, Monseigneur, — Un peu de ce cher nom qui est cher au
monde, — Je chanterai dans un style apprécié et rare — (4) La liberté aimée que
j'invoque toujours. —— À présent, elle se moque de moi, — Et elle montre contre moi
�son royaume avare, — Si bien que, plein de chagrin, j'apprends à mes frais, — (8) Et je
suis tout tremblant, larmoyant et sans voix. —— Cette chère amoureuse universelle, —
Vous la portez en tant que devise d'honneur, — (11) Réputation digne de votre gloire
immortelle. —— Capitaine Libertat est un nom fatal — Que toute âme garde rendue
dans son beau royaume, — (14) Afin qu'elle reste célèbre dans l'histoire grâce à lui.
De votre illustre seigneurie serviteur ardent le consommé Magnifico qui désire que vous
priez de lui faire donner par grâce une drachme de remède de votre très beau et très
honoré nom de la chère et aimée liberté.
Ces deux sonnets italiens posent un problème d'attribution. L'auteur du
deuxième poème est connu sous le surnom de « Magnifico ». Rien ne nous indique
d'ailleurs que ces deux poèmes aient été écrits par une seule et même personne ; un
examen attentif du texte et de la présentation pourrait révéler des différences majeures.
Le premier sonnet est en effet mal écrit et mal construit. Il ne suit pas les règles
de la versification italienne (les vers 1, 3, 6, 7, 12 sont faux). Les vers 1, 3 et 7
semblent suivre les règles françaises concernant les voyelles muettes (règles
incompréhensibles en italien). Le sens de certains vers est difficile à comprendre. Nous
pouvons en déduire que son auteur ne devait pas être au fait des prosodies poétiques
italiennes. S'agit-il d'un italien de passage à Marseille ou d'un Marseillais s'essayant au
toscan ? Les arguments avancés sont semblables à ceux contenus dans les poèmes de
Robert Ruffi ou dans ceux que l'archivaire marseillais recopie : allusions aux Espagnols
et aux lys de France…
Au dessus du texte italien, nous lisons quelques phrases écrites visiblement pour
introduire cet ensemble : « Ad massiliam de liberatione parta per ducem LIBERTAM
sub HENRICO IIII francorum rege inuictissimo. Il y a deux epigrammes : l'ung en latin
et l'autre en grec cy joinctz de Monsieur l'advocat Cabane et de son frere le medicin ».
Les deux épigrammes dont il est question sont les pièces [6] et [7] de notre publication
en cette annexe.
L'auteur du deuxième sonnet est nommé par Ruffi « Magnifico ». Nous savons
que les Italiens étaient nombreux à Marseille. Nous relevons la présence de Niccolò
Pesciolini, agent du grand-duc de Toscanne, qui séjourna à Marseille. Un italien fut
arrêté en octobre 1595 ; des portraits d'Henri IV et de Gabrielle d'Estrées avaient été
trouvés chez lui. Pierre Bertas en déduit que cet Italien devait être Pesciolini (cf. Pierre
Bertas, « Qui arma le bras de l'assassin de Casaulx? », Provincia, 14, Marseille, 1934,
p. 201-236). Wolfgang Kaiser, citant les mémoires de Pesciolini, met en doute les
affirmations de Bertas : l'Italien ne serait parti de Livourne que le 20 janvier 1596
(cf. Wolfgang Kaiser, Marseille au temps des troubles…, op. cit., p. 338). Il est
cependant certain que l'Italien arrêté en octobre 1595 est l'auteur de ce sonnet : Ruffi
indique en effet que son arrestation eut lieu quatre mois avant la réduction de la ville.
Nous pouvons également nous interroger sur les affirmations de Pesciolini. Sa venue à
Marseille nous paraît tardive pour jouer un rôle décisif dans les préliminaires de la
réduction (plusieurs jours de bateau étaient nécessaires pour rallier Marseille). Quel
intérêt aurait poussé un marchant italien à posséder des portraits du roi et de sa
maîtresse ? En ces temps difficiles, la chose était risquée. Seul un « politique »,
préparant la réduction de la ville, agent du roi ou d'une puissance alliée, aurait pu
conserver ces portraits. Nous pensons que si Pesciolini n'est pas l'auteur de ce poème, le
« Magnifico » est un de ses compatriotes qui travaillait pour lui et dans le même but :
rendre Marseille au roi.
�[4]
v. 1 : Horatius Cocles défendit le pont Sublicius devant l'armée de Persenna, roi étrusque
(cf. Tite-Live, Histoire romaine, op. cit., L. II, ch. x).
v. 3 : Phocide, Phocée, c'est-à-dire Marseille.
v. 6 : Figon est obscur. Ce terme désigne ordinairement la langue et les habitans des
communautés ligures installées en Provence orientale. Il est possible que cette dénomination
concerne le duc de Savoie, allié de la Ligue, Figon étant alors étendu à l'ensemble de la Savoie
et du Piémont.
v. 7 : Arato, Aratus, général grec chef de la ligue achéenne.
[5]
v. 4 : Le manuscrit porte foco, incompréhensible, que nous corrigeons en f[i]oco.
v. 14 : in historia est peut-être une erreur pour « in storia », car le vers est faux et compte un
pied de trop.
[6]
Ob restitutam Massiliensibus libertatem
Epigramma
2
4
6
8
10
Certa salus, nunc parta quies Phocensibus, ante
Libertas miris dilaniata modis :
Sæua tyrannorum vis fracta potentibus armis
Furtiuumque celer carpsit Iberus iter :
Principis hæc Guisii virtutis munera præbet
Petri et Libertæ dextera Massiliæ :
Splendida Bernardi Stephani facundia fulget
Cui præda ciues eripuisse decus :
Regia Massiliæ florent nunc lilia , Regis
HENRICI quarti fortia sceptra vigent.
Balthezar de Cabanes
Épigramme pour avoir rendu la liberté aux Marseillais —— Le salut est assuré, à
présent la liberté est acquise aux Phocéens, — (2) La liberté auparavant mise en pièce
par des moyens étonnants. — La force cruelle des tyrans a été brisée par des armes
puissantes, — (4) L'Ibère véloce a entrepris un voyage secret. — Ces dons du vertueux
prince de Guise, — (6) La main droite de Libertat les offre à Marseille. — L'éloquence
éclatante d'Etienne Bernard resplendit, — (8) Lui à qui revient l'honneur d'avoir arraché
les citoyens à leur proie. — À présent, les lys royaux fleurissent à Marseille — (10) Et le
sceptre valeureux du roi Henri IV montre sa force.
Balthazar de Cabannes était un modéré, lié au parti « bigarrat », assesseur de la
Justice souveraine et avocat. Cette épigramme a été publiée dans le Vray Discours.
�[7]
À Libertat, chef [et] Capitaine, à propos du meurtre du tyran. —— Pour Pénélope
l'avisée, Ulysse en personne, — (2) Hors de lui tua les prétendants d'un trait, — Ainsi
Libertat, hors de lui, tua les tyrans, — (4) Oh homme avisé, pour Marseille son amie. —
Comme Ulysse fit pour son épouse […] — (6) Libertat fit périr celui que l'on croyait être
un dieu immortel — Et les épouses tremblaient de peur [… — (8) […] — Alors Ulysse
dans son palais coupa une partie de l'oreille, — (10) Libertat [punit] l'outrage fait à sa patrie.
�ANNEXE II
Nous proposons ici un extrait du chapitre Du Langage ancien que Ruffi a inséré
dans le manuscrit de ses Mémoires. Il concerne évidemment Marseille et a été repris,
considérablement réduit, par son petit-fils Antoine dans son édition de 1642.
Après avoir disserté sur la présence du latin et du grec dans l'Antiquité, Ruffi
examine l'état du provençal et compare celui-ci avec la langue médiévale. Remarquons
à ce propos l'allusion à la publication des Vies en 1575 de Jean de Nostredame. À la
suite de ce chapitre, Ruffi recopie des documents, notamment cette Complainto de
Nostre Dame contre les Juyfz qui nous paraît faire partie d'un ensemble textuel religieux
auquel le poète marseillais n'était pas indifférent.353
« […] il y est vray que y ayant en certains poetes provenssalz composant en
ritme, encores qu'ilz entremeslassent de quelques diverses langues. Ilz ornerent quelque
peu mieulx les paroles & langage comme apert au livret imprime des poetes
provenssaulx; la composition et euvres desquelz ne continua que jusqu'a 1350. Aprez
lequel temps, on y trouve le langage tout change de 50 en 50 ans, continuant jusqu'a
presque 1600, car comme j'ay veu d'escritures vulgueres de 1400, on les trouve fort
diverses cent ans aprez & ainsi de suyte ce qu'advient par la conferance avec les
estrangiers abordans e se venans domicilier a Marseille ou ilz sont familierement receus.
Il y a bien plus qu'on entend dedans Marseille la diversite du langage par ces quatre
quartiers de la ville, car au corps de ville ou est le logis du roy, la maison de ville et la
pluspart des gentilshommes et riches marchands de la ville et n'y a plus de civilite du
langage provenssal. Au quartier de la Blancarie ou sont la pluspart mesnagiers et
bourgeois et partie de gentilshommes, il y a moingz de civilite, encore moingz au
quartier de Cavaillon ou logent la pluspart des laboreurs, comme aussi au quartier de S t
Jehan ou sont logez tous les pescheurs, gens de marine et quelques marchans. Mesmes
en ce quartier les estranges venans par mer y conversent le plus et ancores ceulx d'un
quartier vont voyager au Levant, Ponant et autres lieux, le langage est plus mesle qu'en
aucun des autres quartiers. Et me souvient qu'en l'an 1559, on fit une farce a Carnaval
de Marseille ou entre autres choses l'on contrefaisoit le langage de ceulx des dicts
quartiers sur ce que au corps de ville ilz disoyent « Ouy ben », a la Blanquerie « Ouy »
et en Cavaillon « Hoc » et a St Jehan « Ole » et enfin par succession de temps l'on y
parle a moytie francois.
J'ay mis cy aprez quelques couplets des dictes chansons spirituelles, car de
mettre tout sont trop longues.
Complainto de Nostre Dame contre les
Juyfz
Planc sobre planc e dol subre dolor,
353 Ce chapitre se trouve au milieu du manuscrit dont les pages ne sont pas foliotées.
�Que cel e terra a perdut son segnor
E yeu mon filh el solel sa clardor,
Car sens rezon l'an mort Jusieus trachor.354
Segnors e donas lo cor mi vol partir,
Car mon bel filh veq en la cros morir
E tormentar don yeu ay gran concir,
Tan gran dol ay ben355 non o pot dir.
Lasa ben veq tot lur malvais talent,
Que cel qu'el mont a creat de nyent,
An mes en cros tant descauzidament,
Miracle es, car terra non si fent.
354 Ruffi a rajouté après ce vers : Diou lou mortal dolor.
355 Nous ne sommes pas sûr de la lecture de ben.
�TABLE DES INCIPIT
A bon drech nostre rey t’a mandat en Provensso (XVI [7])........................... 278
A Dieu nous demandons que noz pechez pardonne (XL [9]).......................... 415
A fremo si bono vo deshonesto (II [9])............................................................ 125
A tout jamay sares mon grand amy Barriere (XXI)........................................292
A toy qui fus ainsy nommee Marguerite (XXIII).............................................305
Alegres, te vezen vengut en esto villo (XV [5])............................................... 260
Amen veult qu’ainsi soit et selon nostre espoir (XL [12]).............................. 416
Amour borreou dau cor es un mau incurable (VII [14]).................................222
Amour es dins lo cor coumo un ausseou en gabi (VII [10])............................219
Amour non es ren diou puy qu’es tant envejous (VII [3])............................... 215
Amour sur tous lous dious es tengut lo premier (VII [2])............................... 215
Aqueou que dis qu’Amour es gentil damoizeou (VII [6])................................217
Aqueou que dis qu’Amour non es diou subeiran (VII [4]).............................. 216
Aqueou que dis que sap lou bas e haut (II [32])..............................................130
Aqueou que fa en paure home daumage (II [57])............................................135
Aqueou que pegne Amour gran monarco das dious (VII [5]).........................216
Aqueou tiran treydour de sa terro foucido (XV [4])....................................... 259
Aros preguen d’un cor contrit (XXX [2])....................................................... 361
Assemblar d’or es causo difficilo (II [89])...................................................... 142
Au monde fau estre ben trabalhant (II [113])..................................................147
Au paraulous que de prepaux espousco (II [37])............................................ 131
Au riaume qu’es bono tranquilitat (II [81]).....................................................140
Ay Dieu, paure Marseille, qui t’a vis et ti ves (XLI)....................................... 418
Belau prenent huroux de Minerve naissance (XIV)........................................249
Bellaud, ton dot escrich s’anavo gitar pourre (X).......................................... 239
Benurous siege au ceou Monsur lou lutenent (XI)..........................................243
Beoutat de fremo es recomandacion (II [103])............................................... 145
C’est a vous, o grand prince et vicaire en l’Empire (XXIV).......................... 307
C’est le bien de nature au pain que demandons (XL [8])............................... 414
Ce qu’amo fremo es amat caudoment (II [15])............................................... 126
Content si dis quu a l’esperit content (II [4]).................................................. 124
Coumo lou ceou es de lumiÉros bellos (II [99])..............................................144
Coumo un marchant es per far bancorouto (II [90]).......................................142
Cregne la mort es d’hamaro naturo (II[17])................................................... 126
D’aver de bens non sieges tan ardent (II [69])............................................... 138
D’home vivent jamay non sieges plejo (II [13]).............................................. 125
D’opinion si pot cambiar souvent (II [78])..................................................... 140
D’orguelh non sorte honestetat deguno (II [79])............................................ 140
De faire benb per son luec vo la villo (II [76])................................................139
De l’agulho nautres viven (IV)........................................................................172
De passotens e de touto alegresso (II [77]).....................................................139
De pleidejar reten-ti la cabesso (II [16]).........................................................126
De s’aflatar per trop, l’amour s’escuro (II [47])............................................ 133
�De t’aflatar en cas de mariagi (II [58])...........................................................135
Degun non deou en fortuno esperar (II [71]).................................................. 138
Delivrez-nous des maux qu’avons bien merite (XL [11])............................... 416
Diou sur lous bons a toutos houros velho (II [88])......................................... 142
Dioun que la fremo es de l’home naufragi (II [40])........................................ 131
Dire : « yeou suc sortit de grand noblesso » (II [3]).......................................123
Doas oulos fa bon veire pres dau fueq (II [31]).............................................. 130
En fiat souhaitons que comme dans les cieux (XL [7])...................................414
En grand honour un home restara (II [27]).................................................... 129
En legis rigidus custos ius contulit alte (XII)..................................................245
En toy toutes vertus sont dignement diffuses (XVI [1])...................................269
En un prodigue ajudar es perdut (II [91]).......................................................142
Es folie d’allegar que l’Amour sie pichon (VII [8])........................................218
Es may d’honour a l’home montar haut (II [43])............................................132
Fe ny pietat non regnoun plus en terro (II [55])............................................. 135
Forsso honour ay agut, yeu villo de Marselho (XIX)..................................... 289
Fort ben si fau gardar d’un qu’es trop curious (III)....................................... 166
Fortuno vou lous paures degitar (II [11])....................................................... 125
Fransso tristo en son cor de veire La Rochello (XXXV [1])..........................390
Fuge avarici, amo la modestie (II [97]).......................................................... 144
Galhard fouguet lo cop que descubret la veno (XIII)..................................... 246
Gardo-ti ben contro degun mau dire (II [54]).................................................134
Gardo-ti ben d’estre trop curious (II [105])....................................................146
Gardo-ti ben toun secret revelar (II [46])....................................................... 133
Gardo-ti vielh de trop de vin & viando (II [100])........................................... 144
Graces nous te rendons homme Dieu rédempteur (XL [1])............................411
Grand Diou, fornissez-mi d’uno gaillardo humour (VI).................................181
Helas, tu podes ben plorar Marselho (XXX [1])............................................ 347
Henric de lieli, grand prince qu’as fach intrado (XV [1])..............................252
Henric, prince vales, que de ta man rialo (XV [2])........................................ 256
Hurouso foun l’estello e de tout fortunado (VIII)........................................... 235
Il nous permet tout bon l’apeller Nostre Pere (XL [2]).................................. 412
In celis, c’est de Dieu l’eternelle France (XL [4])..........................................413
Je ne puis impuissant pour les ames prier (IX)...............................................237
L’ambicious non es sadoul jamay (II [63])..................................................... 136
L’avare va recercant sa vergogno (II [85]).....................................................141
L’envejo ven d’orguelh e qui n’en uzo (II [110])............................................ 147
L’home afeitat que son visagi esparmo (II [44])............................................. 132
L’home de ben quand si trobo atacat (II [67])................................................ 137
L’home pauret dau riche es mau vengut (II [59])........................................... 136
L’home prudent pauc de causos fara (II [35])................................................ 130
L’home que va de sa man lachoment (II [102])...............................................145
L’home suget a debaucho trop grando (II [108])............................................146
L’home viel que de Diou ten uno longo vido (XXXIX).................................. 402
La condition das sugets es seguro (II [98])..................................................... 144
La condition de vieure es diferento (II [8])..................................................... 124
La lauzour va enseguent la vertut (II [106])....................................................146
La reyno a son soupar manjavo d’ortolans (XXXII)......................................383
�La sagi fremo entreten la meison (II [50])...................................................... 134
La sobrietat lous vices fa perir (II [33]).......................................................... 130
La voix que fit le tout de l’un et l’autre pole (XXXIII [1])............................. 386
Le grand Dieu qui t’a fait naistre grand roy de France (XXXV [2]).............391
Les tannez Affricains sont remplis de vengence (V)........................................177
Los tormens inventas per l’armo abhominablo (XXXIV).............................. 388
Lou ben mondan ven souvent per fortuno (II [60])......................................... 136
Lou ben s’amasso en suzour e magagno (II [14])........................................... 126
Lou fol amour cambie coumo lou vent (II [72]).............................................. 138
Lou rey, plen de gran bontat (XXVII)............................................................ 330
Lou servitour de Diou s’es visitat (II [70])......................................................138
Lou tens passat va comprenent lou sagi (II [38])............................................131
Lou vertuous dau vice es lou segnour (II [41])............................................... 132
Lous roturiez si far nobles vezes (II [6])..........................................................124
Luter, Viret, Beze, Calvin (XXXIII [2]).......................................................... 123
Ly a tant d’uffano au mascle e au femelan (II [42])........................................132
Marseille, amour du ciel, du sort et de Neptune (XX).................................... 291
Marselho donq a lou premier honour (XXXI)................................................379
Marselho ero d’onour e libertat privado (XVI [3])........................................ 272
May de vertut ly a conservant son ben (II [96]).............................................. 144
Messurs los deputas, Diou vous doun longo vido (XVIII).............................. 286
Mious vau manjar un morsseu sec en pas (II [65])......................................... 137
Moulhe au marit douno bon reconfort (II [26]).............................................. 128
N’y a que courron la posto amont et en vallado (XXV)................................. 313
Nautres que sian fugis per las bastidos (XXX [3])......................................... 376
Non ages pas tant de gauch se as proun ben (II [20]).....................................127
Non poudent estre enssens de la partido (XXII).............................................294
Non prestes pas car bessay non v’auras (II [23])........................................... 128
Non viestes pas molher hauto en colour (II [21])............................................127
Non, non, yeou diq qu’Amour cadun que vou enrollo (VII [7])......................218
Non, yeu diq que l’Amour das huels e cor enssens (VII [13]).........................221
Nous souhaitons des maulx & périls precaution (XL [10])............................ 415
O prince guisian, sagrat sang de Lorreno (XVI [4])...................................... 272
O que va mau quand ce que per vertut (II [18])..............................................127
On reconoit icy un nom particulier (XL [3])...................................................413
Pelegrin volontous que t’en venes devot (XXIX)............................................338
Per art lou ferri es tant subtilizat (II [12])...................................................... 125
Per la fin ly a tres sortos de fortuno (II [101])................................................145
Per terro e mar lous homes fan grand cours (II [53]).....................................134
Per tu prince vales, segond yeli de Fransso (XV [3]).....................................258
Perque dins aquest vas ombrenc & segrenous (XXVIII [2])..........................335
Pertinent es endilhant uno harengo (II [80])...................................................140
Promesso ten de ce qu’auras conclus (II [39])................................................131
Prosperitat de cadun fort amado (II [68]).......................................................137
Puy si vos vieure en terro longoment (II [2]).................................................. 123
Puys que das hueils l’on dis qu’Amour pren l’origino (VII [11])...................220
Quan la despensso es justo au revengut (II [95])............................................143
Quand acabat as un grand bastiment (II [92])................................................143
�Quand l’home naisse au mondan hermitagi (II [28])......................................129
Quand libertat fouguet per Libertat donado (XVI [6])...................................124
Quand lou printems e l’autoun (XXVI).......................................................... 316
Quand te seguis un chin leissant son mestre (II [48])..................................... 133
Quand veas venir un marchant estrangier (II [19])........................................ 127
Quand vous fan offro aprochant de reson (II [56])......................................... 135
Quant a mi diou qu’Amour es encaro un enfant (VII [9])...............................125
Qui a bon consseou e non en vol usar (II [82])............................................... 140
Qui a proun vertus, tanben cauque gros vici (II [62]).....................................136
Qui gardo ben sa bouco e may sa lengo (II [104])..........................................145
Qui mou procez per trop injustoment (II [10])................................................ 125
Qui parlo plan embe frejo mineto (II [7])........................................................124
Qui penssara venir en de grandours (II [30])................................................. 129
Qui porto habis riches per excellensso (II [51])..............................................134
Qui s’amo trop va mespresant cadun (II [111]).............................................. 147
Qui uzara de paraulo piquanto (II [107])....................................................... 146
Quouro as fa vot a Diou gardo-ti ben (II [64])............................................... 137
Quu si voudra en segurtat tenir (II [61]).........................................................136
S’esbahit-on pourquoy Marguerite a pris place (XXVIII [1])........................335
Se as fach plazer en quauquo creaturo (II [22])............................................. 128
Seigneur vostre royaume a nous par vous advienne (XL [6]).........................414
Sens li pensar prometre es grand simplesso (II [29])......................................129
Sept poulos dioun lou gau pot contentar (II [49])........................................... 133
Servici fach en sesoun oportuno (II [66])........................................................137
Si a degalhar toun ben sies coustumier (II [52])............................................. 134
Si cauquun es de villo lou premie (II [84])......................................................141
Si de quaucun ti trobes mau content (II [34])..................................................130
Si desiras de fes un acord faire (II [83])......................................................... 141
Si entre tas mans la causo es sequestrado (II [24]).........................................128
Si quauque amic en honour as boutat (II [74])............................................... 139
Si quauque riche amassaire d’argent (II [36])................................................131
Si tu sies prez de prince vo segnour (II [73]).................................................. 139
Sies courajous contro malo aventuro (II [93])................................................ 143
Sies gracious a tous sens mau penssar (II [25])..............................................128
Siro, lous dous tyrans, reyteles de Marselho (XVI [5]).................................. 274
Sus barbetos e barbez (XXXVII).................................................................... 395
Tanben qui es orguelhous per richessos (II [112])..........................................147
Tant que sentras glatir venos e pous (II [1])................................................... 123
Tau semblo riche e aver grand tresor (II [45]).............................................. 133
Tire donc qui pourra dau greffe dau palais (XVII)........................................ 282
Ton nom s’es paregut plen de sens mysticat (XVI [2])................................... 270
Tout ce que la naturo e lo seou favorable (XVI [8]).......................................280
Tout ce que vean au monde dire e faire (II [87]).............................................142
Tout passo e ven per son tems e sesoun (II [94]).............................................143
Tres causos li a aurelhos, huels e lengo (II [109])..........................................146
Un coleriq dioun qu’a bel esperit (II [114])....................................................147
Un douno tard, l’autre pren diligent (II [86])................................................. 141
Un es ben leou maridat, l’autre tard (II [5])................................................... 124
�Un qu’es tancat a de gros accidens (II [75])...................................................139
Uno troupo d’Arquins aneron en bastido (XXXVIII).....................................399
Veh iterum veh! Urbis Parcæ quæ Margarete (XXVIII [3]).......................... 336
Ventre reconoissent son vici de naturo (XXXVI)........................................... 393
Vostre tres haut nom est au ciel sanctifie (XL [5])......................................... 413
Yeou canti lous plazers de la vido rustiquo (I).................................................64
Yeou manteni qu’as huels non s’engendro l’Amour (VII [12]).......................215
Yeou voli a tout jamay, sensso m’estre fachous (VII [1])............................... 214
�
Article (Campus)
Région Administrative
Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Robert Ruffi : œuvres poétiques / Jean-Yves Casanova [édition scientifique]
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Édition des œuvres poétiques de Robert Ruffi par Jean-Yves Casanova
Edicion de las òbras poeticas de Robert Ruffi per Joan-Ives Casanòva
Subject
The topic of the resource
Ruffi, Robert (1542-1634)
Littérature occitane -- Histoire et critique -- 16e siècle
Description
An account of the resource
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Avec cette nouvelle édition critique Jean-Yves Casanova a voulu rendre hommage à Robert Ruffi, homme de lettres marseillais de la fin du XVI<sup>e</sup> et du début du XVII<sup>e</sup> siècle, dont les importants travaux historiques, presque ignorés, et les écrits poétiques n’ont pas reçu la reconnaissance qu’ils méritent. Ses œuvres littéraires ne firent pas l’objet d’une publication spécifique de son vivant, mais deux de ses sonnets apparaissent toutefois dans les pièces liminaires de l’édition des <em>Obros e Rimos</em> de Bellaud de la Bellaudière en 1595. Robert Ruffi ayant laissé deux manuscrits inédits, l’un poétique, l’autre historique<a id="1" href="#note1"><sup>1</sup></a>, Jean-Yves Casanova a choisi d’éditer ici les œuvres poétiques. Celles-ci avaient déjà fait l’objet d’une édition en 1894, mais qui n’était que partielle et appelait donc un travail d'édition critique.<br /><br />Une version abrégée de cette édition est parue sous le titre <em>Contradiccions d’Amor</em> en 2000 aux éditions Atlantica à Biarritz.<br /><br /></p>
<h2>À propos de l'éditeur</h2>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Jean-Yves Casanova est Professeur à l’Université de Pau et des pays de l’Adour depuis 1996 et spécialiste de la poésie baroque occitane. Il est l’auteur d’études de référence sur des auteurs comme Jean de Nostredame (1507?-1577), Bellaud de la Bellaudière (1533?-1588) ou encore Robert Ruffi (1542-1634).<br />Il est également l’un des plus grands spécialistes contemporains de l’œuvre d’auteurs comme Victor Gélu et Frédéric Mistral<a id="2" href="#note2"><sup>2</sup></a>.<br />Jean-Yves Casanova a également été président du Pen-Club de Langue d’Oc. <br /><br /></p>
<p style="line-height: 150%; text-align: center;">-------------------------------<br /><br /></p>
<p id="note1" style="text-align: justify; line-height: 150%;"><sup>1</sup>.<!--Insérer le texte de la note ici --> Conservés au Musée Paul Arbaud, les deux manuscrits sont respectivement côtés MQ111 et MQ112. <a href="#1">↑</a></p>
<p id="note2" style="text-align: justify; line-height: 150%;"><sup>2</sup>. <!--Insérer le texte de la note ici -->Voir son ouvrage <em>L’Enfant, la mort et les rêves</em>. Trabucaire, Perpignan, 2004, 418 pp <a href="#2">↑</a></p>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Amb aquela edicion critica nòva Joan-Ives Casanòva rend omenatge a Robert Ruffi, òme de letras marselhés de la fin del sègle XVI e de la debuta del sègle XVII, que los importants estudis istorics, gaireben desconeguts, e los escriches poetics an pas reçauput la renommada que meritavan. Sas òbras literàrias foguèron pas l’objècte d’una publicacion especifica del temps de sa vida, mas dos de sos sonets apareisson totun dins las pèças liminaras de l’edicion des las <em>Obros e Rimos</em> de Belaud de la Belaudiera en 1595. Robert Ruffi daissa dos manuscrits, qu’un es poetic e l’autre istoric<a id="1" href="#note1"><sup>1</sup></a>. Joan-Ives Casanòva a causit d’editar aquí las òbras poeticas. Aquelas avián ja fach l’objècte d’una edicion en 1894, mas èra pas que parciala e demandava doncas un trabalh d'edicion critica.<br /><br />Una version abreujada d’aquesta edicion a paregut jos lo títol <em>Contradiccions d’Amor</em> en 2000 a las edicions Atlantica a Biàrritz. <br /><br /></p>
<h2>A prepaus de l'editor</h2>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Nascut en 1957, Joan-Ives Casanòva es Professor a l’Universitat de Pau e dels païses de l’Ador dempuèi 1996 e especialista de la poesia baròca occitana. Es l’autor d’estudis de referéncia sus d’autors coma Jean de Nostredame (1507?-1577), Belaud de la Belaudiera (1533?-1588) o encara Robert Ruffi (1542-1634).<br />Es tanben l’un dels especialistas màgers a l’ora d’ara de l’òbra d’autors coma Victor Gelu e Frederic Mistral<a id="2" href="#note2"><sup>2</sup></a>. Joan-Ives Casanòva es estat tanben President del Pen-Club de Lenga d’Òc.<br /><br /></p>
<p style="line-height: 150%; text-align: center;">-----------------------------------------</p>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;"> </p>
<p id="note1" style="text-align: justify; line-height: 150%;">1.<!--Insérer le texte de la note ici --> Conservats al Musée Paul Arbaud, los dos manuscrits pòrtan respectivament las còtas de MQ111 e MQ112.<a href="#1">↑</a></p>
<p id="note2" style="text-align: justify; line-height: 150%;">2. <!--Insérer le texte de la note ici -->Véser son obratge <em>L’Enfant, la mort et les rêves</em>. Trabucaire, Perpignan, 2004, 418 pp<a href="#2">↑</a></p>
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Casanova, Joan-Ives (1957-....)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
2015
Language
A language of the resource
fre
oci
Type
The nature or genre of the resource
Text
texte électronique
Temporal Coverage
Temporal characteristics of the resource.
15..
Date Issued
Date of formal issuance (e.g., publication) of the resource.
2015-12-14 Aurélien Bertrand
Rights
Information about rights held in and over the resource
© Jean-Yves Casanova
Relation
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1 vol. (412 p.)
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
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Date Modified
Date on which the resource was changed.
2015-12-16 [AB]
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