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Yannick FRIZET
Docteur en histoire de l'art médiéval
Université Aix-Marseille
René d'Anjou et les autorités publiques
provençales face aux dangers venus de la mer
Une impossible sécurisation ?
Conférence donnée lors des 11e Rencontres du Patrimoine historique
« Promenade entre Languedoc et Provence au XVe siècle »
Béziers, Tarascon – 12-13 octobre 2018
Per citar aqueste document / Pour citer ce document :
FRIZET, Yannick. René d'Anjou et les autorités publiques provençales face aux dangers
venus de la mer : une impossible sécurisation ?. In HISTOIRE ET CULTURES EN
LANGUEDOC. Promenade entre Languedoc et Provence au XV e siècle , 12-13 octobre,
Béziers, Tarascon [En ligne]. Béziers : CIRDÒC-Mediatèca occitana, 2019. Disponible
sur : <http://occitanica.eu/omeka/items/show/21277> (Date de consultation)
�René d’Anjou et les autorités publiques provençales face aux
dangers venus de la mer : une impossible sécurisation?
Yannick Frizet, membre associé Aix Marseille Univ., CNRS, LA3M, Aix-en-Provence, France
INTRODUCTION
Les contextes de conflits offrent de bonnes occasions à l'historien d'observer et de
préciser le métabolisme et les interactions des diverses organisations politiques et
sociales d'une société1. C'est dans cet esprit que cette recherche a été menée, avec pour
objectif d'évaluer la capacité des institutions provençales à assurer, dans un second
XVe siècle encore en proie à une multitude de risques humains, la sécurité de leur
littoral. Il ne sera donc pas question ici des risques naturels, pourtant bien réels, et nous
nous limiterons aux règnes de trois princes, René d'Anjou, Louis XI et Charles VIII.
Pour finir de caractériser la période retenue, il faut considérer le littoral provençal dans
le paysage méditerranéen global, eu égard aux relations rayonnantes de cette
principauté et à la fréquentation assidue de ses eaux par tous les acteurs du monde
maritime méditerranéen.
Le portulan conservé aux A.D. des Hautes-Alpes à Gap (doc. 1), daté de notre
période et certainement réalisé pour les besoins du commerce maritime méditerranéen,
rend compte de l'indissociabilité des diverses rives de la Mer du milieu. Le second
XVe siècle nous place donc dans une "tectonique" des États méditerranéens
caractérisée par une forte emprise aragonaise (Baléares, Sardaigne, deux Sicile),
secouée par les tentatives de conquête, par les derniers Anjou de Provence, des
royaumes de Naples (1459-1463) et d'Aragon (1466-1472). La permanence des flux
maritimes entre les cités de Venise, Florence, Gênes, Marseille, Aigues-Mortes,
Montpellier, Barcelone et les ports des royaumes maghrébins (Tunis, Bône, Bougie)
commence à subir le contrecoup de la dynamique de bascule musulmane, progression
des Ottomans à l'est sur l'empire byzantin (prise de Constantinople, 1453), et retraite
des Andalous vers le Maghreb sous l'effet de la Reconquista (chute du califat de
Cordoue, 1492).
Notre sujet est d'autant plus intéressant et complexe qu'il est innervé par une
pluralité de thèmes de recherche maritime, l'histoire de la marine française et de la
guerre navale, de la course et de la piraterie, de l'esclavage sur les deux rives de la
Méditerranée et du commerce maritime 2 . La question de la dangerosité du littoral
1
Christiane Raynaud (dir.), Villes en guerre (XIVe-XVe siècles), Aix-en-Provence, Presses universitaires de
Provence, 2008.
2
Louis de Mas-Latrie, Relations et commerce de l'Afrique septentrionale, ou Magreb, avec les nations
chrétiennes au Moyen-Age, Paris, Firmin-Didot, 1886 ; Charles de La Roncière, Georges Clerc-Rampal, Histoire
de la Marine française, Paris, Librairie Larousse, 1934 ; René Gandilhon, Politique économique de Louis XI,
Presses universitaires de France, 1941, p. 241-384 ; Raymond Collier, Joseph Billioud, Histoire du commerce de
Marseille, publié par la Chambre de Commerce de Marseille, t. III, Paris, 1951 ; Paul-Louis Malausséna,
1
�provençal au XVe siècle a été peu traitée dans l’historiographie, alors que les siècles
antérieurs et postérieurs sont plus étudiés3. Pour le siècle considéré, elle apparaît de
manière incidente dans les travaux d’historiens méthodistes de la IIIe République,
qu’ils se soient consacrés à l’histoire de la Provence, comme Albert Lecoy de la
Marche et Charles de Ribbe4, ou à la langue occitane comme l’archiviste-paléographe
Paul Meyer5. Un renouvèlement récent des connaissances est apporté par les travaux et
les publications de sources de Philippe Rigaud à partir des années 19806, sans compter
les apports des campagnes récentes de fouilles archéologiques sur le littoral 7 . Je
m'appuierai également sur le texte latin des statuts et requêtes formulées par les trois
États de Provence tenus le 15 janvier 1482 devant le représentant de leur nouveau
souverain8, Louis XI, et quelques-unes des 290 lettres manuscrites de la chancellerie
de René d'Anjou, conservées à la Bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence9, signées
de son secrétaire Pierre Puig, rédigées tantôt en latin, tantôt en catalan, et qui
concernent essentiellement les affaires aragonaises entre 1468 et 1471.
Il ne sera pas inutile, avant d'entrer dans le vif du sujet, de faire un rappel des
diverses menaces encourues par le littoral provençal. Nous aborderons ensuite le sujet
de la mise en sécurité par les autorités souveraines, à savoir les comtes de Provence
eux-mêmes, de la portion maritime du comté de Provence. Enfin, on terminera cette
communication par un examen du rôle des pouvoirs publics "secondaires" (officiers,
communes, nobles locaux) dans la gestion des catastrophes maritimes.
« Promissio redemptionis : le rachat des captifs chrétiens en pays musulman, à la fin du XIV e siècle », in
Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, t. 80, n°88, 1968,
p. 255-281 et « Maîtres et esclaves en Provence au Moyen Âge », in Mélanges Roger Aubenas, Montpellier,
1974, p. 527-544 ; Philippe Bernardi, "Esclaves et artisanat : une main-d’œuvre étrangère dans la Provence des
XIIIe-XVe siècles", Actes du XXXe congrès de la SHMES, Göttingen, 1999 ; Olivier Pétré-Grenouilleau, Les
traites négrières, éd. Gallimard, 2004.
3
G. de Rey, Les invasions des Sarrasins en Provence pendant le VIIIe, le IXe et le Xe siècle, Marseille, 1878,
Laffite reprints, 1971 ; Philippe Sénac, Provence et piraterie sarrasine, Paris, éd. Maisonneuve et Larose, 1982 ;
Nicolas Faucherre, « Louis XII, François Ier et la défense des côtes provençales », in Bulletin monumental,
Mélanges en l’honneur d’Henri-Paul Eydoux, t. 151-I, 1993, p. 293-301 ; Fernand Braudel, La Méditerranée et
le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, t. II, Paris, éd. A. Colin, rééd. 2010, p. 581-649.
4
Albert Lecoy de la Marche, Le roi René, sa vie, son administration, ses travaux artistiques et littéraires, t. I,
Paris, 1875, p. 207, 480-483, 527-530 ; Charles de Ribbe, La société provençale à la fin du Moyen Age, Paris,
Librairie Perrin, 1898, p. 25-43, 327-352.
5
Paul Meyer, Documents linguistiques du Midi de la France, recueillis et publiés avec glossaire et cartes, Ain,
Basses-Alpes, Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes, Paris, 1909, p. 628-629, 631.
6
Philippe Rigaud, La galeota d'Arle. La capture d'une galère catalane en Camargue en 1469, Arles, Mesclum,
1984, 39 p. ; Pirates et corsaires dans les mers de Provence (XVe-XVIe siècles). Letras de la costiera. Paris, éd.
CTHS, 2006 ; "Lettres d'alarme des Alpes maritimes aux archives d'Arles (fin XVe-déb. XVIe siècle)", in
Archeam, 22, 2016, p. 169-173. Je tiens à remercier bien amicalement Philippe Rigaud de m’avoir communiqué
plusieurs éléments de bibliographie ainsi que plusieurs pages transcrites de sources inédites, qui seront analysées
plus loin.
7
Comme les travaux de Corinne Landuré, Claude Vella, Marion Charlet (dir.), La Camargue, au détour d’un
méandre. Études archéologiques et environnementales du Rhône d’Ulmet, Musée départemental d'Arles antique,
2015.
8
D’après la transcription latine de Gustave Arnaud d’Agnel, Politique des rois de France en Provence,
Documents, Paris-Marseille, 1914, t. II, p. 68-94.
9
Ms 771 1064. Voir aussi Jean-Baptiste Lautard, Notice historique sur 290 lettres..., 23 août 1812, p. 204-218,
257-268 (cote In pcs 09089).
2
�I - LA PLURALITE DU RISQUE MARITIME
Il faut préciser que les Provençaux du XVe siècle subissant leurs méfaits ont des
difficultés à distinguer, aussi nettement que nous le faisons, entre corsaires et pirates. Il
aurait fallu pour cela connaître les états de service récents de chacun des brigands du
littoral. Certains contextes conflictuels bien identifiés sont naturellement propices à
l'activité de corsaires, chargés par une commune ou un prince ennemi de venger
quelque revers, abrités derrière des lettres de marque ayant force de droit. Les
communes bordières de la Provence, des rives rhodaniennes et du littoral
méditerranéen, tenues par leurs propres moyens informées des tensions récurrentes
entre leur comte et le roi d'Aragon ou le roi de France, savent le cas échéant qu'elles
ont à craindre des représailles menées par des corsaires aragonais ou français. La
coutume des lettres de marque (marcha) ou de représailles (remedium represaliorum),
dénoncée dans deux articles des États de 1482 (15, 33), compte parmi celles que les
Provençaux souhaitent voir abrogées par Louis XI. Mais comment savoir si un navire
suspect s'approchant des côtes agit sur ordre, et, à défaut de bannière, sur ordre de quel
prince, alors que tant de pirates n'ont que l'arbitraire pour seul mandat10.
Dans les deux cas, course ou piraterie, les violences et les pillages sont les
mêmes. Ils visent autant les embarcations que les îles et le continent, s'en prennent aux
hommes, au bétail, aux biens. C'est ce que révèle par exemple l'attaque d'Ulmet,
abbaye cistercienne de Camargue, sur la rive occidentale du Grand Rhône, en 1452,
par un corsaire catalan. Les navires assaillants s'approchent discrètement des côtes,
profitant de l'abri d'une île (archipel de Lérins, d'Hyères) ou d'une calanque pour faire
l'aiguade et relâche ("restor"), en particulier la nuit11. De cette position, ils peuvent
prendre d'autres embarcations en chasse, les canonner, darder contre eux des traits
d'arbalète, leur jeter des grenades. Un fois le navire sous contrôle, il peut être pillé, les
hommes tués ou incorporés de force à la chiourme. La nécessité continue d'alimenter
les bancs des rameurs qui propulsent les navires compte parmi les principaux motifs
du brigandage maritime. D'autres capturés sont mis à mort, notamment par noyade 12 ;
certains sont vendus comme esclaves ; d'autres sont mis à rançon au cours d'un
"parlament" ou "rescate13" (rachat), organisé sur le navire même, où des proches des
captifs montent pour négocier avec les ravisseurs.
Tous sont menacés 14 , et en premier lieu les pêcheurs, leurs barques et leur
matériel 15 . Il arrive cependant qu'une sélection soit opérée, comme sur cette "fusta
armada" qui prélève au hasard en 1491 une dizaine d'hommes sur les côtes de
Grimaud, avant de relâcher les "Provensals", gardant seulement les Ligures16. Trois
ans plus tard, les syndics de La Ciotat signalent des galées qui ont l'intention de pendre
10
Pour la distinction corsaires/pirates, on se reportera à De Mas-Latrie, op. cit., p. 177, 404, ou au Dictionnaire
du Moyen Âge, dir. Claude Gauvard, Alain de Libera, Michel Zink, Paris, PUF, coll. Quadrige, 2002, p. 359-360,
830.
11
Rigaud, op. cit., 2006, p. 36.
12
Ibidem, p. 81.
13
Ibid., p.37, n. 53 et p.38. On trouve aussi "requate" (p. 74) ou « parlament » (p.118).
14
Le danger de capture peut s'étendre à l'arrière-pays où des capitaines de galères poussent leur recrutement
forcé, comme à Brignoles ou Tarascon (Thierry Pécout, Claude Roux, « La Provence au temps du roi René », in
Jean-Michel Matz, Elisabeth Verry (dir.), Le roi René dans tous ses États, Paris, éd. du Patrimoine, Centre des
monuments nationaux, 2009, p. 88).
15
Rigaud, op. cit., 2006, p. 61, 69, 74.
16
Ibid., p. 67 : "non volian point Provensals".
3
�tous les Marseillais qu'elles rencontreraient à leurs antennes 17 . L'aspect fortement
conjoncturel de ces exactions ciblées les rapproche de la course plus que de la piraterie
; on cherche des victimes originaires de la nation de laquelle on veut se venger.
À la question de l'identité de ces corsaires ou pirates, on peut apporter quelques
précisions. Il faut tout d'abord évoquer le péril séculaire pour les Provençaux, celui des
Sarrasins. En effet, les razzias des musulmans sur les côtes provençales sont bien
connues, attestées dès le IXe siècle18 et prolongées jusqu'aux premières décennies du
XIXe siècle19. Le XVe siècle connaît toujours cette menace. Le Livre des faits du bon
messire Jehan le Meingre, dit Bouciquaut (1409) évoque son combat naval victorieux
de septembre 1408 contre quatre navires maures entre Roquebrune et les îles
d'Hyères20. À cette occasion, des esclaves chrétiens retrouvent la liberté. Par ailleurs,
des messages produits par les communes littorales dans les années 1492 et 1494,
parlent d'escadres de cinq à sept fustes de "Moros21". Le vocabulaire utilisé dans les
messages municipaux pour désigner ces pirates ou corsaires musulmans est fluctuant
et indique l'imprécision des représentations quant à leur provenance. On trouve la
dénomination de "Turc" (ou "Turch") en 1501, puis à partir de 1514 (au pluriel), tandis
que "Moros" ou "Mores" perdurent en 1504, 1509 et 1515 22 . Plus que des Turcs
Ottomans, dont la présence dans ces eaux est fonction de l'avancée de leur conquête de
l'Occident musulman, dans les vingt premières années du XVIe siècle, il s'agit
probablement de Maghrébins. Le XVe siècle correspond en effet à une période de
recrudescence des brigandages sarrasins dans l'ouest méditerranéen, et ce pour au
moins deux raisons.
D'une part, la fragilisation du pouvoir des émirs de Tunis ou de Bône ne leur
permet plus de faire respecter les traités commerciaux passés de longue date avec les
chrétiens et qui garantissaient contre les mauvaises pratiques (pillages, rançons, vente
de captifs, esclavage). D'autre part, l'arrivée au Maghreb d'Andalous humiliés, chassés
par les rois catholiques, conjuguée à l'émulation suscitée par l'avancée turque dans
l'empire byzantin, produit un fort sentiment d'hostilité envers les chrétiens23. On note
également que le commerce maritime maghrébin n'atteignait pas ou peu le littoral
chrétien occidental24, ce qui renforce probablement les inquiétudes à l'approche d'une
fuste identifiée comme mauresque.
Pour autant, les pirates musulmans ne semblent pas constituer le principal
danger pour les Provençaux du second XVe siècle. Ceux qui sont désignés par
l'appellation d'"ennemichs" dans les messages municipaux (1468, 147725), sont à mon
sens ceux que l'on trouve sous le nom de "Cathalans" ou "Cathelans26". Les sources
17
Ibid., p. 74.
Sénac, op. cit., 1982.
19
De Ribbe, op. cit., 1898, p. 28.
20
Denis Lalande, Jean II le Meingre, dit Boucicaut (1366-1421), étude d’une biographie héroïque, Genève,
Droz, 1988, p. 151-152.
21
Rigaud, op. cit., 2006, p. 73, 75.
22
Ibid., p. 90, 92, 99, 100, 109, 115, 121.
23
De Mas Latrie, op. cit., 1886, p. 176, 179, 373, 402-404, 408, 453, 497.
24
Ibid., p. 209-211. Cependant, en ouvrant l'accès du port de Mrs en 1472 à toutes les nations, y compris les
infidèles, René suggère que l'escale de navires mauresques est envisageable.
25
Rigaud, op. cit., 2006, p. 55, 58.
26
Rigaud, op. cit., 1984, p. 10 ; A.C. Arles CC 217 n°62, lettre du 26 octobre (1476-1480 ?) (pièce aimablement
communiquée par Ph. Rigaud).
18
4
�marseillaises font même usage, quelques années après le traumatisme du sac de
Marseille de 1423, de l'insulte latine de "canes cathalanos27" (« chiens de Catalans »).
Mais qui se trouve réellement derrière cette représentation de l'ennemi mortel ? Il est
vrai que les sources provençales peuvent être ambiguës à ce sujet, en particulier
lorsqu'elles mentionnent le nom du souverain ennemi, "Ferrandinum" ou "Ferrand28",
car deux princes aragonais portent ce même nom de Ferdinand : le roi Ferdinand II
d'Aragon (1479-1516), époux d'Isabelle de Castille, et le roi Ferrante de Naples (14581494), fils bâtard d'Alphonse V d'Aragon. Vers mars 1479 et mars 1480, alors que
règne Ferdinand d'Aragon, depuis la mort de son père Jean II en janvier 1479, la
commune de Marseille emploie le terme de "rey Ferrando" pour désigner Ferrante de
Naples 29 . Si l'intervention du roi René dans la révolution catalane contre Jean II
d'Aragon dans les années 1466-1472 aggrave l'insécurité du littoral provençal durant la
période 30 , après la fin de ce conflit, il semble que le danger provienne plutôt de
Ferrante de Naples à l'est31. Pourtant, les États de Provence de 1482 dénoncent encore
la détention de plus de 250 captifs provençaux par "Ferrandinum Hyspanie
detentorem, patrie Catalonie et Aragonum", causant le dépeuplement de la Provence,
jetant des familles dans la misère et la mendicité. L'article n°12 des requêtes précise
que ces captures ont été faites par leurs "galleas et fustes" aux temps des guerres contre
les anciens comtes René et Charles. Le lien de causalité entre les conflits du comte de
Provence et les déprédations sur le littoral provençal est donc attesté. S'il est
indubitablement question dans cet article de Ferdinand d'Aragon, l'on peut s'interroger
sur la cohésion entre le péril "catalan" perçu par les Provençaux et la véritable identité
des corsaires et pirates ravageant le littoral. À leur décharge, les échanges maritimes
entres les deux royaumes aragonais sont réguliers et il arrive que leurs armadas
s'échangent les officiers, naviguent de conserve et s'allient dans les pillages32. Partant,
ceux que les sources provençales désignent comme "Catalans33" dans notre période,
peuvent aussi être des Aragonais, des Majorquins34, des Napolitains, des Siciliens, des
Sardes 35 , tant il est vrai que la méditerranée nord-occidentale est alors un lac
panaragonais. Les Provençaux exigent donc d'un navire portant la bannière sang et or
27
Christian Maurel, « Le sac de la ville en 1423 et sa renaissance », in Thierry Pécout (dir.), Marseille au
Moyen-Âge, entre Provence et Méditerranée, Faenza, 2009, p. 417.
28
Arnaud d’Agnel, op. cit., 1914, t. I, p. 56.
29
Ibid., t. I, p. 59, n. 4 et p. 61.
30
Cf. la violente attaque de la Tour dels Fieus sur le Grand Rhône en mai-juillet 1468 par des galées de Jean II
d'Aragon, analysée plus loin, ainsi que la capture d'un navire provençal (celui de Jean Botaric) par ce même
prince.
31
Les galées de Ferrante de Naples font escale à cinq reprises à Marseille entre 1476 et 1480 dans le contexte du
règlement de la crise entre le roi René et Louis XI. En 1478, Joan Villamari, amiral aragonais au service de
Ferrante, attaque les côtes provençales (Rigaud, op. cit., 2006, p. 61-62). De plus, la locution "gualles del rey
Ferando" d'un message côtier de 1491 me semble toujours désigner le roi de Naples (ibid., p. 64-65).
32
Voir un message de la ville de Martigues au capitaine de la Tour du Baloard, découvert par Ph. Rigaud et
inédit (A.C. Arles CC 217 n°62 ; 26 octobre), où la flotte repérée est composée de deux fustes de Jean II
d'Aragon et deux autres de Ferrante de Naples.
33
Par exemple les "Catalans" signalés en juin 1476 devant La Couronne (A.C. Arles CC 217 n°51, recherches
Ph. Rigaud) seraient-ils des sujets de Ferrante ?
34
Rigaud, art. cit., 1984, p. 10 : les Majorquins sont perçus ici comme des Catalans ("doas fustas de Malhorca de
Cathalans").
35
Rigaud, op. cit., 2006, p. 58 et n.1, présente le cas d’« enemichs » dont la flotte est composée d’une galée
commandée par un Sarde.
5
�d'Aragon qu'il sollicite un sauf-conduit du comte de Provence avant d'aborder le
littoral36.
Mais le danger provient aussi de Génois indélicats (1495 37 , 1499 38 ) ou de
Français. Si les brigandages maritimes des Français ne sont pas mentionnés dans les
pièces de notre corpus communal, leur capacité de nuisance transparaît dans l'article
19 des statuts des trois États de Provence de 1482. Louis XI ne manque probablement
pas de faire usage de lettres de marque à l'encontre des Provençaux, au besoin de sa
politique expansionniste. Même un commandeur des Hospitaliers de Saint-Jean peut
représenter un danger, tel le frère Aleman, commandant en 1477 un navire inquiétant
approchant les îles d'Hyères39.
Laissant de côté les infractions au droit maritime, un droit décliné tout au long
du littoral selon les territoires40, le risque humain sévissant sur les côtes provençales
peut aussi menacer les étrangers, et être le fait des Provençaux eux-mêmes. Ceux-ci
participent en effet à la mêlée entre course et piraterie, notamment aux dépens de leurs
"ennemis". Une lettre de René d'Anjou, datée de 1470, mentionne la libération de
prisonniers majorquins détenus à Aix suite au paiement de leur rançon41. Une autre
dévoile une intercession du prince angevin (1468) en faveur de marins provençaux
dont les écarts de conduite ont attiré la réprobation de l'évêque de Marseille Jean
Alardeau. René plaide alors le repentir des gens de mer, dont les larcins ont peut-être à
voir avec la piraterie42. Rappelons aussi, comme la situation critique de Marseille en
1432 le révèle, que la réquisition des navires pour la course peut-être un moyen pour
une commune littorale de remédier à la disette43.
S'approcher des côtes provençales comporte d'autres risques. En effet, il semble
être fait peu de cas du droit d'épave ou droit de naufrage, censé protéger toute
embarcation étrangère échouée du pillage. Dans les faits, l'épave est rapidement pillée
par les populations locales, parfois sous le contrôle des autorités (comte, sénéchal,
viguier, commune) qui veillent à ne pas être lésées dans le partage des hommes, des
biens et jusqu'au bois et aux agrès des embarcations. Nous disposons de plusieurs
exemples camarguais (une galère catalane en 1469, une nef catalane en 1486, une fuste
non identifiée en 149444). En décembre 1496, un navire niçois est ainsi saisi après
échouage par le viguier d'Arles avec son chargement de blé, provoquant les
protestations des Niçois qui menacent d'en appeler à leur prince le duc de Savoie45.
36
C'est probablement la raison d'être des sauf-conduits délivrés aux rois aragonais en 1479 (Jacques Paviot, "Un
compte de construction de caravelles en Provence en 1478", in Medieval ships and the birth of tehnological
societies, vol. II : The mediterranean area and European integration, 1991, p. 58), en rapport avec l'une des cinq
ambassades du fils de Ferrante de Naples dans le port de Marseille entre 1476 et 1480.
37
Rigaud, op. cit., 2006, p. 81.
38
Ibid., p. 85. Il peut aussi leur arriver d'être victimes (p. 58).
39
Ibid., p. 58.
40
On pense à Monaco et à son « droit de mer » (art. 47 des Trois États de 1482) ou au droit de pêche à Lérins
(La Provence au temps du roi René, éd. Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 1981, n°80). Un
navire niçois est arraisonné à Toulon pour y avoir fait une escale non prévue, en raison du mauvais temps
(Rigaud, art. cit., 2016, p. 169).
41
Recueil cité, lettre p. 139, publiée dans Lecoy de la Marche, op. cit., 1875, t. II, p. j. n°69, p. 338.
42
Recueil cité, lettre p. 121 (181 ?), 185.
43
Rigaud, op. cit., 2006, p. 32, 38 et n. 55.
44
Ibid., p. 80-81.
45
Rigaud, op. cit., 2016, p. 170.
6
�En définitive, notre tentative de dénombrer les risques encourus sur le littoral
s'avère caduque tant ils semblent innombrables, et universelle la responsabilité
humaine de ces risques, sans compter les menaces épidémiques multipliées par la
navigation de cabotage 46 . Les conditions difficiles de la vie littorale pèsent
probablement dans le dépeuplement qui touche la côte provençale au XVe siècle47.
Partant, les habitants de la côte sont amenés à redoubler de vigilance, de méfiance,
craignant par exemple d'être espionnés par le moindre marin étranger mettant sac à
terre (147748), et ainsi à organiser leur protection, sollicitant au besoin leurs pouvoirs
publics.
II - LES PRINCES ET LA PREVENTION
Une politique de prévention des risques littoraux est mise en place par Charles II
d'Anjou au travers de ses ordonnances et édits de 1302, signés par le sénéchal, déjà
bien étudiés depuis le chanoine Magloire Giraud49 en 1871 et jusqu'à Philippe Rigaud.
Il y est question de la mise en place d'un réseau, en partie préexistant depuis
l'Antiquité, de postes de guet et d'émission de signaux visuels d'alerte appelés "farots".
Chaque farot, installé sur un promontoire (tour castrale comme à Brégançon, ecclésiale
comme aux Saintes et à Ulmet, ou isolée) est donc équipé du matériel nécessaire à
l'allumage d'un feu. Ce feu a pour fonction d'alerter un autre farot de l'approche d'un
navire inquiétant. Les ordonnances du début du XIVe siècle font état du double signal
qui équipe un farot : il doit produire de la fumée le jour et des flammes la nuit. Trentetrois de ces farots sont donc installés sur le littoral et la source diplomatique précise
qu'il faut trente minutes pour qu'un signal d'alerte parcoure la côte de La Turbie à
Aigues-Mortes. Tout ceci est bien connu50.
La responsabilité de ce réseau est déléguée dès 1302 aux vigueries et baillages du
littoral, c'est à dire aux communes les plus concernées par ce danger (Nice, Grasse,
Hyères, Marseille, Arles). La garde de mer ou "estout" ou "stout 51 " est donc une
« mission de service public » que le comte transmet officieusement à toutes les
communes littorales concernées par ces farots, communes sur qui reposent désormais
les coûts de construction, d'équipement en hommes et en matériels, et d'armement de
ces ouvrages indispensables à leur sécurité. Le dispositif de contrôle et de sanction
prévu révèle quelque chose de la réticence des communes à assumer ces lourdes
charges : tout manquement à ce devoir est passible d'une amende et des inspections
conduites par un commissaire comtal sont annoncées. Le réseau côtier des farots, les
estout et les inspections sont encore d'actualité durant le XVe siècle et bien au-delà52,
46
Comme celle que l'on redoute à Hyères, en provenance de Nice, en 1499 (Rigaud, op. cit., 2006, p. 86-87).
De Ribbe, op. cit., 1898, p. 349-352.
48
Ibid., p. 58-60 et n. 4.
49
Documents relatifs aux farots ou feux de garde sur les côtes de la Provence au Moyen-Age, Marseille, 1871.
50
Rigaud, op. cit., 2006, p. 12-14.
51
Ibid., p. 58, 1477. De Ribbe, op. cit., 1898, p. 38.
52
Rigaud, op. cit., 2006, p. 27 et n. 34 (dès 1323 et 1354).
47
7
�ce qui n'empêche pas l'existence d'autres signaux d’alerte (voiles, bannières, coups de
canon53).
Les trois principaux souverains de la Provence durant notre période ont témoigné
d'un intérêt inégal pour le littoral, la mer et leur sécurisation. Pourtant, le second XVe
siècle correspond à une période de redéploiement du commerce maritime, autant sur
les côtes françaises que provençales54. Le transport maritime reste en effet attractif,
étant un mode de transport bien plus économique que le transport terrestre55. Louis XI
et René d'Anjou sont avides, chacun à sa façon, des recettes fiscales que procurent les
marchandises importées par mer (épices, métaux précieux), mais aussi des produits
exotiques, des hommes et des savoir-faire qui arrivent par les ports. Dans cet esprit,
René libéralise l'accès au port de Marseille en 147256. Par conséquent, chacun, en tant
que responsable de la sécurité de sa principauté et de ses sujets, tâche de normaliser la
navigation dans les eaux provençales et au-delà.
Les quelques interventions du roi René en matière de prévention sont peu efficaces,
sinon peu documentées. Il est vrai que ses désastreuses guerres de prétention d'est en
ouest sont la cause de bien des maux du littoral provençal. Pourtant, il ne semble pas
avoir doté le littoral de garde-côtes, ni s'être donnée les moyens d'une flotte militaire
propre, pour les expéditions napolitaines de 1438-1442 et de 1459-1463. Pour le
transport des troupes et l'avitaillement même, ce prince préfère noliser des navires
génois, français, voire pontificaux. S'il institue le gendre de Jacques Coeur, Jean de
Village, capitaine général sur la mer, c'est pour pouvoir disposer au besoin de ses
navires marchands et de ses gens de mer, leur fournir des armes le cas échéant, pour
partir en expédition57.
On connaît du roi René quelques interventions ponctuelles en faveur de la
fortification des deux principales places fortes du littoral. Dans les deux premières
décennies de son long règne, il se déplace à Toulon en 1449 pour évoquer cette
question auprès de Toulonnais durement touchés par les attaques 58 ; il les prévient
d'ailleurs d'un danger maritime en 1453. À la même époque, il patronne la
reconstruction de la Tour Maubert de Marseille entre 1447 et 1452, au moins en
participant à hauteur d'un quart de la somme totale, le reste étant acquitté par la
commune et la corporation des pêcheurs. Cela n'empêche pas le comte de prendre le
contrôle de cette tour commandant l'entrée du port, et de la nomination de son
capitaine, au grand dam des Marseillais59.
René donne son aval pour la construction d'une petite forteresse munie d’une tour
de farot sur le Grand Rhône en 1470 : la Tour du Baloard60. Mais nous sommes à une
époque où l'Angevin est en campagne militaire pour ôter le comté de Barcelone à Jean
II d'Aragon (1466-1472). L'historiographie n'a pas assez relevé l'intense activité,
épistolaire, diplomatique, logistique, de René d'Anjou durant cette campagne. Les
lettres conservées à la bibliothèque Méjanes d'Aix, pour la plupart inédites, permettent
53
Ibid., p. 15-17.
De Mas Latrie, op. cit., 1886, p. 488-489 ; Gandilhon, op. cit., 1941, p. 243-249, 253-256.
55
Édouard Baratier, Félix Reynaud, Histoire du commerce de Marseille, t. II, Paris, 1951, p. 853-855.
56
Lecoy de la Marche, op. cit., 1875, t. I, p. 480 ; Gandilhon, op. cit., p. 254.
57
Lecoy de la Marche, op. cit., t. I, p. 172, 528.
58
Ibid.
59
Ibid., p. 529.
60
Ph. Rigaud, "Une fortification à l'embouchure du Rhône, la Torre del Baloard », in Bulletin du Groupe
Archéologique Arlésien, n°13, 1990, p. 30 (16 juin 1470).
54
8
�de la renseigner dans les détails. Parmi les préoccupations directes de René, qui suit et
soutient, depuis l'Anjou ou la Provence, les opérations conduites localement par son
fils Jean de Calabre, se trouve celle de la sauvegarde des marins barcelonais. Mais la
bienveillance envers les Catalans, dont il entend faire ses sujets, ne signifie-t-elle pas
aussi la neutralisation du principal péril pour les côtes provençales ?
Sa lettre de 147161, en catalan, inédite, en faveur du marchand Antoine Roveri est
typique des efforts d'un prince qui entend prendre une posture de protecteur de la
navigation dans les eaux prétendues de sa juridiction 62, sans pour autant risquer de
desservir les intérêts de son fils assiégé dans Barcelone. Cette lettre intime donc l'ordre
aux autorités de la ville et à tous ses navigants de laisser circuler librement, on
comprend sans aucune taxe, les marchandises chargées par Roveri entre Catalogne,
Sardaigne et Sicile, mais sous réserve qu'il ne trafique pas les choses susceptibles de
favoriser les armées ennemies de Jean II d'Aragon (armes, métaux précieux). Sa
confiance dans le chargeur catalan est donc toute relative.
Un autre Catalan paraît prendre dans ces années une certaine importance auprès du
comte angevin, Charles de Torreilles, récipiendaire de l'office de capitaine général sur
la mer. Lecoy de la Marche le soupçonne d'être un Hospitalier de Saint-Jean de
Rhodes chargé par René de former une flotte mi-commerciale, mi-militaire composée
de baleiniers, trirèmes et birèmes. Le capitaine se voit gratifié pour cette tâche du droit
de quint, c'est à dire du cinquième de toute saisie maritime qu'il ferait, adjoint à la
décime sur les prises effectuées dans les eaux provençales 63. À la fois garde-côtes et
équipement de course, il semble que cette flotte subventionnée ait eu vocation à
assurer à la fois la sécurité des côtes catalanes et provençales ; l'on doit y voir une
première initiative du roi René en faveur de la sécurité maritime en Provence.
Cette incitation à la course n'est en revanche pas pour sécuriser et rassurer les
fustes étrangères. L'exemple de Joan Ruiz Iracabal Viscahi, "vassal" du roi de Castille,
dont la nef est arraisonnée au large de la Catalogne avant juillet 1468, par un capitaine
de René, Antoine [et/ou Enfranci ?] Setanti est déjà connu. René se démène depuis
Baugé en Anjou pour faire libérer le prisonnier retenu à San Feliu de Guixols, près de
Gérone, par le comte de Campobasso, afin éviter un incident diplomatique avec le roi
de Castille dont le soutien lui est précieux dans sa guerre de Catalogne. Il écrit une
lettre à Ferri de Lorraine, son beau-fils et lieutenant général en Catalogne, le 8 juillet
1468 et trois lettres le 29 mars 1469, à Jean de Calabre, son fils, gouverneur et
lieutenant général en Aragon, au capitaine de gens d'armes napolitain Campobasso
(Nicolas de Montfort) et au capitaine de mer Setanti64. D'après Lecoy de la Marche, le
navire finit par être relâché65.
Nos sources documentent plus en profondeur le capitaine corsaire Charles de
Torreilles et sa famille. Il n'a manifestement pas le temps de faire l'office que le comte
René attend de lui. Il est capturé dans les années 1450 ou 1460 par les Sarrasins et
retenu captif à Bougie pendant des années, dans des conditions dites "inhumane". Son
61
Recueil cité, p. 177.
Lecoy de la Marche, op. cit., t. I, p. 482-483.
63
Ibid., p. 529-530 et n. 2 p. 529. D'autres patrons, peut-être de moindre envergure, jouissent de telles
prérogatives, tel Antoine Setanti.
64
Recueil cité, p. 116-118.
65
Mais Lecoy de la Marche, op. cit., t. I, p. 529-530, localise l’arraisonnement en Provence, devant les îles
d'Hyères, avec le concours de marins français (Languedociens). Cela ne concorde pas avec la suite de l’affaire.
62
9
�souverain se préoccupe de le faire libérer par le biais de son frère, Jean de Torreilles,
comte d'Iscla, conseiller royal et gouverneur général de la principauté de Catalogne,
par lettre du 28 mai 147066.
Pourtant, un Barcelonais du nom de Francès de Torelles, probablement parent des
deux frères cités, se rend coupable dans les années 1480 d'actes de piraterie dans les
eaux franco-provençales. En 1482, il capture un homme de Louis XI retour de
Barbarie, nommé Pierre Symonneau, de Fontenay-le-Comte. Celui-ci reste
probablement captif pendant de nombreux mois puisqu'il faut attendre le règne de
Charles VIII pour le voir libéré, avec la concession de lettres de marque pour sa
vengeance67. En 1488, un Torellas attaque la cité de Marseille de conserve avec un
autre amiral catalan, Villamari68.
La famille Toreilles finit apparemment par échapper au contrôle des comtes de
Provence. Cela explique peut-être que René prenne l'initiative pour la première fois de
faire construire et d'armer (dans tous les sens du terme) deux caravelles en 1478, avec
l'argent de la vente de la seigneurie de Commercy, en Lorraine, ancienne possession de
Campobasso, à son petit-fils René II. Jacques Paviot a publié en 1991 les comptes du
chantier naval de Sanary où La Sainte-Marthe et La Madeleine voient le jour entre
janvier et septembre 1478. Il fait part de sa perplexité quant à l'utilité de cette petite
flotte. On peut ici présenter une hypothèse. La source révèle une certaine complicité
avec le roi de France dans ce projet. En effet, les ouvriers du chantier naval provençal
sont recrutés à La Rochelle, où un écuyer de Charles II du Maine se rend à cet effet69.
Le contexte est effectivement favorable à une collaboration franco-provençale, puisque
Louis XI tente alors de ranimer la guerre de Naples, faisant miroiter à son oncle la
reconquête du royaume d'entre les mains de Ferrante d'Aragon. Ne pouvant plus
compter sur l'alliance génoise, René a pu, sur les conseils du roi de France, mettre sur
pied sa propre flotte pour cette expédition, pendant que son neveu et héritier parcourait
l'Italie en quête de soutien diplomatique et militaire70. Mais nul n'a encore repéré ces
deux navires durant les saisons de navigation de 1479 et 1480. Tout juste sait-on
d'après les comptes publiés par J. Paviot qu'ils font leur hivernage à Marseille les deux
années de suite.
Quoi qu'il en soit, après la fin de la campagne d'Aragon, les espoirs de René se sont
une fois de plus tournés vers Naples. C'est d'ailleurs, comme on l'a déjà indiqué plus
haut, de l'est que le danger est redouté dans ces années 1478-1480. Le péril aragonais,
quant à lui, est neutralisé au plus tard au mois de mai 1479 par la trêve signée avec
Ferdinand71. Dans les comptes du chantier naval de Sanary, il est question de sauf66
Recueil cité, p. 159 ; Lecoy de la Marche, op. cit., t. II, p. j. n°68, p. 337.
Gandilhon, op. cit., p. 255 et n. 10 (voir la bibliographie). Les Montpelliérains font annuler ces lettres de
marque auprès du roi dans l'intérêt de leur commerce.
68
Rigaud, op. cit., 2006, p. 72, n. 2.
69
Paviot, art. cit, 1991, p. 57 (départ le 23 février 1478). La même affaire aurait pu motiver cet envoi du roi René
en janvier 1478 : « Le XVIIe dudit moys, à Jehannin, chevaulcheur d’escuyerie, pour son voyage d’aler en
Aigues-Mortes, porter lettres de monsgr au capitaine de la galliasse de France, baillé ung escu d’or, à XXVIII g.
et VIII g. en monnoie, qui vallent… III f° » (Gustave Arnaud d’Agnel, Les comptes du roi René, publiés d’après
des inédits conservés aux archives des Bouches-du-Rhône, t. III, Paris, 1910, n°3676, p. 120).
70
Yannick Frizet, Louis XI, le roi René et la Provence, Aix-en-Provence, PUP, 2015, p. 158-159.
71
Antonio de Capmany y de Montpalau, Memorias históricas sobre la marina, comercio et artes de la antigua
ciudad de Barcelona, 1779, n°398 (26 juin 1479 mais évoquant une lettre de Marseille du 25 mai 1479) et 399
(21 octobre 1479), p.583-584 ; trêve mentionnée dans G. Arnaud d’Agnel, op. cit., 1910, t. III, p. 159 : 24 juillet
1479.
67
10
�conduits à fournir aux rois de Castille et à "Ferrande" (Ferdinand ?) le 14 octobre
1479. Des ambassadeurs font route vers la Catalogne pour cette affaire. En janvier
1480, René envoie encore une ambassade au roi de Castille (Ferdinand) à Tolède72.
Peut-être souhaite-t-il conforter ou prolonger la trêve.
Du côté du Levant, en revanche, les dernières escales diplomatiques du fils de
Ferrante de Naples à Marseille entre 1478 et 1480 sont sources d'alarme pour le comte
et ses sujets. René lui-même envoie de multiples messagers pour prévenir ses officiers
locaux de l'arrivée de navires du "roy Fernando". C'est le cas le 1er août 1478,
d'Avignon, à destination des capitaines et gardes "de la coste de la marine" lorsque les
navires napolitains sont signalés au large de Gênes 73, puis le 17 décembre suivant,
depuis Tarascon vers Marseille à l'intention du lieutenant du viguier pour la même
flotte74. Le même mois, Louis XI envoie des hommes d'armes dans la vallée du Rhône,
contribution royale indirecte à la protection des côtes provençales75. Le 3 mars 1479,
Cassis prévient Marseille que l'arrivée des galères de Ferrante est imminente. La ville
phocéenne prépare une réception pour cette visite diplomatique, et l'artillerie est tenue
prête, officiellement pour saluer la venue du prince de Tarente76. Le mois suivant, un
courrier de Tarascon nommé Henry est envoyé "a Tholon et le long de la coste" pour
prévenir de l'arrivée des gallées du fils de Ferrante77 ; à nouveau le 28 septembre 1479,
René écrit à Marseille78.
Mais les efforts de l'Angevin ne s'en tiennent pas à du renseignement. Le niveau
d'alerte en 1479 est tel qu'il songe à nouveau à se doter d'une flotte de garde-côtes, à
Marseille. Il charge le sire de Cotignac de recruter 300 marins et soldats provençaux,
de les armer de bâtons à feu et de leur fournir des barques 79. On aimerait connaître
l'efficacité de cette flotte et sa pérennité sous le successeur de René, Charles III. Mais
le court règne de ce dernier est peu documenté. Tout au plus peut-on dire qu'il détache
les deux caravelles de son oncle au service des Hospitaliers de Rhodes et qu'il est peu
probable qu'elles aient réellement défendu le littoral provençal.
Les rois de France du XVe siècle agissent assez peu en faveur d'un littoral dont ils
ont pourtant tôt perçu les potentialités naturelles, commerciales et géostratégiques.
Rappelons qu'en 1445 Charles VII base les galées de France à Marseille. Sous Louis
XI, elles regagnent Aigues-Mortes mais Marseille reste leur chantier naval. À partir de
l'héritage de la Provence en décembre 1481, le roi de France apporte d'emblée aux
Provençaux sa puissance et son influence internationale. Louis XI, comme on le sait,
renouvelle les traités commerciaux et de sauvegarde avec les émirs arabes du Maghreb
et d'Egypte afin de sécuriser la navigation commerciale. Il est vrai que René avait déjà
traité avec le roi de Bône dans le même objectif80.
Le règne de Charles VIII semble plus favorable à la question de la sécurité
maritime, notamment à Marseille. Dès novembre 1484, le sénéchal Aymar de Poitiers
arme dans le port un navire dédié à la protection des fustes marchandes des environs,
72
Arnaud d’Agnel, op. cit., 1914, t. I, p. 62.
Arnaud d’Agnel, op. cit., 1910, t. III, p. 130.
74
Ibid., t. III, p. 141, n°3774.
75
Frizet, op. cit., p. 159-160.
76
Arnaud d’Agnel, op. cit., 1914, t. I, p. 59-60.
77
Arnaud d’Agnel, op. cit., 1910, t. III, n°3826, p. 152.
78
Ibid., n°3877, p. 163.
79
Lecoy de la Marche, op. cit., t. I, p. 528 et n. 1.
80
Ibid., p. 481.
73
11
�moyennant une contribution de 2% des marchandises transportées. Le statut d'arsenal
militaire de Marseille est considérablement renforcé en développant l'ancien chantier
naval du Plan Fourmiguier. En 1487, le roi se préoccupe de l’achèvement de deux
galères subtiles (galères de combat), avant de prévoir la construction des six
"tercenaulx", hangars à galères, bâtis entre 1488 et 1494 et donnant directement dans
le port. En 1490, une fois acquise la participation financière des Trois États de
Provence, le souverain y lance la construction de six galères supplémentaires.
Marseille devient ainsi la principale base navale française en Méditerranée,
commandée par un général des galères 81 . Mais cette montée en puissance du port
militaire phocéen est surtout mise au service des Guerres d’Italie et n'apporte pas le
repos à la Provence du front de mer.
III - LE ROLE DEFENSIF DES AUTORITES SECONDAIRES (officiers, communes,
nobles)
Les politiques conduites par les princes ne se révèlent en aucun cas suffisantes pour
apporter la sécurité littorale dont les Provençaux se montrent si avides. Cette question
revient plus ou moins directement dans sept articles des soixante-cinq qui ressortent de
l'assemblée des Trois États de 148282 et qui sont destinés à inspirer la future politique
provençale des rois de France. Les Provençaux se représentent leur côte comme très
longue et difficile à protéger, en particulier des dangers venus d'Italie83. Pourtant, ils
aspirent ardemment à développer le commerce maritime avec la France et avec le reste
du monde, en généralisant les privilèges de Marseille (1472) à tous les ports du
comté84.
Ils ont besoin que les places fortes littorales soient mieux administrées de façon à
ce que leur fonction soit respectée. L'article 34 évoque le cas du fort de Brégançon,
dont le capitaine lui-même s'adonne à la piraterie, aux dépens des pêcheurs et
navigants provençaux. L'indigénat est réclamé pour les capitaineries de toutes ces
places défensives du littoral comme la tour de Marseille, le fort de Toulon, Arles,
Hyères, Brégançon, etc. (art. 13). De même se plaignent-ils du désintérêt de François
de Luxembourg pour la défense de la grande vicomté de Martigues qu'il a obtenue de
Louis XI en 1481 (req. 1). Le manque de confiance dans les capitaines et seigneurs
allogènes nommés par le roi semble un sentiment partagé par les provinces maritimes
françaises, puisqu'il apparaît dans le compte-rendu des Etats généraux du royaume de
148485.
81
Raymond Collier, Joseph Billioud, Histoire du commerce de Marseille, publié par la Chambre de Commerce
de Marseille, t. III, Paris, 1951, p. 36-38, 63-71. En 1491, Arnaud de Villeneuve est Capitaine général de la
marine de Provence, puis Prégent de Bidoux lui succède avec le titre de Général des galères.
82
Arnaud d’Agnel, op. cit., 1914, t. II, art. 13, 19, 33, 34, et requêtes 1, 7, 12 (p. 71-72, 78-79, 84, 87-89).
83
Ibid., art. 19, p. 73-74 : « longum distensa in lictore maris, unde ex improviso posset invadi et offendi et ex
alia parte ad fores Itallie ».
84
Ibid., art. 22, 23, 24, p. 74-75.
85
Jehan Masselin, Journal des États généraux de France tenus à Tours en 1484 sous le règne de Charles VIII,
Paris, Imprimerie royale, 1835, Appendice, p. 668.
12
�Ayant trop souffert des dévastations causées par l'usage des lettres de représailles,
ils demandent que l'on mette fin par le biais du sénéchal ou du Conseil éminent à cet
usage de manière à pacifier les relations avec les nations voisines et partenaires en
matière de commerce (art. 33). Ils préfèrent cependant que l'usage du sauf-conduit se
poursuive (req. 7).
Le "grand" sénéchal, en tant que premier officier du comte, assure sa régence et
endosse ses prérogatives en l'absence du prince. De fait, c'est vers lui que se tournent
les communes confrontées à un danger maritime. Les États le sollicitent en 1442 pour
la défense contre les Catalans 86 . La commune d'Arles le prévient pour l'attaque
d'Ulmet en 1452 ; Toulon l'informe en 1455 ; Jean Cossa est sollicité en 1469 dans
l'affaire de l'épave catalane récupérée en Camargue 87 . En 1496, Nice demande à
Toulon de lui écrire, ou si besoin aux "autres officiers", pour que soit prise la décision
de faire libérer leur navire indûment retenu. En 1514, Nice fait plutôt appel au
capitaine des galères de France Préjean de Bidoux 88 . En l'absence du prince, les
décisions majeures (arraisonnement, libération, affaires diplomatique délicates) sont
du ressort du sénéchal. Dès lors, on peut comprendre que les Provençaux aient besoin
qu'il réside en Provence. À entendre la plainte contenue dans l'article 4 des États de
148289, c'est loin d'être acquis.
Les communes n'ont d'autre choix que de s'approprier la défense de leur littoral.
Elles sont, il est vrai, en première ligne et ne peuvent se retrancher derrière la force
comtale. La figure princière est néanmoins brandie, en dernier recours, pour intimider
la partie adverse. C'est ainsi que Nice menace Arles en 1496, dans l'affaire de la saisie
d'un navire de charge, d'en référer à son prince, le duc de Savoie, qui lui-même en
avisera le roi de France. Que l'affaire remonte au niveau des souverains, pourtant
incapables d'assurer l'intégrité de leur littoral, semble constituer la menace suprême.
D'autant que Nice prétend dans sa lettre que Charles VIII ne souffrirait pas que les
sujets du duc de Savoie soient maltraités chez lui90.
Le second XVe siècle et le début du XVIe marquent apparemment une
intensification du rôle des communes dans la prévention des risques littoraux. Ph.
Rigaud a mis au jour les correspondances fournies qui existent alors des communes de
l'est vers les communes de l'ouest, une course de relais visant à transmettre des
informations écrites, brèves mais plus explicites que les signaux visuels, sur les
dangers maritimes. Il existe aux archives communales d’Arles plus de 4000 messages
reçus dont 50 sont publiés dans les Letras de la costiera de Ph. Rigaud (2006).
Il s'agit d'un véritable réseau secondaire de renseignement et de solidarité 91, tel que
les communes de l'arrière-pays, et en particulier de la rive rhodanienne (OrangeAvignon-Tarascon), l'établissent pour se prémunir contre les risques consécutifs aux
passages d'hommes d'armes 92. Cette entraide s'exerce aussi en matière de suivi des
86
Rigaud, op. cit., 2006, p. 27.
Rigaud, "Un épisode piratique à Ulmet en 1452", in C. Landuret et alii, op. cit., 2015 ; De Ribbe, op. cit.,
p.41 ; Rigaud, op. cit., 1984.
88
Rigaud, op. cit., 2016, p. 171.
89
Arnaud d’Agnel, op. cit., 1914, t. II, art. 4, p. 69.
90
Rigaud, op. cit., 2016, p. 170.
91
Il arrive qu’une commune refuse de lancer l’alerte : cf. "Cassis non vol scrieure" (Rigaud, op. cit., 2006, p. 61,
1478). Un manquement à ce devoir de solidarité peut appeler une justification, comme celle du capitaine de
Brégançon aux syndics de Toulon (A.C. Arles CC 217 n°29 ; 30 août [1477], recherches inédites de Ph. Rigaud).
92
Frizet, op. cit., p. 149-151.
87
13
�captifs, une commune ayant à déplorer la rafle de quelques-uns de ses habitants
pouvant demander au prochain port d'escale présumé d'essayer de les récupérer93.
Ce réseau de communes littorales seconde le réseau des farots, qui sont les
principaux émetteurs d'informations et dont les guetteurs contactent directement les
syndics. À partir de cette impulsion, les édiles enclenchent une chaîne de solidarité,
envoyant un messager à cheval vers la commune voisine à l'ouest, qui fait de même, et
ainsi de suite jusqu'à la cité d'Arles qui semble le terminus du voyage. Ce réseau côtier
fonctionne essentiellement durant la période de navigation, c'est à dire d'avril à
septembre. Mais comme les attaques, les messages peuvent transiter aussi hors de cette
période94. En revanche, l'"estout" doit se faire sept jours sur sept, bravant, pour assurer
la sécurité collective, les interdits dominicaux. Jour et nuit, les guetteurs sont à leur
poste et il leur est possible de prévenir un syndic en pleine nuit 95 . Doit-on se
représenter un guetteur alarmé venant réveiller un syndic d'astreinte chez lui ou à la
maison commune, lequel est en mesure d'expédier un chevaucheur de nuit vers la
commune voisine ? Il est fréquent que ces messages soient rédigés dans l'urgence ("de
cocha") et avec concision ("Aguem fayre pauc paraulas 96 " : Nous allons la faire
courte). Les messages à destination de Marseille se distinguent par leurs
recommandations particulières pour les "barqueres" ou les "barcas 97", eu égard aux
nombreux pêcheurs de la cité. Ces mentions disent à la fois l'importance de la
communauté des pêcheurs marseillais et leur vulnérabilité particulière.
Le système de surveillance des communes parvient même à identifier précisément
certains malfaiteurs des mers. On trouve dans leurs missives les noms de Bonet (1452,
"catalan"), Saragosse (pirate génois, 1467, 1468, 1472, 1488, 1492), le comte de
Prades (1475), les capitaines Villamari père et fils (1478, 1488, 149198). C'est la preuve
de l'expertise des acteurs de ce réseau et de leur efficacité. Lorsque la catastrophe
maritime survient, que le dispositif d'alerte, on n'ose dire de prévention, est caduque, il
faut parer au plus pressé. Les villes se mettent alors en état de guerre, et c'est d'ailleurs
bien le terme qu'elles utilisent, mobilisent leurs habitants selon leurs coutumes
(connestablies ou six de la guerre à Toulon, cinquanteniers en Arles 99), mettent en
place un tour de guet, apprêtent l'artillerie.
L'exemple de l'attaque de la Tour dels Fieus, sur le Grand Rhône par des navires
"catalans" en 1468 offre un exemple de réflexe défensif d'une commune attaquée par
les eaux. On doit la découverte des sources permettant de reconstituer cet épisode aux
recherches de Ph. Rigaud. Alors que la guerre de Catalogne fait rage, que Jean d'Anjou
est entré en 1467100 dans Barcelone assiégée, huit galées de Jean II d'Aragon et du
93
Voir l’exemple d’Arles écrivant à Monaco, Nice, Marseille et Aigues-Mortes dans Rigaud, op. cit., 2006, p.
38, n. 55 ou Grimaud s’adressant à Bormes pour récupérer cinq captifs dans id., p. 67.
94
La garde d’Ulmet se prolonge jusqu’à la Toussaint 1452 (Rigaud, art. cit., 2015). On relève ailleurs des
attaques maritimes aux mois de novembre (A.C. Arles CC 204 f. 29, recherches de Ph. Rigaud), décembre et
janvier (id., 2006, p. 77-79).
95
Les syndics de Fréjus sont prévenus par leur garde à trois heures du matin en 1485 (id., 2006, p. 63).
96
Id., p. 74.
97
A.C. Arles CC 217 n°62, 26 octobre [s. d.] et CC 207 n°8, 20 mai 1468 (recherches Ph. Rigaud).
98
Rigaud, op. cit., 2006, p. 61, 65, 71 et n. 2, p. 72.
99
De Ribbe, op. cit., 1898, p. 36, 40-42 ; A.C. Arles CC 207 f. 12 (recherches Ph. Rigaud).
100
Jean Favier, Le roi René, Paris, éd. Fayard, 2008, p. 443.
14
�pirate Saragosse remontent le Grand Rhône, détruisent la tour de farot dite dels
Fieus101 et font craindre aux Arlésiens une attaque de la ville.
C'est une fois de plus une comptabilité des dépenses faites par le trésorier du
conseil de ville, maître Anthoni Vilassa, qui nous permet de suivre les dispositions
prises dans l'urgence 102 . Le budget de ce qui s'apparente à une contre-attaque
communale est pris sur une partie (moins d'un quart, 900/4000 florins) du produit de la
gabelle d'Arles qui revient ordinairement au maître des ports, le noble Guillaume du
Chastel, pour le comte du roi René. Cette redistribution financière de circonstance, qui
semble avoir été convenue au préalable avec le grand sénéchal Cossa, ressemble à une
subvention publique en faveur du conseil de ville, qu'on voit endosser bien des
responsabilités dans cette opération militaire. En effet, les syndics d'Arles prennent en
charge les armées mobilisées tels des chefs d'État-major. Cela n'implique pas pour
autant que l'autorité comtale se contente d'un engagement financier, comme on le verra
au cours de la deuxième attaque.
Arles est prévenue de l'arrivée de cette flotte par les communes de l'est. Il y a peu
de détails sur la première attaque du corsaire Saragosse, qui doit se dérouler en mai
1468, sinon que le conseil y répond par ce qui semble à première vue un moyen de
fortune, c'est à dire l'envoi sur le Grand Rhône du capitaine de la ville, Jean de SaintMartin, sur ou avec une barque de pêcheurs armée pour l'occasion. Mais l'essentiel des
frais concerne la seconde attaque, celle qui est menée vers fin juillet-début août. La
première initiative d'Arles, le 26 juillet, semble être de prévenir les autorités
souveraines. Le roi René étant alors en Anjou, on expédie un chevaucheur en direction
de Tarascon où se trouve le grand sénéchal Cossa. À son retour, il part pour AiguesMortes avec le même cheval. On apprend qu'un autre est envoyé directement devers le
comte à Angers à date inconnue.
La ville prépare sa contre-attaque dans la soirée du 26 juillet au cours du "beure",
d'une "collacion [...] après dinar" à la maison commune puis d'un "sopar" chez les
Franciscains. C'est autour de la table donc que se décident les préparatifs de la guerre.
On se prépare à faire parler l'artillerie à poudre, et pour l'occasion on s'apprête à
remettre en état l'arsenal conservé dans l'hôtel de ville et même à l'étoffer. On fait
tailler des boulets de pierre, on fait réparer les équipements existants (caisse à
munitions, affuts de serpentines), fabriquer une ou deux serpentines, acheter un affût,
de la poudre, du salpêtre (en Avignon). On pourvoit à la fois à la défense d'Arles et à la
contre-attaque sur le Grand Rhône. Deux armées s'ébranlent pour aller combattre les
assaillants catalans de la Tour dels Fieus, située à peu près à mi-chemin entre Arles et
la mer, sur la rive gauche (côté Crau). L'une vient de Tarascon et semble commandée
par le sénéchal. L'autre est une armée qui semble aux ordres des syndics d'Arles,
puisque cette "guerra" (trois mentions) se déroule sur son "terrador", et marche
derrière le viguier de la ville Claude Radulphi. Les deux formations descendent le
fleuve en bateaux (dont une sapine), peut-être de conserve, jusqu'à proximité de la
Tour attaquée. L'armée du sénéchal accoste vers Galignan, du côté de la Crau (rive
101
Un farot peut avoir aussi une fonction défensive, notamment lorsqu’il est installé sur un château. Le fort de
Brégançon en constitue un exemple, lui qui lutte toute la nuit contre quatre navires qui pourchassent deux
barques de Toulon et Six-Fours) au début de mai 1476 (Rigaud, 2006, p. 56).
102
A.C. Arles, CC 206, f. 51-51v° (1467) ; 207, f. 5-14, 25, 30-30 v°, 33-33 v°, 61, 62 (1468) ; 208 f. 42 v°, 54
v° (1468) ; 210 f. 63 (1471).
15
�orientale). Elle semble composée, entre autres peut-être, de combattants marseillais.
L'armée du viguier accoste sur l'autre rive, côté Camargue. La tactique suggérée par
ces opérations est une prise en tenaille de l'ennemi pour l'empêcher de poursuivre sa
route en amont jusqu'à la ville (doc. 2).
Justement la cité est mise en défense et les comptes se focalisent sur deux tours du
système de fortification situées de part et d'autre du Rhône et qui ne sont
manifestement plus en état de fonctionnement. La première, la Tour Neuve, est située
au quartier de la Roquette, rive gauche ; la seconde, la Tour de Trinquetaille, de l'autre
côté du Rhône. La première est réparée, sécurisée et équipée dans l'urgence : on nettoie
ses douves, on lui fabrique une nouvelle clé, on lui fournit des clous, de la poudre en
masse pour les bombardes arrivant de l'arsenal municipal. Un trompette s'y installe en
sentinelle, pour qui l'on prévoit des chandelles, des brocs nouveaux pour la boisson,
d'autant que son office dure tout le mois d'août 1468. La Tour de Trinquetaille est
nettoyée, munie de clous ("clavason"). Ces deux tours servent également de farots et
sont équipées du nécessaire pour allumer le feu (résine ou poix "pega", paille "pelha",
fagots ou mêche "faratons"), besogne pour laquelle les Juifs semblent désignés.
D'autres pièces d'artillerie (serpentines, couleuvrines, bombarde) sont expédiées
cette fois vers le théâtre d'opérations sur les rives du Grand Rhône où les deux armées
résistent aux corsaires catalans. Les comptes municipaux font état des
approvisionnements en nourriture des deux armées. En Camargue et en Crau, Arles
leur fait acheminer par bateau pain et vin, viande de porc salée, viande de bœuf, de
brebis, de mouton, en grande quantité. Pas de mention de légumes secs ni verts, le
combattant réclame une alimentation carnée.
Les combats y font rage pendant plusieurs jours, peut-être trois. La flotte catalane
est à la fois canonnée depuis les berges et harcelée par les barques. Plusieurs
trompettes diffusent les signaux de manœuvre. Le remboursement postérieur de
nombreuses rames brisées témoigne de la violence du combat fluvial. Les ripostes des
Catalans font plusieurs blessés qui sont pris en charge avec une attention particulière.
Sur place, l'une des barques abrite un barbier et deux hommes, qui pourraient bien
avoir constitué un petit hôpital de campagne embarqué capable de soigner les blessés
en arrière du front. On mentionne la présence d'autres barbiers, de chirurgiens
("cirurges"). La ville rétribue postérieurement tous ceux qui ont apporté leur concours
aux soins des blessés : un homme pour avoir "far medessina" un blessé au bras,
l'hôpital du Saint-Esprit « del Borc » qui a recueilli et soigné un blessé au bras par une
couleuvrine (la sienne ?). Les syndics conviennent même d'accorder à ce dernier une
somme en guise de dédommagement pour ses faits d'armes. Un dénommé Montanier,
blessé à la jambe par une couleuvrine des Catalans, vraisemblablement du côté de
l'armée du sénéchal, est brancardé sur le champ de bataille et pris en charge par trois
barbiers, qui soignent aussi des Marseillais.
Au terme d'un combat acharné à l'artillerie, il semble que l'escadre ennemie n'ait
pas dépassé de beaucoup la Tour dels Fieus, pas au point d'atteindre la ville. La riposte
de la ville d'Arles, épaulée par l'armée du sénéchal, s'avère donc efficace. Les
assaillants semblent s’être retiré. Le danger passé, on emploie le reste du budget à
récupérer l'artillerie installée à la Tour Neuve et sur les bords du Grand Rhône pour la
replacer à l'hôtel de ville. Ni l'artillerie, ni les gardes ne restent à poste et les ouvrages
de défense n'ont qu'un usage circonstanciel.
16
�Enfin, il reste à s'interroger sur le rôle des nobles dans la défense du littoral. Leurs
seigneuries côtières étant exposées aux razzias103, on s'attend à les voir apporter un
concours armé, comme ils le font à Marseille en 1423104. Curieusement, les sources
consultées font surtout apparaître leur subordination aux communes. Dans l'affaire de
l’attaque catalane que nous venons d'analyser, le noble Nicolas de Saint-Martin, peutêtre seigneur du fief abritant la Tour dels Fieus, fait une avance en numéraire dont il se
fait rembourser par la commune une fois la paix revenue. Il a l'air de participer aux
opérations au même titre que tous les gens de métier qui sont réquisitionnés dans
l'urgence (boucher, forgeron, tailleur, meunier, poissonnier), sans considération
apparemment pour leur spécialité, et qui viennent trouver le trésorier ensuite pour
obtenir leur rétribution. Le même type d'avance remboursée existe à Ulmet en 1452-53
avec le noble Romieu, qui se conforme aux exigences communales105. À Toulon, la
collaboration semble étroite avec le châtelain de Hyères, avec Bertrand de Marseille et
les connestablies sont commandées par des nobles 106 . À Marseille, en 1494, c'est
Honorat Forbin, noble et membre du conseil de ville, qui informe la ville de l'approche
d'un danger venu de Sète en 1494107. Il est vrai que les Forbin sont une famille de
noblesse récente et que leur implication dans l'institution communale de Marseille est
forte depuis plusieurs décennies, notamment en matière de sécurité maritime 108. Leur
sens de la défense maritime est particulièrement exercé par l'habitude de la protection
de leurs intérêts commerciaux en mer. En 1466, un Forbin est prisonnier avec toutes
les marchandises de son navire parti pour le Levant 109 . En 1474, Palamède Forbin
achète l'île de Porquerolles, l'un des amers les plus remarquables et les plus exposés
aux attaques. Dans cette seigneurie indépendante, il faut attendre plus de quarante ans
pour voir se construire une fortification efficace contre les attaques mauresques sous
les auspices de Louis Forbin, fils de Palamède110.
CONCLUSION
Il nous apparaît clairement combien est difficile la tâche de prévenir un risque humain
qui est partout, toujours et en tous et, qui plus est, dont les modes opératoires sont
familiers à ceux-là mêmes qui cherchent à s'en défendre. Face à cet écheveau
inextricable, les autorités publiques, à tous les niveaux de la société, semblent
désarmées, sans pour autant jamais renoncer à l'idéal de la sécurité maritime qui assure
production, commerce, repeuplement. Les princes ne déploient pas de politique
103
cf. Grimaud dans Rigaud, op. cit., 2006, p. 67 (1491).
Christian Maurel, art. cit., p. 417.
105
Rigaud, art. cit., 2015.
106
De Ribbe, op. cit., p. 36.
107
Rigaud, op. cit., 2006, p. 75.
108
En 1423, pour obstruer la passe d’entrée du port convoité par les Catalans, l’armateur Bertrand Forbin
n’hésite pas à y couler l’un de ses navires (Christian Maurel, art. cit., p. 417.). En avril 1492, Honorat Forbin,
consul de Marseille, et Jean Forbin, conseiller de la ville, s’occupent de la commande d’une bombarde de fer de
18 pans de long (Marquis de Forbin d’Oppède, Inventaire analytique des titres de la Maison de Forbin,
Marseille, 1900, n°1358, p. 288).
109
Marquis de Forbin d’Oppède, op. cit., 1900, n°571, p. 132.
110
Ibid., n°752, p. 171 ; Rigaud, 2006, p. 133-134, n. 1.
104
17
�maritime ambitieuse capable de dissuader les brigands des mers, aucun garde-côte
n'est mis en place de façon pérenne pour sillonner la côte provençale. René d'Anjou a
bien des velléités mais elles répondent plutôt aux impératifs de ses projets de
reconquête, à l'ouest comme à l'est. Nous avons estimé le poids conséquent que ces
expéditions faisaient peser sur les Provençaux du littoral. Face à cela, les princes
semblent se contenter d'expédients.
Lorsqu'on décèle une réelle volonté princière de défendre le territoire, elle se
heurte aux contingences spatiales et temporelles, aux distances et aux délais, sans
compter les contraintes budgétaires. Que l'on considère le roi René, qui s'évertue à
gérer les sérieux problèmes méditerranéens en multipliant les lettres depuis l'Anjou, ou
même Louis XI et Charles VIII qui ne daignent pas visiter leurs sujets de Provence. À
cela s'ajoute la difficulté pour ces princes de contrôler les représentants du pouvoir
souverain, sénéchal, viguier, capitaines de places fortes littorales, qui, comme dans
l'arrière-pays, trahissent parfois les intérêts qu'ils sont censés défendre.
La meilleure preuve d'une politique princière défaillante en matière de sécurité
maritime, est la forte implication des communes littorales. Les autorités municipales,
par la force de l'expérience, paraissent avoir mieux pris la mesure d'un danger qui n'est
qu'une autre forme de la guerre et y avoir trouvé de meilleures réponses. Plus
réactives, plus rapides, elles semblent seules aptes à faire fonctionner et à améliorer le
réseau de surveillance côtière et, ce faisant, développent des capacités remarquables de
communication et de renseignement à l'échelle de leurs territoires. Elles développent
encore des capacités militaires certaines, aux dépens, on peut en faire l'hypothèse, de la
noblesse locale, qui semble lui être de plus en plus subordonnée dans les opérations
d'urgence.
Mais les actions des communes ont aussi leurs limites, comme les princes mais
à une moindre échelle, celles des distances et des délais, celles du contrôle de leurs
administrés marins et chargeurs, à quoi l'on peut ajouter un manque d'anticipation, lié
probablement à un manque de moyens (on attend d'être au pied du mur pour curer les
fossés, remettre les tours en état, on n'empêche pas les navires de venir faire aiguade à
ses îles, on se contente de le signaler aux voisines...).
Néanmoins il se dessine une réelle coopération entre les princes et les
communes littorales. Ils se transmettent mutuellement des informations concernant la
sécurité, directement ou via les officiers ; parfois les deux. Rappelons que ces mêmes
communes sont impliquées dans les frais de construction et de fonctionnement des
flottes princières, de l’équipement au chantier naval 111 . À travers cette étroite
coopération se révèle le besoin croissant que les princes ont des communes pour
assurer la bonne administration de leur domaine112. Ne pourrait-on pas y voir l'un des
caractères d'une féodalité dite "bâtarde" par certains historiens 113 , où certaines
institutions municipales se trouvent acculées à assumer une partie de la prérogative
régalienne par excellence qu'est la défense du territoire ?
111
Il en va évidemment de même du côté de l’Atlantique (Gandilhon, op. cit., p. 270).
Comme l’illustre le rapport entre Louis XI et ses bonnes villes (Lydwine Scordia, Louis XI. Mythes et
réalités, Paris, éd. Ellipses, 2015, p.263-274).
113
Philippe Contamine, La guerre au Moyen Âge, Paris, PUF, coll. Nouvelle Clio, rééd. 2003, p. 275.
112
18
�Marseille Antibes
Nice
Toulon
Barcelone
Majorque
Doc. 1 : portulan sur parchemin (détail), 2e moitié du XVe siècle. Origine inconnue.
A.D. Hautes-Alpes, Gap, 1 Fi 36.
�estimation de la
zone de guerre
Crau
Camargue
Tour dels Fieus
Doc. 2 : estimation de la zone de combat sur le Grand Rhône à partir du 26
juillet 1468. Carte Cassini retravaillée d’après www,geoportail.gouv.fr.
�
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Title
A name given to the resource
René d'Anjou et les autorités publiques provençales face aux dangers venus de la mer : une impossible sécurisation ? / Yannick Frizet, membre associé Aix Marseille Univ., CNRS, LA3M, Aix-en-Provence, France
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Conférence de Yannick Frizet sur René d'Anjou et les mesures de défense du littoral provençal au 15e siècle
Conferéncia de Yannick Frizet sus Rainier d'Anjau e los mejans de defensa del litoral provençal al segle XV
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Frizet, Yannick (1973-....)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
CIRDOC - Institut occitan de cultura
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
2019
Is Part Of
A related resource in which the described resource is physically or logically included.
<a href="https://occitanica.eu/items/show/21465" target="_blank" rel="noopener">Actes numériques des 11e Rencontres Internationales du Patrimoine Historique : "Promenade entre Languedoc et Provence au XVe siècle", Histoire et cultures en Languedoc, Béziers, Tarascon, 12-13 octobre 2018</a>
Language
A language of the resource
fre
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
http://occitanica.eu/omeka/items/show/21277
Subject
The topic of the resource
Provence (France) -- 15e siècle
Défense des côtes (science militaire) -- Provence (France) -- 15e siècle
Littoraux -- Mesures de défense -- Provence -- 15e siècle
René I (1409-1480 ; duc d'Anjou)
Description
An account of the resource
[La conférence donnée par] Yannick Frizet, docteur en histoire de l’art médiéval de l’Université d’Aix-Marseille [et chercheur associé au Laboratoire d’archéologie médiévale méditerranéenne (LA3M UMR 6572)], nous [entraîne] dans le jeu du chat et de la souris auquel se sont livrés le roi René et Louis XI. <br />[...]<br /> Yannick Frizet [apporte] un éclairage inédit sur la vie du littoral provençal à la seconde partie du XVe siècle, tant sur le plan économique avec la réactivation du commerce en Méditerranée, que sur le plan sécuritaire face à la piraterie dont furent victimes villes et villages. Il [montre] également comment les pouvoirs urbains, avec leurs moyens propres, ont su gérer ce fléau de façon plus efficace que les rois-comtes de Provence et leurs hauts dignitaires. <br /><br />[Présentation de Maguy Chapot-Blanquet, publiée dans le programme des Rencontres]
[La conférence donnée par] Yannick Frizet, docteur en histoire de l’art médiéval de l’Université d’Aix-Marseille [et chercheur associé au Laboratoire d’archéologie médiévale méditerranéenne (LA3M UMR 6572)], nous [entraîne] dans le jeu du chat et de la souris auquel se sont livrés le roi René et Louis XI. <br />[...]<br /> Yannick Frizet [apporte] un éclairage inédit sur la vie du littoral provençal à la seconde partie du XVe siècle, tant sur le plan économique avec la réactivation du commerce en Méditerranée, que sur le plan sécuritaire face à la piraterie dont furent victimes villes et villages. Il [montre] également comment les pouvoirs urbains, avec leurs moyens propres, ont su gérer ce fléau de façon plus efficace que les rois-comtes de Provence et leurs hauts dignitaires. <br /><br />[Présentation de Maguy Chapot-Blanquet, publiée dans le programme des Rencontres]
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2019-06-07 SG
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Histoire et Cultures en Languedoc. Éditeur scientifique
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14..
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Spatial Coverage
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