3 vol. (dictionnaire occitan-français) + 1 vol. (« Vocabulaire français-provençal »).
S.-J. Honnorat avait également annoncé que son dictionnaire serait précédé d’une grammaire, dont on ne connait qu'un seul manuscrit, conservé à la Bibliothèque de Grenoble. Il avait également préparé un supplément comme en témoignent les nombreuses annotations sur son exemplaire, aujourd’hui conservé au Musée Arbaud d’Aix-en-Provence.Les intentions d’Honnorat et les conditions d’élaboration de son dictionnaire sont bien documentées, en particulier grâce à la publication en 1840 d’un mémoire, le Projet d’un dictionnaire provençal-français ou dictionnaire de la langue d’oc ancienne et moderne, que l’auteur envoie aux sociétés savantes de l’espace occitan. Sa correspondance avec le naturaliste provençal Esprit Requien (1788-1851), conservée à la Bibliothèque Calvet d’Avignon, complète et confirme les informations publiées par Honnorat dans son Projet.
Rien ne semblait prédisposer Simon-Jude Honnorat à devenir l'un des premiers grands lexicographes occitans. Issu d’un milieu paysan du Val d’Allos, occitanophone dans son parler alpin « considéré comme rude et grossier par les beaux esprits de basse Provence, [qui] pouvait sembler à première vue bien loin de la langue de ces troubadours que l'on commence justement à redécouvrir à la même époque » 1 , le jeune Honnorat s’illustre surtout par son intérêt pour les sciences naturelles et la botanique.
Après un passage par Grenoble, il termine ses études de médecine à Paris, où il côtoie une génération de Provençaux dont beaucoup s’intéressent à la « mode Troubadour » et aux supercheries littéraires de Clotilde ou de Fabre d’Olivet. Honnorat découvre aussi les recherches en plein développement sur l’ancienne « langue romane », l’ancien occitan des troubadours, dont Raynouard sera le chef de file. Il est reçu docteur en médecine de la Faculté de Paris en 1807 et revient en Provence exercer à l'hôpital de Digne. L'entomologie, la paléontologie et la botanique sont ses domaines de prédilection.
C’est vers 1811 que S.-J. Honnorat semble avoir entrepris son projet de Dictionnaire provençal-français en se procurant les dictionnaires et glossaires antérieurs, à commencer par le Vocabulaire provençal-français du Marseillais Claude-François Achard (1785). Ce dictionnaire de l'occitan tel qu'il est parlé en Basse-Provence, ne pouvait convenir tout à fait à un occitanophone de la Provence alpine. C'est ainsi qu'Honnorat commence à collecter son propre parler local. En 1810, à Gap, Jean-Michel Rolland avait publié lui aussi un dictionnaire pour corriger le mauvais français des populations occitanophones alpines : le Dictionnaire des expressions vicieuses et fautes de prononciation les plus communes dans les Hautes et Basses Alpes, accompagnées de leurs corrections, largement soutenu et diffusé par les préfets des deux départements. Il est probable que la publication du dictionnaire de Rolland a pu jouer le rôle de déclencheur chez Honnorat, qui envisagea d’abord l’élaboration d’un dictionnaire occitan comme un moyen d’accéder à une bonne maîtrise du français : « C'est donc, paradoxalement, le désir de français qui a conduit notre auteur à entreprendre sa tâche de lexicographe occitan. Rien d'étonnant à cela au demeurant : un de ses prédécesseurs, l'Abbé de Sauvages, avait à ses débuts exactement le même propos, avant de se prendre au jeu, comme Honnorat lui-même plus tard. » [note]
En 1840 lorsqu’Honnorat publie son Projet de dictionnaire...(consultable sur Occitanica), celui-ci diffère peu à première vue des dictionnaires occitan-français de l‘époque moderne, à l’exemple de celui d’Achard pour le provençal, qui constituent un foisonnant corpus de dictionnaires et glossaires ayant pour but d’apprendre au peuple à parler et écrire correctement le français : « je ne perdis jamais de vue la langue provençale, quoique je ne l’eusse considérée jusque-là que comme un moyen, ou une espèce d’échelle pour arriver à la langue française2
On peut cependant supposer qu’en s’adressant aux érudits des sociétés savantes méridionales pour trouver des soutiens à son projet de dictionnaire, Honnorat a repris le discours dominant du temps. Quoi qu’il en soit, ses intentions sont ambivalentes et son projet, tel qu’exposé en 1840, tranche déjà avec les dictionnaires précédents.
D’abord, il souhaite produire un dictionnaire général et complet de la langue occitane, considérée dans son unité et explicitement nommée - « langue d’oc » - en embrassant les différents dialectes. Son projet de dictionnaire devait initialement se borner au domaine géolinguistique provençal, mais, à partir de 1833, il prend véritablement conscience de l’unité de la langue : « car dans le fond la langue est parfaitement la même et je n’aurai peut-être pas mille mots de plus en faisant figurer l’idiome moundi ou languedocien…3
Par ailleurs, ce projet de dictionnaire n’est pas un simple glossaire occitan-français, mais un ouvrage à caractère encyclopédique, reflet de l’érudition et de l’intérêt d’Honnorat pour les sciences naturelles en particulier. Cet aspect, qui alourdit les notices et ne satisfait pas à l’intérêt linguistique d’un tel dictionnaire, a souvent été donné comme une des raisons du faible succès que rencontra le dictionnaire d’Honnorat.
Enfin, sa singularité réside surtout dans son ambition linguistique avec un projet relativement normatif : Honnorat fait plus que compiler la langue telle qu’elle est parlée mais la donne « telle qu’elle doit être, en comprenant tous les dialectes, mais en n’admettant, comme mot fondamental, que celui qui dérive le plus directement de la langue-mère » 4 c’est-à-dire, pour Honnorat, la langue réputée pure et uniforme du Moyen Âge, telle qu’en tout cas il pouvait l’appréhender dans les Leys d’Amor, texte du XIVe siècle qu’il connaît bien, particulièrement codificateur. Ici aussi Honnorat apparaît particulièrement novateur. Il s'est formé aux autres langues romanes proches de l'occitan, qu'il conçoit de fait comme une langue à l'égale des autres, parentes car dérivées du latin : « ceci, qui nous paraît aujourd'hui évident, ne l'était nullement de son temps : un certain nombre de bons esprits des débuts du XIXe siècle croyaient que le français dérivait du celtique des ancêtres gaulois, et certains maintiendront très tard cette illusion patriotique. Quant à mettre sur le même pied des langues étrangères et ce que le sens commun français appelait des "patois", perçus comme déformations populacières du français, c'était encore une idée révolutionnaire pour bien des gens. » [note]
La conception d'Honnorat d'une langue occitane originelle, « pure », dévoyée par des siècles d’oralité, le conduit à restaurer un certain nombre d’usages occitans des scribes du Moyen Âge, rompant avec l’adoption de la graphie française par imitation phonétique depuis au moins le XVIe siècle dans la plupart des régions occitanophones : retour du '-r' de l’infinitif, graphèmes 'nh' et 'lh', 'o' pour le son /ou/, et bien sûr le -a final.
Le dictionnaire provençal-français d’Honnorat peut être considéré comme le premier « vrai » dictionnaire occitan-français : il embrasse les différents dialectes de la langue d’oc, et au-delà de la traduction française des termes, il propose des notices lexicographiques enrichies de catégories grammaticales, notations étymologiques, citations d’auteur, allant même jusqu’à l’encyclopédisme.
Pour élaborer son dictionnaire S.-J. Honnorat a consulté d’importants corpus manuscrits et imprimés. On sait qu’il possédait une importante bibliothèque où l’on trouve dictionnaires, glossaires mais aussi de nombreuses œuvres littéraires 5. Il a eu accès à une grande partie de la production écrite de son temps et des siècles précédents, comme en témoignent les citations d’auteur qui sont données dans le dictionnaire. Pour les étymologies, Honnorat profitait de la somme nouvelle sur l’écrit occitan du Moyen Âge que représentait le Lexique roman de Raynouard 6. Honnorat fait aussi référence à la Canso de la Crozada traduite par Fauriel, aux Leys d'Amor et aux Flors del Gay-Saber qu'il connaît parfaitement. En termes de littérature, Honnorat connaît essentiellement l’écrit provençal, notamment la période moderne représentée par Jean-Baptiste Coye de Mouries, Michel Truchet d'Arles, Pierre Bellot et Toussaint Gros de Marseille, Hyacinthe Morel d'Avignon, Diouloufet d'Eguilles, mais aussi par des auteurs plus anciens comme Brueys ou Bellaud de la Bellaudière. Dans sa correspondance avec Requien, Bellaud apparaît d'ailleurs comme son auteur favori. Il fait aussi référence à des recueils juridiques comme les Statuts de Provence ou les Privilèges et règles de Pays de Béarn dont on trouve plusieurs citations dans le dictionnaire.
Honnorat utilise également les recueils d’histoire naturelle : l'Histoire naturelle de Darluc, l'Histoire des Plantes qui croissent aux environs d'Aix et dans plusieurs autres endroits de Provence, de Pierre Garidel ou encore l'Histoire Naturelle des environs de Nice du naturaliste Antoine Risso.
Les sources orales, en revanche, semblent assez réduites. Il adressa lui-même une enquête en 1822 aux maires, curés, savants, mais elle paraît ne pas avoir donné les résultats escomptés : Honnorat ne l’évoquera plus et nous ne connaissons pas d'archives qui aient été conservées.
En 1840, Honnorat adresse aux différentes sociétés savantes et académies « des provinces méridionales » son Projet de 80 pages dans lequel il présente le dictionnaire à venir. Il reçut plusieurs rapports des académies méridionales, parfois assez enthousiastes à l’idée d’un grand dictionnaire restaurant la « dignité » de la langue à l’image du Rapport fait à la Société des sciences du Var : « avec les connaissances qu’il est facile de reconnaître dans M. Honnorat et dont il fait preuve à chaque page de son écrit, on conçoit aisément qu’il lui a été facile d’établir que la langue provençale, dégagée des divers dialectes, ses enfants dégénérés, a offert, de tout temps, autant de régularité, d’ensemble et de philosophie qu’aucune autre des langues modernes ; (…) notre langue à nous qui se pressentait à sa naissance avec une perfection que d’autres n’ont pu acquérir en dix siècles, et que des circonstances de pur hasard empêchèrent seules de devenir langue nationale, était plus digne que la langue d’oil, un de ses plus imparfaits dialectes, devenu plus tard et par des améliorations successives, la Langue française, de rester langue dominante et officielle… » 7
En 1844, le ministre de l’Instruction publique Villemain souscrit pour cent exemplaires, accélérant l’édition du dictionnaire qui commence à être imprimé. Âgé de 62 ans, et en mauvaise santé, confronté à d’importantes difficultés financières, Simon-Jude Honnorat réussit toutefois à faire imprimer le premier volume qui est terminé en 1847 chez l’imprimeur Repos à Digne, suivi de près par le second volume puis, en mai 1848 par le troisième et dernier volume. Durant l’été 1848 paraît le Vocabulaire français-provençal mais la Grammaire et le Supplément annoncés ne parurent jamais. Les difficultés rencontrées par Honnorat pour l’impression de son dictionnaire sont sans doute dues en partie à son engagement légitimiste alors que son dictionnaire voyait le jour entre Monarchie de Juillet et Révolution de 1848.
Le monumental dictionnaire d’Honnorat semble avoir été un échec commercial, au vu de la rareté des éditions originales conservées.
On peut penser que les contenus encyclopédiques et peut-être aussi les choix graphiques, le rendaient difficilement manipulable pour une grande partie du lectorat visé. Il mourut en 1852 et ne connut pas le grand élan renaissantiste porté par le succès national de Mirèio (1859) du jeune Frédéric Mistral et par le Félibrige, qui culmine dans le dernier tiers du siècle.
Si Honnorat est peu célébré chez les félibres, en revanche, Mistral estima et utilisa beaucoup son dictionnaire pour la réalisation du Tresor dóu Felibrige.
Mais c’est au cours du XXe siècle qu’Honnorat fut redécouvert et célébré comme un grand savant, précurseur de la normalisation graphique initiée dans les années 1900 par Antonin Perbosc et Prosper Estieu qui tirent de leur lecture des textes médiévaux, en particulier les Leys d’amor eux aussi, un système de restitution d'une norme occitane d'écriture.
Éditions :
- 1846-1848 : Digne : Repos (édition originale)
- 1991 : Raphèle-lès-Arles : Culture Provençale et Méridionale, 1991 [reprint de l’édition originale ; préface de Pierre Fabre]
Les 4 tomes numérisés par le Bibliothèque nationale de France et disponibles sur Gallica permettent de faire des recherches en plein texte.
Consulter sur gallica.bnf.fr :
Tome 1 : Dictionnaire (A-D)
Tome 2 : Dictionnaire (E-O)
Tome 3 : Dictionnaire (P-Z)
Tome 4 - Vocabulaire
Le site internet D'Ubaye en Verdon (jc.clariond.free.fr) propose un outil permettant d'effectuer des recherches avancées dans le dictionnaire d'Honnorat informatisé. Plusieurs modes de recherche sont possibles : une recherche thématique, une recherche par dialectes, par auteurs cités dans le dictionnaire, par radicaux et une recherche des mots par terminaison. Consulter le site.
1.Philippe MARTEL, « Du parler local à la langue : le Docteur Honnorat à la découverte de l’unité de la langue d’oc » dans : Chroniques de Haute-Provence, 365, 2010. (En ligne sur Occitanica) ↑
2. S.-J. HONNORAT, Projet de dictionnaire provençal-français… - Digne : Repos, 1840. ↑
3.Lettre à Requien, 25 mars 1833. ↑
4.Philippe MARTEl, op. cit. ↑
5. Catalogue des livres de feu M.H.M. de feu M.S.J. Honnorat, Grenoble, 1853. ↑
6.François RAYNOUARD, Lexique roman ou Dictionnaire de la langue des troubadours comparée avec les autres langues de l'Europe latine - Paris : Silvestre, 1836-1844. ↑
7.Layet, Toulon le 19 juillet 1841 dans : Bulletin trimestriel de la Société des Sciences, Belles-Lettres et Arts du département du Var ↑