Robert Lafont (1923-2009) est incontestablement, par son œuvre et son action, un acteur majeur de la modernité occitane. Il l'est comme chercheur et comme enseignant, comme homme d'action et comme chef de file de mouvements, comme intellectuel autant que comme écrivain.
Sur le plan littéraire, son œuvre en prose et son théâtre ont représenté des étapes de reconquêtes d'espaces littéraires et de capacités linguistiques structurantes pour la langue occitane contemporaine. Pourtant Robert Lafont fut d'abord un poète et c'est par la poésie qu'il entre en écriture. L’ampleur et la richesse de son œuvre poétique, plusieurs fois mise en musique des années 1960 aux années 2000, a été récemment mise en lumière par l’édition complète de son œuvre poétique : Robert LAFONT, Poèmas 1943-1984, Montpeyroux, Jorn, 2011.
Grâce à la collection de CD « Trésors d’Occitanie » (
Aura - Occitània produccions), il nous est offert de pouvoir entendre un choix de poèmes dit par le poète lui-même.
L’extrait ci-dessous est la première partie du poème « Lenga d’òc », aussi intitulé dans certains recueils « A meis amics occitanistas » et qui s’ouvre par un vers devenu manifeste pour toute une génération : « Lo sol poder es que de dire » (le seul pouvoir celui de dire).
Dire, lo sol poder es que de dire
Le recueil Dire (Toulouse et Rodez, Institut d'Estudis Occitans et Subervie, 1957) est le second recueil poétique de Robert Lafont. Il rassemble des poèmes écrits entre 1945 et 1953 et se divise en trois moments : « Dire l’amor lei causas », « Flaüta sorna enamorada » et « Dire l’òme lo segle ». Ce recueil apparaît comme un manifeste poétique pour le présent et le futur : « Dire » c’est pour Robert Lafont s’approprier ce monde neuf qui s’ouvre, frotter sa langue « nue comme une fille » dit-il dans le poème aux aventures esthétiques et historiques de son temps.
Le vers qui ouvre le poème : « lo sol poder es que de dire » (le seul pouvoir celui de dire) est devenu célèbre tant il fait figure a posteriori de programme pour une œuvre indissociable d’une pensée, d’une action, de toute une vie, dans lequel la génération occitaniste d’Après-guerre se retrouvera.
« La lenga d’òc » dit par Robert Lafont dans cet extrait sonore, paraît sous ce titre dans le recueil Dire (1957). Il est repris dans Aire liure (P.J. Oswald, 1974), florilège de textes poétiques de l’auteur, sous le titre « A meis amics occitanistas ».
Le poème a été mis en musique par Jan-Mari Carlotti dans l’album Dire Robert Lafont (Arles, Mont-Jòia, 2005).
L’enregistrement ci-dessous est un extrait du poème dit par Robert Lafont lui-même dans la collection CD « Trésors d’Occitanie » (Vendargues, Aura - Occitània produccions, 2000).
Texte de l'extrait
Lo sol poder es que de dire.
Dire doç : una aranha
penchena lo soleu
sus lo pònt de l'aubeta.
Dire fèr : la montanha
es una frucha amara
qu'enteriga lei sòrgas.
Dire larg : la marina
a pausat si doas mans
sus l'esquinau dau mond.
Dire amic : l'amarina.
(fin de l'extrait sonore)
Ma lenga es davant ieu
nusa coma una dròlla.
(fin de la première partie du poème)
Traduction française de l'extrait
Le seul pouvoir celui de dire.
Dire doux : l'araignée
peigne le soleil
sur le pont de l'aurore.
Dire dur : la montagne
est comme un fruit amer
qui agace les sources.
Dire vaste : la mer
a posé ses deux mains
sur l'échine du monde.
Dire ami : l'amarine.
(fin de l'extrait sonore)
La langue est devant moi
aussi nue qu'une fille.
(fin de la première partie du poème)